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ARRET N° 22/215
R.G : N° RG 21/00124 – N° Portalis DBWA-V-B7F-CHNX
Du 30/09/2022
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 2]
S.A.R.L. ESPACE SERVICES MARTINIQUE
C/
[U]
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 2]
S.A.R.L. ESPACE SERVICES MARTINIQUE
S.E.L.A.R.L. SELARL AJASSOCIES PRISE EN LA PERSONNE DE MAITRE [Y] [O]
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2022
Décision déférée à la cour, jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT-DE-FRANCE, du 16 Avril 2021, enregistrée sous le n° 19/00161
APPELANTES :
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 1]
[Localité 2]/FRANCE
Représentée par Me Catherine RODAP, avocat au barreau de MARTINIQUE
S.A.R.L. ESPACE SERVICES MARTINIQUE Prise en la personne de sa gérante en exercice
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Isabelle OLLIVIER, avocat au barreau de MARTINIQUE
INTIMES :
Monsieur [N] [U] Monsieur [U] a fait une demande d’aide juridictionnelle.
La commission doit examiner sa demande le 14/10/2021
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me Alberte ROTSEN-MEYZINDI de la SELARL MATHURIN-BELIA & ROTSEN -MEYZINDI, avocat au barreau de MARTINIQUE
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 2] prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 1]
[Localité 2]/FRANCE
Représentée par Me Catherine RODAP, avocat au barreau de MARTINIQUE
S.A.R.L. ESPACE SERVICES MARTINIQUE Prise en la personne de sa gérante en exercice
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Isabelle OLLIVIER de la SELARL AGORALEX, avocat au barreau de MARTINIQUE
S.E.L.A.R.L. SELARL AJASSOCIES PRISE EN LA PERSONNE DE MAITRE [Y] [O] Es qualité de « Commissaire à l’éxécution du plan » de la « SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE »
[Adresse 6]
[Localité 2]/FRANCE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 juin 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
– Madame Anne FOUSSE, Conseillère
– Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 17 juin 2022,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 30 septembre 2022 par mise à disposition au greffe de la cour.
ARRET : Contradictoire
************
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant un contrat de travail à durée déterminée du 21 mars 2018, M. [N] [U] a été embauché par la SARL ESPACES SERVICES MARTINIQUE, en qualité de chauffeur, du 21 mars au 21 juin 2018 moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 526,40 euros.
La relation de travail s’est ensuite poursuivie par la signature d’un contrat à durée indéterminée, le 22 juin 2018, M. [U] étant embauché en qualité de chauffeur/chauffeur poids lourd, moyennant la même rémunération que précédemment.
Le 23 avril 2019, M. [U] a adressé une lettre à son employeur lui signifiant que faute d’avoir reçu son salaire, il observait son droit de retrait, les retards et les non-paiements des salaires étant considérés comme une faute grave.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 23 avril 2019, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire, entretien prévu le 24 avril 2019.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 21 mai 2019, la SARL ESPACES SERVICES MARTINIQUE a notifié à M. [U] son licenciement pour faute grave en ces termes :
«Nous faisons par la présente suite à l’entretien du 24 avril 2019 auquel vous ne vous êtes pas présenté.
Les faits que nous vous reprochons sont les suivants.
Nous exerçons une activité de collecte, de traitement et de valorisation de déchets non dangereux. Dans le cadre de cette activité, il nous appartient de nous présenter à des dates précises chez nos clients pour la collecte des déchets qu’ils émettent. En effet ces derniers ont souscrit envers nous un abonnement et payent une cotisation forfaitaire mensuelle. Ils sont donc en droit d’attendre de nos services une prestation irréprochable.
Le moindre défaut ou retard de notre part à des conséquences pour nos clients engendrant pour eux des difficultés de fonctionnement (problème de stockage’).
Notre relation avec notre clientèle est d’autant plus importante que vous savez pertinemment que nous accusons en ce moment quelques difficultés passagères indépendantes de notre volonté. Il est donc pour nous très important de satisfaire notre clientèle pour ne pas leur donner de prétexte pour retarder leur paiement ce qui ne manquerait pas de mettre notre société en grande difficulté.
Au regard de ses difficultés, nous avons malheureusement accusé épisodiquement un retard dans le règlement de votre salaire qui vous a toutefois été versé chaque mois en intégralité.
Le 23 avril 2019, alors que vous étiez déjà arrivé à votre poste, vous avez manifesté votre mécontentement en raison du fait que votre salaire n’était pas encore parvenu sur votre compte. Je vous ai alors indiqué avoir d’ores et déjà effectué votre virement et ne rien pouvoir faire face aux délais de compensation bancaire.
