Chauffeur Poids-Lourd : décision du 29 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/00489

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 29 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/00489
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C1

N° RG 21/00489

N° Portalis DBVM-V-B7F-KXCS

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Nathalie LOURENCO

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 29 NOVEMBRE 2022

Appel d’une décision (N° RG F19/00008)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GAP

en date du 11 janvier 2021

suivant déclaration d’appel du 26 janvier 2021

APPELANT :

Monsieur [G] [B]

né le 26 Janvier 1974 à [Localité 5] (93)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Nathalie LOURENCO, avocat au barreau de HAUTES-ALPES,

INTIMEE :

S.A.S. ALPES ASSAINISSEMENT agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me Emmanuelle SAPENE de la SCP PECHENARD & Associés, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS, substituée par Me Sonia LAOUER, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,

Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 septembre 2022,

Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, et Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et observations, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 29 novembre 2022, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 29 novembre 2022.

Exposé du litige :

La SAS Alpes Assainissement a pour activité la collecte et le traitement des déchets.

M. [B] a été engagé à compter du 2 janvier 2007 selon contrat à durée indéterminée régularisé le 26 décembre 2006, pour exercer des fonctions d’agent de planning. A compter du 1er septembre 2008, il a exercé les fonctions de chauffeur poids lourd-conducteur de matériel de collecte.

Par courrier du 9 novembre 2015, M. [B] s’est vu notifier une mise à pied disciplinaire de trois jours.

Par courrier du 5 mars 2018, M. [B] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable fixé le 14 mars 2018.

Par courrier recommandé du 22 mars 2018, la SAS Alpes Assainissement lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Le 6 février 2019, M. [B] a saisi le Conseil de prud’hommes de Gap aux fins d’obtenir la condamnation de la SAS Alpes Assainissement à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et diverses autres indemnités afférentes à la rupture de la relation de travail, outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 11 janvier 2021, le Conseil de prud’hommes de Gap a :

Dit que le licenciement de M. [B] repose sur une faute grave,

Débouté M. [B] de toutes ses demandes indemnitaires liées à la requalification de son licenciement,

Constaté que la procédure de licenciement a été respectée,

Débouté M. [B] de sa demande indemnitaire liée à la procédure de licenciement,

Débouté M. [B] de sa demande d’article 700 du code de procédure civile,

Débouté la SAS Alpes Assainissement de ses demandes reconventionnelles,

Dit que chacune des parties prendra à sa charge ses propres dépens,

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La décision ainsi rendue a été notifiée aux parties et M. [B] en a relevé appel.

Par conclusions du 26 avril 2021, M. [B] demande à la Cour d’appel de :

– Réformer le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

– Dire et juger son action recevable et bien fondée,

– Dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– Débouter la SAS Alpes Assainissement de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– Condamner la SAS Alpes Assainissement à lui verser les sommes suivantes :

2169,53 euros au titre de l’irrégularité de la procédure,

22 780,06 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 229,40 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire,

4 339,06 euros au titre du préavis,

556,84 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur le rappel de salaire et l’indemnité compensatrice de préavis,

5 000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

– Condamner la SAS Alpes Assainissement à lui payer la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner la même aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions du 16 juillet 2021, la SAS Alpes Assainissement demande à la Cour d’appel de :

– Déclarer mal fondé l’appel interjeté par M. [B],

– Confirmer le jugement rendu le 11 janvier 2021 par le Conseil de prud’hommes de Gap en toutes ses dispositions,

Par conséquent,

– Débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– Condamner M. [B] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner M. [B] en tous les dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 6 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave :

Moyens des parties,

La SAS Alpes Assainissement expose que le licenciement est fondé sur une faute grave en raison de manquements au devoir de prudence commis par le salarié le 5 mars 2018. Elle explique que :

M. [B] a endommagé son véhicule : tout d’abord, au départ de sa tournée, il a détérioré le rétroviseur de son camion en l’accrochant lors d’une man’uvre, puis, peu après ce premier accrochage, pendant sa tournée de collecte des ordures ménagères sur la commune de [Localité 4], il a percuté un pont avec le volet de sa benne, le salarié ayant pris la route en oubliant de replier ce volet. Cet accident aurait pu avoir des conséquences très graves pour lui-même et pour les autres usagers de la route si un autre véhicule s’était trouvé à proximité au moment de l’accident. Il n’est pas admissible que M. [B] ait pu omettre de replier le volet de sa benne, dès lors qu’il s’agit d’une règle de base, et que par sa faute, la benne a été mise hors service et les réparations du bras ampli roll et de la benne tasseuse ont été estimées à près de 45 000 euros hors taxe.

