Chauffeur Poids-Lourd : décision du 29 septembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/17091

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 29 septembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/17091
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 29 SEPTEMBRE 2023

N°2023/ 243

Rôle N° RG 19/17091 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFD7D

(+ RG19/17618 joint)

[W] [M]

C/

SAS GARRASSIN TRANSPORTS

Copie exécutoire délivrée

le : 29/09/2023

à :

Me Maxime DE MARGERIE, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Sandrine OTT-RAYNAUD, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 09 Septembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00013.

APPELANT

Monsieur [W] [M], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Sandrine OTT-RAYNAUD, avocat au barreau de TOULON substitué pour plaidoirie par Me Marion ROURE, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

SAS GARRASSIN TRANSPORTS sise [Adresse 2]

représentée par Me Maxime DE MARGERIE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN , Président de chambre chargé du rapport et Madame Estelle de REVEL, Conseiller.

M. Philippe SILVAN, Président de chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2023.

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Selon contrat à durée indéterminée du 1er avril 2010, M.[M] a été recruté par la SAS Garrassin Transports en qualité de chauffeur poids-lourd. Le 8 janvier 2017, il a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement. Il a été licencié pour faute grave le 23 juin 2017.

Le 12 janvier 2018, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulon d’une contestation de son licenciement.

Par jugement du 9 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de Toulon a :

– requalifié le licenciement de M. [M] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

– condamné la SAS Garrassin Transports à payer à M.[M] les sommes suivantes :

– 6 503,41 euros au titre du préavis,

– 650,34 euros au titre des congés payés sur préavis,

– 4 701,95 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 1 927,08 euros au titre de la mise à pied,

– 192,70 euros au titre des congés payés sur la mise à pied,

– 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 7 novembre 2019, M. [M] a fait appel. Ce dossier a été enregistré sous le RG 19/17091.

Le 19 novembre 2019, la SAS Garrassin Transports a également fait appel. Ce dossier a été enregistré sous le RG19/17618.

Par ordonnance du 4 juin 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des instances pour être suivie sous le RG19/17091.

A l’issue de ses dernières conclusions du 28 janvier 2020, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des faits, M. [M] demande de:

– ordonner la jonction des deux instances RG 19/17091 et RG 19/17618 ;

– infirmer partiellement le jugement rendu par le conseil de prud’hommes, en ce qu’il a qualifié son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

– statuant à nouveau :

– dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– en conséquence, condamner la SAS Garassin Transports à lui payer les sommes suivantes :

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (18 mois) : 58 530 euros,

– indemnité compensatrice de préavis (2 mois) : 6 503, 41 euros

– indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 650, 34 euros

– indemnité légale de licenciement : 4 701 ,95 euros

– salaire mise à pied conservatoire : 1 927,08 euros

– congés payés afférents : 192,70 euros

– condamner la SAS Garassin Transports à la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, y compris ceux de première instance,

– débouter la SAS Garassin Transports de l’intégralité de ses demandes.

A l’issue de ses dernières conclusions du 28 avril 2020, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des faits, la SAS Garassin Transports demande de :

– dire que M. [M] est mal fondé en son appel,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que son licenciement était bien fondé,

– débouter M. [M] de toutes ses demandes,

– le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– à titre incident, la recevoir en son appel incident et l’y déclarée bien fondée,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a écarté la qualification de faute grave,

– statuant à nouveau, dire que la faute grave est constituée,

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [M] les sommes suivantes :

– 6 503,41 euros au titre du préavis,

– 650,34 euros au titre des congés payés sur préavis,

– 4 701,95 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 1 927,08 euros au titre de la mise à pied,

– 192,70 euros au titre des congés payés sur la mise à pied,

– 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter M. [M] de l’intégralité de ses demandes,

– la condamner à verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 26 mai 2023. Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.

SUR CE’:

La jonction des procédures a été ordonnée le 4 juin 2021. La demande formée de ce chef par M.[M] est par conséquent sans objet.

Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise. Il est de principe que la charge de la preuve incombe à l’employeur, le salarié n’ayant rien à prouver.

La lettre de licenciement adressée à M.[M] par la SAS Garrassin Transports le 23 juin 2017 est rédigée dans les termes suivants’:

«’Les faits que nous vous reprochons sont les suivants’:

En date du 08.06.17, nous vous vu avec le pantalon relevé chez notre client CEMEX La Garde, un des plus strict vis-à-vis du respect des tenues.