C’est alors que sans rien vouloir entendre, alors que vous saviez parfaitement que vous nous mettiez en grande difficulté vous avez subitement quitté votre poste, refusant d’effectuer votre tournée.
Vous avez procédé de la sorte alors que vous saviez que vous êtes le seul à assurer la tournée chez les clients puisque personne d’autre au sein de l’entreprise ne dispose du permis poids lourd, nécessaire à la conduite du camion.
Ainsi donc, la tournée n’a pas pu être assurée, ce dont nos clients n’ont pas manqué de se plaindre avec menace de dénonciation du lien contractuel qui nous lie à nos clients.
Nous avons par ailleurs dû vous remplacer et, pour ce faire, nous avons dû faire appel à un prestataire ce qui a entraîné un surcoût non provisionné
Nous considérons que ceci est d’autant plus grave que vous avez agi de la sorte :
‘alors que nous vous avions indiqué que le virement était fait
‘alors que vous étiez déjà arrivé à votre poste de travail
‘alors que vous saviez que vous nous mettiez dans la difficulté et l’avez fait volontairement
‘alors que vous savez que notre société déjà fragilisée
Cette conduite met en cause la bonne marche du service
Nous avons par ailleurs été très déçus de ne pas vous voir lors de l’entretien auquel vous aviez été convoqué et lors duquel vous auriez pu exprimer vos regrets; nous vous informons que nous avons en conséquence décidé de vous licencier pour faute grave car nous ne pouvons courir le risque que de tels faits se réitèrent.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire, dans l’entreprise s’avère impossible; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 21 mai 2019 sans indemnité de préavis ni de licenciement». (‘)
Le 25 avril 2019, M. [N] [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Fort de France pour contester son licenciement.
Par jugement contradictoire du 16 avril 2021, le conseil de prud’hommes a :
condamné la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE à verser à M. [U] les sommes suivantes :
1 526,00 euros, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
254,40 euros, à titre d’indemnité de licenciement,
1 526,00 euros, à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 200,00 euros à titre de congés payés,
ordonné la remise du reçu de solde de tout compte conforme,
débouté le demandeur du surplus de sa demande,
fixé la créance de M. [U] au passif de la société,
ordonné à l’AGS de faire l’avance des sommes.
Le conseil a, en effet, considéré que le retard dans le paiement du salaire caractérisait un manquement de l’employeur justifiant la prise d’acte de la rupture par le salarié et que cette prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par déclaration électronique du 1er juin 2021, l’ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 2] a relevé appel du jugement.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 30 juillet 2021, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
à titre principal,
constater qu’un plan de continuation a été arrêté au profit de la société par jugement du 9 février 2021,
ordonner, en conséquence, sa mise hors de cause,
à titre subsidiaire,
juger que le licenciement de M. [U] pour faute grave repose sur une cause réelle et sérieuse,
débouter M. [U] de ses demandes en paiement d’indemnités,
dire que M. [U] a été rempli de ses droits, s’agissant des congés payés,
subsidiairement et en tout état de cause,
juger que sa garantie ne peut excéder les limites de la garantie légale et qu’elle est plafonnée,
juger que le plafond de garantie applicable est le 4,
juger qu’elle ne fera l’avance des sommes que dans les conditions légales et sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et sur justification de l’absence de fonds disponibles.
Au soutien de sa demande principale, elle fait valoir que le plan de continuation s’exécute et que la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE est in bonis. Elle rappelle les conditions de sa garantie et précise que les créances salariales postérieures de plus d’un mois au jugement arrêtant le plan de continuation ne sont pas garanties par elle. Elle souligne que le jugement du conseil de prud’hommes a été rendu, le 16 avril 2021, soit plus d’un mois après l’adoption du plan de continuation, le 9 février 2021. Elle insiste sur le fait qu’à ce jour aucune demande de résolution du plan n’a été faite.
Au fond, elle critique le jugement qui a considéré qu’il y avait eu une prise d’acte de rupture par le salarié alors que ce n’est pas le cas. Elle fait valoir que le salarié en exerçant à mauvais escient son droit de retrait a commis une faute grave, laquelle résulte de son abandon de poste.
Par conclusions remises au greffe le 17 février 2022, la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
juger fondé le licenciement pour faute grave de M. [U],
débouter M. [U] de toutes ses demandes,
condamner M. [U] à lui verser la somme de 3 000,00 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
dire la décision à venir opposable à l’AGS.
A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que les premiers juges se sont trompés de débat juridique puisqu’il n’y a pas eu de prise d’acte de rupture.