Le comportement de M. [B] constitue un manquement grave aux règles élémentaires de sécurité rappelées par le règlement intérieur et par la fiche de poste du salarié qui mentionne qu’il doit « respecter les règles d’exploitation et de sécurité tant pour soi-même que pour autrui ». Il a reconnu son entière responsabilité lors de l’entretien préalable.

Les allégations de M. [B] selon lesquelles, elle lui aurait réservé un traitement de défaveur dès que son mandat de représentant du personnel a pris fin en 2017 ne sont pas démontrées, sont sans lien avec l’accident survenu près d’un an plus tard. En outre, le salarié n’a pas fait part de difficultés à sa hiérarchie, au service ressources humaines, aux représentants du personnel, au médecin du travail ou encore à ses collègues de travail.

Le règlement intérieur sur lequel l’appelant se fonde pour expliquer que le licenciement pour faute grave requiert une faute délibérée du salarié n’était plus en vigueur au moment des faits, et ce depuis novembre 2017.

M. [B] conteste la gravité de la faute involontaire qui lui est reprochée et expose :

Sur le contexte de l’accident, depuis la fin de son mandat de délégué du personnel et membres du CHSCT, la direction a durci le ton à son égard et il a vu le montant de sa prime de résultat diminuer et a été affecté à un poste de ripeur au retour de ses vacances d’été 2017 sans la moindre explication. Ses conditions de travail étaient sans cesse complexifiées, notamment par des changements de tournées quotidiens.

La réalité de cette situation a eu des répercussions sur sa santé qui l’ont contraint à consulter un psychologue dans un contexte de mal-être au travail. Cette situation était connue de son employeur puisqu’il a sollicité un entretien auprès de son directeur en février 2018, demande à laquelle il n’a pas été donnée suite.

Ces conditions de travail sont à l’origine de l’accident survenu le 5 mars 2018 lequel constitue un acte involontaire de sa part. Il reconnaît qu’il était passible d’une sanction disciplinaire pour les faits du 5 mars 2018, mais fait valoir qu’un licenciement pour faute grave est disproportionné.

Le règlement intérieur de la société ALPES ASSAINISSEMENT prévoit que le licenciement pour faute grave requiert « une faute portante atteinte aux personnes, aux biens, à la moralité, aux moyens de production et commise délibérément » et il n’a pas été informé de la modification du règlement intérieur qui ne contient plus la nécessité du caractère délibéré de la faute.

La SAS Alpes Assainissement a connu des sinistres plus importants que celui dont il est à l’origine, et qui n’ont pas donné lieu à des sanctions disciplinaires.

Réponse de la cour,

Il est de principe que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé au sein de l’entreprise même pendant la durée du préavis. La mise en ‘uvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La gravité de la faute s’apprécie en tenant compte du contexte des faits, de l’ancienneté du salarié et des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié et de l’existence ou de l’absence de précédents disciplinaires.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1232-1 du code du travail.

Sur le degré de gravité des faits et la proportionnalité de la sanction, l’article L1333-2 du Code du travail impose à l’employeur de faire preuve de proportionnalité dans la sanction qu’il va choisir.

La lettre de licenciement du 22 mars 2018, qui fixe les limites du litige, fait état des griefs suivants : le 15 mars 2018, un accrochage du rétroviseur du véhicule et un autre accident matériel lors de la tournée de collecte des ordures ménagères (volet droit de la benne non replié ayant percuté un pont). Selon cette lettre, ce dernier accident a entraîné des frais de réparation de 30 000 euros, outre les risques pour la sécurité du conducteur mais encore des usagers de la route. La lettre rappelle encore au salarié les dispositions du règlement intérieur, article 11, selon lequel « les salariés sont responsables du matériel qu’ils utilisent » et de l’article 20 qui dispose que « les conducteurs doivent respecter les dispositions légales de la profession ainsi que le code de la route et apporter toute la prudence et les soins requis à la bonne utilisation des véhicules qui leur sont confiés ».

