Diffamation : décision du 5 septembre 2022 Cour d’appel de Nancy RG n° 21/01692

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Diffamation : décision du 5 septembre 2022 Cour d’appel de Nancy RG n° 21/01692
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2022 DU 05 SEPTEMBRE 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01692 – N° Portalis DBVR-V-B7F-EZUW

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 19/00691, en date du 15 juin 2021,

APPELANTE :

S.A. HERTZ FRANCE, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 3]

Représentée par Me Olivier NUNGE de l’AARPI CLAUDE THOMAS CATHERINE BERNEZ OLIVIER NUNGE, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Anne-Sophie CEPOI-DEMOUZON, substituant Me Erwan JAGLIN, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. MLC ERGO, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 4]

Représentée par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

Plaidant par Me Dalila DENDOUGA, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 Mai 2022, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,

Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2022, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 05 Septembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSÉ DU LITIGE

La société anonyme (SA) Hertz France a pour activité principale la location de courte durée de véhicules de tourisme et d’utilitaires sans chauffeur, par le biais d’un réseau de 126 agences de location.

Lors d’une réunion extraordinaire en date du 18 octobre 2018, les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la société ont voté le principe d’une expertise sur le fondement du risque grave prévu à l’article L. 4614-12 du code du travail et désigné le cabinet d’expertise SAS MLC Ergo pour effectuer cette mission. L’expert a établi un rapport pour risque grave qu’il a présenté au CHSCT le 11 février 2019. Le même jour, une facture d’un montant de 43680 euros HT a été établie à l’ordre de la SA Hertz France.

Par acte du 27 février 2019, la SA Hertz France a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nancy la société MLC Ergo pour contester le coût de l’expertise.

Parallèlement à sa saisine au fond, elle a attrait, aux mêmes fins, la société MLC Ergo devant le président du tribunal de grande instance de Nancy statuant en la forme des référés, lequel s’est déclaré incompétent par ordonnance en date du 27 août 2019 au profit du tribunal de grande instance de Nancy et a condamné la SA Hertz à payer 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à la SAS MLC Ergo.

Par jugement contradictoire du 15 juin 2021, le tribunal judiciaire de Nancy, a :

– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société MLC Ergo,

– déclaré recevable l’action intentée par la société Hertz France,

– débouté la société Hertz France de l’intégralité de ses demandes,

– débouté la société MLC Ergo de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamné la société Hertz France aux dépens,

– condamné la société Hertz France à payer à la société MLC Ergo la somme de 6165,84 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a rappelé qu’en application des dispositions de l’article L. 4614-13-1 du code du travail, l’employeur peut contester le coût final de l’expertise dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’employeur a été informé de ce coût et qu’en l’espèce la facture litigieuse est datée du 11 février 2019 et le tribunal a considéré que la société Hertz France en avait eu connaissance au plus tôt le 12 février eu égard aux délais d’acheminements postaux, de sorte que l’assignation du 27 février a été délivrée dans le délai imposé.

Concernant la demande de réduction du coût de l’expertise, le tribunal a relevé que le CHSCT de la société Hertz France avait décidé de la réalisation d’une expertise pour risques graves et que la lettre de mission faisait état de la méthodologie employée, de la structuration de la démarche, du déroulement de la mission, de la composition de l’équipe d’intervention, des délais de remise de l’expertise et du budget prévisionnel de 72800 euros pour 52 jours de travail avec un tarif journalier de 1400 euros HT. Le tribunal a noté que le coût journalier n’avait pas été contesté et que la société ne démontrait pas son caractère excessif, ce taux étant mentionné dans le dossier soumis au ministère du travail pour agrément et s’inscrivant dans les pratiques en cours. Le tribunal a précisé que la seule référence aux seules rémunérations des différentes intervenants (Monsieur [S], Monsieur [J] et Monsieur [G]) n’est pas suffisante pour modérer le tarif journalier, puisqu’il doit aussi être tenus compte des frais fixes supportés par le cabinet.

