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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 MARS 2023
N° RG 21/01100 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UOAT
AFFAIRE :
S.A.S. SEPUR
C/
[P] [I]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 15 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : F19/00191
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Yann GALLANT
Me Matthieu JANTET-HIDALGO de la SCP MICHEL HENRY ET ASSOCIES
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. SEPUR
N° SIRET : 350 050 589
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par : Me Yann GALLANT, Plaidant/Constitué , avocat au barreau de MARSEILLE
APPELANTE
****************
Monsieur [P] [I]
né le 19 Septembre 1959 à [Localité 6] (78)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par : Me Matthieu JANTET-HIDALGO de la SCP MICHEL HENRY ET ASSOCIES, Plaidant/Constitué , avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P99
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
Engagé le 4 janvier 1995 par la société Matuzewski devenue Sepur, en qualité de ‘chauffeur poids lourd’, M. [I] a été promu le 1er janvier 2013 au poste d’ ‘adjoint chef d’équipe’, puis en mars 2014 à celui de ‘responsable d’atelier’ – statut agent de maîtrise coefficient 150 de la convention collective des activités du déchet.
Le salarié était titulaire de mandats de délégué du personnel et de membre suppléant du comité d’entreprise jusqu’au 4 décembre 2018.
Convoqué le 9 février 2018 à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 26 février suivant, il s’est vu notifier par lettre recommandée avec avis de réception datée du 20 mars 2018, sa rétrogradation disciplinaire sur un emploi de ‘chef d’équipe atelier’ coefficient 125 au salaire mensuel brut de 2 125 euros, la date de prise d’effet de la sanction étant fixée au 1er mai 2018.
Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 4 avril 2018.
Estimant avoir fait l’objet d’une modification unilatérale de son contrat de travail, M. [I] a saisi, le 22 mars 2019, le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins d’entendre prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société à le rétablir dans son poste et à son salaire et primes à compter du 1er mai 2018 ainsi qu’au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
La société s’est opposée aux demandes du requérant.
Par lettre du 28 octobre 2019, M. [I] a fait valoir ses droits à la retraite ‘en raison des manquements de la société’.
Le salarié a fait évoluer ses demandes devant le conseil de prud’hommes, lui demandant de juger que le départ en retraite motivé par lettre du 28 octobre 2019 s’analyse en une prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement rendu le 11 mars 2021, notifié le lendemain, le conseil a statué comme suit :
Fixe la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail à la somme de 3 151 euros bruts,
Dit et juge que le départ en retraite de M. [I] motivé par la lettre du 28 octobre 2019 s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail et lui fait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déclare illicite la modification unilatérale du contrat de travail du salarié,
En conséquence,
Ordonne le rétablissement, à compter du 1er mai 2018, de M. [I], dans son poste de Responsable d’atelier, statut agent de maîtrise, coefficient 150 niveau IV de la convention collective des activités du déchet (38112),
Ordonne le rétablissement à compter du 1er mai 2018 du salaire de base du salarié à hauteur de 2 425,26 euros et de sa prime d’ancienneté à hauteur de 388,04 euros,
Condamne la société à verser à M. [I] les sommes suivantes :
– 19 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 14 660,56 euros à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 3 001,60 euros à titre de rappel de salaires au titre du maintien conventionnel de rémunération pendant les arrêts de travail ;
– 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ordonne à la société de remettre à M. [I] les bulletins de paie et les documents de fin de contrat conformes à la présente décision à compter du 1er avril 2018, le tout sous astreinte,
Fixe l’astreinte provisoire à la charge de la société à la somme de 50 euros par jour de retard et par document et ce à compter du 61ème jour suivant la date du prononcé de la présente décision,
Dit que le conseil de prud’hommes se réserve le droit de liquider l’astreinte,
Ordonne l’exécution provisoire de droit du présent jugement conformément aux dispositions de l’article R 1454-28 du code du travail,
Déboute M. [I] du surplus de ses demandes et la société de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,
Condamne la société aux éventuels dépens.
Le 11 avril 2021, la société Sepur a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 4 janvier 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 17 janvier 2023.
‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 19 octobre 2022, la société Sepur demande à la cour de :
A titre principal :
Constater que les prétendus manquements de la société n’étaient pas graves au point d’empêcher la poursuite de la relation contractuelles,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la prise d’acte de rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et se faisant, condamner M. [I] à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement,
A titre subsidiaire, si la cour venait à estimer que la prise d’acte de rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a octroyé la somme de 19 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ramener cette somme à de plus juste proportion,
En tout état de cause, réformer le jugement en ce qu’il a octroyé à M. [I] la somme de 3 001,60 euros à titre de rappel de salaire alors que le reliquat de salaire est de 1 496,40 euros.
