Indemnité d’éviction : 28 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/07289

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Indemnité d’éviction : 28 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/07289

28 février 2024
Cour d’appel de Paris
RG
21/07289

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 28 FEVRIER 2024

(n° 2024/ , 17 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07289 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGSL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Mars 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 20/02080

APPELANT

Monsieur [D] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Xavier DUBOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P563

INTIMEE

E.P.I.C. REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS (RATP)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Alois DENOIX, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 16 janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par, Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La Régie autonome des transports parisiens (la RATP) a employé M. [D] [U], né en 1976, par bulletin d’engagement à compter du 12 juin 2000 en qualité d’agent stagiaire élève machiniste receveur avant d’être confirmé à l’issue du stage. En dernier lieu, M. [U] a exercé les fonctions de machiniste receveur, niveau BC5, échelon 14.

M. [U] était affecté en dernier lieu au centre bus de Bords de Marne, situé à [Localité 8] (93) et plus particulièrement à la ligne de bus n° 127, qui traverse les communes de [Localité 8], [Localité 8], [Localité 6] et [Localité 7].

M. [U] a été délégué syndical d’établissement ainsi que délégué du personnel entre 2010 et 2015, puis délégué du personnel de 2015 au 19 décembre 2018, date à laquelle son mandat a pris fin.

La RATP a pris la décision de proposer la candidature de M. [U] en décembre 2018 à l’échelon argent de la médaille d’honneur des chemins de fer en récompense de ses services.

A la fin de la période de protection, des difficultés sont survenues dans la relation de travail et le 25 septembre 2019, la RATP a établi une déclaration d’accident du travail concernant M. [U] sans arrêt de travail.

Par lettre notifiée le 1er octobre 2019, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 11 octobre 2019. Au cours de cet entretien, la RATP lui a remis des documents relatifs aux manquements qu’elle lui reprochait.

Le même jour, à l’issue de l’entretien, M. [U] a fait une rechute d’accident du travail pour troubles anxio-dépressifs et a été placé en arrêt de travail ; les arrêts de travail sont prolongés depuis cette date.

Le caractère professionnel de l’accident du travail initial (25 septembre 2019) a fait l’objet d’un contentieux et a été reconnu par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny par jugement du 9 mars 2021.

Par lettre notifiée le 15 octobre 2019, M. [U] a été convoqué devant le conseil de discipline à la date du 4 novembre 2019.

Par lettre du 15 novembre 2019, M. [U] a été révoqué pour faute grave pour le motif suivant :

« Suite à l’avis émis par le Conseil de discipline devant lequel vous avez comparu le 4 novembre 2019, je vous informe que j’ai décidé de prendre à votre encontre une mesure de révocation aux motifs disciplinaires suivants : non-respect de l’Instruction Professionnelle du Machiniste Receveur (IPMR) et non-respect du règlement intérieur du département BUS.

Un rapport d’enquête établit le 25 septembre 2019 par le pôle transport du centre bus des Bords de Marne démontre que vous avez exécuté de manière déloyale votre contrat de travail durant plusieurs mois.

En effet, ce rapport établit notamment que :

– Votre conduite est non-conforme au tableau de marche de la ligne 127 : elle en dégrade fortement le fonctionnement, désorganise le travail des régulateurs du CRIV, et altère les résultats économiques de la ligne. A ce titre, il a notamment été constaté que vous n’aviez pas respecté à de multiples reprises des consignes des régulateurs entre le 1er juin 2019

et le 17 septembre 2019, que vous effectuiez de sorties en retard depuis le centre bus, et que vous aviez généré une perte de 1399 kilomètres commerciaux sur cette même période.

– Vous avez généré indûment du temps supplémentaire à votre profit en usant de plusieurs moyens frauduleux, notamment : des temps de rentrée au centre bus incohérents et anormalement longs, du temps injustifié entre la fin de votre service et votre rentrée au centre bus, des délais anormalement longs entre votre rentrée au centre et le pointage à fin de service, et des retards anormaux et injustifiés sur ligne.

Ces agissements pénalisent le service au client en matière de régularité et de ponctualité sur ligne.

De tels agissements ne sont pas conformes aux engagements n° 1 et 3 de l’IPMR, d’une part, et aux dispositions du règlement intérieur BUS d’autre part.

L’ensemble de ces manquements à la réglementation d’entreprise et l’exécution déloyale de votre contrat de travail au moyen d’agissements frauduleux, constitue une faute grave, rendant impossible votre maintien au sein de l’entreprise »

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. [U] avait une ancienneté de 19 ans et 5 mois.