Concernant le choix des 12 agences sur 129 pour la réalisation de l’expertise, le tribunal a retenu que l’échantillon était connu de la société Hertz France depuis la lettre de mission et dont la méthode de détermination ne pouvait faire l’objet de contestation étant établie par un expert agréé auprès du ministère du travail.

Concernant la durée d’intervention, le tribunal a estimé que la société MLC Ergo avait justifié la durée de son intervention concernant les prestations « fonctions encadrement » et « prévention et santé » en relevant que la société avait contacté les inspecteurs et médecins du travail et que malgré de nombreuses relances qui représentent du temps, aucune rencontre n’avait pu être arrêtée.

Sur la contestation relative à la méthode utilisée par le cabinet d’expertise, le tribunal a considéré qu’il n’avait pas le pouvoir de contrôler le coût de l’expertise par référence à une analyse purement subjective du contenu du rapport, et a renvoyé aux compétences garanties des experts sollicités.

Le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société MLC Ergo puisqu’aucune mauvaise foi n’est démontrée dans l’exercice de l’action en justice de la société Hertz France.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 2 juillet 2021, la SASU Hertz France a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 10 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SASU Hertz France demande à la cour, au visa des articles 142 et suivants, 138, 139 du code de procédure civile, l’article L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution et des articles L. 4614-13-1, R. 4614-8, R. 4614-9, L. 4154-1 et D. 4154-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au moment des faits, de :

– infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a déclaré recevable son action,

Statuant à nouveau :

– avant dire droit, ordonner la communication par la société MLC Ergo à Hertz France d’une copie anonymisée intégrale des retranscriptions d’entretiens menés avec les salariés de Hertz France sous le contrôle de la cour (assortie d’une communication non anonymisée de ces éléments à la cour) et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision,

– dire et juger que les honoraires sollicités par la société MLC Ergo au titre de sa mission tirée de l’article L. 4614-12 du code du travail (dans sa rédaction applicable) sont manifestement excessifs et les fixer à la somme de 18200 euros hors taxes,

– condamner le cabinet MLC Ergo lui à verser la somme de 15000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le cabinet MLC Ergo aux entiers dépens de première instance et d’appel,

– ordonner, le cas échéant, la liquidation de l’astreinte,

– rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions du cabinet MLC Ergo.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 16 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS MLC Ergo demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy en date du 15 juin 2021 en ce qu’il a :

* débouté la SA Hertz France de l’intégralité de ses demandes,

* condamné la SA Hertz France à payer à la SAS MLC Ergo la somme de 6165,84 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné la SA Hertz France aux dépens,

– faire droit à l’appel incident de la SAS MLC Ergo et infirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la SAS MLC Ergo de sa demande de condamnation de la SA Hertz France à lui payer une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil,

En conséquence et statuant de nouveau après infirmation partielle :

– débouter la SA Hertz France de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la SA Hertz France à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil,

– condamner la SA Hertz France à lui payer la somme de 4267,92 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile applicable en cause d’appel, ladite somme s’ajoutant à celle allouée de ce chef en première instance,

– condamner la SA Hertz France aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 29 mars 2022.

L’audience de plaidoirie a été fixée le 23 mai 2022 et le délibéré au 5 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par la SA Hertz France le 10 février 2022 et par la SAS MLC Ergo le 16 novembre 2021 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l’article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l’instruction prononcée par ordonnance du 29 mars 2022 ;

Le présent contentieux porte sur la révision judiciaire des honoraires facturés à la SA Hertz par la SAS MLC Ergo, désignée le 8 octobre 2018 comme expert par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la société appelante sur le fondement de l’article L 4614-12 du code du travail. Le recours dont la cour est saisie est soumis, notamment, aux articles L 4614-13-1 et R 4614-20 du code du travail. En effet, ces textes, abrogés par l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 et par le décret n°2017-1819 du 29 décembre 2017, sont restés applicables pour les entreprises dans lesquelles le CHSCT n’a pas encore été remplacé par un comité social et économique (CSE) en application de l’article 9 de l’ordonnance mentionnée.