Elle expose ensuite que le salarié a toujours été payé de ses salaires et que le virement de la paye du mois d’avril 2019 avait déjà été fait au 23 avril 2019, lorsque M. [U] a refusé de travailler, piégeant son employeur puisqu’il savait qu’il était le seul à pouvoir conduire le camion de l’entreprise.
Elle reconnaît ne pas avoir respecté la procédure de licenciement mais affirme que M. [U] n’en a subi aucun préjudice.
S’agissant de la garantie due par l’AGS, elle rappelle que les créances résultant de la rupture du contrat de travail intervenant durant la période d’observation sont garanties.
Par conclusions remises au greffe le 28 janvier 2022, M. [N] [U] demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande en dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et en ce qu’il a condamné son employeur à lui verser la somme de 1 526,00 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, statuant à nouveau, de :
condamner la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE à lui verser la somme de 5 000,00 euros, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
condamner la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE à lui verser la somme de 2 000,00 euros, au titre de la rupture abusive de son contrat de travail,
fixer la créance au passif de la société,
ordonner à l’AGS de faire l’avance des sommes et lui dire le jugement opposable,
condamner l’AGS aux dépens.
A titre subsidiaire, et si la cour infirmait le jugement sur la cause du licenciement, il demande à la cour de condamner la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE à lui verser la somme de 3 526,00 euros, en réparation de l’irrégularité de procédure et, si la cour écartait la garantie de l’AGS, de condamner encore la société à lui verser la somme de 3 000,00 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
A l’appui de sa demande au titre de la garantie de l’AGS, il rappelle les termes de l’article L 3253-8 2° du code du travail et souligne ainsi que l’AGS couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant pendant la période d’observation. Il indique que le jugement du conseil de prud’hommes est bien intervenu pendant cette période, puisque le jugement d’ouverture du redressement est du 23 juillet 2019. Il mentionne ensuite les dispositions de l’article L 3253-8 1° du même code, selon lesquelles sont garanties les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture du redressement judiciaire. Il expose que le fait générateur de sa créance est la rupture de son contrat de travail, le 30 avril 2019, date antérieure à l’ouverture du redressement judiciaire.
Au titre du licenciement, il dénonce l’irrégularité de la procédure, le délai légal entre la remise de la convocation et l’entretien préalable et les modalités d’assistance du salarié n’ayant pas été respectées. Il fait valoir ensuite que le salaire parvenu sur son compte le 24 avril est celui du mois de mars 2019, avec près d’un mois de retard. Il rappelle que la jurisprudence considère comme faute grave de l’employeur un retard de versement de salaire. Il précise que constatant un retard de versement de son salaire de mars, faisant suite à des retards réguliers, il a opposé à son employeur une exception d’inexécution, le 23 avril 2019, non assimilable à un abandon de poste, lequel se définit comme une absence injustifiée et prolongée d’un salarié qui quitte son poste de travail sans prévenir ou indiquer une éventuelle date de retour. Il souligne encore que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi et qu’après avoir adressé une lettre à son employeur lui signifiant son droit de retrait, il s’est maintenu dans les locaux de l’entreprise marquant sa volonté, non d’abandonner son poste, mais d’arrêter l’exécution de ses taches. Il affirme qu’aucune faute grave ne peut lui être reprochée.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 18 février 2022.
MOTIFS DE L’ARRET :
Sur la prise d’acte de rupture :
Aux termes de l’article L 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord.
Suivant les dispositions de l’article L 4131-1 du même code, le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé (‘).
M. [U] a adressé à son employeur, le 23 avril 2019 la lettre suivante :
«Par la présente je vous informe qu’à ce jour le 23 avril 2019 je n’ai toujours pas reçu mon salaire qui doit être versé entre le premier et le cinq de chaque mois, cette situation devenue répétitive chaque mois me met dans une grande difficulté financière ce qui engendre à ma charge des frais et des intérêts.
N’ayant plus l’envie ni le courage de continuer dans ce sens, j’observe mon droit de retrait selon l’article 32 42 alinéa trois du code du travail les retards et les non-paiements des salaires sont considérés comme une faute grave.
Dans l’attente de mon salaire que je n’ai toujours pas perçu alors que vous m’avez affirmé le 11 avril 2019 que le nécessaire avait été fait.
De ce fait, je vous demande de faire le nécessaire afin de régulariser au plus vite merci question, dans le bon vouloir de ne pas compliquer les choses» (‘).
Le salarié se plaint ainsi du retard régulier dans le paiement de son salaire. Ce manquement de l’employeur à son obligation de payer le salaire ne répond pas aux conditions d’application du droit de retrait, aucun danger grave ou imminent pour la vie et la santé de M. [U] n’en découlant.