En l’espèce, la matérialité des faits n’est pas contestée par le salarié qui admet avoir endommagé le 05 mars 2018, le rétroviseur du véhicule de l’entreprise, puis, avoir eu un autre accident matériel en lien avec la benne non refermée. Dans un courrier du 11 avril 2018 adressé à l’employeur par lequel il conteste le licenciement, il expose que ces faits ne sont pas volontaires et rapporte un contexte difficile pour lui (changement de poste vécu comme une humiliation, épisode punitif) ayant eu pour conséquence une « baisse de sa concentration » et le fait que lors de l’entretien préalable l’employeur aurait reconnu qu’il n’allait pas bien. Il fait également valoir que le licenciement constituerait une mesure de discrimination syndicale « pour lui faire payer son investissement dans ses mandats ».

Il est constant que M. [B] est devenu chauffeur à compter de septembre 2008, ce dernier faisant valoir sans être démenti qu’aucun avenant n’a été signé en ce sens. Ce changement est cependant confirmé par la mention de la fonction de chauffeur portée aux bulletins de salaire du salarié.

Il n’est en revanche pas démontré par les pièces versées aux débats par l’employeur que le courrier du 16 octobre 2008 ayant pour objet « avenant au contrat de travail » et un fiche de poste lui aient été notifiés, ce document ne comportant que la signature du directeur.

Il est cependant produit un avenant signé par le salarié le 1er décembre 2015 par lequel il est effectivement affecté au poste de conducteur. Il est établi que le salarié n’exerçait plus cette fonction depuis le 1er novembre 2015 suite à la perte de validité de son permis de conduire et la conduite dans titre valable depuis le 04 janvier 2015, faits pour lesquels il a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire notifiée le 09 novembre 2015.

Aux termes d’une lettre du 1er décembre par lequel l’employeur l’avise de la reprise de ces anciennes fonctions, il est fait mention d’une fiche de poste figurant en annexe et M. [B], qui accuse réception de cette notification le 23 décembre 2015, ne conteste pas, aux termes de ses écritures avoir reçu une fiche de poste en lien avec sa fonction à cette occasion.

Sur le règlement intérieur en vigueur au moment des faits reprochés au salarié, M. [B] conteste l’opposabilité du règlement intérieur du 17 novembre 2017 produit par l’employeur et se prévaut d’un règlement intérieur du 03 décembre 2007 dans lequel il est indiqué que le licenciement pour faute grave concerne la « faute portant atteinte aux personnes, aux biens, à la moralité, aux moyens de production et commise délibérément’ ».

Cependant, l’employeur démontre avoir soumis ce règlement du 17 novembre 2017 au comité d’entreprise qui l’a adopté à l’unanimité, l’avoir adressé à la DIRECCTE par courrier du 29 novembre 2017, l’avoir déposé au greffe du Conseil des prud’hommes de Gap le 18 janvier 2018. Ce règlement est donc opposable au salarié.

Aux termes de ce règlement intérieur, la mention du caractère délibéré s’agissant de la faute grave ne figure plus. L’article 33 indique, outre les sanctions possibles, que « tout comportement violant les dispositions du présent règlement intérieur ou constitutif d’une faute sera passible d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. La direction pouvant prononcer une mise à pied conservatoire en raison de la gravité des faits reprochés ».

Sur le contexte des faits du 05 mars 2018, M. [B] qui argue avoir été dans une situation de mal être et du lien entre son état psychique et son comportement involontaire lors des faits, s’appuie tout d’abord pour étayer ses dires sur un certificat établi par une psychologue. S’il en ressort qu’il a pu consulter ce spécialiste pour une situation de « mal être au travail », le suivi a eu lieu entre juin et juillet 2017, soit à distance du jour des faits reprochés.