* Sur la demande de communication avant-dire droit d’une copie anonymisée intégrale des retranscriptions des entretiens menés avec les salariés assortie d’une demande de copie non anonymisée à destination de la juridiction

L’appelant n’avait pas saisi la juridiction de première instance de cette demande qui a été exprimée pour la première fois à hauteur d’appel ses conclusions du 10 février 2022, auxquelles la SAS MLC Ergo n’a pas répliqué.

Il convient de relever que la SA Hertz n’a pas jugé utile de saisir le conseiller de la mise en état, pourtant compétent aux termes de l’article 788 du code de procédure civile pour les questions de communication, d’obtention et de production des pièces.

La lettre de mission signée par l’appelante le 15 novembre 2018 précise que ‘l’anonymat des entretiens et des restitutions est garanti, de même que l’origine des opinions exprimées’ (pièce 2 appelante et 3 intimée, p10). Il est effectivement indispensable pour le bon accomplissement de l’expertise – dont l’intérêt est d’être menée par un tiers à l’employeur, agissant en toute indépendance de celui-ci, et qui a pour but d’analyser des risques graves liées à l’organisation du travail porté à la connaissance du CHSCT, nécessitant une parole libre des personnes interviewées – que les salariés interrogés puissent s’exprimer librement et sans crainte de représailles de leur employeur ou de leurs collègues, ce que la communication, même anonymisée, des verbatim mettrait à mal.

En outre, la réalité des entretiens réalisés par l’expert n’est pas contestée et, au demeurant, la communication des pièces réclamées n’aurait aucun intérêt dans le cadre du présent débat, qui ne porte pas sur la pertinence des analyses de l’expert, mais sur la révision de ses honoraires.

Il convient dès lors de rejeter la demande de communication de pièce qui est dépourvue d’intérêt dans le contentieux en cause.

** Sur la révision judiciaire des honoraires de l’expert

Suite à plusieurs alertes portées à la connaissance du CHSCT – émanant des délégués du personnels de Normandie, de deux salariées de l’agence [Localité 10] Aéroport, d’une salariée de l’agence de [Localité 1] Gare, de courriers collectifs des salariés des agences de [Localité 6] [Localité 5] et de [Localité 9] (notamment pièces 8 à 15 appelantes) – et des éléments recueillis à l’occasion d’enquêtes paritaires réalisées à l’agence d'[Localité 11] et à celle de [Localité 6] [Localité 5] (pièces 82-83 appelantes), les représentants du CHSCT ont voté le 8 octobre 2018 la réalisation d’une expertise sur le fondement de l’article L. 4614-12 du code du travail pour :

‘ * analyser les situations de travail du personnel des agences afin d’en mesurer les effets sur leur santé physique et mentale,

* identifier l’ensemble des risques professionnels (dont les risques psychosociaux) auxquels peuvent être exposés les salariés, ainsi que leurs causes,

* aider le CHSCT à élaborer des propositions de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail ‘

qui a été confiée à la SAS MLC Ergo (pièce 7 appelante et 2 intimée).

Une ‘lettre de mission dans le cadre d’une expertise risque grave’ (pièce 2 appelante et 3 intimée) a été signée le 15 novembre 2018 entre l’employeur – payeur du coût de l’expertise – et l’expert désigné par le CHSCT pour réaliser cette mission, titulaire d’un agrément ministériel. Cette lettre de mission mentionnait le coût journalier facturé par intervenant, le nombre prévisionnel de jours pour exécuter la mision et décrivait une méthodologie de travail.

L’employeur n’a pas exercé le recours qu’il détenait en application de l’article L. 4614-13 du code du travail pour contester le recours à l’expertise, la désignation de l’expert, le coût prévisionnel, l’étendue ou le délai de l’expertise, ce qui ne l’empêche pas, sur le fondement de l’article L. 4614-13-1 du même code, de contester le coût final de l’expertise au vu du travail réalisé par ce dernier.

Le rapport a été remis au CHSCT le 11 février 2019.

La SAS MLC Ergo a adressé à la SA Hertz une facture d’acompte de 36400 euros hors taxe (43680 euros toutes taxes comprises) datée du 27 novembre 2018 puis une facture de solde d’un montant équivalent datée du 11 février 2019 (pièces 3-4 appelantes et 5-6 intimée).