M. [U] a saisi le 10 mars 2020 le conseil de prud’hommes de Paris pour former les demandes suivantes :

« Salaire de référence : 3.024,61 € brut

A titre principal ‘ Nullité du licenciement :

– Réintégration

– Indemnité d’éviction : 13.308,28 nets / À PARFAIRE

– Dommages et intérêts pour discrimination syndicale : 10.000 € nets

OU À DÉFAUT de réintégration :

– Indemnité compensatrice de préavis : 6.049,22 € bruts

– Congés payés y afférents : 604,92 € bruts

– Indemnité légale de licenciement : 17.220,10 € nets

– Rappel de primes : CPI BUS Conduite et CPI BUS Accidentologie : 620 € bruts

– Dommages et intérêts pour licenciement nul : 72.590,64 € nets

– Dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire : 9.073,83 € nets

– Remise des documents sociaux conformes (bulletins de salaire, certificat de travail, attestation Pôle Emploi) : Astreinte de 100 € par jour de retard et par document

A titre subsidiaire ‘ Licenciement sans cause réelle et sérieuse :

– Indemnité compensatrice de préavis : 6.049,22 € bruts

– Congés payés y afférents : 604,92 € bruts

– Indemnité légale de licenciement : 17.220,10 € nets

– Rappel de primes : CPI BUS Conduite et CPI BUS Accidentologie : 620 € bruts

– Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 72.590,64 € nets

– Dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire : 9.073,83 € nets

– Remise des documents sociaux conformes (bulletins de salaire, certificat de travail, attestation Pôle Emploi) : Astreinte de 100 € par jour de retard et par document

En tout état de cause :

– Dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat : 9.073,83 € nets

– Dommages et intérêts pour non-bénéfice de la médaille d’honneur des Chemins de fer : 200 € nets

– Article 700 du Code de procédure civile : 3.000 € nets

– Affichage du jugement à intervenir dans l’ensemble des établissements et locaux de la RATP pendant une période ininterrompue d’un mois à compter de la notification du jugement : Astreinte de 500 € par jour de retard

– Publication aux frais de la RATP du jugement à intervenir dans les journaux « Le Parisien », « Aujourd’hui en France », « 20 minutes » et « CNEWS » : pour un montant maximum de 1.000 € par publication

– Exécution provisoire (article 515 du Code de procédure civile)

Intérêts au taux légal avec anatocisme (article 1343-2 du Code civil) à compter de la saisine du CPH

– Dépens. »

Par jugement du 24 mars 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé des moyens, le conseil de prud’hommes a rendu la décision suivante :

« CONDAMNE la RATP à verser à Monsieur [D] [U] :

– 6 049,22 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.

– 604,92 euros au titre des congés payés afférents.

– 17 220,10 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.

– 40 837,50 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 1 000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

ORDONNE la RATP de remettre à Monsieur [D] [U] l’ensemble des documents sociaux.

RAPPELLE l’exécution provisoire de droit en application des articles R. 1454-28 et R. 1454-14 du Code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire, calculée sur la moyenne des trois derniers mois, établie en l’espèce à la somme de 3 024,61 euros.

ORDONNE à la RATP, en application de l’article L. 1235-4 du Code du travail, le remboursement à Pôle Emploi des indemnités chômage perçues par Monsieur [D] [U] à hauteur de 1 500,00 euros.

DEBOUTE Monsieur [D] [U] du surplus de ses demandes.

DEBOUTE la RATP de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

CONDAMNE la RATP aux entiers dépens. »

M. [U] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 17 août 2021.

La constitution d’intimée de La RATP a été transmise par voie électronique le 15 septembre 2021.

L’ordonnance de clôture a été rendue à la date du 19 décembre 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 16 janvier 2024.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 18 décembre 2023, M. [U] demande à la cour de :

« À TITRE PRINCIPAL :

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de PARIS le 24 mars 2021 en ce qu’il a :

– débouté Monsieur [D] [U] de sa demande de voir juger nulle sa révocation pour faute grave notifiée le 15 novembre 2019, et de l’ensemble des demandes y attachées, à quelque titre que ce soit,

– débouté Monsieur [D] [U] de sa demande à titre de rappel des primes CPI

BUS Conduite et CPI BUS Accidentologie,

Statuant à nouveau :

JUGER nulle la révocation pour faute grave notifiée à Monsieur [D] [U] le 15 novembre 2019,

En conséquence :

ORDONNER la réintégration de Monsieur [D] [U] au sein des effectifs de la RATP,

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] les sommes de :

– 162.625,57 € bruts à titre d’indemnité d’éviction,

– 16.262,56 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur indemnité d’éviction,

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] la somme de 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] la somme de 9.073,83 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct en raison des conditions brutales et vexatoires dans lesquelles est intervenue la révocation pour faute grave,

À défaut de réintégration :

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] les sommes suivantes :

– 6.049,22 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 604,92 € bruts au titre des congés payés y afférents,

– 17.220,10 € nets à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 353,35 € bruts à titre de rappel des primes CPI BUS Conduite et CPI BUS Accidentologie,

– 72.590,64 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 9.073,83 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct en raison des conditions brutales et vexatoires dans lesquelles est intervenue la révocation pour faute grave,

– 10.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

– 112.002,53 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct en raison du non-bénéfice de la bonification de services dans la cadre de la pension de retraite,

CONDAMNER la RATP à remettre à Monsieur [D] [U] l’ensemble des documents sociaux suivants, rectifiés conformes aux dispositions de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document, à compter de la notification de cet arrêt :

– bulletin de salaire,

– certificat de travail,

– attestation Pôle Emploi,

À TITRE SUBSIDIAIRE :

CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de PARIS le 24 mars 2021 en ce qu’il a :

– jugé la révocation pour faute grave de Monsieur [D] [U] dénuée de cause réelle et sérieuse,

