Chauffeur Poids-Lourd : décision du 11 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00867

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 11 mai 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00867
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ARRÊT N° 263

N° RG 21/00867

N° Portalis DBV5-V-B7F-GHAD

S.A.S. AQUITAINE RESEAUX

C/

[W]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 11 MAI 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 février 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LA ROCHELLE

APPELANTE :

S.A.S. AQUITAINE RESEAUX

Venant aux droits de la SAS DUFOUR FRÈRES

N° SIRET : B 571 780 352

[Adresse 4]

[Localité 2]

Ayant pour avocat Me Renaud ROQUETTE, avocat au barreau de LAVAL

INTIMÉ :

Monsieur [Z] [W]

né le 05 avril 1956 à [Localité 5] (17)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Alexandra DUPUY, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Z] [W] a été embauché par contrat à durée indéterminée à temps complet à partir du 23 juillet 2004 par la SAS Dufour Frères en qualité d’ouvrier terrassier, niveau I, position 2, coefficient 110.

Le 25 octobre 2013, il a été élu délégué du personnel suppléant.

Dans le dernier état des relations contractuelles, il était employé en qualité de chauffeur poids lourd et percevait une rémunération mensuelle de 1 941,38 € bruts.

Par lettre du 12 octobre 2016, Monsieur [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire devant se dérouler le 21 octobre suivant.

Par décision du 9 décembre 2016, l’inspecteur du travail a refusé de donner à l’employeur l’autorisation de licencier le salarié qu’il avait sollicitée le 21 octobre 2016.

Le 3 janvier 2017, la société a formé contre cette décision un recours hiérarchique qui a été rejeté par décision du 16 août 2017.

Monsieur [W] est en arrêt maladie de manière ininterrompue à compter du 6 février 2017.

Le 4 juin 2018, lors de sa visite de reprise, il a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail qui a précisé ‘que l’état du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise.’

Le 23 juillet 2018, il a été licencié pour inaptitude après l’envoi de sa convocation le 8 juin 2018 à un entretien préalable à son licenciement et le recueil de l’autorisation de licenciement donnée par l’inspectrice du travail le 20 juillet 2018.

Par requête du 17 mai 2019, Monsieur [W] a saisi le conseil de prud’hommes de La Rochelle aux fins notamment d’obtenir le paiement de dommages intérêts pour harcèlement moral, violation des obligations de sécurité et de loyauté et pour nullité du licenciement assorti des indemnités subséquentes.

Par jugement du 26 février 2021, le conseil de prud’hommes de La Rochelle, présidé par le juge départiteur, a :

– dit que Monsieur [W] a fait l’objet d’un harcèlement moral,

– dit que le licenciement pour inaptitude est consécutif à ce harcèlement moral et qu’il est donc nul,

– condamné la SAS Aquitaine Réseaux à payer à Monsieur [W] les sommes suivantes :

° 8 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

° 3 882,76 € au titre de l’indemnité de préavis,

° 388,28 € au titre des congés payés sur préavis,

° 19 413,80 € au titre de l’article L.1235-3-1 du code du travail,

– dit que les condamnations prononcées produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de jugement pour les créances contractuelles, soit le 2 avril 2019 et à compter du présent jugement pour les créances indemnitaires,

– ordonné le remboursement par la SAS Aquitaine Réseaux aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [W] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage,

– condamné la SAS Aquitaine Réseaux aux entiers dépens de la présente instance et à payer à Monsieur [W] la somme de 1 200 € sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile,

– rappelé que les dispositions du présent jugement ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées à l’article R. 1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, sont exécutoires à titre provisoire,

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision à hauteur de la moitié du surplus des sommes allouées.

Par déclaration en date du 12 mars 2021, la SAS Aquitaine Réseaux a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 7 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de Monsieur [W] tendant à voir déclarer l’appel irrecevable en ce que la déclaration d’appel se réfère expressément à l’annexe qui lui est jointe, transmise comme elle par voie électronique conformément à l’arrêté du 20 mai 2020, qui contient les chefs de la décision expressément critiqués et qui a été notifiée avec la déclaration d’appel à l’avocat constitué pour l’intimé.

***

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions en date du 11 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la SAS Aquitaine réseaux venant aux droits de la société Dufour Frères demande à la cour de :

– dire Monsieur [W] irrecevable en ses demandes de nullité du licenciement et demandes indemnitaires afférentes,

– subsidiairement, le débouter de ses demandes,

– le condamner à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux dépens.