Les dispositions du jugement du 15 juin 2021 qui ont écarté la fin de non-recevoir liée à la prescription opposée par l’expert à la contestation d’honoraires de l’employeur n’ont pas fait l’objet d’un appel et sont donc définitives.

Dans l’appréciation du recours de l’employeur, il doit être tenu compte du fait qu’il n’est pas l’auteur de la commande dont il est le payeur et qu’il n’a pas non plus le choix du prestataire, c’est donc à l’expert d’apporter les éléments pour établir le caractère adapté de sa facturation. L’intérêt d’une telle expertise est d’apporter un éclairage indépendant et pointu dans l’intérêt des salariés et, par là même, de l’entreprise pour analyser des situations qualifiées de risque grave pour les salariés par le CHSCT, de les objectiver le cas échéant et de proposer des solutions et pistes de réflexion pour améliorer les conditions de travail et tarir les situations à risque. L’objet du recours en révision des honoraires ouvert à l’employeur après dépôt et facturation du rapport n’est pas d’apprécier la pertinence du travail réalisé par l’expert, mais doit permettre au payeur de faire valoir ses droits en cas de facturation excessive au regard du travail effectivement réalisé.

Les arguments échangés par les parties pour demander chacun la confirmation et l’infirmation de la décision portent :

– sur le taux journalier facturé qui serait ou non conforme aux standards de la profession et adapté à la prestation fournie en l’espèce ;

– sur le volume de jours facturés au titre de l’intervention – l’employeur précisant que certains entretiens prévus n’ont pas été réalisés et l’expert répliquant avoir dressé la facturation en tenant compte de cet état ;

l’expert faisant valoir sur ces deux points qu’il n’avait pas de connaissance antérieure de l’entreprise ;

– sur la qualité du rapport remis, la discussion portant sur la méthodologie retenue et la qualité du travail qui sont critiquées par l’employeur et défendue par l’expert.

– Sur le taux horaire

Le taux horaire facturé, figurant sur la lettre de mission (p18), s’élève à 1400 euros HT par jour de travail. Il est conforme au taux figurant dans le dossier soumis au ministère du travail pour l’obtention de l’agrément. Néanmoins, le tarif proposé, qui ne fait pas l’objet de l’agrément prévu par les articles R. 4614-6 et suivants du code du travail, et qui est porté à la connaissance de l’employeur avant la réalisation de la mission, ne peut faire échec au pouvoir que le juge tient de l’article L. 4614-13 de ce même code.

Il apparaît que la lettre de mission de la SAS MLC Ergo prévoyait l’intervention de trois personnes :

– Monsieur [Y] [G], directeur des missions au sein du cabinet, en tant que coordinateur et superviseur,

– Monsieur [D] [S], sociologue, en tant que chef de projet (consultant régulier selon le dossier en vue de l’agrément),

– Monsieur [O] [J], psychologue du travail, en tant que chargé d’expertise.

Les pièces (11 à 18 intimée) établissent que ces deux derniers, à qui la réalisation du travail effectif de l’expertise a été confiée, ont été recrutés spécifiquement pour cette mission, par contrats de travail à durée déterminée à objet défini du 1er décembre 2018. Ces deux professionnels sont diplômés dans des spécialités différentes et complémentaires et disposent d’une expérience professionnelle importante, variée et adaptée aux missions confiées. Les coûts salariaux pour la société intimée se sont élevés pour le premier à 15072,85 euros et pour le second à 11141,59 euros (cumul net imposable + charges patronales figurant sur les bulletins de salaire de décembre 2018 et de janvier 2019). Ces coûts n’incluent pas les prestations de Monsieur [Y] [G], qui occupe un emploi pérenne dans la société et qui n’a été amené qu’à procéder à l’instruction de la demande avec Monsieur [D] [S] (pièce 30 intimée). Le coût de la prestation étant calculé en fonction du nombre de jours de travail des intervenants dont les compétences sont complémentaires et qui sont intervenus de manière cumulative ou conjointe selon les tâches et alors que la prestation financée n’inclut pas que leurs seules rémunérations, une tarification par jour indépendemment de l’intervenant n’apparaît pas critiquable.