– condamné la RATP à verser à Monsieur [D] [U] les sommes suivantes :

o 6.049,22 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

o 604,92 € au titre des congés payés afférents,

o 17.220,10 € au titre de l’indemnité légale de licenciement,

o 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

et l’INFIRMER en ce qu’il a :

– limité le montant de la condamnation prononcée à l’encontre de la RATP à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 40.837,50 € nets,

– débouté Monsieur [D] [U] du surplus de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau :

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] les sommes suivantes :

– 353,35 € bruts à titre de rappel des primes CPI BUS Conduite et CPI BUS Accidentologie,

– 72.590,64 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et

sérieuse,

– 9.073,83 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct en raison des conditions brutales et vexatoires dans lesquelles est intervenue la révocation pour faute grave,

– 112.002,53 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct en raison du non-bénéfice de la bonification de services dans la cadre de la pension de retraite,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

DÉCLARER irrecevable la demande présentée par la RATP à l’encontre de Monsieur [D] [U] pour la première fois dans ses conclusions n°4 signifiées le 7 décembre 2023, relativement au remboursement du « salaire perçu au titre des temps supplémentaires générés de manière frauduleuse » pour un montant de 1.046,40 €,

DÉBOUTER la RATP de sa demande présentée au titre du remboursement du « salaire perçu au titre des temps supplémentaires générés de manière frauduleuse »,

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de PARIS le 24 mars 2021 en ce qu’il a débouté Monsieur [D] [U] du surplus de ses demandes,

Statuant à nouveau :

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] la somme de 9.073,83 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du manquement flagrant de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] la somme de 511,97 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer,

CONDAMNER la RATP à verser à Monsieur [D] [U] la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

ASSORTIR les condamnations prononcées des intérêts au taux légal avec anatocisme (article 1343-2 du Code civil), à compter de la saisine de la juridiction, soit le 10 mars 2020,

ORDONNER à la RATP de procéder à :

– l’affichage de l’arrêt à intervenir dans l’ensemble des établissements et locaux de la RATP pendant une période ininterrompue d’un mois à compter de la notification de l’arrêt, sous astreinte de 500 € par jour de retard,

– et à la publication de l’arrêt à intervenir, aux frais de la RATP, dans les journaux

« Le Parisien », « Aujourd’hui en France », « 20 minutes » et « CNEWS », pour un montant maximum de 1.000 € par publication,

CONDAMNER la RATP aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 18 décembre 2023, La RATP demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement du Conseil de Prud’hommes du 24 mars 2021, en ce qu’il a :

– condamné la RATP à verser à Monsieur [U] :

o 40.837,50 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

o 17.220 € au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

o 6.049,22 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

o 604,92 € de congés payés afférents ;

o 1.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– ordonné à la RATP de remettre à Monsieur [U] l’ensemble des documents sociaux

– rappelé l’exécution provisoire de droit en application des articles R. 1454-28 et R.1454-14 du Code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire, calculée sur la moyenne des trois derniers mois, établie en l’espèce à la somme de 3.024,61 € ;

– ordonné à la RATP, en application de l’article L. 1235-4 du Code du travail, le remboursement à Pôle Emploi des indemnités chômage perçues par Monsieur [U] à hauteur de 1.500 € ;

– débouté la RATP de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamné la RATP aux dépens.

Et, statuant à nouveau, de

– DEBOUTER M. [U] de l’intégralité de ses demandes ;

– Le CONDAMNER à rembourser à la RATP les sommes versées en exécution du jugement du Conseil de Prud’hommes ;

– Le CONDAMNER à rembourser à la RATP le salaire perçu au titre des temps supplémentaires générés de manière frauduleuse d’un montant de 1.046,40 € ;

– Le CONDAMNER à verser à la RATP une somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Le CONDAMNER aux entiers dépens.

CONFIRMER le Jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [U] du surplus de ses demandes. »

Lors de l’audience, le président rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s’en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l’affaire a alors été mise en délibéré à la date du 28 février 2024 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC).

MOTIFS

Sur le licenciement

M. [U] soutient à titre principal que son licenciement est nul en raison de ce qu’il est discriminatoire et en raison des règles protectrices applicables aux salariés victimes d’un accident du travail pour les motifs suivants :

– il conteste les faits qui lui sont reprochés : les prétendus agissements gravement fautifs dont la RATP se prévaut résultent en réalité de problématiques récurrentes qui impactent durablement la ligne 127 et l’ensemble des agents travaillant sur celle-ci (pièce salarié n° 18) ; non seulement les éléments de preuve produits par la RATP sont tronqués et partiaux et ne constituent que des extractions « sélectionnées » de documents sources qui ne sont pas communiqués, mais en outre la RATP se garde bien de communiquer les éléments de comparaison pertinents en choisissant les extraits « à charge » et en se dispensant de produire les tableaux de comparaison utiles ou les sources complètes ; il conteste point par point tous les griefs retenus dans le rapport d’enquête du 25 septembre 2019 (pièce salarié n° 10) ; il produit de nombreuses attestations de salariés de la RATP travaillant sur la ligne 127 qui contredisent les griefs et confirment au contraire les contestations qu’il y oppose ;

– sa révocation avait pour origine la volonté de la RATP de lui faire payer son engagement syndical passé, une fois son mandat terminé ; sa révocation est d’ailleurs intervenue juste après la fin de la période de protection ; la RATP était par ailleurs informée, depuis le 30 septembre 2019, de ce qu’il était désormais accrédité par la CGT RATP sur le Département BUS, (pièces salarié n° 21, 105) ;

– il était en arrêt de travail pour accident du travail quand il a été révoqué et faute de faute grave, sa révocation est nulle s’il n’est pas retenu qu’elle est discriminatoire.

