Chauffeur Poids-Lourd : décision du 11 juillet 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00025

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 11 juillet 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00025
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COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 11 JUILLET 2022

N° RG 21/00025 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GS2B ( Dossier N°RG 21/00069 – N°Portalis DBVY-V-B7F-GS7M joint par mention )

S.A.R.L. TRANS DJR BROUSSE etc…

C/ [N] [P] etc…

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNEMASSE en date du 15 Décembre 2020, RG F 19/00201

APPELANTES et INTIMEES:

S.A.R.L. TRANS DJR BROUSSE

dont le siège social est sis [Adresse 4]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL DUBY DELANNOY JANICK, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL SELARL CHANTELOT ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de ROANNE

S.A.S.U. GOJOB MARSEILLE

dont le siège social est sis [Adresse 3]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY la SELARL ELSE, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE

INTIME et APPELANT INCIDENT :

Monsieur [N] [P]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Virginie VABOIS, avocat au barreau D’ANNECY

INTIMEES et APPELANTES

S.A.R.L. TRANS DJR BROUSSE

dont le siège social est sis [Adresse 4]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL DUBY DELANNOY JANICK, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL SELARL CHANTELOT ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de ROANNE

S.A.S.U. GOJOB MARSEILLE

dont le siège social est sis [Adresse 3]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY la SELARL ELSE, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 07 avril 2022 par Monsieur Frédéric PARIS, Président de chambre à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, avec l’assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

– Monsieur Frédéric PARIS, Président de chambre

– Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

– Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

********

Faits et procédure

M. [N] [P] a été recruté par la société Gojob Marseille, entreprise de travail temporaire, en vue d’une mise à disposition de la Sas Trans Djr Brousse en qualité de chauffeur poids lourd, sous contrat d’intérim conclu en remplacement de Monsieur [L].

Un premier contrat était conclu pour la période du 29 au 30 mai 2017, contrat qui sera renouvelé du 3 au 16 juin 2017, du 17 au 23 juin 2017, du 26 juin au 7 juillet 2017, du 8 au 14 juillet 2017, du 15 au 31 juillet 2017.

Le 24 juillet 2017, M. [N] [P] va être victime d’un accident dans le cadre de son travail.

La relation de travail s’interrompra à l’issue de la dernière mission le 31 juillet 2017.

Par requête reçue le 18 juillet 2018, M. [N] [P] a saisi le conseil de prud’hommes d’Annemasse aux fins de voir condamner ces deux sociétés in solidum à l’indemniser notamment pour défaut de visite médicale d’embauche, rappels sur les heures supplémentaires, dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité, dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, dommages et intérêts pour remise tardive des documents de rupture.

Par jugement du 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Annemasse a :

– condamné la Sas Trans Djr Brousse à payer au salarié la somme de 5000 € pour manquement à ses obligations de sécurité ayant occasionné son accident de travail,

– condamné la Sas Trans Djr Brousse à payer au salarié la somme de 1500 € pour exécution déloyale du contrat de travail,

– débouté la Sas Trans Djr Brousse et la société Gojob Marseille de l’ensemble de leurs demandes,

– condamné la Sas Trans Djr Brousse et la société Gojob Marseille in solidum aux dépens,

– condamné la société Gojob Marseille à payer à M. [N] [P] la somme de 5000 € pour remise tardive des documents de rupture du contrat de travail,

– condamné la société Gojob Marseille à payer à M. [N] [P] la somme de 1500 € de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par déclarations au greffe par RPVA du 15 janvier 2021, la Sas Trans Djr Brousse et la Sasu Gojob Marseille ont relevé appel de cette décision. M. [N] [P] a relevé appel incident.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 31 mars 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sas Trans Djr Brousse demande à la cour de :

– prononcer la jonction des deux appels interjetés par les deux sociétés,

– réformer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [N] [P] la somme de 5000 € pour manquement à ses obligations de sécurité ayant occasionné l’accident de travail ainsi que la somme de 1500 € pour exécution déloyale du contrat de travail, et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens in solidum avec la Sasu Gojob Marseille,