Par conclusions en date du 10 septembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Monsieur [W] demande à la cour de :

– déclarer la société Aquitaine réseaux mal fondée en son appel et l’en débouter,

– déclarer recevables et fondées ses demandes,

– A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement attaqué,

– sur le harcèlement moral,

– juger qu’il a fait l’objet d’un harcèlement moral,

– juger que la société Aquitaine réseaux a délibérément manqué à ses obligations de sécurité résultat et de bonne foi,

– juger que cette violation a entraîné un préjudice pour lui,

– condamner la société Aquitaine réseaux à lui payer la somme de 8000€ à titre de dommages intérêts,

– sur la nullité du licenciement,

– juger la nullité du licenciement dont il a été l’objet,

– condamner la société Aquitaine réseaux à lui payer une indemnité équivalente à 10 mois de salaire soit 19 413,80€,

– condamner la société Aquitaine réseaux à lui payer une indemnité de préavis de 3 882,76€ outre 388,28€ au titre des congés payés afférents selon la règle du 1/10ème,

– pour le surplus,

– condamner la société Aquitaine réseaux à lui payer la somme de 1200€ en application de l’article 700 code de procédure civile au titre de la première instance outre la somme de 3000€ en cause d’appel,

– condamner la société Aquitaine réseaux aux entiers dépens et aux éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir,

– débouter la société Aquitaine réseaux de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– assortir l’ensemble des condamnations des intérêts de droit à compter du jour de la demande.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est rappelé que les diverses demandes de ‘constater’ ou de ‘juger’ qui apparaissent au dispositif des conclusions respectives des parties ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 31 du code de procédure civile car elles ne confèrent aucun droit à la partie qui les requiert, hormis les cas prévus par la loi.

Elles ne constituent que des rappels de moyens ou d’arguments qui ne peuvent saisir la cour qui n’a donc pas à statuer sur eux.

I – SUR LE HARCELEMENT MORAL :

A – Sur l’existence d’un harcèlement moral :

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Il résulte de cet article que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Ainsi, le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l’intention (malveillante ou non) de son auteur.

Le régime probatoire du harcèlement moral est posé par l’article L. 1154-1 du code du travail qui prévoit que dès lors que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il en résulte que le salarié n’est tenu que d’apporter au juge des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral et qu’il ne supporte pas la charge de la preuve de celui-ci.

De ce fait, le juge doit :

– en premier lieu examiner la matérialité des faits allégués par le salarié en prenant en compte tous les éléments invoqués y compris les certificats médicaux,

– puis qualifier juridiquement ces éléments en faits susceptibles, dans leur ensemble, de faire présumer un harcèlement moral,

– enfin examiner les éléments de preuve produits par l’employeur pour déterminer si ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est constant que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de management par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

***

En l’espèce, à l’appui de sa demande de reconnaissance du harcèlement moral dont il dit avoir été victime de la part de son employeur à compter d’octobre 2016, à la suite du vol de pommes dont il a été accusé, Monsieur [W] expose en substance :

1 – avoir été victime d’une procédure disciplinaire purement abusive visant à le décrédibiliser fondée sur un motif dénué de sérieux et purement artificiel – à savoir qu’il aurait dérobé des pommes à l’occasion d’un chantier sur lequel il avait été missionné – qui a conduit à lui faire subir la violence morale d’un triple entretien – entretien préalable au licenciement, entretien avec l’inspecteur du travail et entretien avec le délégué au ministère du travail – alors même que le refus de l’inspection du travail d’accorder l’autorisation de licenciement sollicitée la première fois par l’employeur démontrait que l’administration était consciente de l’absence de sérieux du motif invoqué et que le client de la société avait lui – même indiqué qu’il souhaitait en rester là dans l’intérêt de tous,

2 – avoir été privé de son poste de travail et de l’exercice de son mandat de représentant du personnel dans la mesure :

° où d’une part, il va être placé en mise à pied conservatoire dès le 11 octobre 2016, son employeur n’hésitant pas à le sortir physiquement du chantier pour le renvoyer à son domicile alors qu’il ne confirmera officiellement cette mesure par courrier que le 12 octobre 2016.

° où d’autre part, alors que l’inspecteur du travail a refusé d’autoriser son licenciement par décision actée par l’employeur le 9 décembre 2016, ce n’est que le 21 décembre 2016 qu’il lui a adressé un courrier pour maintenir sa mise à pied conservatoire jusqu’au 26 décembre alors même qu’elle savait que cette mesure était devenue injustifiée, qu’elle lui a imposé une période de RTT et de congés payés pour différer la reprise de son poste, intervenue le 9 janvier 2017, soit un mois après l’invalidation de son licenciement par l’inspection du travail.