En réplique, la RATP soutient que :

– l’Instruction Professionnelle du Machiniste-Receveur définit, conformément au pouvoir de direction de l’employeur, les obligations professionnelles qui s’imposent à tout machiniste-receveur au sein de la RATP ; l’obligation de ponctualité en fait partie ; les conducteurs de bus doivent donc respecter les horaires de passage des bus à chaque arrêt (pièce employeur n° 19) ; ils doivent aussi respecter les horaires prévus de prise (ou reprise) de service, de départs commandés aux terminus et aux points de relève (pièce employeur n° 20) ;

– M. [U] a enregistré un nombre anormalement élevé et récurrent de retards, aussi bien lors de ses passages aux arrêts de bus que lors de ses retours au centre bus et même dans le cadre de son pointage en fin de service (pièce employeur n° 3) ;

– ces faits sont étayés et établis par le rapport d’enquête interne du 25 septembre 2019 (pièce employeur n° 2) ;

– La preuve de ces faits est encore apportée par les tableaux réalisés sur la base des données enregistrées par les logiciels de gestion du temps de travail des salariés (pièces employeur n° 3, 27 à 38) ;

– les rapports des régulateurs datés, précis, circonstanciés, rédigés sur le moment, caractérisent la volonté de M. [U] de rouler délibérément lentement et/ou d’utiliser tous les prétextes possibles pour accumuler des retards dans l’objectif de générer des temps supplémentaires, dont il pouvait ensuite obtenir le paiement (pièce employeur n° 23) ;

– ainsi les temps de parcours de M. [U] ont systématiquement été supérieurs à ceux de l’ensemble des autres machinistes receveurs qui le précédaient et qui le succédaient sur la ligne de bus 127 (pièces employeur n° 3-1 et 23) ;

– les temps de rentrée du bus de M. [U] du terminus de la ligne 127 jusqu’au centre bus de Bords de Marne ont systématiquement été supérieurs à ceux des machinistes receveurs qui l’ont précédé et succédé quotidiennement sur la période de juin à septembre 2019 (pièces employeur n° 3-2, 27 à 30 et 62) ;

– le temps écoulé entre l’arrivée du bus de M. [U] au centre bus (lieu auquel tous les bus doivent être remis en fin de service) et le moment auquel ce dernier a pointé, ce pointage marquant l’heure de fin de son service, était manifestement disproportionné par rapport aux 8 minutes allouées pour pointer après le remisage de leur bus (pièces employeur n° n° 3-3, 3-4 et 62) ;

– comme le rapport d’enquête le justifie, l’ensemble de ces retards est exclusivement dû à la volonté de M. [U] d’enregistrer du temps supplémentaire, et lui a permis de percevoir sur 3 mois, une somme totale de 1 046,40 € au titre de ses temps supplémentaires (pièce employeur n° 2) ;

– les tableaux produits sont fiables et sont issus des bases de données utiles (pièce employeur n° 53 ‘ attestations de M. [W]) : les données de la pièce RATP n° 3-3 sont des données GMAO, alors que les données des pièces RATP n° 35 à 38 sont des données SIEL ;

– ces tableaux récapitulent le volume de temps supplémentaire à la fin de la période observée pour tous les agents ayant réalisé des vacations sur la ligne 127 et mettent en lumière que M. [U] enregistre toujours beaucoup plus de temps supplémentaires que tous ses autres collègues machinistes receveurs de la ligne 127, y compris ceux qui le suivaient et ceux qui le précédaient, qui subissaient pourtant très exactement les mêmes contraintes que lui dans le cadre de leur service (pièces employeur n° 27 à 30) ;

– comment expliquer ces écarts systématiques et très importants, autrement que par la volonté de M. [U] d’accumuler volontairement ces retards et les temps supplémentaires en résultant, lui permettant, in fine, de percevoir un complément de rémunération indue ;

– ces man’uvres, manifestement frauduleuses et inadmissibles, sont d’autant plus graves

qu’elles avaient pour effet de désorganiser la ligne de bus et de priver les voyageurs d’un service public de transport en commun efficient.

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date des faits, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, M. [U] soutient que sa révocation est discriminatoire du fait qu’elle avait pour origine la volonté de la RATP de lui faire payer son engagement syndical passé, une fois son mandat terminé ; sa révocation est d’ailleurs intervenue juste après la fin de la période de protection ; la RATP était par ailleurs informée, depuis le 30 septembre 2019, de ce qu’il était désormais accrédité par la CGT RATP sur le Département BUS, (pièces salarié n° 21, 105).

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [U] présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe en raison de ses activités syndicales.