Les honoraires de l’expert ne peuvent être fixés par la seule référence au coût horaire de ses intervenants, doivent également être pris en compte les autres de la société (personnel général, comptable, bâtiment, assurances, téléphonie, fluide, matériel, imposition …) et la marge bénéficiaire qu’une société commerciale a vocation à réaliser.

En outre, il n’est pas évoqué que la SA Hertz avait déjà fait l’objet d’une mesure de cette nature, il n’est pas contesté par celle-ci que sa situation était portée pour la première fois à la connaissance de l’expert et la mission – qui n’a pas été contestée par l’employeur – était par ailleurs étendue (travail portant sur l’ensemble des salariés, exerçant des métiers différents et dans des agences ayant des volumes d’activité et pourvue d’un nombre de salariés très différent ; rappelant que la société comprend plus de 120 sites répartis sur l’ensemble du territoire national et emploie plus de 1000 salariés, outre les ‘saisonniers’ – intérim et CDD). Il apparaît que, pour les besoins de la mission, les intervenants de la SAS MLC Ergo, localisée à [Localité 8], ont dû effectuer des déplacements pour procéder aux entretiens réalisés en région parisienne, à [Localité 6], à [Localité 10], à [Localité 1], à [Localité 9], à [Localité 2] et à [Localité 7], générant des frais de déplacements, d’hôtellerie et de restauration.

Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence citée et produite par les parties que le taux horaire appliqué correspond à la partie haute de la fourchette habituellement pratiquée. Le tarif est conforme aux standards de la profession et adapté à la fois aux exigences générales d’une telle mission et aux spécificités de la mission particulière telles qu’elles viennent d’être énoncées.

– Sur le nombre de jours de travail

La lettre de mission détaillait le volume horaire envisagé et la société intimée produit un tableau très détaillé (pièce 30 intimée) dont il ressort que le travail effectué a été le suivant :

diligences

nombre de jours consacrés

nombre prévisionnel de journées (figurant dans la lettre de mission)

instruction de la demande

0,5 x 2 = 1 jour

1 jour

analyse documentaire

2 + 1 = 3 jours

2 jours

entretiens et observations en situation de travail

136 salariés en agence et 7 salariés de direction – 0,2 jour par entretien individuel et 0,5 jours par entretien collectif

soit 26,9 jours

3, 9 + 21 + 2,5 soit 27,4 jours

traitement des données

0,06 jour par entretien individuel, 0,5 jours par entretien collectif et 2,5 jours pour les observations en situation de travail

soit 11,5 jours

11,7 jours

coordination des travaux avec le représentant du personnel au CHSCT

0,5 jour

0,5 jour

Rédaction du rapport et supervision

8 jours

8 jours

élaboration d’un support de restitution, réunion préparatoire du CHSCT et restitution en assemblée plénière

1,5 jours

1,5 jours

soit un total de 52,6 jours de travail effectif déclaré, ramené sur la facture à 52 jours.

Cette durée apparaît conforme au large objet de la mission, à son importance (nombre de salariés, nombre et type de sites, de métiers…), au nombre de problématiques traitées dans le rapport et à l’absence d’expertise antérieure permettant d’appréhender plus rapidement la situation en cause.

L’appelant conteste le volume de travail facturé sur deux points précis :

– le déplacement à [Localité 12] n’a pas été effectué,

– les entretiens avec la médecine du travail, la CRAMIF et l’inspection du travail n’ont pas été réalisés.

Ces deux points ne sont pas contestés par l’expert qui fait valoir sur le premier que les entretiens avec les salariés sur le site de [Localité 12] ont été effectués par téléphone en raison

d’un problème de train et que le volume horaire consacré a en conséquence été ramené de 0,6 à 0,4 jours de travail ; sur le second que la médecine du travail n’a pas répondu aux sollicitations et que l’entretien collectif (représentant 0,5 jour de travail) qui n’a pas été réalisé n’a pas été facturé. Il sera observé que le volume horaire concernant les entretiens avec la direction et avec les organismes de prévention et de santé était évalué à 3,9 jours sur la lettre de mission, rapporté à 3 jours sur le listing retraçant le travail des intervenants. Il s’ensuit que la facturation a été établie sur le volume de travail réellement effectué par la société d’expertise et que les critiques de l’appelante sont infondées.