S’agissant de la dégradation des relations avec l’employeur alléguée par M. [B] suite à la fin de son mandat représentatif, les parties s’accordent pour relever que ses fonctions ont cessé en 2017. Le salarié n’apporte aucune pièce à l’appui de cette allégation, se limitant pour illustrer ses dires à évoquer le fait qu’en décembre 2017, il aurait dû assumer une tournée selon une amplitude horaire « extrêmement importante ». Ainsi, alors qu’il argue avoir fait part à l’employeur de « sa réprobation », ou encore avoir demandé des explications au directeur « sur une diminution de sa prime de résultat » en 2017, aucune pièce ne corrobore une quelconque réclamation de sa part à l’employeur relative à une difficulté dans l’exercice de ses fonctions. Au surplus, à les supposer établies, ses difficultés anciennes ne permettent pas de prouver un état de faiblesse psychologique lors de l’accident du 05 mars 2018.

S’agissant par ailleurs de la « perte de confiance de ses capacités, le malaise important ressenti dans ses relations avec ses collègues de travail », allégués par M. [B], ce dernier pour en justifier s’appuie sur des attestations de membres de trois membres de sa famille dont l’objectivité estpar conséquent relative. De plus ces attestations, comme celle de celle de M. [R] (ancien collègue), énoncent des faits de manière générale sans les dater précisément.

M. [S], ami du salarié, évoque quant à lui avoir gardé « en urgence » le 19 décembre 2017, les enfants du salarié car ce dernier était au travail. Il convient de nouveau de relever que ces éléments de fait sont éloignés dans le temps de la date des faits reprochés au salarié.

Sur la gravité des manquements, leurs conséquences, il convient de rappeler que la faute grave du salarié ne suppose pas nécessairement l’existence d’un préjudice de l’employeur. En l’espèce, l’employeur verse des devis mais encore de factures concernant le camion endommagé et il ne peut être objectivement démenti que cet accident aurait pu avoir d’autres conséquences que matérielles.

M. [B] ne conteste pas avoir endommagé un rétroviseur et, le même jour, avoir percuté un pont avec son camion alors que la benne n’était pas refermée suite à un oubli de sa part.

Les autres circonstances exposées par le salarié (benne presque pleine, appel à un collègue pour l’alerter sur le fait qu’il ne pourrait pas continuer la collecte’) ne sont corroborées par aucune des pièces produites et n’expliquent pas comment le salarié a pu commettre cette erreur de conduite.

Au vu de ce qui précède, il est donc établi que les faits du 05 mars 2018 sont imputables au seul salarié et ne sont pas justifiés par aucune cause extérieure ou qu’ils auraient été la conséquence d’un comportement fautif de l’employeur à son encontre. La société ALPES ASSAINISSEMENT était donc légitime à sanctionner disciplinairement M. [B].

S’agissant des antécédents du salarié, la lettre de licenciement fait référence à un fait ancien intervenu durant l’année 2015, à savoir la conduite sans permis valide par le salarié pendant plusieurs mois, ce dernier n’ayant pas avisé son employeur de cette difficulté. La société ALPES ASSAINISSEMENT est taisante sur le fait conclu selon lequel cette perte de validité du permis de conduire serait due à l’absence de visite médicale quinquennale par le médecin agrée de la préfecture. Aucun autre comportement défaillant n’est rapporté concernant le salarié employé au sein de l’entreprise depuis le 29 décembre 2006, et conducteur depuis 2008.

M. [B], qui argue du caractère disproportionné de la sanction, expose la situation d’autres salariés non sanctionnés malgré des accidents de la route. S’agissant de M. [X], il n’est pas contesté par l’employeur que ce salarié a percuté un camion avec l’avant de son véhicule de service mais que si il avance que « la situation de ce salarié est incomparable avec celle du salarié et les circonstances de l’accident sont très différentes », l’employeur ne produit aucune pièce sur les « circonstances de l’accident » ou sur la « situation » de ce salarié.

S’agissant de l’accident au cours duquel un mécanicien a trouvé la mort en mars 2015, le salarié produit un article de presse du 15 juillet 2015 qui fait état de la condamnation de la société employeur pour homicide involontaire par un tribunal correctionnel. L’employeur oppose qu’une information judiciaire serait en cours sans en justifier et ne donne aucun élément sur les mesures prises envers le chauffeur du poids-lourd qui conduisait le véhicule ce jour-là.