En réplique, la RATP conteste la discrimination du fait que le mandat de M. [U] avait cessé, que M. [U] n’a été désigné représentant accrédité d’une organisation syndicale que le 30 septembre 2019, soit après l’engagement de la procédure le 25 septembre 2019, dans l’objectif manifeste de faire obstacle à cette procédure et que les faits pour lesquels il a été révoqué justifiaient cette mesure.

La cour doit préalablement à l’examen du moyen tiré de la discrimination examiner si la révocation est justifiée par une faute grave.

Il est de jurisprudence constante que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. C’est à l’employeur qu’incombe la charge de rapporter la preuve de la faute grave, étant ajouté que la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

Il ressort de la lettre de licenciement que M. [U] a été révoqué pour faute grave pour manquements à la réglementation d’entreprise et exécution déloyale du contrat de travail au moyen d’agissements frauduleux ; il lui est d’une part reproché que sa conduite est non conforme au tableau de marche de la ligne 127 : il n’a pas respecté à de multiples reprises des consignes des régulateurs entre le 1er juin 2019 et le 17 septembre 2019, effectué des sorties en retard depuis le centre bus, et avait généré une perte de 1 399 kilomètres commerciaux sur cette même période ; il lui est d’autre part reproché d’avoir généré indûment du temps supplémentaire à son profit avec des temps de rentrée au centre bus anormalement longs, du temps injustifié entre la fin de son service et le retour au centre bus, des délais anormalement longs entre sa rentrée au centre et le pointage à fin de service, et des retards anormaux et injustifiés sur ligne.

Le rapport d’enquête interne (pièce employeur n° 2) fait ressortir que pour la période du 1er juin au 17 septembre 2019 inclus :

– la réalité des pertes kilométriques est établie à hauteur de 1 399 kilomètres commerciaux (courses non effectuées) ;

– sur les 527 courses que M. [U] a réalisées, il a effectué 195 départs en retard avec plus de deux minutes, soit 37 % mais aussi 8 départs en avance de plus d’une minute ;

– M. [U] a accumulé un temps supplémentaire de 2777 minutes sur la période concernée (46 heures ¿ en 3 mois et demi soit 13 heures ¿ par mois) qui représente 29 % du temps supplémentaire de la ligne 127 sur la période et 41 % du temps supplémentaire de la ligne 127 aux horaires qu’il a réalisés ;

– ces temps supplémentaires sont notamment dus au temps de retour au dépôt pour lequel il prend 8 à 45 minutes, là où ses collègues mettent entre 3 et 10 minutes pour le retour depuis la place de la Résistance ; pour ses retours au dépôt depuis la station Aristide Briand, Louis Armand, il met entre 5 et 18 minutes là où ses collègues mettent entre 2 minutes et 5 minutes et pour rentrer au dépôt depuis la station Foch de Gaulle, il met entre 5 minutes et 28 minutes là où ses collègues mettent entre 1 et 3 minutes selon les enregistrements numériques ;

– ces temps supplémentaires sont aussi dus au délai de pointage en fin de service : le temps supplémentaire est de 8h45 sur la période écoulée (soit 2 heures ¿ par mois) ;

– il effectue par ailleurs les missions grandes lignes, dans un temps supérieur à celui de ses encadrants, les dépassant de 3 à 21 minutes

– sur la période considérée soit pendant trois mois et demi, M. [U] a perçu 1 046,40 € (soit 298 € par mois) pour ces temps supplémentaires.

Cependant il résulte de l’examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la RATP n’établit pas l’exécution déloyale du contrat de travail reprochée à M. [U] au motif que les temps ainsi relevés ne suffisent pas à démontrer d’une part qu’ils sont imputables à des manquements de la part de M. [U] à la réglementation de la RATP, à savoir l’instruction professionnelle de machiniste-receveur (pièce employeur n° 19) et à la charte Bus de la RATP (pièce employeur n° 12) et ne suffisent pas à démontrer d’autre part la volonté de M. [U] d’accumuler volontairement ces retards et les temps supplémentaires en résultant, lui permettant, in fine, de percevoir un complément de rémunération indue comme le soutient la RATP par simple déduction.

En effet, M. [U] qui ne conteste pas la matérialité des temps relevés, conteste que les temps qui lui sont reprochés résultent de manquements et apporte des éléments de preuve et de nombreuses attestations de salariés de la RATP qui contredisent les griefs en ce que des contraintes externes et des facteurs étrangers au conducteur sont à l’origine des temps supplémentaires qui lui sont reprochés ; M. [U] justifie ainsi notamment que d’importants travaux ont été effectués sur le parcours de la ligne 127 entre le 13 mai 2019 et le 31 juillet 2019, tel que cela résulte de la note d’exploitation du 29 avril 2019 (pièce salarié n° 55) qui n’ont pas été pris en considération dans le tableau de marche de la ligne 127 (pièce salarié n° 56), ou que des travaux ont été effectués sur l’avenue [Adresse 5] à [Localité 7] qui ont encore affecté la ligne 127 du 9 au 20 septembre 2019 (pièce salarié n° 59) et que la RATP ne prend pas non plus en considération les « battements » (pauses) prévues par la note canicule ‘ forte chaleur du 24 juin 2019 (pièce salarié n° 62) et la note mesures exceptionnelles du 25 juillet 2019 (pièce salarié n° 63) ; il produit aussi des attestations de conducteurs de bus affectés aussi sur la ligne 127 (pièces salarié n° 41, 43, 90,141 à 150) dont il ressort que les conditions de circulation affectent sensiblement les durées des courses, que les retours au dépôt ne se font normalement pas sur les voies de bus et se font au contraire dans les flux de circulation, ce qui accroît les durées de retour pour les conducteurs qui respectent cette règle que veut ignorer la RATP, et que le temps conventionnel de 8 minutes entre le retour au dépôt et la fin de service n’est pas suffisant et est toujours dépassé ; les comportements prêtés à M. [U] sont aussi contredits par les attestations de deux régulateurs de la ligne 127 (pièces salarié n° 38 et 39).