3 – avoir été privé corrélativement de revenu pendant trois mois durant lesquels il a subi une grande précarité et n’a pu subsister que grâce à l’aide financière de sa fille,

4 – avoir vu son état de santé se dégrader alors qu’il n’avait jamais été traité auparavant pour un syndrome anxio dépressif.

Afin d’étayer ses allégations, Monsieur [W] verse aux débats :

– la demande d’autorisation de licenciement du 21 octobre 2016 formée par la société Dufour fondée par le vol de pommes dans une propriété située à côté du lieu d’intervention de Monsieur [W] dans le cadre du contrat de sous-traitance conclu avec GRDF et des conséquences pouvant en résulter quant au non – renouvellement dudit contrat alors qu’il emploie 7 salariés

– le courrier que l’inspection du travail lui a adressé le 25 octobre 2016

– le courrier qu’il a adressé le 7 décembre 2016 à son employeur pour contester sa décision de licenciement,

– la décision de refus d’autorisation de licenciement du 9 décembre 2016 fondée sur l’absence de gravité suffisante des faits pour justifier un licenciement,

– le courrier que la société Dufour Frères lui a adressé le 21 décembre 2016 pour lui indiquer qu’il sera en RTT du 26 au matin au 30 décembre au soir puis en congés payés du 2 au 7 janvier 2017 inclus et que la reprise effective de travail sera le 9 janvier au matin,

– le recours hiérarchique formé le 3 janvier 2017 par la société Dufour Frères contre le refus d’autorisation de licenciement maintenant le caractère de faute grave du comportement reproché au salarié,

– la convocation à l’Unité Départementale de Charente-Maritime du 3 février 2017

– la décision de rejet du recours hiérarchique du 16 août 2017 fondée sur l’absence de gravité suffisante des faits pour justifier un licenciement,

– l’avis d’inaptitude du 4 juin 2019 mentionnant : ‘.. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise..’,

– la convocation à l’entretien préalable à un licenciement pour inaptitude du 8 juin 2018,

– l’autorisation de licenciement du 20 juillet 2018

– la lettre de licenciement du 23 juillet 2018 pour inaptitude,

– le reçu pour solde de tout compte

– le courrier électronique de Monsieur [K] du 7 novembre 2016, victime du vol de pommes, retraçant l’historique de l’incident, les diligences accomplies par la société Dufour et GRDF, les contacts qu’il avait eus avec les salariés concernés qui s’étaient excusés et lui avaient restitué un sac de pommes et se concluant par ‘je souhaite donc en rester (mot oublié) pour l’intérêt de tous !’

– le relevé de compte de Madame [W] établissant les versements réalisés au profit de son père,

– l’ordonnance du 27 octobre 2017

– son historique médical,

– le certificat médical par le Docteur [T] en date du 20 aout 2018,

– le courrier médecine du travail du 4 février 2018.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que tous les faits dénoncés par le salarié sont matériellement établis et sont susceptibles, pris dans leur ensemble, de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements invoqués par Monsieur [W] ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que les décisions qu’il a prises étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

***

Cela étant, la société Aquitaine réseaux échoue à justifier que les faits retenus comme étant établis étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En effet :

– s’agissant du fait n°1 relatif à la procédure disciplinaire que l’employeur justifie par le vol de pommes qui serait désormais reconnu par le salarié alors qu’il l’avait jusque là nié et par le souhait de GRDF de le voir licencier :

Si – afin de démontrer le bien fondé de la procédure choisie- l’employeur verse aux débats :

– le courriel que GRDF lui a adressé relatant l’incident du vol des pommes, l’avertissant que les faits seraient pris en compte dans l’évaluation de son entreprise et lui demandant de l’informer des suites qu’il allait donner à son message,

– une attestation d’un voisin relatant également les faits,

– un compte-rendu établi entre lui-même et GRDF le 26 novembre 2016 aux termes duquel GRDF a relevé que l’incident avait été pris au sérieux et que de ce fait, il ne souhaitait pas aller plus loin, il n’en demeure pas moins que la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire pour faute grave avec mise à pied conservatoire était excessive pour sanctionner une faute d’une gravité toute relative commise par un salarié présentant une ancienneté de près de 15 ans qui n’avait jusque-là fait l’objet ni d’un avertissement ni même de simples observations ou de mises en garde.