La société ALPES ASSAINISSEMENT, qui a sanctionné par un licenciement pour faute grave le comportement du salarié le 05 mars 2018, n’apporte donc aucune réponse aux objections du salarié quant à la proportionnalité de la sanction à la faute commise

S’il est ainsi établi que le salarié est à l’origine des deux accidents matériels du 05 mars 2018, M. [B] ne contestant d’ailleurs pas le principe de la sanction, son comportement fautif relève en réalité d’un manquement à un devoir de prudence (fermeture de la benne notamment), ou d’une négligence qui ne saurait être sanctionné de la même manière qu’une conduite dangereuse en raison notamment du non-respect des dispositions du code de la route.

Par conséquent, la faute du salarié, qui n’avait jusqu’alors pas eu d’accident de la circulation ou eu d’autre sanction que celle de novembre 2015 liées à l’exécution de ses tâches, alors qu’il occupait cette fonction depuis de nombreuses années, ne constituait pas une faute d’une gravité telle qu’elle rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Cependant, il ne peut être contesté que ces deux accidents matériels, dont l’un a entraîné des conséquences pécuniaires importantes pour l’entreprise constituent des manquements aux consignes et règles de sécurité connues du salarié. Le licenciement est donc fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Par voie d’infirmation de la décision déférée, en application des dispositions de l’article L. 1332-3 du code du travail, en l’absence de faute grave, la mise à pied à titre conservatoire n’était pas justifiée et la société ALPES ASSAINISSEMENT est condamnée à payer à M. [B] 1 229,40 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, outre la somme de 122 euros de congés payés y afférent.

La société ALPES ASSAINISSEMENT est en outre condamnée à lui payer la somme de 4 339,06 euros au titre du préavis outre la somme de 433 euros de congés payés y afférent.

Sur l’irrégularité de la procédure de licenciement :

Moyens des parties,

M. [B] fait valoir que la lettre de convocation à entretien préalable n’évoque à aucun moment l’éventualité de la mesure de licenciement envisagée. Il s’agit d’une irrégularité de la procédure de licenciement, puisqu’il ne pouvait pas savoir que son employeur entendait se séparer de lui par cette convocation. L’employeur n’a ainsi pas respecté les dispositions de l’article L. 1232-2 du code du travail, qui oblige l’employeur à indiquer l’objet de la convocation dans la lettre ce qui ouvre droit à une indemnité.

La SAS Alpes Assainissement expose que la lettre de convocation à l’entretien préalable fait explicitement référence à l’article L. 1232-2 du code du travail qui précise que « l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable ». Il en résulte qu’il ne peut donc pas prétendre avoir ignoré l’objet de cette convocation. En outre, M. [B] a signé un compte-rendu d’entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Enfin, l’indemnité pour irrégularité de procédure ne se cumule pas avec les indemnités prévues en cas de rupture dépourvue de motifs réels et sérieux.

Réponse de la cour,

Il résulte des dispositions des articles L. 1232-2 et suivants du code du travail que l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.

L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. Au cours de l’entretien préalable, l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.

Lorsqu’il n’y a pas d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative.

La lettre de convocation à l’entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l’adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition.

L’article L. 1235-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige dispose que si le licenciement d’un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Si les faits reprochés paraissent d’une gravité telle qu’ils justifient sa mise à l’écart de l’entreprise, l’employeur peut prononcer une mise à pied conservatoire dans l’attente d’une décision à intervenir. Cette mesure est distincte de la mise à pied disciplinaire et doit être suivie immédiatement de l’ouverture d’une procédure disciplinaire.

Lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

En l’espèce, la lettre de licenciement comporte effectivement la référence à l’article L. 1232-2 du code du travail, soit le texte applicable à la procédure de licenciement sans le citer in extenso et la mention selon laquelle « compte tenu de la gravité des agissements » du salarié, il est mis à pied le même jour « dans l’attente d’une décision à intervenir ». Il y est en outre fait mention du droit pour le salarié de se faire assister lors de l’entretien.