– confirmer ce jugement en ce qu’il a débouté M. [N] [P] du surplus de ses demandes,

– débouter M. [N] [P] de l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de la Sas Trans Djr Brousse,

– débouter la Sasu Gojob Marseille de toutes demandes contraires,

– condamner Monsieur [N] [P] à lui verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La Sas Trans Djr Brousse soutient qu’elle n’a pas manqué à son obligation de sécurité. Elle mettait à la disposition de chaque transporteur un transpalette leur permettant d’effectuer les livraisons sans soulever de charges lourdes. M. [N] [P] avait pour consigne de décharger la piscine avec laquelle il se serait blessé en la portant avec l’aide du destinataire. Ce dernier n’était pas présent au moment de la livraison, M. [N] [P] ne devait à aucun moment décharger cette piscine seul.

S’agissant de l’exécution déloyale du contrat de travail, cet accident du travail a bien été signalé à la CPAM dans les délais requis, ainsi qu’en atteste le courrier de la CPAM selon lequel elle dit avoir reçu la déclaration d’accident le 28 août 2017, soit quatre jours après les faits. La société a ainsi bien rempli ses obligations en la matière. Par, ailleurs, M. [N] [P] ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’il aurait subi.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 avril 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la Sasu Gojob Marseille demande à la cour de :

– prononcer la jonction des deux appels interjetés par les deux sociétés,

– réformer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [N] [P] la somme de 5000 € pour remise tardive des documents de rupture du contrat de travail ainsi que la somme de 1500 € pour exécution déloyale du contrat de travail, et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens in solidum avec la Sas Trans Djr Brousse,

– confirmer ce jugement en ce qu’il a débouté M. [N] [P] du surplus de ses demandes,

– débouter M. [N] [P] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la Sasu Gojob Marseille,

– condamner M. [N] [P] à lui payer la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, ce d’appel étend distrait au profit de la Selarl Juliette Cochet Barbuat.

La Sasu Gojob Marseille soutient que M. [N] [P] a reçu son solde de tout compte le 5 octobre 2017, et qu’il n’a pas justifié du préjudice qu’il aurait subi du fait de la remise tardive des documents de rupture.

S’agissant de l’exécution déloyale du contrat de travail, M. [N] [P] ne démontre pas avoir informé la société Gojob Marseille dans les 24h de son accident du travail ainsi que l’y oblige la loi. Il produit par ailleurs lui-même un courrier de la CPAM qui indique avoir reçu par courrier du 28 août 2017 une déclaration d’accident du travail le concernant. La société Gojob Marseille a déclaré son accident dès qu’elle en a eu connaissance. Le fait que ses indemnités jurnalières accident du travail lui aient été versées trois mois plus tard n’est pas imputable à cette société. M. [N] [P] ne justifie par ailleurs en rien du préjudice subi.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [N] [P] demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Annemasse en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale de prévention et d’information,

– condamner la Sasu Gojob Marseille à lui verser la somme de 1500 € nets à titre de dommages-intérêts pour défaut de cette visite médicale,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Annemasse en ce qu’il a condamné la Sasu Gojob Marseille à lui verser la somme de 5000 € nets à titre de dommages-intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

– ordonner à la Sasu Gojob Marseille de lui remettre une attestation pôle emploi conforme sous astreinte de 50 € par jour dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Annemasse en ce qu’il l’a débouté de sa demande de rappel de salaire,

– condamner la Sas Trans Djr Brousse à lui verser la somme de 891,37 euros brut à titre de rappel de salaire pour 73,36 heures supplémentaires, outre 89,13 euros brut au titre des congés payés afférents,

– ordonner à la Sas Trans Djr Brousse de lui remettre un bulletin de paye rectificatif mentionnant ce rappel de salaire sous astreinte de 50 € par jour dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