Outre que ces éléments de preuve produits par M. [U] contredisent le caractère fautif que la RATP retient des données extraites de ses logiciels de gestion, la cour retient aussi que la RATP impute à M. [U] une fraude et qu’elle n’en rapporte pas la preuve alors que la charge lui en incombe ; en effet la RATP se borne à soutenir que les écarts qu’elle a relevés à l’encontre de M. [U] ne peuvent pas s’expliquer autrement que par la volonté de M. [U] d’accumuler volontairement des retards et des temps supplémentaires pour pouvoir percevoir un complément de rémunération indue ; il appartenait à la RATP d’établir notamment par le biais d’enquêtes sur le terrain le cas échéant que M. [U] procédait aux fraudes qu’elle lui impute à savoir créer de façon indue des temps supplémentaires pour augmenter ses revenus ; en se contentant d’une enquête par extraction des données numérisées, sans procéder à des enquêtes de terrain comme celle du 6 janvier 2009 par exemple (pièce employeur n° 58) la RATP ne s’est pas placée en position de pouvoir prouver la réalité des griefs et de pouvoir contredire le cas échéant les éléments de preuve produits par M. [U] : elle ne s’est placée qu’en position de donner des chiffres qu’elle a extraits de ses logiciels et de les interpréter.

La faute grave fait donc défaut.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la RATP ne démontre pas que la révocation de M. [U] est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La discrimination est donc établie.

En application de l’article L.1132-4 du code du travail, la révocation de M. [U] est nulle.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a jugé que la révocation de M. [U] est sans cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que la révocation de M. [U] est nulle.

Sur la réintégration

Conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail M. [U] est bien fondé à solliciter sa réintégration immédiate au sein des effectifs de la RATP dans ses fonctions de machiniste receveur.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a condamné la RATP à verser à M. [U] les sommes de 6 049,22 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 604,92 € au titre des congés payés afférents, 17 220,10 € au titre de l’indemnité légale de licenciement et 40 837,50 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a ordonné à la RATP de remettre à M. [U] l’ensemble des documents sociaux, et statuant à nouveau de ce chef, la cour ordonne la réintégration de M. [U] dans les effectifs de la RATP.

Sur l’indemnité d’éviction

M. [U] demande par infirmation du jugement les sommes de 162 625,57 € à titre d’indemnité d’éviction pour la période du 16 novembre 2019 au 31 mars 2024 et de 16 262,56 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur indemnité d’éviction ; il produit aux débats un tableau de calcul de cette indemnité d’éviction, accompagné des justificatifs relatifs aux évolutions de carrière de l’agent et salariales au sein de la RATP. [pièce salarié n°132 : Tableau de calcul de l’indemnité d’évolution et justificatifs relatifs aux évolutions de carrière de l’agent et salariales au sein de la RATP ; pièce salarié n°133 : Synthèse des règles d’avancement (1er avril 2020) ; pièce salarié n°134 : Grille de salaire au 1er janvier 2019 ; pièce salarié n°135 : Barème de rémunération des opérateurs (7 janvier 2022) ; pièce salarié n°136 : Barème de rémunération des opérateurs (26 juillet 2022) pièce salarié n°137 : Barème de rémunération des opérateurs (7 février 2023)] ; il soutient que le tableau produit aux débats par la RATP (Pièce RATP n°52) est erroné dans la mesure où l’employeur ne tient pas compte de l’évolution de carrière dont il aurait dû bénéficier depuis sa révocation : or, ne pas en tenir compte ne permettrait pas de réparer la totalité du préjudice subi, en violation de la jurisprudence susvisée. ; par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la RATP, il est en droit de bénéficier de jours de congés payés pour la période d’éviction pendant laquelle il n’a pas travaillé (Soc. 1er mars 2023, n° 21-16.008).

En réplique, la RATP soutient que :

– l’indemnité d’éviction doit être calculée sur la base des salaires dont le salarié a été effectivement privé durant la période d’éviction, mais non sur la base d’un salaire de référence, calculé de surcroît sur la période la plus favorable ;

– cette indemnité ne doit pas intégrer d’indemnité compensatrice de congés payés (Cass. Soc. 1er mars 2023, n° 21-16.008) ;

– cette indemnité ne peut intégrer les primes de sujétion, dont les conditions de versement impliquent d’avoir subi la pénibilité y donnant droit, comme les primes CPI (Cass. Soc. 12 juillet 2006, n° 05-40980 ; Cass. Soc. 25 avril 2007, n° 05-44244) ;

– le montant total des salaires que M. [U] aurait perçu s’il n’avait pas été révoqué, pendant la période qu’il vise (novembre 2019 – février 2024), aurait été de 156 378,05 € bruts (pièce RATP n° 52).