S’agissant de l’objet de l’entretien, il n’est pas fait mention que la sanction envisagée pourrait être un licenciement. Le fait que le salarié, lors de l’entretien préalable du 14 mars 2018 au cours duquel a été dressé un « compte rendu d’entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement », a pu être valablement informé des faits qui lui étaient reprochés, ne dispense pas l’employeur du respect du formalisme de la convocation concernant l’objet de l’entretien préalable qui doit stipuler qu’il est préalable à un licenciement ou bien que la sanction disciplinaire qui serait prononcée peut aller jusqu’à un licenciement.

La référence à l’article L.1232-2 du code du travail ne peut non plus suffire à pallier cette carence dans la précision de l’objet de l’entretien préalable à un licenciement étant rappelé, qu’en l’espèce, l’objet de la lettre était uniquement « mise à pied conservatoire à effet immédiat ».

Il convient donc de juger, par voie d’infirmation de la décision déférée, que la procédure est irrégulière en raison de l’indication de l’objet de la convocation à l’entretien préalable au licenciement.

La cour de céans ayant jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l’article L. 1235-2 du code du travail, il convient de faire droit à la demande du salarié et de condamner l’employeur à lui payer la somme de 2 169,53 euros.

Sur le préjudice moral :

M. [B] soutient que durant les mois qui ont précédé son licenciement pour faute grave il a vu ses conditions de travail se dégrader à tel point qu’il s’est vu contraint de consulter un psychologue afin de prendre en charge sa souffrance psychique. Il a fait le choix de poursuivre son travail, plutôt que de se faire prescrire un arrêt de travail par son médecin traitant. Il a vécu son licenciement pour faute grave comme une véritable humiliation à l’origine d’un préjudice.

La SAS Alpes Assainissement fait valoir que M. [B] ne fait pas la démonstration de la dégradation de sa santé en lien avec ses conditions de travail. Le préjudice subi du fait de son licenciement est déjà écarté par l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail et ne peut faire l’objet d’une nouvelle indemnisation au titre d’un prétendu préjudice moral consécutif à ce licenciement.

Réponse de la cour,

Il est de principe que le salarié licencié peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi à la condition de justifier d’une faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire et de justifier de l’existence de ce préjudice et que le licenciement soit ou non fondé sur une cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [B] de dommages et intérêts pour préjudice moral lié au licenciement. En effet, M. [B] qui se limite à produire un certificat établi par une psychologue concernant un suivi entre juin et juillet 2017, ne justifie pas de la réalité ni, a fortiori, de l’ampleur du préjudice moral qu’il allègue, qui serait distinct des conséquences de la perte de son emploi dont il a été jugé qu’il reposait sur une cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires :

Chaque partie a été partiellement déboutée de ses demandes dans le cadre de l’instance d’appel. Dans ces circonstances, l’équité commande de les débouter de leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles et de dire qu’elles supporteront chacune la charge des frais irrépétibles et dépens qu’elles ont engagés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE M. [B] recevable en son appel,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a :

Rejeté la demande de M. [B] de dommages et intérêts pour préjudice moral lié au licenciement,

Débouté M. [B] de sa demande d’article 700 du code de procédure civile,

Débouté la SAS Alpes Assainissement de ses demandes reconventionnelles,

Dit que chacune des parties prendra à sa charge ses propres dépens,

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

L’INFIRME pour le surplus,

STATUANT à nouveau sur les chefs d’infirmation,

DIT que le licenciement de M. [B] n’est pas fondé sur une faute grave,

DIT que le licenciement de M. [B] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

DIT que la procédure de licenciement est irrégulière,

CONDAMNE la SAS ALPES ASSAINISSEMENT au paiement des sommes suivantes :

1 229,40 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire, outre la somme de 122 euros de congés payés y afférant,

4 339,06 euros au titre du préavis outre la somme de 433 euros de congés payés y afférent,

2 169,53 euros d’indemnité pour procédure irrégulière.

Y ajoutant,

DIT que chaque partie supportera la charge des frais irrépétibles et dépens qu’elles ont engagés en première instance et en appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,

 


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