– ordonner à la Sas Trans Djr Brousse de lui remettre une carte chronotachygraphe sous astreinte de 50 € par jour dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné la Sas Trans Djr Brousse à lui verser la somme de 5000 € pour manquement à son obligation de sécurité,

– condamner la Sas Trans Djr Brousse à lui verser la somme de 10000 € net pour manquement à son obligation de sécurité,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné les deux sociétés à lui verser chacune la somme de 1500 € net à titre de dommages-intérêts pour violation de leur obligation de loyauté,

– subsidiairement, prononcer la responsabilité in solidum des deux sociétés,

– si l’aide juridictionnelle totale ou partielle lui est accordée, fixer les honoraires de Maître [Y] à hauteur de 2500 €,

– si l’aide juridictionnelle totale ou partielle ne lui est pas accordée, condamner les deux sociétés à lui payer la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure,

– dire que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal.

M. [N] [P] soutient que la Sasu Gojob Marseille n’a pas organisé de visite médicale de prévention et d’information pourtant obligatoire dans sa situation, n’a pas procédé à la déclaration d’accident du travail dont il a été victime le 24 juillet 2017, ne lui a remis ses documents de fin de contrat que huit mois après la fin de ce dernier.

L’absence de visite médicale lui a causé un préjudice compte-tenu de l’hernie discale chronique dont il souffre, des fonctions qu’il exerçait et au regard de l’accident du travail qu’il a subi.

La remise tardive des documents de fin de contrat, en avril 2018, ne lui a pas permis de régulariser son inscription à Pôle Emploi, ce qui a entraîné pour lui des difficultés financières et notamment des difficultés pour payer son loyer.

L’attestation Pôle emploi qu’il a reçue doit être corrigée en ce qu’elle ne mentionne pas comme périodes travaillées les mois de juin et juillet 2017.

Ses plannings pour les mois de juin et juillet 2017 ainsi que des numérisations de disques chronotachygraphes démontrent qu’il effectuait très régulièrement des heures au-delà de 35h hebdomadaires. La Sas Trans Djr Brousse refuse de communiquer ses disques chronotachygraphes qui permettraient de vérifier ses dires.

La Sas Trans Djr Brousse n’a pas communiqué son document unique d’évaluation des risques professionnels, ce qui démontre qu’elle n’est pas dotée des outils de prévention des risques nécessaires. Par ailleurs, cette société a violé à deux reprises son obligation de sécurité à son égard: il ne bénéficiait quasiment jamais d’une pause de 45 minutes après 4h30 de conduite en raison des tâches de livraison accomplir, et à plusieurs reprises il a été contraint de dépasser la durée maximale journalière de conduite limitée à neuf heures. En outre, il était fréquemment contraint de soulever seul lors des opérations de livraison des charges lourdes, sans qu’aucun système spécifique d’aide à la manutention autre qu’un tire-palette manuel ne lui soit fourni.

En dépit des mises en demeure qu’il a effectuées les 7 septembre et 20 novembre 2017, la société Gojob Marseille a refusé de renvoyer la déclaration d’accident de travail à la CPAM; il n’a donc dans un premier temps perçu que les indemnités journalières classiques, et pas celle d’accident de travail, ce qui l’a placé dans une situation financière très délicate. Lui-même ne peut pas déterminer laquelle des deux sociétés est responsable de l’absence de déclaration de son accident de travail, ce qui justifie que les deux sociétés soient condamnées au titre de la violation de leur obligation de loyauté.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 7 janvier 2022.

L’affaire a été appelée à l’audience du 7 avril 2022. À l’issue, elle a été mise en délibéré au 2 juin 2022, délibéré prorogé au 11 juillet 2022.

Motifs de la décision

Il sera rappelé que les dossiers 21/00025 et 21/00069 ont été joints par mention au dossier sous le numéro 21/00025.

Sur l’obligation de sécurité

Il résulte des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date du litige, une obligation légale de sécurité qui impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs notamment par des actions de prévention des risques. Il appartient au salarié de démontrer le préjudice qu’il invoque, dont les juges du fond apprécient souverainement l’existence. Enfin l’article L. 4121-2 du même code définit les principes généraux de prévention que doit respecter l’employeur pour mettre en ‘uvre ces mesures.