Ce courrier ne constitue pas non plus une prise d’acte de rupture de la part de M. [U], lequel ne précisant pas à son employeur qu’il met fin à la relation contractuelle de travail. Le salarié n’a formé d’ailleurs aucune demande au titre d’une prise d’acte de rupture devant les conseillers prud’homaux. Ceux-ci ont donc mal compris les données du litige. Leur jugement en ce qu’il a considéré que la prise d’acte de rupture par le salarié produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse est infirmé.
Sur le licenciement pour faute grave :
S’agissant de la procédure de licenciement :
Selon les dispositions de l’article L 1232-2 du code du travail, l’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.
Aux termes de l’article L 1235-2 dernier alinéa du même code, lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L1232-2, L 1232-3, L 1232-4, L 1232-11, L 1232-12 et L 1232-13 ait été observée (‘), mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Il est reconnu par la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE de ce qu’elle n’a pas respecté la procédure de licenciement, en particulier le délai de cinq jours devant séparé l’entretien préalable et la lettre de convocation.
La condamnation, ou non, de la société au paiement de l’indemnité de procédure sera fonction de ce qui sera décidé au titre du bienfondé du licenciement, puisque l’indemnité n’est due que s’il est jugé que ce licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Elle ne se cumule pas avec l’indemnité versée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :
Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Suivant l’article L 1235-1 du même code, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie. (‘) Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Il est constant que la cause réelle est celle qui peut être appréciée objectivement et qu’il est possible de vérifier. Elle doit en outre être exacte, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas consister en un prétexte destiné à couvrir un autre motif. La cause doit également être sérieuse, c’est-à-dire suffisamment importante pour que l’entreprise ne puisse envisager de poursuivre la relation fixée par le contrat de travail sans que cela ne lui cause de préjudice.
Ensuite, la faute grave se définit comme celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée même limitée du préavis.
Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE reproche à M. [U] d’avoir manifesté son mécontentement du fait que son salaire n’était pas encore parvenu sur son compte bancaire en quittant subitement son poste et refusant d’effectuer sa tournée. Elle estime aggravant le fait que son salarié savait qu’en agissant ainsi il la mettait en difficulté puisqu’il était le seul à être en capacité de conduire le camion de l’entreprise.
La matérialité des faits n’est pas remise en cause par le salarié.
Il est cependant démontré par M. [U] que ce qu’il définit comme étant le salaire de décembre 2018, soit le salaire dû au 5 janvier 2019 a été viré sur son compte bancaire le 14 janvier 2019, et les rémunérations suivantes ont également accusé du retard, ainsi :
salaire devant être versé le 5 février, perçu le 18 février,
salaire devant être versé le 5 mars, perçu le 22 mars,
salaire devant être versé le 5 avril, perçu le 24 avril.
Le paiement du salaire à la date convenue est la première obligation de la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE et M. [U] démontre parfaitement que ces retards de paiement lui causent un préjudice financier, tels des frais ou intérêts de retard prélevés par sa banque et plus généralement des difficultés de trésorerie au quotidien.
Dès lors, comme argumenté par le salarié, il a pu parfaitement se prévaloir de l’exception d’inexécution, conformément aux dispositions de l’article 1217 alinéa 1er du code civil (applicables aux contrats synallagmatiques), selon lesquelles la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté ou l’a été imparfaitement peut refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation. C’est effectivement le sens de son courrier du 23 avril 2019.
Ainsi, la faute commise par l’employeur dans l’exécution de ses propres obligations contractuelles a pour conséquence de conférer au manquement qu’il reproche à son salarié une gravité moindre. Le motif du licenciement notifié à M. [U] ne constitue donc pas une cause sérieuse de licenciement.
La cour considère dès lors que le licenciement de M. [U] est dépourvu d’une cause réelle et sérieuse.
3- Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuses et les demandes en paiement :
Sur l’indemnité de procédure :
Au regard de ce qui a été rappelé précédemment, la demande est rejetée.
Sur l’indemnité légale de licenciement :
Vu les dispositions des articles L 1234-9 et R 1234-2 du code du travail,
M. [U] comptait un an et un mois d’ancienneté dans l’entreprise puisqu’il a travaillé en CDD avant son embauche en CDI.
Le salaire brut mensuel à prendre en compte pour le calcul de cette indemnité est de 1 433,09 euros (moyenne des 12 derniers mois).
Il aurait donc droit à :
1 433,09 / 4 + 1433,09/4 x 1/12 = 358,27 + 29,85 = 388,12 euros.