En fin d’après-midi, nous sommes allés vous voir à l’atelier 102, où on nous a indiqué que vous démontiez une roue. Nous avons à nouveau constaté que vous étiez avec le pantalon relevé, de plus, torse-nu pendant que vous démontiez avec la clé à chocs la roue de votre semi remorque.

Nous vous avons demandé de sortir de l’atelier pour vous rappeler que d’une part vous ne respectiez pas les directives de sécurité sur le port des vêtements et d’autre part que vous preniez des risques en travaillant dans cette tenue dans l’atelier.

Nous vous avons ensuite demandé de vous rhabiller correctement ce que vous avez refusé et vous êtes retourné démonter votre roue dans la même tenue.

Nous vous avons rejoint pour vous demander si vous n’aviez pas entendu les directives, ce à quoi vous avez répondu ironiquement, en continuant de démonter votre roue, « je ne vous entends pas, je ne parle pas français… ».

A ce stade, nous avons demandé au Chef de Parc et au Mécanicien présent sur le site d’être témoins de votre attitude et de notre notification de mise à pied à titre conservatoire.

Votre attitude a continué à être provocatrice, irrespectueuse et insultante jusqu’à votre départ de l’entreprise.

Lors de notre entretien du 19.06.17, nous vous avons rappelé que le 11 Juillet 2016, après de multiples rappels nous vous avons convoqué à un entretien pour les mêmes sujets. A la suite de quoi nous vous avons infligé trois jours de mise à pied.

Le 28 septembre 2016, nous vous avons à nouveau convoqué pour fes mêmes motifs, entretien au cours duquel, vous vous êtes engagé et avez donné votre parole de respecter les directives et consignes de sécurité.

Nous vous rappelons tout d’abord que nous sommes tenus à une obligation de sécurité vis-à-vis de nos salariés en interne comme chez nos clients qui imposent une tenue correcte et le port des EPI.

II est bien évident que de tels agissements et comportements ne peuvent être tolérés au sein de notre société.

Ils constituent une faute grave rendant impossible vote maintien dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.

En conséquence, la présente lettre constitue la notification de votre licenciement pour faute grave’».

Les pièces produites aux débats par M.[M] ne permettent pas de supposer que son licenciement trouve, en réalité, sa cause dans son engagement pour la défense des intérêts des salariés de l’entreprise face à la direction qui ne respectait pas leurs droits.

M.[M] dénie les propos irrespectueux qui lui sont reprochés. Les pièces produites aux débats par la SAS Garrassin Transports, notamment les témoignages de MM.[K] et [T], n’en rapportent pas la preuve. Il existe en conséquence sur ce point un doute qui devra profiter à M.[M].

En revanche, M.[M] ne conteste pas que, le 8 juin 2017, alors qu’il se trouvait avec sa semi-remorque chez un client, la société Cemex, se trouvait torse nu et que son pantalon était retroussé.

Le livret du conducteur, applicable au sein de la SAS Garrassin Transports, prévoit en son article II § C l’obligation pour le conducteur de vérifier avant de partir qu’il disposait de ses EPI (équipements de protection individuelle) dont les vêtements couvrants, que leur port est obligatoire et que le non-port des EPI sera sanctionné. Il précise en outre que l’entreprise fournit des t-shirts, pantalons, un blouson, une combinaison pour l’entretien et un vêtement de pluie.

Par ailleurs, le règlement intérieur de l’unité économique et sociale du groupe Garassin du 22 juillet 2002 édicte qu’il est obligatoire de mettre en ‘uvre toutes les mesures de sécurité et de protection individuelle (casque, chaussures de travail, tenue de travail) ou collectives existantes, de respecter scrupuleusement les instructions sur ce point et de respecter les consignes et textes en vigueur et à venir (port obligatoire de la ceinture de sécurité, du baudrier ou du gilet réfléchissant’) et que la violation de ces dispositions constitue une faute particulièrement grave.

En outre, à l’issue d’une note de service du 15 juillet 2014, la SAS Garrassin Transports a rappelé à l’ensemble de ses conducteurs l’obligation du port des EPI et pantalons longs pendant leur temps de service, quel que soit le lieu où il se trouvait.

D’autre part, il résulte d’un procès-verbal de la réunion du CHSCT de la SAS Garrassin Transports du 27 février 2015 que les salariés de la société bénéficiaient d’un pantalon au titre des EPI.

Enfin, le protocole de sécurité pour les opérations de chargement et de déchargement au sein de la société Cemex, chez laquelle les faits reprochés à M.[M] auraient eu lieu, prévoit le port de vêtements couvrants, bottes et gants étanches obligatoires pour manipuler le béton.