Elle se justifiait d’autant moins que contrairement à ce que la société soutient si GRDF lui a demandé de sanctionner l’auteur des faits, il ne lui a jamais demandé le 12 octobre 2016 de mettre en oeuvre une procédure de licenciement pour faute grave.

D’ailleurs, dès le 26 novembre 2016, il a reconnu lui-même dans le compte- rendu de la réunion qui s’était tenue entre lui et la société qu’il ne souhaitait pas aller plus loin et que la victime directe du vol elle-même a indiqué qu’elle entendait s’en tenir là.

De ce fait, le recours hiérarchique que l’employeur a formé contre la décision qui le 9 décembre 2016 a refusé d’autoriser le licenciement au motif que les faits étaient dépourvus de gravité était totalement vain et infligeait au salarié des épreuves inutiles.

– s’agissant du fait n°2 relatif à la privation de son poste de travail et de l’exercice de mandat de représentant du personnel par son maintien en mise à pied conservatoire et son placement ensuite en RTT puis en congés payés alors que la décision de refus d’autorisation de licenciement était intervenue un mois auparavant :

L’employeur s’emploie vainement à l’expliquer en indiquant qu’il avait été convenu auparavant que le salarié ne reprenne effectivement son travail que le 9 janvier 2017.

En effet, le seul fait d’avoir écrit le 21 décembre 2016 : ‘vous serez comme décidé auparavant en RTT du… etc… etc…’ est inopérant pour le dédouaner de tout agissement dans la mesure où il ne fournit aucun détail sur l’éventuel accord qui aurait pu intervenir entre le salarié et lui et où en tout état de cause, il n’en établit pas l’existence.

De même, il est tout aussi inopérant pour lui de prétendre qu’il a cru pendant quelques jours en décembre que le recours hiérarchique était suspensif et a pour cette raison retardé la réintégration du salarié alors qu’il était mentionné dans la décision elle-même que le recours hiérarchique n’était pas suspensif.

De surcroît, contrairement à ce qu’il prétend, sa prétendue ignorance de l’absence d’effet suspensif ne constitue pas un épisode isolé mais un fait qui s’est étendu sur un peu plus de 10 jours.

– s’agissant du fait n°3 relatif à la privation de salaire :

Il est tout à fait inopérant pour l’employeur de justifier ce dernier fait par la mise à pied conservatoire et les délais nécessaires pour établir la fiche de paie alors que le paiement des salaires pour la période du 10 octobre au 9 décembre 2016 aurait dû intervenir dès cette date et non ultérieurement, sans aucune raison sérieuse, plusieurs semaines après, mettant ainsi le salarié en situation financière délicate, voire difficile,

– s’agissant du fait n°4 relatif à la dégradation de santé du salarié :

L’employeur se borne à contester le lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et son travail en indiquant que les certificats médicaux dont celui – ci se prévaut sont largement postérieurs à son départ et démontrent que les pathologies énoncées n’ont aucun caractère professionnel alors que les pièces médicales versées par le salarié établissent le lien entre le travail et la dégradation de son état de santé.

***

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’employeur échoue à justifier par des éléments objectifs les trois faits litigieux, retenus par la cour, alors que pris dans leur ensemble, ces éléments constituent des faits de harcèlement moral qui ont eu raison de l’état de santé du salarié qui certes avait commis une faute en dérobant des pommes dans une propriété pendant son temps de travail mais qui compte tenu du contexte dans lequel l’action s’était déroulée et de l’absence de tout antécédent ne justifiait pas une procédure de licenciement pour faute grave, avec mise à pied conservatoire, privation de revenus au – delà du terme officiel et réintégration retardée sans motif sérieux et juridique.

Ainsi, sur le fondement des principes sus – rappelés et des éléments produits, le harcèlement moral invoqué par le salarié est établi.

En conséquence, le jugement attaqué doit donc être confirmé.

B – Sur les dommages intérêts au titre du harcèlement moral :

Le salarié peut prétendre à une indemnité réparant l’ensemble des préjudices subis du fait du harcèlement moral.

En l’espèce, afin d’établir son préjudice moral et les répercussions du harcèlement subi sur son état de santé, le salarié verse au dossier :

– son historique médical,

– un courrier de la médecine du travail adressé le 4 juin 2018 à son médecin traitant précisant notamment ‘compte tenu du contexte et de l’impact psychologique le retour dans l’entreprise ne paraît pas être une bonne idée. Si vous êtes d’accord un arrêt de travail (qui n’entravera pas la procédure de licenciement) permettrait de tenir éloigné votre patient d’une situation anxiogène…’,

– le certificat médical établi par le Docteur [T] en date du 20 août 2018 précisant notamment que le salarié l’avait consulté pour un syndrome anxieux réactionnel qui s’était aggravé par la suite avec un syndrome dépressif associé, nécessitant un traitement par antidépresseur et anxiolytique et arrêt de travail prolongé jusqu’à juin 2018 et concluant qu’à sa connaissance Monsieur [W] n’avait jamais été traité auparavant pour dépression.