Cependant, il a limité sa demande à la somme de 254,40 euros.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis :
Vu les dispositions de l’article L 1234-1 du code du travail,
M. [U] a droit à une indemnité égale à un mois de salaire brut, soit la somme de 1 526,40 euros.
* Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Vu les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail,
La SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE employait 5 salariés, selon les indications de l’attestation Pôle Emploi.
M. [U] comptait une ancienneté d’un an et un mois dans l’entreprise. Il peut donc prétendre à une indemnité minimale d’un demi-mois de salaire.
La cour lui octroie donc la somme de 763,20 euros.
Sur les dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail :
M. [U] doit démontrer subir un préjudice distinct de celui réparé par l’octroi de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il insiste à ce sujet sur la brutalité de la rupture.
Il est certain que la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE, pourtant en tort quant aux retards réguliers dans le versement des salaires de M. [U], a réagi de manière brutale au mouvement d’humeur de son salarié, irrité de n’avoir toujours pas le versement de son salaire au 23 du mois. La soudaineté du licenciement a été aggravée par le fait qu’il n’y a pu avoir d’entretien préalable au licenciement.
Le préjudice de M. [U] est certain puisqu’il s’est retrouvé sans emploi et dans l’incapacité de l’anticiper.
La réparation intégrale de ce préjudice exige l’octroi de la somme de 500,00 euros.
4- Sur la garantie de l’AGS :
Aux termes de l’article L 3253-8 du code du travail, l’AGS couvre :
1° les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire (‘),
2° les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a)Pendant la période d’observation,
b)Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession (‘)
Suivant les dispositions de l’article L 3253-15 alinéa 2 et 3 du même code, les institutions de garantie avancent également les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés. Lorsque le mandataire judiciaire a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal ou le commissaire à l’exécution du plan, selon le cas, adresse un relevé complémentaire aux institutions de garantie mentionnées à l’article L 3253-14, à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes créanciers.
En l’espèce, la rupture du contrat de travail de M. [U] est intervenue le 21 mai 2019, le redressement judiciaire de la SARL ESPACE SERVICE MARTINIQUE a été ouvert, le 23 juillet 2019 et le plan de continuation a été décidé, le 9 février 2021.
La rupture du contrat de travail de M. [U] est donc antérieure à l’ouverture de la procédure collective.
Il est établi que les sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture sont celles nées de l’exécution du contrat de travail comme de sa rupture, que celle-ci soit régulière ou non.
Les sommes dues à M. [U] en vertu du présent arrêt répondent aux exigences de l’article L 3253-8 1° du code du travail.
L’AGS ne saurait à juste titre prétendre que sa garantie n’est pas due du seul fait de l’adoption d’un plan de redressement. En effet, la garantie de l’AGS n’est due qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective de redressement ou de liquidation mais les dispositions légales ne conditionnent pas la garantie à l’existence d’une telle procédure en cours au moment où le juge statue sur la fixation d’une créance d’un salarié ou sur la garantie de l’AGS.
Dès lors que les conditions de la garantie de la créance de salaire née antérieurement à l’ouverture de la procédure collective sont réunies, la constatation de l’existence de la créance et la fixation de son montant sur un relevé est de nature à entrainer cette garantie dans les limites des plafonds légaux.
Les sommes dues à M. [U] du fait de la rupture de son contrat de travail sont donc antérieures à la date d’ouverture de la procédure collective de redressement dont a bénéficié la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE. La garantie de l’AGS s’applique donc, dans les conditions et limites fixées par la loi et les règlements.
5- Sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :
La SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE est condamnée aux entiers dépens et à verser à M. [U] la somme de 1 500,00 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la prise d’acte de rupture par M. [N] [U] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Et, statuant à nouveau de ce chef,
Dit qu’il n’y a pas eu prise d’acte de rupture du contrat de travail par M. [N] [U],
Y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [N] [U] est dépourvu d’une cause réelle et sérieuse,
Condamne la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE à payer à M. [N] [U] les sommes suivantes :
254,40 euros, au titre de l’indemnité légale de licenciement,
1 526,40 euros, au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
763,20 euros, au titre de l’indemnité sans cause réelle et sérieuse,
500,00 euros, à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
Dit que la garantie de l’ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE FORT DE France s’applique sur ces sommes dans les conditions et limites fixées par la loi et les règlements,
Déboute M. [N] [U] de sa demande relative à la fixation des sommes dues au passif de la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE,
Condamne la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE aux entiers dépens,
Condamne la SARL ESPACE SERVICES MARTINIQUE à verser à M. [N] [U] la somme de 1 500,00 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,