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N° RG 21/02025 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IYWA
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 04 MAI 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 11 Février 2021
APPELANT :
Monsieur [T] [H]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON-CELINE BART AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/003364 du 27/04/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)
INTIMEES :
S.C.P. DIESBECQ – ZOLOTARENKO en qualité de liquidateur judiciaire de la Société TRANSPORTS DE L’OUEST PARISIEN (TLOP)
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Thierry BRULARD de la SCP BRULARD-LAFONT-DESROLLES, avocat au barreau de l’EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 09 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 09 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 04 Mai 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 04 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
En février 2008, M. [T] [H] (le salarié) a été engagé en qualité de chauffeur poids lourd par la société Transport [M] de l’Ouest Parisien (la société, TLOP) par contrat à durée déterminée.
Après une suspension de son permis de conduire pour une durée de 4 mois, il a été embauché dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 14 avril 2009.
Du 5 juillet 2018 au 3 avril 2019, il a été en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail.
Le 26 mars 2019, le salarié a été incarcéré et ce, jusqu’au 24 avril 2020.
Par courrier en date du 24 avril 2019, M. [H] a été convoqué à un entretien préalable et licencié pour faute grave le 14 mai suivant en raison de son absence injustifiée.
Le 20 décembre 2019, la société a fait l’objet d’une liquidation judiciaire et la SCP Diesbecq-Zolotarenko a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’Évreux lequel, par jugement du 11 février 2021, a :
– dit que son licenciement pour faute grave était justifié,
– débouté M. [H] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la SCP Diesbecq-Zolotarenko, ès qualités, de ses demandes,
– donné acte au CGEA de [Localité 3] de son intervention,
– dit que les dépens de l’instance seraient partagés par moitié entre les parties.
M. [H] en a relevé appel le 11 mai 2021 et par conclusions remises le 7 juillet 2021, il demande à la cour de :
– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes le 11 février 2021,
– juger que son licenciement est nul et à défaut, dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– inscrire au passif de la liquidation de la société les sommes suivantes :
4 184,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
418,44 euros à titre de congés payés sur préavis,
5 404,85 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
2 092,20 euros au titre de l’irrégularité de procédure,
20 922 euros (10 mois) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et, à défaut, sans cause réelle et sérieuse,
2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour et par document de retard passé 15 jours suivant la notification de la décision,
– ordonner l’exécution provisoire,
– déclarer la décision opposable au CGEA,
– assortir l’intégralité des condamnations de l’intérêt de retard à compter du 14 mai 2019 pour les sommes de nature salariale et du 25 juin 2020 pour celles à caractère indemnitaire
– condamner la SCP Diesbecq-Zolotarenko aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 5 octobre 2021, la SCP Diesbecq-Zolotarenko demande à la cour de :
– confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,
– condamner M. [H] au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
à titre subsidiaire,
– réduire le montant des dommages-intérêts à de plus justes proportions,
– débouter M. [H] de sa demande de dommages-intérêts pour irrégularité de procédure,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
Par conclusions remises le 5 octobre 2021, le CGEA de [Localité 3] demande à la cour de :
– lui donner acte de son intervention et de ce qu’il s’associe à l’argumentation et aux moyens de défense développés par le liquidateur,
– confirmer le jugement déféré,
– débouter le salarié de toutes ses demandes,
à titre subsidiaire,
– réduire les dommages-intérêts à la somme de 6 276,60 euros,
– dire et juger que les dispositions de l’arrêt ne lui seront opposables que dans les limites de sa garantie légale et des plafonds de l’AGS,
– lui déclarer inopposables les dispositions relatives aux frais irrépétibles, à la remise des documents sous astreinte et aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été fixée au 9 février 2023.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur le licenciement pour faute grave
La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisante pour justifier l’éviction
La lettre de licenciement est ainsi motivée :
« [‘] Vous étiez en arrêt pour accident du travail depuis le 5 juillet 2018, votre arrêt a pris fin le 3 avril 2019.
Par courrier du 18 avril 2019, réceptionné par vos soins le 24 avril, nous vous mettions en demeure de justifier de votre absence dans les plus brefs délais. Sans réponse de votre part, vous avez été convoqué à un entretien préalable le 2 mai 2019.
Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien.
Votre absence injustifiée depuis le 4 avril 2019 nous conduit à vous licencier pour faute grave (‘.) ».
