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ARRÊT DU
14 Avril 2023
N° 596/23
N° RG 21/00099 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TMTK
LB/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOURCOING
en date du
23 Décembre 2020
(RG 19/00236 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 14 Avril 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
S.A.S. TRANSPORTS GRIMONPREZ PÈRE ET FILS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Florine MICHEL, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
M. [L] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Simon DUTHOIT, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 02 Février 2023
Tenue par Laure BERNARD
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 Janvier 2023
EXPOSE DU LITIGE
La société Transports Grimonprez Père et Fils exerce une activité de transport routier de fret interurbain’; elle est soumise à la convention collective du transport.
M. [L] [D] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée du 10’juin’2013 en qualité de conducteur de véhicules poids lourds, groupe 7 coefficient 150M.
Par courrier du 31’août’2017, M. [L] [D] a adressé à son employeur un courrier libellé comme suit’:
«’ Par cette lettre je vous informe de ma décision de quitter le poste de chauffeur poids lourd que j’occupe depuis le 10 juin 2013, dans votre entreprise.
Comme l’indique la Convention Collective Nationale des Transports Routiers, applicable à notre entreprise, je respecterai un préavis de départ d’une durée d’une semaine.
La fin de mon contrat sera donc effective le 09/09/2017.
A cette date, je vous demanderai de bien vouloir me remettre le solde de mon compte, ainsi qu’un certificat de travail.’»
Le 10’août’2018, M. [L] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Tourcoing aux fins principalement d’obtenir la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société Transports Grimonprez Père et Fils à lui payer un rappel de salaire au titre de la garantie minimale de rémunération, une indemnité de préavis, une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Par jugement rendu le 23 décembre 2020, la juridiction prud’homale a’:
– jugé qu’il n’y a pas lieu à requalification de la démission de M. [L] [D],
– condamné la société Transports Grimonprez Père et Fils à payer’ à M. [L] [D] :
– 6’903,40’euros au titre de la garantie minimale de rémunération, outre 690,34’euros au titre des congés payés afférents,
– 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Transports Grimonprez Père et Fils à remettre à M. [L] [D] ses documents de fin de contrat rectifié sous astreinte de 50’euros par jour de retard,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
– condamné la société Transports Grimonprez Père et Fils aux entiers dépens.
La société Transports Grimonprez Père et Fils a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 19’janvier’2021.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 21’mars’2022, la société Transports Grimonprez Père et Fils demande à la cour de’:
– infirmer le jugement déféré,
– débouter M. [L] [D] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [L] [D] à lui payer’:
– 3’000’euros pour procédure abusive,
– 1500’euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
– 1500’euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel,
– condamner M. [L] [D] aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 1er juillet 2021, M. [L] [D] demande à la cour de’:
– confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il l’a débouté de ses demandes tenant à la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– requalifier la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Transports Grimonprez Père et Fils à lui payer’:
– 14’189,80’euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
– 4’183,78’euros au titre du préavis ainsi que 418,38’euros au titre des congés payés afférents,
– 2’076,85’euros d’indemnité de licenciement,
– 2’000’euros d’indemnité procédurale en cause d’appel,
– débouter la société Transports Grimonprez Père et Fils de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société Transports Grimonprez Père et Fils aux entiers frais et dépens.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 19’janvier’2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de rappel de salaire
– Sur la prescription
La société Transports Grimonprez soulève la prescription de la demande de rappel de salaire pour la période antérieure au 10 août 2015.
M. [L] [D] ne répond pas sur ce point.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
En l’espèce, la lettre de rupture du contrat de travail étant datée du 31 août 2017, les demandes de rappel de salaire qui ne portent que sur une période postérieure au mois d’avril 2015 ne sont pas prescrites, et partant, sont intégralement recevables.
– Sur la garantie de 186 heures
La société Transports Grimonprez fait valoir qu’aucune somme n’est due à titre de rappel de salaire, les textes invoqués par M. [L] [D] ne prévoyant nullement une garantie minimale de salaire à hauteur de 186 heures par mois mais uniquement le seuil de déclenchement des heures supplémentaires pour le personnel de conduite ; que le contrat de travail de M. [L] [D] porte mention d’une durée mensuelle de travail de 152 heures ; que l’accord d’entreprise entré en vigueur le 1er avril 2015 est parfaitement licite et ne porte pas atteinte au droit à une rémunération minimale des salariés. Elle ajoute que le décompte établi par M. [L] [D] est erroné et qu’il ne prend pas en compte les heures payées au titre des jours fériés chômés et les congés payés.