– Sur le rapport produit

Il convient de rappeler que la juridiction, dans le cadre de la contestation des honoraires de l’expert, n’a pas à apprécier la qualité et la pertinence du rapport d’expertise, ce qui relève d’ailleurs de l’appréciation du CHSCT, auteur de la commande, et non de l’employeur. En revanche, l’employeur est fondé à soulever que le travail réalisé n’est pas à la hauteur de ce qui est normalement attendu pour ce type de prestation, par exemple en raison de manquements déontologiques de l’expert ou du caractère du rapport qui s’avérerait incomplet, lacunaire, superficiel, non spécifique à la société, truffés d’erreurs le rendant inopérant… et qu’ainsi les honoraires facturés sont excessifs au regard de la prestation réellement accomplie.

Il sera observé que l’intimée produit les témoignages d’une dizaine de salariés membres du CHSTC lesquels se déclarent satisfaits de la prestation réalisée par la SAS MLC Ergo (pièces 20 à 29 intimée).

L’appelant reproche principalement à l’intimé la démarche méthodologique employée – laquelle correspond pourtant à l’approche ayant fait l’objet de l’homologation délivrée par les autorités administratives et précisée dans la lettre de mission – et l’insuffisance du rapport produit.

* s’agissant de l’échantillon de 12 agences : contrairement à ce que soutient l’employeur, d’une part, l’échantillonnage est une méthode rationnelle et adaptée compte-tenu du nombre de salariés et du nombre de sites concernés, permettant d’ailleurs de ne pas entraîner un coût excessif à sa charge, d’autre part, le choix des sites était adapté en investigant sur l’ensemble des sites (6) sur lesquels le CHSCT avait connaissance de difficultés et en le complétant par d’autres sites permettant d’obtenir une vue globalement représentative de la structure des salariés de la société (nombre de salariés sur l’agence ; métiers exercés ; activité gare-aéroport, centre-ville ou livraison ; implantation géographique en France) et ainsi d’apprécier la réalité des difficultés dénoncées, d’établir si elles étaient spécifiques à certains sites, à certaines situations de travail ou générales à l’entreprise et d’adapter les propositions de solution à la réalité des difficultés. Le fait que trois très grosses agences ([Localité 6] aéroport, [Localité 11], [Localité 1] aéroport) figuraient dans les agences signalées, conduisant à accorder un volume horaire important pour les entretiens, ne peut être reproché à l’expert. Il sera en outre relevé que les agences visitées étaient identifiées dans la lettre de mission signée par l’employeur sans observation de sa part ;

* sur l’insuffisance de la documentation écrite sollicitée : il ressort de la lettre de mission, du rapport (pièce 5 appelante et 8 intimée) et des échanges de mails (pièces 31 et 43 intimés) que l’expert a demandé la communication à l’employeur de 14 types de documents, que malgré des relances certains ne lui ont jamais été communiqués et que l’un lui a été adressé le jour de la remise du rapport au CHSCT. En outre, l’employeur était libre de communiquer d’autres documents de son choix, il n’a notamment pas communiqué à l’expert les résultats de l’enquête de satisfaction interne qu’il a faite réaliser et aucune conclusion ne peut être tirée de la discordance des résultats, les méthodes et la manière de recueillir les avis des salariés n’étant en rien comparable (pièce 84 appelante). Il en va de même de l’analyse ergonomique de la médecine du travail réalisée sur le site d'[Localité 11] en 2017 (pièce 90 appelante), non communiquée à l’expert et en tout état de cause insuffisante au regard de la mission qui concernait l’ensemble des sites ;

