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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 29 JANVIER 2020
(n° 3/2020, 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/17323 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6A2Q
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Juin 2018 -Tribunal de grande instance de Paris – RG n° 18/04229
APPELANTS
Monsieur [M] [C]
[Adresse 11]
[Localité 10]
né le [Date naissance 7] 1960
Représenté et assisté de Maître Christophe BIGOT de l’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
Monsieur [L] [F]
[Adresse 5]
[Localité 9]
né le [Date naissance 6] 1948 à [Localité 15]
Représenté et assisté de Maître Christophe BIGOT de l’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
Monsieur [X] [J], président de la société ECRITURE COMMUNICATION pris ès qualités de directeur de la publication
[Adresse 8]
[Localité 12]
né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 13]
Représenté et assisté de Maître Christophe BIGOT de l’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
SAS ECRITURE COMMUNICATION représentée par son président
[Adresse 8]
[Localité 12]
N° SIRET : B 3 82 204 089
Représentée et assistée de Maître Christophe BIGOT de l’AARPI BAUER BIGOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat postulant et plaidant
INTIME
Monsieur [E] [O]
[Adresse 4]
[Localité 3] – BELGIQUE
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 14] (ALGERIE)
Représenté par Maître Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
Assisté de Maître Christian CHARRIERE-BOURNAZEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1357, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 octobre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente
Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère
un rapport a été présenté à l’audience par Mme SAUTERAUD dans les conditions prévues par les articles 785 et 786 du code de procédure civile.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente
Mme Sophie-Hélène CHATEAU, Conseillère
Mme Françoise PETUREAUX, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour prorogé au 29 janvier 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu l’assignation à jour fixe délivrée à [M] [C], [L] [F], [X] [J] et à la société éditrice ECRITURE COMMUNICATION (éditions l’Archipel) les 30 mars et 3 avril 2018, à la requête de [E] [O] qui demandait au tribunal, au visa des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 :
– de dire que [X] [J] s’est rendu coupable, en tant qu’auteur principal, ainsi que [M] [C] sous le pseudonyme [N] [B], et [L] [F], en tant que complices, du délit de diffamation publique envers un particulier, en publiant le livre intitulé ‘Je ne pouvais rien dire’ et comportant les propos suivants :
1er passage (p.326-327) : « A côté de la success-story de l’Algérien naturalisé, devenu PDG de Quadral puis de la Compagnie des signaux et des équipements électroniques (future “CS Communication & Systèmes”, société ‘uvrant dans les milieux de l’électronique de défense et de sécurité), les notes du service relèvent que l’intéressé, connu dans sa jeunesse de la police judiciaire pour des faits mineurs, est, selon notre division A2 de l’époque des années 1970-1980, “vraisemblablement” manipulé par les services de renseignement algériens. Dans notre langage, “vraisemblablement” signifie que nous en avons la certitude. La société nationale Sonatrach, où [O] a occupé un poste important, leur sert de couverture. »
2nd passage (p.328) : « Décrit comme avisé, avenant et courtois à l’excès, l’industriel, dont la nomination à la tête de la CSEE est apparue “inopportune”, présente pour la DST en 1993 un profil de loyauté douteux vis-à-vis des intérêts de la France. La division B2 conclut l’une de ses notes par la formule “individu défavorablement connu du service”. Une autre division de la DSTmet en garde contre l’intrusion insistante du cabinet américain [D], lié à la CIA, avec qui il a eu contact.»