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes

Constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l’employeur le fait d’exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés, alors que l’employeur doit assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité qui lui incombe en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise.

En l’espèce, M. [N] [P] ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations selon lesquelles il était fréquemment contraint de soulever seul des charges lourdes sans qu’aucun système spécifique d’aide à la manutention ne lui soit fourni.

Par ailleurs, il ne résulte pas des pièces produites aux débats, notamment des disques chronotachygraphes, la démonstration que M. [N] [P] :

– a été amené à conduire plus de 4h30 en continu sans bénéficier des pauses légales en application des dispositions du règlement (CE) n° 561/2006 du 15 mars 2006,

– a été contraint de dépasser à plusieurs reprises la durée maximale journalière de conduite limitée à 9 heures, mais pouvant être portée à 10 heures deux fois par semaine, étant relevé que les disques font ressortir plusieurs temps d’arrêt dans la journée, possiblement des temps de livraison, et que ces derniers ne constituent pas des temps de conduite.

Cependant, il doit être constaté que la Sas Trans Djr Brousse n’a jamais communiqué le document unique d’évaluation des risques professionnels pour l’année 2017, se contentant d’en communiquer un daté du 12 octobre 2021. L’employeur ne justifie ainsi pas de l’existence d’un tel document au sein de l’entreprise à la date du contrat de travail du salarié, document pourtant obligatoire en application des dispositions des articles L4121-3 et R4121-1 du code du travail applicables à l’époque. Il doit donc être présumé que ce document, dont les salariés doivent être informés de l’existence et qui doit leur être communiqué à leur demande n’existait pas au sein de l’entreprise à cette époque.

Il peut être constaté que le DUERP d’octobre 2021 mentionne des risques liés aux activités manuelles des postes de travail et notamment au transport de charges lourdes. Il est précisé la possibilité de manutentions manuelles dos courbé et de mauvaises postures, et que des formations des salariés sur les gestes et les postures sont à prévoir.

La Sas Trans Djr Brousse ne justifie pas avoir sensibilisé M. [N] [P] aux risques auxquels il était exposé s’agissant de la manipulation et du transport de charges lourdes, alors que ces actes étaient inhérents à son activité de chauffeur routier, dans le cadre des livraisons qu’il effectuait.

La reconnaissance du caractère professionnel de l’arrêt de travail de M. [N] [P] n’a jamais été contestée par la Sas Trans Djr Brousse.

M. [N] [P] justifie par la production de son arrêt de travail avoir été victime d’un lumbago aigü le 24 juillet 2017. Il soutient que cette affection est intervenue alors qu’il manutentionnait seul une palette chez un client. Il justifie qu’il devait livrer des pierres (selon la mention portée au bon de livraison) chez ce client le 24 juillet 2017.

L’employeur ne produit aucun élément conduisant à remettre en question cette version, et notamment le fait que le salarié se soit blessé en manutentionnant une charge lourde chez un client.

La Sas Trans Djr Brousse, en n’établissant pas de document unique d’évaluation des risques professionnels, a manqué à son obligation de prévention. Elle ne justifie pas avoir informé M. [N] [P] des risques pour sa santé liés à la manutention de charges lourdes, et elle ne justifie pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir les accidents liés à ce type de manutention.

Cette société n’a donc pas rempli son obligation de sécurité envers le salarié. Celui-ci justifie, au regard de son arrêt de travail, avoir subi un préjudice de ce fait.

M. [N] [P] justifie, par la production d’une attestation de paiement des indemnités journalières, d’un arrêt de travail rattachable à cet accident au moins jusqu’au 1er octobre 2017. Il ne produit pas d’autre élément permettant d’évaluer son préjudice à ce titre.

Compte-tenu de ces éléments, la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée s’agissant du montant des dommages et intérêts alloués, et il sera alloué au salarié la somme de 3000 euros à ce titre.