Il en résulte clairement que le port d’une tenue couvrante, notamment un pantalon, était obligatoire au sein de l’entreprise, que par l’inscription de cette obligation dans le règlement intérieur de l’entreprise et son rappel dans une note de service, antérieurs aux faits reprochés à M.[M], ce dernier en avait une parfaite connaissance, que les règles applicables chez le client Cemex imposaient en outre le port d’une tenue couvrante et que M.[M] disposait des EPI nécessaires.

Il ressort de l’article L.’1121-1 du code du travail que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Le port d’une tenue de travail imposée par l’employeur constitue de la part de ce dernier une restriction de la liberté de se vêtir de ses salariés. Il ressort des faits de la cause que cette contrainte est prévue par le règlement intérieur de l’entreprise ou ses notes de service, qu’elle relève de la mise en ‘uvre par l’employeur de l’obligation légale de sécurité qui lui incombe en application de l’article L.4121-1 du code du travail, que compte tenu de la nature abrasive des matériaux transportés, cette obligation s’avérait nécessaire pour garantir la sécurité physique des salariés de l’entreprise et que le port de vêtements couvrants était proportionné au but recherché. Dès lors, une telle obligation est conforme aux dispositions de l’article L.’1121-1 du code du travail.

Le certificat médical du médecin traitant de M.[M] du 26 mai 2017, exposant que ce dernier présente des phénomènes de transpiration majeure en période chaude nécessitant le port de vêtements allégés ne permet pas de se convaincre que cette sudation excessive chez M.[M] lui imposait de travailler torse nu ou le pantalon retroussé. M.[M] ne justifie pas qu’il a dû retirer son tee-shirt, taché de graisse, afin d’éviter de tacher le siège conducteur de son camion.

De même, les deux photographies produites aux débats par M.[M], sur lesquelles figurent deux salariés en «’corsaire’» et/ou débardeur à proximité d’un bâtiment, faute de tout autre élément permettant d’établir qu’à cette occasion ces salariés se trouvaient en situation de travail, ne permet pas de rapporter la preuve d’une tolérance de l’employeur concernant la tenue d’autres salariés.

Il en résulte que, sans motif légitime, M.[M] s’est soustrait à l’obligation du port des vêtements couvrants fournis par l’employeur.

Le 20 juillet 2016, M.[M] a été sanctionné d’une mise à pied disciplinaire pour avoir refusé d’obéir aux directives de son employeur relatives à l’obligation du port du pantalon. Le 19 septembre 2016, la SAS Garrassin Transports l’a convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire prévu pour le 28 septembre 2016. Le 27 octobre 2016, la SAS Garrassin Transports a informé M.[M] qu’elle prenait note de son engagement à respecter les consignes de sa direction et n’a pas donné suite à cette procédure disciplinaire.

Il en ressort que M.[M] avait déjà été sanctionné en juillet 2016 d’une mise à pied disciplinaire de trois jours en raison du refus de port de son pantalon, qu’il a de nouveau été convoqué en septembre 2016 dans le cadre d’une procédure disciplinaire à laquelle la SAS Garrassin Transports n’a pas donné suite en raison de l’engagement de M.[M] de suivre les consignes de sa direction et que, malgré cette sanction et son engagement, ce salarié a persisté dans son refus de porter les vêtements couvrants nécessaires à sa mission.

Il convient de relever que la SAS Garrassin Transports a pour activité, notamment, le transports de granulats (sable ou béton par exemple) et que ces équipements sont nécessaires à la protection de la sécurité de ses salariés et que les faits du 8 juin 2017 ont été commis chez un client dont les procédures imposaient spécifiquement le port d’une tenue couvrante. Ce refus réitéré chez M.[M], sans motif légitime, de porter les vêtements couvrants nécessaires à la protection de sa sécurité constitue de sa part une violation des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise et justifiait son licenciement pour faute grave.

Le jugement déféré, qui a requalifié le licenciement de M. [M] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et a condamné la SAS Garrassin Transports à payer à son ex-salarié diverses sommes au titre du préavis et des congés payés sur préavis, de l’indemnité de licenciement, de la mise à pied et des congés payés afférents ainsi que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sera infirmé.

Enfin M.[M], partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles, devra payer à la SAS Garrassin Transports la somme de 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS’;

LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement’;

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Toulon du 9 septembre 2019′;

STATUANT à nouveau’;

DIT que le licenciement de M.[M] repose sur une faute grave’;

DEBOUTE M.[M] de ses demandes’;

CONDAMNE M.[M] à payer à la SAS Garrassin Transports la somme de 1’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

CONDAMNE M.[M] aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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