M. [L] [D] soutient en réponse que l’accord d’entreprise dont se prévaut la société Transports Grimonprez conditionne la garantie minimale de salaire de 186 heures au fait que le conducteur justifie maximum de 2 heures par jour de temps autre que de conduite, ce qui est contraire à l’article 5 du décret du 26 janvier 1983 codifié dans les articles D 3312-45 et suivants du code des transports qui prévoient bien une garantie de salaire minimal à hauteur de 186 heures par mois, ce qui n’a nullement été respecté par son employeur, comme en témoigne sa baisse significative de rémunération entre 2014 (26 082 euros par an) et 2016 (20 727 euros par an).
Sur ce,
L’article D.3312-45 du code des transports précise que la durée de travail, dénommée temps de service, correspondant à la durée légale du travail ou réputée équivalente à celle-ci en application de l’article L. 3121-13 du code du travail, est fixée à quarante-trois heures par semaine, soit cinq cent cinquante-neuf heures par trimestre dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article D. 3312-41, pour les personnels roulants ” grands routiers ” ou ” longue distance’.
Conformément à l’article D.3312-46 du code des transports, sont rémunérées conformément aux usages ou aux conventions ou accords collectifs les heures de temps de service à compter de la trente-sixième heure par semaine, ou de la cent cinquante troisième heure par mois, et jusqu’à la quarante troisième heure par semaine, ou la cent quatre vingt sixième heure par mois, pour les personnels roulants marchandises “grands routiers” ou “longue distance”.
Ces articles prévoient une durée de travail dérogatoire dans le domaine du transport et la fixent à 43 heures par semaine (soit 186 heures par mois) au lieu de 35 heures par semaine. Ils n’instituent pas de garantie minimale d’heures de travail, contrairement à ce que soutient M. [L] [D].
Cependant, un accord d’entreprise signé le 20 mars 2015 et entré en vigueur le 1er avril 2015 applicable au sein de la société Transports Grimonprez prévoit une garantie de 186 heures payées par mois complet travaillé.
Si cet accord subordonne le bénéfice de cette garantie au fait que le conducteur justifie de deux heures par jour maximum de temps autre que la conduite (travail+attentes enregistrées sur le contrôlographe), rien ne permet de considérer que M. [L] [D] n’entrait pas dans cette catégorie, aucun détail des heures n’étant produit (entre temps de service de conduite et des temps de service autres que la conduite). En effet, les bulletins de salaires mentionnent uniquement le salaire horaire sur la base de 152 heures par mois, et les heures supplémentaires payées.
Ainsi, M. [L] [D] est bien fondé à revendiquer l’application de la garantie prévue dans l’accord d’entreprise susvisé.
Toutefois, il y a lieu de tenir compte des jours fériés payés, puisque l’accord d’entreprise prévoit qu’entrent dans la garantie d’heures les heures indemnisées au titre d’un jour férié.
Au regard des bulletins de paie produits et des heures payées, la société Transports Grimonprez est donc redevable de la somme de 5 427,58 euros à titre de rappel de salaire, outre 542,76 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur l’imputabilité de la rupture
M. [L] [D] soutient que c’est à tort que le conseil de prud’hommes a considéré que la lettre de rupture ne constituait pas une prise d’acte devant être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il indique que sa lettre faisait suite à une dégradation significative de ses conditions de travail tenant à la diminution de ses heures de travail et au changement de son statut, étant devenu conducteur polyvalent (remplaçant) ; qu’il est résulté de cette dégradation une baisse importante de revenus, un stress lié à l’incertitude des missions confiées et les heures à réaliser, un accumulation de fatigue liée aux changements incessants de véhicule, et un sentiment de déconsidération ; qu’il existait depuis plusieurs mois un contentieux avec son employeur au sujet de ses heures de travail, comme le démontre son courrier daté du 14 mai 2016 dans lequel il a sollicité la communication de la copie des feuilles d’enregistrement de son chronotachygraphe.
La société Transports Grimonprez expose en réponse que la lettre de M. [L] [D] datée du 31 août 2017 constitue bien une lettre de démission comme manifestant la volonté claire et non équivoque de celui-ci de démissionner. Elle fait valoir que le salarié ne mentionne aucun grief dans ce courrier, qu’il n’en a pas non plus formulé durant la relation de travail, ni dans les premiers mois suivants la rupture, ayant saisi le conseil de prud’hommes près d’un an après cette lettre ; que le préavis de M. [L] [D] s’est achevé le 9 septembre et qu’il a été engagé dès le 11 septembre suivant par une autre société de transport comme conducteur, en contrat à durée indéterminée ; qu’enfin les grief invoqués par M. [L] [D] au soutien d’une prise d’acte sont faux, et ne sont nullement à l’origine de la rupture de la relation de travail.