Sur l’obligation de loyauté

Aux termes des dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail , le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Comme le salarié, l’employeur est tenu d’exécuter le contrat travail de bonne foi. Il doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu.

Par ailleurs, il résulte des dispositions des articles L 441-2 et R441-3 du code de la sécurité sociale que l’employeur doit déclarer à la CPAM dans les 48 heures de sa survenance tout accident dont un salarié est victime et dont il a eu connaissance.

La Sas Trans Djr Brousse ne conteste pas avoir été informée de l’accident dont a été victime M. [N] [P], d’autant plus que cet accident l’a conduit à interrompre son contrat de travail auprès de cette entreprise qui courait jusqu’au 31 juillet 2017.

Dans un courrier du 7 septembre 2017, la CPAM de la Haute-Savoie indique au salarié avoir reçu le 28 août 2017 une déclaration d’accident le concernant.

Ce courrier démontre que la Sas Trans Djr Brousse, ou la Sasu Gojob Marseille (puisque les pièces produites ne permettent pas de déterminer qui a effectué la déclaration d’accident à la CPAM à cette date), a attendu un mois pour informer la CPAM de cette accident. Ce fait caractérise l’exécution déloyale par l’employeur du contrat de travail.

Par ailleurs, il n’est produit aucun élément permettant de vérifier la date à laquelle la Sasu Gojob Marseille a été informée de cet accident par la Sas Trans Djr Brousse (en application de l’article L 412-4 du code de la sécurité sociale). Ainsi, il ne peut lui être imputé le retard dans la déclaration de cet accident à la CPAM.

Seule la Sas Trans Djr Brousse peut donc se voir reprocher en l’espèce une exécution déloyale du contrat de travail.

La décision du conseil de prud’hommes en ce qu’elle a condamné la Sasu Gojob Marseille sera infirmée.

Le retard pris par la Sas Trans Djr Brousse dans la transmission de cette information a nécessairement entraîné un retard au moins équivalent dans le traitement du dossier du salarié par la CPAM, et donc dans le versement à celui-ci des indemnités journalières accident du travail auxquelles il avait droit.

M. [N] [P] justifie ainsi avoir subi un préjudice, dont l’évaluation faite par le conseil de prud’hommes apparaît justifiée et sera donc confirmée.

Sur le défaut de visite médicale de prévention et d’information

Il résulte des dispositions de l’article R 4624-10 du code du travail que tout travailleur bénéficie d’une visite d’information et de prévention, réalisée par l’un des professionnels de santé mentionnés au premier alinéa de l’article L. 4624-1 dans un délai qui n’excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail.

Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’employeur d’organiser cette visite médicale pour tout salarié travaillant à son profit, ce texte ne fixant aucune exception pour les travailleurs dont la durée du contrat de travail serait inférieure au délai maximum fixé pour organiser cette visite.

En l’espèce, il est établi que la Sasu Gojob Marseille n’a pas organisé cette visite.

Il appartient cependant au salarié de démontrer qu’il a subi un préjudice résultant de l’absence d’organisation de cette visite médicale (voir notamment Cass soc 12 décembre 2018, n°17-22.697). Or M. [N] [P] ne produit aucun élément à l’appui de cette allégation.

Le conseil de prud’hommes n’a pas statué sur ce chef de demande au sein du dispositif de son jugement. En conséquence, il convient de débouter M. [N] [P] de sa demande à ce titre.

Sur la remise tardive des documents de fin de contrat

M. [N] [P] produit un courrier de la Sasu Gojob Marseille du 3 avril 2018 dont il résulte qu’elle ne lui a transmis son attestation Pôle Emploi qu’à cette date, alors que son contrat de travail s’était terminé le 31 juillet 2017.

Son solde de tout compte lui a été transmis le 5 octobre 2017, ainsi qu’il en résulte d’un courriel de la Sasu Gojob Marseille.

Le contrat de travail de M. [N] [P] ayant pris fin le 31 juillet 2017, la remise de ces deux documents est particulièrement tardive.