– de condamner in solidum [X] [J], la société SAS ECRITURE COMMUNICATION, [M] [C] et [L] [F] à lui payer la somme de 100 000 €, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral qu’il a subi,
– d’ordonner la publication dans cinq journaux ou périodiques français d’extraits du jugement à intervenir, dans la limite de 15 000 € par insertion à la charge exclusive des défendeurs,
– de déclarer la société SAS ECRITURE COMMUNICATION civilement responsable des fautes commises par les autres défendeurs,
– de condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner les défendeurs aux entiers dépens,
Vu l’audition, à l’audience du 16 mai 2018, du témoin [K] [P], cité par le demandeur,
Vu le jugement contradictoire rendu le 20 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Paris, qui a :
– condamné in solidum la société ECRITURE COMMUNICATION, [X] [J], [M] [C] et [L] [F] à verser à [E] [O] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts, en raison des propos diffamatoires, et celle de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande visant à ordonner une publication judiciaire,
– condamné in solidum la société ECRITURE COMMUNICATION, [X] [J], [M] [C] et [L] [F] aux entiers dépens, en ce inclus le coût de l’exploit introductif d’instance,
Vu l’appel principal interjeté par les défendeurs le 11 juillet 2018 et les conclusions d’appel incident de [E] [O],
Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 3 avril 2019, aux termes desquelles la société ECRITURE COMMUNICATION, [X] [J], [M] [C] et [L] [F] demandent à la cour :
– d’infirmer le jugement, sauf en ce qu’il a retenu l’absence de caractère diffamatoire du 1er passage poursuivi,
– d’autoriser l’audition de [M] [C], auteur de l’ouvrage incriminé en qualité de partie,
– sur le fond et à titre principal, de dire que les propos poursuivis ne sont pas diffamatoires à l’égard de [E] [O] et de le débouter de ses demandes,
– à titre plus subsidiaire, de dire que MM. [C], [F] et [J] doivent bénéficier de l’excuse de bonne foi et de débouter [E] [O] de ses demandes,
– encore plus subsidiairement, de ramener le préjudice invoqué à hauteur d’un euro symbolique et de débouter [E] [O] de ses demandes plus amples,
– en tout état de cause, de condamner [E] [O] à payer à l’ensemble des appelants la somme globale de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
– de condamner [E] [O] en tous les frais et dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Christophe BIGOT, avocat,
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 septembre 2019 par [E] [O] qui sollicite de la cour qu’elle :
– confirme le jugement en ses dispositions condamnant les défendeurs,
– infirme le jugement en ce qu’il a considéré comme non diffamatoire le 1er passage poursuivi,
– dise ce passage constitutif de diffamation publique envers particulier,
– dise la société SAS ECRITURE COMMUNICATION civilement responsable des fautes commises par [X] [J], [M] [C] et [L] [F],
– condamne in solidum la société SAS ECRITURE COMMUNICATION, [X] [J], [M] [C] et [L] [F] à lui payer la somme de 100 000 € de dommages et intérêts, en raison de son préjudice moral,
– ordonne, à titre de réparation complémentaire, la publication dans cinq journaux ou périodiques français d’extraits du ‘jugement’ à intervenir, dans la limite de 15 000 € par insertion à la charge exclusive des défendeurs,
– les condamne in solidum à lui payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamne en tous les dépens et frais de la procédure, avec application de l’article 699 du code de procédure civile,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 25 septembre 2019,
SUR CE
En février 2018 est paru aux éditions l’Archipel, département éditorial de la SAS ECRITURE COMMUNICATION, un livre intitulé ‘Je ne pouvais rien dire’ et sous-titré ‘Contre-espionnage, antiterrorisme, un ancien espion raconte’, ayant pour auteur [N] [B], pseudonyme d’un ancien officier des services secrets, qui s’est révélé être [M] [C], et pour co-auteur [L] [F].
[E] [O] a poursuivi comme diffamatoires à son encontre deux passages de ce livre, situés dans le dernier chapitre ‘AFFAIRES ‘RÉSERVÉES’ ‘, sous l’inter-titre ‘[E] [O] et nos archives’ constituant les trois dernières pages de l’ouvrage, qui précédent l’épilogue.
Il a soutenu que le premier passage lui imputait d’avoir commis dans sa jeunesse des actes tombant sous le coup de la loi pénale et d’avoir été un agent des services secrets algériens, en s’abritant derrière une société comme couverture, le second passage alléguant qu’il aurait agi contre les intérêts de la France lorsqu’il était à la tête de la CSEE.
Le tribunal de grande instance a jugé que le 1er passage n’était pas diffamatoire, contrairement au second, et que les quatre ‘notes blanches’ produites en défense étaient insuffisantes pour lui permettre de retenir le bénéfice de la bonne foi.
Devant la cour, il n’est plus soutenu que les propos incriminés viseraient [E] [O] à raison de son origine algérienne.
Sur le caractère diffamatoire des propos
Il sera rappelé à cet égard que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’ ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par ‘toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait’- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par le demandeur ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.