En réponse, l’employeur se borne à contester le lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et son travail en indiquant que les certificats médicaux dont celui – ci se prévaut sont largement postérieurs à son départ et démontrent que les pathologies énoncées n’ont aucun caractère professionnel.

***

Cela étant, il résulte de l’ensemble de ces éléments que les effets du harcèlement moral de l’employeur sur l’état de santé du salarié sont parfaitement établis par les pièces médicales sus- énoncées comme le premier juge l’a très justement relevé.

En conséquence, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a accordé au salarié une somme de 8 000 € en réparation du préjudice subi.

II – SUR LES CONSEQUENCES DU HARCELEMENT MORAL :

A – Sur la recevabilité des demandes liées au licenciement :

L’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations dans la mesure où l’inspecteur du travail ne contrôle pas les causes à l’origine de celle-ci (CE, 20 nov. 2013, no 340591 ; Cass. soc., 27 nov. 2013, no 12-20.301 ; Cass. soc., 15 avr. 2015, no 13-21.306 ).

***

En l’espèce, la SAS Aquitaine réseaux soutient en substance :

– que le principe de séparation des pouvoirs interdit au juge judiciaire d’examiner le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement d’un salarié protégé dès lors que ledit licenciement a été autorisé par l’inspecteur du travail,

– qu’en l’espèce, comme le licenciement de Monsieur [W] a été autorisé par l’inspectrice du travail et que cette décision n’a pas été frappée d’un recours, la demande en dommages intérêts formée par le salarié est irrecevable,

– que les premiers juges se contredisent en affirmant que le juge judiciaire ne peut apprécier la cause réelle et sérieuse du licenciement et simultanément que Monsieur [W] est parfaitement recevable et fondé en sa demande tendant à voir prononcer la nullité dudit licenciement.

En réponse, Monsieur [W] objecte pour l’essentiel :

– que sans remettre en cause la séparation des ordres juridictionnels, la Cour de cassation a très récemment considéré que l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations,

– qu’en l’espèce, il demande des dommages intérêts compte tenu de la nullité de son licenciement découlant d’une inaptitude réactionnelle à un manquement de son employeur à savoir le harcèlement moral,

– que de ce fait, la Cour de céans est compétente pour juger de ses demandes formées à ce titre.

***

Cela étant, au vu des principes sus rappelés, même si le 20 juillet 2018, l’inspecteur du travail a autorisé le licenciement pour inaptitude de Monsieur [W] après avoir constaté que le certificat médical du médecin du travail relevait que l’état de santé du salarié faisait obstacle à un reclassement dans l’entreprise et qu’aucun lien ne pouvait être établi entre la procédure de licenciement et le mandat de représentant du personnel suppléant du salarié, il n’en demeure pas moins que celui-ci est recevable à former des demandes tendant au prononcé de la nullité de son licenciement pour harcèlement moral et au paiement de dommages intérêts pour harcèlement moral outre les indemnités subséquentes au licenciement.

En conséquence, le jugement doit être confirmé de ce chef.

B – Sur la nullité du licenciement :

Le juge judiciaire peut prononcer la nullité du licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé lorsque cette inaptitude trouve sa cause dans le harcèlement moral qu’il a subi.

***

En l’espèce, le salarié soutient avoir connu un état dépressif réactionnel au harcèlement traité par des antidépresseurs et prétend que son inaptitude totale à son poste de travail, actée le 4 juin 2018 par la médecine du travail, prend sa source dans le harcèlement dont il a fait l’objet.

Afin d’étayer ses allégations, il verse aux débats les pièces sus énoncées et analyse ces pièces comme faisant un lien explicite entre le comportement de l’employeur et son inaptitude.

En réponse, pour contester le lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et son travail, l’employeur se borne à reprendre les explications qu’il a déjà données.