M. [N] [P] justifie d’une situation financière fragile en ce qu’il effectue des missions de travail temporaire faiblement rémunérées et qu’il justifie avoir connu des retards de règlement de ses loyers en 2016 et 2017, la dernière fois en octobre 2017. Le fait d’avoir retenu son solde de tout compte pour un montant de 543,94 euros pendant plus de deux mois lui a donc causé un préjudice.

Par ailleurs, l’absence d’attestation Pôle emploi n’a pas permis au salarié de s’inscrire à Pôle Emploi pendant plus de huit mois, ce qui lui a causé un préjudice s’agissant de la perte de chance de percevoir des indemnités.

Compte-tenu de ces éléments, étant relevé par ailleurs que M. [N] [P] ne produit pas d’autre élément sur l’étendue de son préjudice (s’il soutient qu’il s’est retrouvé au RSA, il n’en justifie pas), la décision du conseil de prud’hommes sera infirmée et la Sasu Gojob Marseille sera condamnée à lui verser la somme de 3500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la remise de l’attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte

Il résulte des deux attestations Pôle emploi produites par la Sasu Gojob Marseille que la rubrique 6.1 ne comprend pas les salaires perçus du 3 au 23 juin 2017, alors que le salarié a été sous contrat avec cette société du 3 au 16 juin 2017 et du 17 au 23 juin 2017.

Il sera donc ordonné à la Sasu Gojob Marseille de remettre à M. [N] [P] une attestation Pôle Emploi rectifiée, ce sous astreinte de 50 € par jour de retard dans un délai de 10 jours à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, en vertu de l’article L. 3171-4 du code du travail, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou le cas échéant à un repos compensateur équivalent.

Sont des heures supplémentaires celles effectuées à la demande de l’employeur, ou à tout le moins avec son accord implicite, au-delà de la durée légale de travail telle qu’elle résulte de l’article L. 3121-27 du code du travail.

Selon l’article L. 3121-29 du code du travail, les heures supplémentaires se décomptent par semaine.

En l’espèce, M. [N] [P] a été rémunéré, selon ses fiches de paye, de 28,31 heures supplémentaires en juin 2017 et de 45,05 heures supplémentaires en juillet 2017.

Il produit des relevés d’horaires, selon lui contresignés par son supérieur hiérarchique au sein de la Sas Trans Djr Brousse, ce que ne conteste pas l’employeur. Il en ressort qu’il aurait effectué 49h30 pour la semaine du 19 au 23 juin 2017 (aucune heure de fin de service n’est mentionnée pour la journée du 22 juin, aucune heure supplémentaire n’est donc démontrée, de sorte que seul l’horaire contractuel de 7h est retenue pour cette journée), 52h08 heures pour la semaine du 3 au 7 juillet, 37h39 pour la semaine du 10 au 13 juillet, 49h45 pour la semaine du 17 au 21 juillet.

Ses éléments apparaissent suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

Ce dernier produit des copies des disques chronotachygraphes du salarié sur certaines journées, dont le salarié lui-même soutient qu’il s’agit des seuls éléments permettant d’établir la réalité des heures qu’il a effectuées. Il en ressort que M. [N] [P] a effectué 49 heures sur la semaine du 12 au 16 juin, 32h45 entre le 18 et le 21 juillet, 34h30 entre le 29 mai et le 1er juin.

L’employeur produit par ailleurs des ‘rapports d’activité’ de M. [N] [P] dont il ressort qu’il aurait effectué 28,3 heures supplémentaires en juin et 32,28 heures en juillet.

Il ressort de l’analyse de ces documents que ni les ‘relevés d’horaires’ produits par le salarié, ni les ‘rapports d’activité’ produits par l’employeur n’apparaissent totalement probants quant aux heures supplémentaires effectuées puisque des discordances apparaissent avec les disques chronotachygraphes. Ainsi :

– M. [N] [P] soutient avoir effectué 49h45 pour la semaine du 17 au 21 juillet, dont 10h15 pour la journée du 17, alors que les disques chronotachygraphes font apparaître 32h45 entre le 18 et le 21 juillet,

– l’employeur a payé 45,05 heures supplémentaires au salarié en juillet, alors que les rapports d ‘activité produits ne font état que de 32h28.