Sur ce,
La démission est l’acte par lequel le salarié prend l’initiative de rompre le contrat de travail à durée indéterminée qui le lie à son employeur. Elle doit résulter d’une manifestation sérieuse et non équivoque de la volonté du salarié de rompre son contrat de travail.
La démission ne se présume pas et l’employeur qui soutient que le contrat de travail est rompu par démission, doit en rapporter la preuve.
La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ; il incombe au salarié d’établir les manquements reprochés à l’employeur.
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ;
En l’espèce, M. [L] [D] qui travaillait comme conducteur de véhicules poids lourds au sein de la société Transports Grimonprez depuis le 10 juin 2013 a adressé à son employeur le 31’août’2017 un courrier rédigé dans ces termes :
«’ Par cette lettre je vous informe de ma décision de quitter le poste de chauffeur poids lourd que j’occupe depuis le 10 juin 2013, dans votre entreprise.
Comme l’indique la Convention Collective Nationale des Transports Routiers, applicable à notre entreprise, je respecterai un préavis de départ d’une durée d’une semaine.
La fin de mon contrat sera donc effective le 09/09/2017.
A cette date, je vous demanderai de bien vouloir me remettre le solde de mon compte, ainsi qu’un certificat de travail.’»
Il a saisi le conseil de prud’hommes le 10 août 2018 afin de contester l’imputabilité de la rupture du contrat de travail.
Le grief formulé par M. [L] [D] concernant le changement incessant de son véhicule n’est pas démontré, sachant qu’il n’il n’avait jamais exprimé de contestation à ce sujet avant la saisine du conseil de prud’hommes.
De la même manière, le non respect par l’employeur de la garantie de 186 heures a été reproché pour la première fois à l’occasion de la procédure prud’homale et n’avait jamais fait l’objet de revendication auparavant.
Le seul différend avéré entre la société Transports Grimonprez et M. [L] [D] antérieur au 31 août 2017 concerne les heures décomptées et payés à ce dernier, qui avait formé une demande de communication des copies de ses feuilles d’enregistrement du chronotachygraphe par courrier du 14 mai 2016. Ceci est cependant insuffisant à caractériser l’existence d’un différend ayant rendu impossible la poursuite du contrat de travail, étant observé que cette demande de communication est intervenue plus d’un an avant l’envoi de la lettre de rupture et que celle-ci ne mentionne strictement aucun grief à l’encontre de la société Transports Grimonprez.
Il est relevé par ailleurs que M. [L] [D] a contesté l’imputabilité de la rupture presque un an après l’envoi de son courrier du 31 août 2017 et a signé dès la fin de son préavis un contrat de travail à durée indéterminée avec une autre société de transport.
Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la lettre datée du 31 août 2017 qui manifestait une volonté claire et non équivoque de M. [L] [D] de démissionner constitue bien une démission, et ne saurait être requalifiée en prise d’acte ayant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [L] [D] de sa demande de requalification et de ses demandes subséquentes relatives au préavis (et aux congés payés afférents), à l’indemnité de licenciement et à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages et intérêt pour procédure abusive
Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
En l’espèce, il n’est caractérisé aucun abus de M. [L] [D] dans l’exercice de son droit d’agir en justice, étant observé qu’il a été fait droit pour partie à sa demande de rappel de salaire.
Par confirmation du jugement entrepris, la société Transports Grimonprez sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Le jugement entrepris sera confirmé concernant le sort des dépens et l’indemnité de procédure.
La société Transports Grimonprez sera condamnée au dépens d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile et à payer à M. [L] [D] une somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement rendu le 23’décembre’2020 par le conseil de prud’hommes de Tourcoing sauf en ce qu’il a condamné la société Transports Grimonprez Père et Fils à payer à M. [L] [D] 6’903,40’euros au titre de la garantie minimale de rémunération, outre 690,34’euros au titre des congés payés afférents ;
Statuant à nouveau,
DECLARE la demande de rappel de salaire présentée par M. [L] [D] recevable ;
CONDAMNE la SAS Transports Grimonprez Père et Fils à payer à M. [L] [D] la somme de 5 427,58 euros à titre de rappel de salaire, outre 542,76 euros au titre de congés payés afférents ;
CONDAMNE la SAS Transports Grimonprez Père et Fils aux dépens d’appel ;
CONDAMNE la SAS Transports Grimonprez Père et Fils à payer à M. [L] [D] la somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRÉSIDENT
Pierre NOUBEL