Il s’infère des pièces produites et non utilement discutées que :
– l’arrêt de travail du salarié se terminait le 3 avril 2019 et qu’il n’a jamais produit d’arrêt de prolongation,
– le salarié a été incarcéré le 26 mars 2019,
– l’employeur l’a mis en demeure de justifier de son absence « dans les plus brefs délais » par courrier recommandé du 18 avril 2019, réceptionné le 25 avril,
– le salarié a, par courrier du 23 avril reçu le 25 avril par son employeur, indiqué à ce dernier qu’il effectuit une « peine de 4 mois » et lui a fait savoir qu’à sa sortie, «il fera une rechute car une intervention est programmée », joignant à sa lettre un bulletin d’incarcération .
Ainsi, du 4 au 25 avril 2019, le salarié n’a ni informé son employeur, ni justifié de son absence, de sorte que le motif de licenciement précisé dans la lettre de congédiement, soit une absence injustifiée, et non l’incarcération du salarié, est établi.
Sur ce point encore, le salarié qui discute le bien fondé de son licenciement, n’apporte toujours aucune explication concernant l’absence d’information de son employeur durant plus de 20 jours. Il ne justifie pas plus de l’existence de l’opération chirurgicale dont il se prévaut dans ses conclusions et devant intervenir dans un temps proche de son courrier du 25 avril, ce qui est, en toute hypothèse, contredit par la durée de sa détention de plus d’un an contrairement à ce qu’il écrivait à son employeur.
Pour autant, M. [H] soutient qu’en réalité son licenciement trouverait sa cause dans une discrimination liée à son état de santé, et présente pour ce faire les éléments suivants : des photographies de son épaule et de son coude, un article de presse faisant état d’un suicide au sein de l’entreprise [M] et une attestation de M. [S], employé de la société. Dans celle-ci, son auteur témoigne avoir entendu M. [M] [Y] dire à l’appelant que son arrêt de travail « était de complaisance et lui crier qu’il le virerait d’une manière ou d’une autre ».
Toutefois, ces propos ont été tenus en septembre 2018 et n’ont pas été suivis d’effet puisque la procédure de licenciement n’a été initiée qu’en avril 2019 pour une absence injustifiée non discutée.
Par conséquent, ce seul témoignage, les autres éléments étant sans intérêt pour l’objet du litige, est insuffisant pour permettre de laisser présumer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé et, partant, pour fonder la nullité du licenciement intervenu.
Ainsi, la matérialité des faits est indéniablement établie et justifie de par la durée de l’absence injustifiée, le licenciement du salarié pour faute grave.
La décision déférée est confirmée sur ce chef.
2) Sur l’irrégularité de la procédure de licenciement
L’article L.1235-2 alinéa 5, dans sa version applicable au litige, dispose que lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L.1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13, ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
L’article L. 1232-2 alinéa 2 précise que la convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.
M. [H] indique que malgré son incarcération, l’employeur a refusé de reporter son entretien préalable et l’a convoqué pour une sanction disciplinaire sans préciser le terme « licenciement » dans le courrier de convocation.
Il est exact que la convocation à l’entretien préalable mentionnait qu’il était envisagé de « prendre à son encontre une sanction disciplinaire », sans autre précision et notamment, aucune indication sur le fait qu’un licenciement pouvait être décidé.
Aussi, faute d’une telle indication dans ladite convocation, la procédure de licenciement est affectée d’une irrégularité dont le salarié licencié pour une cause réelle et sérieuse, est recevable à solliciter la réparation, contrairement à ce que soutient le liquidateur, et, sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen développé au soutien de cette prétention.
N’ayant pas eu une connaissance complète de l’objet de sa convocation à un entretien préalable, le salarié a subi un préjudice qu’il conviendra de réparer par la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts à ce titre.
La décision déférée est infirmée sur ce chef.
3) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens d’appel, ces derniers étant recouvrés selon les règles de l’aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du 11 février 2021 du conseil de prud’hommes d’Évreux, sauf en sa disposition relative à l’irrégularité de la procédure de licenciement,
Statuant dans cette limite et y ajoutant,
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société TLOP la créance de M. [H] à la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure irrégulière de licenciement ;
Dit que les intérêts au taux légal ne courent pas sur cette somme ;
Déclare l’Ags-Cgea de [Localité 3] tenue à garantie pour cette somme dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, seulement en l’absence de fonds disponibles ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens d’appel, ces derniers étant recouvrés selon les règles de l’aide juridictionnelle.
La greffière La présidente