Il ne saurait être raisonné en effectuant une ‘moyenne d’heures supplémentaires’ de 144h sur les neuf semaines travaillées, ainsi que le salarié le sollicite, alors que celui-ci ne produit aucun élément probant s’agissant d’heures supplémentaires qu’il aurait selon lui effectuées sur certaines périodes de travail.

Le conseil de prud’hommes a débouté le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires au sein de sa motivation, mais n’a pas répondu à ce chef de demande au sein de son dispositif.

Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, M. [N] [P] sera débouté de sa demande à ce titre.

Sur la demande de délivrance d’une carte chronotachygraphe

Il résulte des dispositions de l’article R 3313-19 du code des transports que «aucun conducteur salarié ne peut être affecté à la conduite d’un véhicule soumis aux dispositions du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l’harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route, équipé d’un appareil de contrôle conforme au règlement (UE) n° 165/2014 du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, s’il n’est détenteur d’une carte de conducteur en cours de validité.
Les demandes de cartes de conducteur, de renouvellement et de remplacement en cas de perte, de vol ou de défectuosité sont établies sur un formulaire signé par le conducteur.
Ces demandes sont adressées par l’employeur ou le salarié à l’organisme chargé de la délivrance des cartes. La redevance d’usage de la carte établie au nom du conducteur est dans tous les cas à la charge de l’employeur qui l’acquitte directement ou la rembourse au salarié sur justificatif de paiement. »

M. [N] [P] avait donc la possibilité de solliciter lui-même cette carte conducteur. Il n’y a donc pas lieu à ordonner sa délivrance par l’employeur sous astreinte. 

Le conseil de prud’hommes a débouté le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires au sein de sa motivation, mais n’a pas répondu à ce chef de demande au sein de son dispositif.

M. [N] [P] sera donc débouté de sa demande à ce titre.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La Sasu Gojob Marseille et la Sas Trans Djr Brousse succombant à l’instance, elles seront condamnées à verser à M. [N] [P] la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Déclare La Sasu Gojob Marseille, la Sas Trans Djr Brousse et M. [N] [P] recevables en leurs appels et appel incident,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Annemasse du 15 décembre 2020 en ce qu’il a :

– condamné la Sas Trans Djr Brousse à payer au salarié la somme de 1500 € pour exécution déloyale du contrat de travail,

– condamné la Sas Trans Djr Brousse et la Sasu Gojob Marseille in solidum aux dépens de première instance,

Infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [N] [P] de sa demande au titre de l’obligation de loyauté à l’égard de la Sasu Gojob Marseille,

Condamne la Sas Trans Djr Brousse à verser à M. [N] [P] la somme de 3 000 euros au titre du manquement à son obligation de sécurité,

Condamne la Sasu Gojob Marseille à verser à M. [N] [P] la somme de 3 500 euros au titre de la remise tardive des documents de fin de contrat,

Y ajoutant,

Déboute M. [N] [P] de sa demande au titre de l’absence de visite médicale de prévention et d’information,

Déboute M. [N] [P] de sa demande au titre des heures supplémentaires,

Déboute M. [N] [P] de sa demande de remise sous astreinte de sa carte chronotachygraphe,

Ordonne à la Sasu Gojob Marseille de remettre à M . [N] [P] une attestation Pôle Emploi rectifiée, ce sous astreinte de 50 € par jour de retard dans un délai de 10 jours à compter de la notification du présent arrêt,

Condamne la Sasu Gojob Marseille et la Sas Trans Djr Brousse à verser à M. [N] [P] la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Sasu Gojob Marseille et la Sas Trans Djr Brousse aux dépens.

Ainsi prononcé publiquement le 11 Juillet 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 


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