***

Cela étant, quoiqu’en dise l’employeur, le médecin traitant du salarié a certifié clairement – sans qu’une contestation sérieuse puisse lui être apportée – qu’à sa connaissance, Monsieur [W] – qu’il suit depuis 2015 – n’a jamais été traité auparavant pour dépression et le médecin du travail a notamment indiqué en substance dans le courrier sus – cité qu’il était nécessaire durant la procédure d’inaptitude de tenir éloigné le salarié de la situation anxiogène, créée par son retour dans l’entreprise.

Ces éléments établissent – contrairement à ce que prétend l’employeur – les conditions de travail du salarié et son inaptitude dans la mesure où le syndrome dépressif réactionnel qu’il a connu et qui a été identifié par les professionnels de santé n’a jamais été précédé par d’autres épisodes dépressifs et qu’il ne peut pas être reclassé dans l’entreprise qui crée une situation anxiogène pour lui.

Il convient en conséquence, compte tenu du harcèlement moral dont a fait l’objet Monsieur [W] dans le cadre de son travail ayant conduit au prononcé de son licenciement pour inaptitude de prononcer la nullité dudit licenciement.

C – Sur les demandes indemnitaires :

Lorsque le juge judiciaire prononce la nullité du licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé lorsque cette inaptitude trouve sa cause dans le harcèlement moral qu’il a subi, l’employeur peut être condamné :

– au paiement d’une indemnité pour licenciement nul, d’une indemnité compensatrice de préavis assortie des congés payés (Cass. soc., 29 juin 2017, no 15-15.775),

– au paiement d’une indemnité pour perte d’emploi (CE, 20 nov. 2013, no 340591 et Cass. soc., 27 nov. 2013, no 12-20.301).

***

En l’espèce, Monsieur [W] sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer :

– une indemnité équivalente à 10 mois de salaire au titre de l’article L.1235-3-1 du code de travail, soit 19.413,80 €,

– une indemnité de préavis de 3.882,76 € outre 388,28 € au titre des congés payés afférents selon la règle du 1/10.

En réponse, la société Aquitaine Réseaux s’y oppose en soutenant que le licenciement pour inaptitude est fondé.

***

Cela étant, au vu des éléments versés au dossier, il convient de condamner la société Aquitaine Réseaux à payer à Monsieur [W] les sommes de :

– 1 9413,80 € en application de l’article L 1235-3-1 du code du travail pour un salarié âgé de 62 ans et présentant 14 ans d’ancienneté au jour de son licenciement qui n’a donc pas pu retrouver un emploi avant de faire liquider ses droits à retraite,

– 3 882,76 € au titre de l’indemnité de préavis,

– 388, 28 € au titre des congés payés sur préavis,

Les sommes ainsi allouées produiront intérêts au taux légal :

– s’agissant des créances indemnitaires – par ailleurs exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables – à compter de la présente décision,

– s’agissant des créances salariales, à compter de la date de réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation, avec capitalisation dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.

IV – SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

Il appartient au juge qui prononce la nullité du licenciement pour inaptitude du salarié protégé en raison de faits de harcèlement d’ordonner le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage (Cass. soc., 15 juin 2022, no 20-22.430).

En l’espèce, le jugement attaqué doit donc être confirmé de ce chef en ce qu’il a ordonné à la société de rembourser les indemnités de chômage à Pôle Emploi.

***

Les dépens de première instance et d’appel doivent être supportés par la partie qui succombe dans toutes ses prétentions.

***

La charge des frais d’exécution forcée est régie par les dispositions d’ordre public de l’article L. 111-8 du code de procédure civile d’exécution.

Il n’appartient pas au juge du fond de statuer par avance sur le sort de ces frais.

Dès lors, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à la condamnation de la société aux éventuels frais d’exécution de la présente décision.

***

Il n’est pas inéquitable de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a condamné la société à verser une somme de 1 200 € à Monsieur [W] en application de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté la société de sa demande formée sur le fondement des mêmes dispositions.

Devant la cour, il n’est pas inéquitable également de condamner la société à verser à Monsieur [W] une somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile tout en rejetant sa propre demande présentée sur le fondement des mêmes dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement prononcé le 26 février 2021 par le conseil de prud’hommes de La Rochelle,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Aquitaine Réseaux venant aux droits de la SAS Dufour Frères à payer à Monsieur [W] la somme de 2 000 € en application de l’article 700 code de procédure civile,

Déboute la SAS Aquitaine Réseaux venant aux droits de la SAS Dufour Frères de sa demande présentée en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que le sort des frais d’exécution forcée est fixé par les dispositions de l’article L 111-8 du code de procédure civile d’exécution,

Condamne la SAS Aquitaine Réseaux venant aux droits de la SAS Dufour Frères aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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