La société relève que si le salarié conteste la sanction prononcée qu’il estime ‘lourde au regard de son investissement depuis 23 ans’, il ne conteste pas sa faute et les manquements reprochés qui justifient la mesure prise.
Elle relève que M. [I] qui pouvait refuser la sanction au risque de voir la société engager la procédure de licenciement, ou saisir le conseil de prud’hommes pour contester la sanction ne l’a pas fait dans un premier temps et a exprimé le souhait d’ ‘entamer des discussions pour trouver une solution positive’, tout en concédant que ce dernier ‘a refusé la sanction qui lui a été appliquée et de signer l’avenant découlant de sa rétrogradation’.
L’appelante affirme que c’est uniquement parce que M. [I] a souhaité dans un premier temps négocié son départ, puis a saisi le conseil de prud’hommes d’une action en résiliation judiciaire du contrat de travail que la société n’a pas entamé de procédure de licenciement.
Elle fait valoir qu’en raison de son placement continu en arrêt de travail à compter du 4 avril 2018 et jusqu’au jour de la rupture, la rétrogradation disciplinaire litigieuse n’a eu aucune incidence sur sa présence dans l’entreprise ni sur ses fonctions effectives puisqu’il n’a jamais repris le travail, en sorte que cette mesure n’a été que théorique. Elle reconnaît toutefois avoir appliqué à partir de mai 2018 la nouvelle rémunération qui entraînait une diminution de 348,30 euros par mois. Elle considère que le manque à gagner au titre du maintien de salaire ne représente globalement que 1 496,40 euros. La société estime en définitive que le manquement reproché ne présentait pas un caractère de gravité rendant impossible la poursuite de la relation de travail, lequel était suspendu depuis le 4 avril 2018.
‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2022, M. [I] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner la société Sepur à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux éventuels dépens d’appel.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
La lettre de sanction est ainsi libellée :
« [‘] Vous avez intégré l’entreprise le 4 janvier 1995.
Vous êtes affecté en qualité de responsable d’atelier, agent de maîtrise, coefficient 150, à la gestion du parc matériel des sites de [Localité 5], [Localité 9], [Localité 8] et [Localité 4] depuis le 3 janvier 2017 et percevez une rémunération brute mensuelle de 2 813,13 euros (prime d’ancienneté incluse).
Nous avons décidé de vous rétrograder pour les faits évoqués lors de l’entretien préalable, à savoir votre négligence dans la gestion de la sécurité du matériel roulant placé sous votre autorité ayant entraîné un accident sans dommages corporels.
[‘] Ainsi, pour les motifs évoqués ci-dessus, devant la gravité des faits qui sont incompatibles avec nos exigences au poste de responsable d’atelier, nous vous notifions par la présente une rétrogradation disciplinaire. Ainsi à compter du 1er mai 2018, vous serez affecté au poste de chef d’équipe d’atelier affecté à l’agence de [Localité 8], coefficient 125, au salaire mensuel brut de base de 2 125 euros, assorti d’une prime casse-croûte de 4,67 euros selon les conditions d’octroi en vigueur, ainsi que d’une voiture de service.
Nous vous rappelons que vous disposez d’un délai de 10 jours, soit jusqu’au 3 avril 2018, pour nous faire connaître votre décision d’accepter ou non cette modification :
– En cas d’acceptation, nous vous remercions de bien vouloir nous retourner la présente lettre revêtue de la mention « Bon pour accord » suivie de votre signature. Vous recevrez par la suite un avenant à votre contrat de travail.
– En cas de refus, nous nous réservons la faculté de substituer à la rétrogradation une autre sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.
– Sans réponse de votre part dans le délai imparti, nous considérerons que vous avez refusé cette modification et serons dans l’obligation d’engager à votre encontre une procédure de licenciement. ».
Par lettre du 6 juillet 2018, sans contester la faute reprochée, le salarié indiquait à l’employeur vouloir ‘rediscuter les sanctions’ prononcées, exprimait être ‘le premier touché par l’accident qui avait eu lieu’ en précisant que ‘comme vous le savez, j’étais en déplacement à [Localité 8], en surcharge de travail, j’ai fait confiance aux collègues sur place à [Localité 5], ce que je n’aurai pas dû’, ajoutant considérer que ‘les sanctions sont lourdes au regard de son investissement pour la société depuis 23 ans’ et qu’il s’agissait de son premier problème dans le cadre de son travail.’