* sur la non-prise en compte d’adaptations mises en place : le fait qu’une procédure de révision du DUER était en cours pendant la réalisation de l’expertise (pièces 79-80 appelante) ne saurait être reprochée à l’expert qui a logiquement examiné le DUER existant, il en va de même des correctifs apportés par l’employeur (par exemple le nouveau process d’approbation du recrutement à compter du 1er décembre 2019, évolution des modes de calcul des primes travaillé en 2018 – pièces 48 et 55 appelante) non évoqués dans le rapport, l’expert ayant alors effectué le travail pour lequel il a été désigné et étant précisé au surplus que l’employeur ne justifie pas l’avoir informé des modifications envisagées ou mises en place durant l’accomplissement de sa mission ;

* sur l’existence d’erreurs factuelles, l’emploi de verbatim et la reprise de donnés théoriques : le rapport comprend la définition de quelques notions et comporte quelques rappels de la littérature scientifique concernant l’analyse des situations et les risques psycho-sociaux et le burn-out notamment. Ces rappels théoriques ne sont pas inutiles et seules quelques pages sur le rapport qui en comprend plus de 120 y sont consacrées. Contrairement à ce qui est soutenu, la lecture du rapport montre que l’expert a analysé la situation propre à l’entreprise, au travers des nombreux entretiens, des observations sur site, de l’organisation de travail et des outils, notamment informatiques, utilisés par l’entreprise et que chaque point développé est illustré de verbatim ou des observations sur site réalisées. Il importe peu que le plan utilisé pour rédiger le rapport soit standard, dès lors que le travail est propre à la société expertisée. Les quelques erreurs relevées, éparses et non significatives, sont indifférentes en l’espèce sur les appréciations à porter sur la qualité globale du travail ;

* sur le manque d’objectivité de l’expert : il ressort de la lettre de mission et du rapport que les membres de la direction de la société et du service des ressources humaines ont été reçus en entretien, que les documents transmis par l’employeur ont été examinés, que tous les documents sollicités par l’expert n’ont pas été transmis ou pour l’un l’a été trop tardivement pour pouvoir être étudié et que l’employeur n’a communiqué aucun document complémentaire. Les reproches allégués par l’appelant sont principalement exprimés de manière théorique par le rappel des obligations de l’expert, sans en tirer de conclusions sur la situation précise en cause. Le fait qu’une partie des investigations aient porté sur les agences où des difficultés avaient été signalées constitue une modalité normale d’intervention de l’expert et en aucun cas une manifestation de partialité comme le soutient l’appelant, de même le fait que les difficultés mises en exergue ne correspondent pas aux résultats de l’enquête nationale menée en 2018 dans le groupe (étude statistiques sur questions fermées, non communiquée l’expert et dont il est au demeurant observé que sur de nombreux items, les salariés ont adressé une note globale plus mauvaise en 2018 qu’en 2017 – pièce 84 appelante) ne correspondaient pas aux investigations plus fines menées sur site par l’expert. L’employeur ne rapporte la preuve d’aucun manquement aux obligations déontologiques de l’expert, le fait que les conclusions du rapport ne le satisfassent pas étant inopérant ;

* sur l’insuffisance des conclusions : le rapport, conformément à la lettre de mission, suggère une certain nombre de pistes de réflexion, intelligibles, pour améliorer la situation de travail.

Il apparaît au contraire de ce que soutient l’employeur que le rapport produit est issu d’un travail de réflexion sérieux, approfondi, complet et propre à la société expertisée, reposant sur l’analyse d’observations de terrain, des documents transmis en temps utiles par l’employeur et des nombreux entretiens réalisés avec la direction et les salariés des agences sélectionnées.

Il s’ensuit que le rapport produit a été réalisé conformément à la mission donnée par le CHSCT et aux attentes exigibles d’un expert.

Pour l’ensemble de ces motifs, propres et adoptés, les honoraires facturés n’apparaissent pas excessifs au regard du travail accompli et le jugement sera en conséquence confirmé.

*** Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Vu les articles 32-1 et 559 du code de procédure civile et l’article 1240 du code civil,

L’exercice de voies de droit ne dégénère en abus susceptible de mettre en jeu la responsabilité civile de son titulaire qu’en cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur équipollente au dol ; le seul mal-fondé des prétentions n’est pas suffisant à établir un abus de droit.