Sur le 1er passage poursuivi (p.326-327) :
« A côté de la success-story de l’Algérien naturalisé, devenu PDG de Quadral puis de la Compagnie des signaux et des équipements électroniques (future “CS Communication & Systèmes”, société ‘uvrant dans les milieux de l’électronique de défense et de sécurité), les notes du service relèvent que l’intéressé, connu dans sa jeunesse de la police judiciaire pour des faits mineurs, est, selon notre division A2 de l’époque des années 1970-1980, “vraisemblablement” manipulé par les services de renseignement algériens. Dans notre langage, “vraisemblablement” signifie que nous en avons la certitude. La société nationale Sonatrach, où [O] a occupé un poste important, leur sert de couverture. »
C’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que les termes « connu dans sa jeunesse par la police judiciaire pour des faits mineurs » n’imputent à [E] [O] la commission d’aucune infraction pénale, le fait qu’il soit seulement « connu » de la police judiciaire laissant au contraire entendre qu’il n’a pas été condamné, et la précision « faits mineurs » relativisant encore de façon importante la gravité des éventuels comportements reprochés.
De même, le fait d’être ‘manipulé par les services de renseignement algériens’ présente [E] [O] comme la victime, plutôt que l’auteur d’une telle manipulation, le lecteur ne pouvant comprendre qu’il aurait consciemment trahi les intérêts de la France.
Enfin, le mot ‘leur’ employé dans la dernière phrase montre que la couverture de l’entreprise SONATRACH est utilisée par les services secrets algériens, et non par [E] [O], comme l’a jugé le tribunal.
Ainsi, même si ces propos ont pu lui apparaître désagréables, aucun n’impute à [E] [O] un fait précis qui serait attentatoire à son honneur ou à sa considération, le jugement étant confirmé à cet égard.
Sur le 2nd passage poursuivi (p.328) :
« Décrit comme avisé, avenant et courtois à l’excès, l’industriel, dont la nomination à la tête de la CSEE est apparue “inopportune”, présente pour la DST en 1993 un profil de loyauté douteux vis-à-vis des intérêts de la France. La division B2 conclut l’une de ses notes par la formule “individu défavorablement connu du service”. Une autre division de la DST met en garde contre l’intrusion insistante du cabinet américain [D], lié à la CIA, avec qui il a eu contact. »
En revanche, c’est à tort que le tribunal de grande instance a retenu le caractère diffamatoire de ce passage aux motifs que ces propos ‘sous-entendent que M. [O] privilégie les intérêts d’Etats étrangers-parfois algérien, parfois américain- au détriment des intérêts du pays dont il a la nationalité, et que M. [O] a un comportement déloyal vis-à-vis de son propre pays, propos sous-entendant qu’il trahit la France’.
En effet, les propos litigieux sont certes dépréciatifs vis à vis de [E] [O], mais écrire que sa ‘nomination à la tête de la CSEE est apparue “inopportune” ‘, qu’il ‘présente pour la DST en 1993 un profil de loyauté douteux vis-à-vis des intérêts de la France’ et qu’il est ‘défavorablement connu du service’ ne caractérise que des jugements de valeur de portée vague et très générale, sans imputer à l’intéressé le moindre fait précis qui pourrait faire sans difficulté l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité.
La dernière phrase du passage indique que [E] [O] ‘a eu contact’, sans aucunement préciser ni laisser entendre de quelle sorte de contact il s’agirait, avec le ‘cabinet américain [D], lié à la CIA’, ce qui ne peut signifier, même par insinuation et sauf extrapolation, qu’il serait un agent de la CIA ou qu’il aurait trahi les intérêts de la France.
En conséquence, bien que [E] [O] ait déclaré devant la cour que les propos poursuivis l’avaient profondément blessé, et que ceux-ci soient manifestement négatifs et défavorables, ils demeurent cependant trop vagues ; ils ne contiennent l’imputation d’aucun fait suffisamment précis pour être aisément prouvé et portant atteinte à son honneur ou à sa considération.
La cour retient donc que ni l’un ni l’autre des passages poursuivis n’est diffamatoire envers [E] [O].
Sur les demandes
A défaut de caractère diffamatoire des propos incriminés, [E] [O] doit être débouté de toutes ses demandes, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les éléments invoqués en défense au titre de la bonne foi.
En équité, il sera condamné à payer aux appelants principaux la somme globale de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens avec application de l’article 699 du même code.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 20 juin 2018 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit que le 1er passage poursuivi n’était pas diffamatoire,
Déboute [E] [O] de toutes ses demandes,
Condamne [E] [O] à payer à la société ECRITURE COMMUNICATION, [X] [J], [M] [C] et [L] [F] la somme globale de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
Condamne [E] [O] aux dépens, qui pourront être recouvrés par Maître Christophe BIGOT, avocat, dans les conditions de l’article 699 du même code.
LE PRESIDENT LE GREFFIER