Le salarié réintégré a droit au versement d’une indemnité d’éviction correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. Il peut aussi prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L.3141-3 et L.3141-9 du code du travail, sauf lorsqu’il a occupé un autre emploi durant cette période.

La cour constate que les parties s’accordent sur les éléments de salaires à prendre en considération et que seuls la période de calcul de l’indemnité d’éviction, les congés payés et la prise en considération de l’évolution de carrière sont litigieux.

Il est constant que M. [U] n’a pas occupé un autre emploi depuis sa révocation.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [U] est bien fondé dans sa demande formée au titre de l’indemnité d’éviction pour la période comprise du 16 novembre 2019 au 29 février 2024 à hauteur de la somme de 159 526,43 € et de celle de 15 952,64 € au titre des congés payés afférents au motif que la période utile est celle du 16 novembre 2019 au 29 février 2024, que les congés payés sont dus et que l’évolution de carrière retenue par M. [U] est justifiée.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande formée au titre de l’indemnité d’éviction et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la RATP à verser à M. [U] les sommes de :

– 159 526,43 € à titre d’indemnité d’éviction pour la période du 16 novembre 2019 au 29 février 2024

– 15 952,64 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur indemnité d’éviction.

Sur l’application de l’article L.1235-4 du code du travail

Le licenciement de M. [U] ayant été annulé, il y a lieu à l’application de l’article L.1235-4 du code du travail ; en conséquence la cour ordonne le remboursement par la RATP aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [U], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur les dommages et intérêts pour discrimination

M. [U] demande par infirmation du jugement la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination ; la RATP s’oppose à cette demande.

Il résulte de l’examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus, compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, et des conséquences dommageables qu’elle a eu pour M. [U] telles qu’elles ressortent des pièces, que l’indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 3 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la RATP à payer à M. [U] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice distinct

M. [U] demande par infirmation du jugement la somme de 9 073,83 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct en raison des conditions brutales et vexatoires dans lesquelles est intervenue la révocation pour faute grave ; il soutient que :

– il a été évincé du jour au lendemain par la RATP (en l’espace d’un mois seulement), après plus de 19 années de collaboration fructueuse au sein de l’entreprise, uniquement en raison de son activité syndicale et de ses mandats passés et à venir, et alors qu’il avait pendant ces très nombreuses années toujours donné une entière satisfaction à son employeur, sans jamais faire l’objet d’aucune sanction, ni rappel à l’ordre, ni reproche ;

– lors de l’entretien préalable du 11 octobre 2019, il s’est retrouvé totalement démuni et devant le fait accompli, noyé de données et chiffres, dans l’incapacité la plus absolue de répondre à son employeur ;

– à la suite de cet entretien préalable ayant duré 6 heures sans interruption, il a fait une tentative de suicide sur le lieu de travail (pièce salarié n° 111) et le médecin a constaté une rechute d’accident du travail et l’a placé en arrêt de travail ;

– la manière d’agir de la RATP est inacceptable, particulièrement blâmable et vexatoire, et a lourdement affecté son état de santé.

En défense, la RATP s’oppose à cette demande et soutient que M. [U] ne justifie d’aucun fait de nature à établir le prétendu caractère brutal et vexatoire de sa révocation, que son ancienneté n’excuse pas les faits fautifs graves dont il s’est rendu coupable et qui justifiaient sa révocation même sans sanction disciplinaire préalable et que le rapport d’enquête lui a été remis en amont de l’entretien préalable.

Il est de jurisprudence constante que le salarié justifiant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture de son contrat de travail, d’un préjudice distinct du licenciement lui-même, peut obtenir des dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [U] est bien fondé dans le principe de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct au motif qu’il prouve que la procédure disciplinaire est intervenue dans des conditions vexatoires du fait qu’il était accusé de fraude sur les temps supplémentaires pour augmenter indûment ses revenus et que le dossier disciplinaire a été monté exclusivement à partir d’extractions numériques sans la moindre vérification ou enquête sur le terrain ; en outre, il prouve que la procédure disciplinaire a été mise en ‘uvre dans des conditions brutales comme cela ressort de la durée excessive de l’entretien préalable du 11 octobre 2019 qui a duré plusieurs heures et a nécessité de « nombreuses pauses » (sic) comme en atteste M. [F], (pièce employeur n° 50), et a été à ce point éprouvant que M. [U] a fait une tentative de suicide sur le lieu de travail dans la salle de réunion vers 22 heures ; la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice distinct ainsi subi par M. [U] doit être évaluée à la somme de 5 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la RATP à payer à M. [U] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct.