En l’espèce, il ressort des pièces produites aux débats que la société appelante, par la procédure qu’elle a diligentée puis portée en appel, a entendu poursuivre un but étranger à son objet, à savoir décrédibiliser le rapport qu’elle contestait et en empêcher la diffusion en interne. En effet, elle a fait interdiction aux membres du CHSCT de le diffuser en le qualifiant de diffamatoire, faisant état dans le courrier qu’elle leur a adressé en ce sens (pièce 32 intimée) non seulement de la plainte déposée par elle auprès du Procureur de la République de [Localité 8] pour diffamation contre l’expert- dont elle ne justifie d’ailleurs pas du devenir bien qu’elle ait été déposée en mai 2019 (plainte en pièce 94 appelante) – mais également de la présente action, position qui a obligé le CHSCT à lui délivrer une assignation le 27 août 2019 – laquelle signalait la présente instance comme une manifestation de la contestation du rapport par l’appelante – pour être autorisé à diffuser les procès-verbaux des réunions tenues entre février et mai 2019 à l’occasion desquelles le rapport avait été débattu (pièce 39 intimée).

Aucun préjudice financier n’a été enduré par la société intimée qui a été intégralement payée des factures émises mais elle a subi un préjudice moral résultant de l’abus de droit commis par l’appelante, lequel sera exactement réparé par l’allocation de 2000 euros de dommages-intérêts.

Il convient en conséquence d’infirmer la décision et de faire droit à l’appel incident dans ces proportions.

*** Sur les frais irrépétibles et l’article 700 du code de procédure civile

Il convient de confirmer la décision de première instance qui a condamné la SA Hertz, qui succombe en son recours, aux dépens ; il y a lieu pour les mêmes raisons de la condamner aux dépens de l’appel qu’elle a initié.

La SA Hertz – après avoir été condamnée en référé à payer la somme de 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile – a été condamnée à payer à la SAS MLC Ergo la somme de 6165,84 euros en première instance.

Or il ressort des pièces 34, 38 et 42 de l’appelante que ses honoraires d’avocats se sont élevés hors taxe à :

– 6956,60 euros en référés,

– 1931,60 euros en première instance,

– 3716,60 euros en appel.

Il apparaît que le juge de première instance n’a pas correctement évalué la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile – chef mentionné dans la déclaration d’appel et critiqué dans les conclusions de l’intimé – et qu’il y a lieu d’arrêter à une somme qui sera équitablement fixée à 2888,20 euros. La décision sera infirmée sur ce point.

Il convient de condamner la société appelante à payer la société intimée une somme qu’il est équitable de fixer à 3716,60 euros pour les frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu’il a débouté la SA Hertz France de sa demande de révision des honoraires facturés par la SAS MLC Ergo et en ce qu’il a condamné la SA Hertz France aux dépens,

L’infirme en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et a fixé à 6000 euros le montant d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à la SAS MLC Ergo,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Déboute la SA Hertz France de sa demande tendant, avant dire droit, à ce qu’il soit ordonné la communication par la société MLC Ergo à Hertz France d’une copie anonymisée intégrale des retranscriptions d’entretiens menés avec les salariés de Hertz France sous le contrôle de la cour (assortie d’une communication non anonymisée de ces éléments à la cour) et ce, sous astreinte de 500 euros (cinq cents euros) par jour de retard à compter de la notification de la décision,

Condamne la SA Hertz France à payer à la SAS MLC Ergo la somme de 2000 euros (deux mille euros) de dommages-intérêts,

Condamne la SA Hertz France à payer à la SAS MLC Ergo 2888,20 euros (deux mille huit cent quatre-vingt-huit euros et vingt centimes) en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance,

Condamne la SA Hertz France aux dépens d’appel,

Condamne la SA Hertz France à payer à la SAS MLC Ergo 3716,60 euros (trois mille sept cent seize euros et soixante centimes) en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en treize pages.

 


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