La sanction disciplinaire est définie par l’article L.1331-1 du code du travail comme toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
Selon les articles L. 1333-1 et L. 1333-2 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. Il peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En droit, la rétrogradation prononcée à titre de sanction disciplinaire contre un salarié, ne peut lui être imposée.
Lorsque le salarié refuse la modification de son contrat de travail, l’employeur doit, soit le rétablir dans son emploi, soit, après avoir invité le salarié à prendre parti dans un délai raisonnable, et à défaut d’accord du salarié, prononcer, dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, une sanction autre, aux lieu et place de la sanction refusée.
En l’espèce la société concluait la lettre de notification en considérant que sans réponse de la part du salarié, elle considérerait qu’il a refusé cette modification et qu’elle serait alors dans l’obligation d’engager à son encontre une procédure de licenciement.
Il est constant que le salarié, qui a été placé en arrêt maladie au lendemain du terme du délai de 10 jours qui lui avait été laissé pour accepter la sanction est resté taisant et ne l’a pas expressément acceptée.
Pour autant, et alors que le salarié exerçait des fonctions représentatives, ainsi que M. [I] le fait valoir et en justifie en communiquant sa convocation au comité d’entreprise du 9 novembre 2018 (pièce n° 20 de l’appelant), la société s’est abstenue de tirer les conséquences du refus opposé par le salarié de cette sanction et de prononcer une autre sanction ou d’engager une procédure de licenciement.
En dépit de l’absence d’accord exprimé par le salarié de cette sanction, la société appelante concède avoir mis en oeuvre cette rétrogradation en calculant à compter du 1er mai 2018 le maintien de salaire conventionnel auquel pouvait prétendre le salarié sur la base de son salaire réduit, la diminution de salaire représentant la somme mensuelle de 348,30 euros bruts.
Ce faisant, la société a unilatéralement modifié le contrat de travail du salarié.
Peu important la reconnaissance par le salarié du manquement fautif reproché par l’employeur et le fait que les parties ont envisagé une rupture conventionnelle à l’automne 2018, aucun élément ne permettant d’imputer l’initiative des discussions sur ce point au salarié, ou encore le fait que ce dernier se soit vu prescrire un arrêt maladie continu à compter du 4 avril 2018, force est de relever que l’employeur n’a pas tiré les conséquences de l’absence d’accord exprimé par le salarié de sa rétrogradation laquelle emportait retrait de responsabilités et baisse de son salaire, puis de son refus explicite manifesté à compter de juillet 2018, l’employeur l’a mise en oeuvre, ainsi qu’il le concède, modifiant ainsi unilatéralement le contrat de travail d’un salarié de surcroît protégé.
En l’absence d’accord du salarié, la rétrogradation est nulle.
La société n’a jamais manifesté auprès du salarié, malgré ses correspondances manifestant son refus exprès (lettres du 6 juillet et 13 décembre 2018), une quelconque volonté de renoncer à la sanction et de le rétablir dans son emploi.
La sanction prononcée a emporté des conséquences pécuniaires pour le salarié au niveau du maintien de salaire que l’employeur a chiffré justement à la somme de 1 496,40 euros.
Ces manquements rendant impossibles la poursuite du contrat de travail, c’est à bon droit que les premiers juges ont dit que la décision de départ en retraite, qui s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
À titre subsidiaire, l’employeur ne discute que le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au jour de la rupture, M. [I] , âgé de 60 ans bénéficiait d’une ancienneté de 24 ans au sein de la société Sepur qui emploie plus de 10 salariés. Il percevait un salaire mensuel brut de 3 151 euros.
En vertu de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié/la salariée peut prétendre au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 17,5 mois de salaire brut.
En l’état des éléments communiqués, c’est par de justes motifs que la cour adopte que le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi a été évalué à la somme de 19 000 euros.
En l’état du salaire de référence, et de son ancienneté, et conformément aux stipulations de l’article 2-22 de la convention collective applicable, le conseil a justement fixé le rappel d’indemnité de licenciement, déduction faite de l’indemnité de départ à la retraite à la somme de 14 660,56 euros.
Le jugement sera en revanche infirmé relativement au montant du rappel de maintien de salaire lequel s’établit, conformément au calcul détaillé figurant dans les écritures de la société appelante, non utilement contredit par l’intimée, à la somme de 1 496,40 euros et non celle de 3 001,60 euros.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement seulement en ce qu’il a condamné la société Sepur à verser à M [I] un rappel de maintien de salaire de 3 001,60 euros,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne la société Sepur à verser à M. [I] la somme de 1 496,40 euros au titre du maintien conventionnel de salaire,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne la société Sepur à verser à M. [I] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE , Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,