Sur les dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité

M. [U] demande par infirmation du jugement la somme de 9 073,83 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du manquement flagrant de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat ; il fait valoir que :

– la RATP n’a pas respecté à de très nombreuses reprises, pendant trois années, la restriction médicale imposée le 20 février 2017 par la médecine du travail dans les termes suivants « Apte avec aménagement de poste ‘ conduite en demi service, horaires d’après-midi (fin 20h), ligne 127, équipe de centre » (pièce salarié n°22 : fiche d’aptitude du 20 février 2017 ; pièce salarié n°50 : fiche d’aptitude du 7 juin 2017 ; pièce salarié n°51 : fiche d’aptitude du 27 juillet 2017 et pièce salarié n°52 : fiche d’aptitude du 12 juin 2019)

– cette restriction a ainsi été violée 22 fois au cours de l’année 2017, 27 fois au cours de l’année 2018, et 9 fois au cours de l’année 2019 (pièce salarié n°53 : décompte des violations)

– un tel manquement lui a nui et a contribué à dégrader son état de santé.

En réplique, la RATP s’oppose à cette demande sans faire valoir de moyens.

L’employeur doit, dans le cadre de son pouvoir de direction, assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés et il est, par suite, dans l’obligation de prendre en considération les préconisations du médecin du travail sous réserve du recours qu’il peut former auprès du conseil de prud’hommes dans un délai de 15 jours à compter de la notification des préconisations.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [U] est bien fondé dans sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité au motif qu’aucun élément produit ne permet de retenir que la RATP a respecté les restrictions imposées le 20 février 2017 par la médecine du travail dans les termes suivants « Apte avec aménagement de poste ‘ conduite en demi service, horaires d’après-midi (fin 20h), ligne 127, équipe de centre » qui ont été renouvelées le 7 juin 2017, le 27 juillet 2017 et le 12 juin 2019 ; la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi par M. [U] du chef de la violation de l’obligation de sécurité doit être évaluée à la somme de 3 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la RATP à payer à M. [U] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

Sur les dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer

M. [U] demande par infirmation du jugement la somme de 511,97 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer ; il soutient qu’il a été privé du bénéfice de l’échelon argent de la médaille d’honneur des Chemins de fer auquel la RATP l’avait pourtant proposé en décembre 2018 (pièce salarié n° 5), et se trouve désormais également privé de la gratification de 200 € à laquelle son employeur s’était notamment engagé afin d’abonder cette distinction, ainsi que du crédit de jours de congés (deux jours TC ‘ temps compensateur ‘ « pour l’occasion » puis deux jours de CA ‘ congés annuels ‘ supplémentaire les années suivantes).

En réplique, la RATP s’oppose à cette demande et fait valoir que la révocation pour faute grave de M. [U] étant parfaitement justifiée, ce dernier n’est pas fondé à réclamer une quelconque gratification liée au non-bénéfice de la médaille d’honneurs des Chemins de fer.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. [U] est bien fondé dans sa demande de dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer au motif que la RATP a pris la décision de proposer la candidature de M. [U] en décembre 2018 à l’échelon argent de la médaille d’honneur des chemins de fer en récompense de ses services (pièce salarié n° 5) et que cette proposition n’a pas prospéré du fait de sa révocation.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la RATP à payer à M. [U] la somme non utilement contestée de 511,97 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer.

Sur les demandes d’affichage et de publication de la décision à intervenir

A l’examen des moyens débattus, la cour retient que M. [U] est mal fondé dans ses demandes d’affichage et de publication de la décision à intervenir au motif qu’aucun élément produit ne permet de retenir que ces mesures de publicité sont justifiées.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes d’affichage et de publication de la décision à intervenir

Sur la demande reconventionnelle

En vertu de l’article 910-4 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

La demande reconventionnelle de remboursement du salaire perçu au titre des temps supplémentaires générés de manière frauduleuse d’un montant de 1 046,40 € est donc irrecevable comme le soutient à juste titre M. [U] au motif que cette demande a été formulée sans que cela ne soit contesté par la RATP pour la première fois dans ses conclusions n°4 signifiées le 7 décembre 2023.

Sur les autres demandes

Les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Les autres sommes octroyées qui constituent des créances salariales, seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la RATP de la convocation devant le bureau de conciliation.

La cour condamne la RATP aux dépens de la procédure d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner la RATP à payer à M. [U] la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

L’ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l’arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit que la RATP est irrecevable dans sa demande reconventionnelle de remboursement du salaire perçu au titre des temps supplémentaires générés de manière frauduleuse d’un montant de 1.046,40 €.

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes d’affichage et de publication de la décision à intervenir et en ce qu’il a condamné la RATP à payer les dépens et à M. [U] la somme de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau et ajoutant,

Dit que la révocation de M. [U] est nulle.

Ordonne la réintégration de M. [U] dans les effectifs de la RATP.

Condamne la RATP à verser à M. [U] les sommes de :

– 159 526,43 € à titre d’indemnité d’éviction pour la période du 16 novembre 2019 au 29 février 2024,

– 15 952,64 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur indemnité d’éviction,

– 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

– 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,

– 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– 511,97 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du non-bénéfice de la gratification liée à la médaille d’honneur des Chemins de fer.

Ordonne le remboursement par la RATP aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. [U], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Dit que les dommages et intérêts alloués à M. [U], sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Dit que les créances salariales allouées à M. [U], sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la RATP de la convocation devant le bureau de conciliation.

Condamne la RATP à verser à M. [U] une somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne la RATP aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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