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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 SEPTEMBRE 2022
N° RG 19/03919 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TQ5A
AFFAIRE :
[U], [T] [J]
C/
SARL JCB CONCEPT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Septembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F 17/00412
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Mélina PEDROLETTI
Me Aurore GUIDO-DEAÏBES de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES
Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [U], [T] [J]
née le 09 Novembre 1974 à [Localité 6] (93)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Nelly VILA BERRADA de la SCP VILA-BERRADA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0292 – Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626
APPELANTE
****************
SARL JCB CONCEPT
N° SIRET : 404 703 142
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Aurore GUIDO-DEAÏBES de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J095
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 Juin 2022, Madame Hélène PRUDHOMME, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Marie-Christine PLANTIN, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE
Le 18 septembre 2014, Mme [U] [J] était embauchée par la société JCB Concept en qualité de coiffeuse, par contrat à durée indéterminée.
Le contrat de travail était régi par la convention collective nationale de la coiffure.
Le 20 janvier 2017, la société JCB Concept convoquait Mme [J] à un entretien préalable en vue de son licenciement. L’entretien se déroulait le 31 janvier 2017.
Le 6 février 2017, elle lui notifiait son licenciement pour faute grave, lui reprochant d’avoir produit des SMS diffamants envers ses collègues. Mme [J] contestait ces affirmations et rétorquait qu’elle avait subi des brimades et humiliations faisant suite à l’annonce du projet de maternité qu’elle portait.
Le 23 février 2017, Mme [J] saisissait le conseil des prud’hommes de Nanterre.
Vu le jugement du 27 septembre 2019 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de Nanterre qui a’:
– Débouté Mme [J] de l’ensemble de ses demandes.
– Débouté la société JCB Concept de sa demande reconventionnelle.
– Condamné Mme [J] aux entiers dépens.
Vu l’appel interjeté par Mme [J] le 25 octobre 2019
Vu les conclusions de l’appelant, Mme [J], notifiées le 8 avril 2022 et soutenues à l’audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :
– Déclarer Mme [J] bien fondée en son appel,
– Infirmer la décision déférée en ce qu’elle a :
– Débouté Mme [J] de l’ensemble de ses demandes.
– Condamné Mme [J] aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau’:
– Juger mal fondé l’avertissement prononcé à l’encontre de Mme [J] le 23 décembre 2016 et l’annuler
Vu les articles L4121-1, L1225-3-1, L1225-1, L1225-2 et L1225-3, L1152-1 et L1152-2, du code du travail,
Vu l’article L2141-2 du code de la santé publique,
A titre principal’:
– Prononcer la nullité du licenciement de Mme [J],
– Condamner la société JCB Concept à lui payer :
Au titre de la nullité du licenciement prononcé en méconnaissance des règles protectrices de la maternité et au titre de la nullité du licenciement pour avoir subi et refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et les avoir dénoncés :
– Une indemnité réparant intégralement le préjudice causé, équivalente à 12 mois de salaire, soit la somme de 31’027,56 euros (articles L1235-3 et L1225-3-1 du code du travail),
– la somme de 8’000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral (article L1152-1 du code du travail), et pour discrimination (article L1132-1 du code du travail),
En tout état de cause, sur les deux motifs de nullité du licenciement :
– une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, soit la somme de 8’399,67 euros bruts, outre congés payés sur préavis de 839,96 euros bruts,
A titre subsidiaire
Vu l’article L1235-3 du code du travail :
Vu la règle non bis in idem,
– Juger que le grief relatif à une remise tardive de justificatifs d’absence du 3 janvier 2017 et d’emportement contre Madame [N] [Y] a fait l’objet d’un avertissement et ne peut justifier une seconde mesure disciplinaire, en l’espèce le licenciement,
– Juger que le licenciement de Mme [J] est sans cause réelle et sérieuse,
– Condamner la société JCB Concept à lui payer la somme de 31’027,56 euros
– Condamner la société JCB Concept au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, soit la somme de 8’399,67 euros bruts, outre congés payés sur préavis de 839,96 euros bruts,
– Condamner la société JCB Concept au paiement d’une somme de 8’000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
En tout état de cause :
– Débouter la société JCB Concept de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
– Condamner la société JCB Concept au paiement d’une somme de 3’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société JCB Concept aux entiers dépens.
Vu les écritures de l’intimée, la société JCB Concept, notifiées le 31 janvier 2022 et développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de’:
In limine litis :
– Déclarer irrecevable, car nouvelle en cause d’appel, la demande de Mme [J] de « juger mal fondé l’avertissement prononcé à l’encontre de Mme [J] le 23 décembre 2016 et l’annuler »,
Sur le fond :
– Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 27 septembre 2019 en ce qu’il a débouté Mme [J] de l’ensemble de ses demandes ;
– Débouter Mme [J] de sa demande visant à juger mal fondé l’avertissement prononcé à l’encontre de Mme [J] le 23 décembre 2016 et l’annuler, si cette demande est déclarée recevable,
– Condamner Mme [J] à payer à la société JCB Concept la somme de 4’000,00 euros au titrer de l’article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Vu l’ordonnance de clôture du 16 mai 2022.
SUR CE,
Sur l’exécution du contrat de travail’:
Sur la nullité de l’avertissement du 23 décembre 2016 :
Mme [J] demande à la cour de prononcer la nullité de cet avertissement qui constitue le premier acte du harcèlement moral qu’elle dénonce.
La SARL JCB Concept soulève in limine litis l’irrecevabilité de cette demande qui n’avait pas été présentée devant le conseil de prud’hommes par la salariée.
En effet, il ne ressort pas des conclusions de première instance et du jugement entrepris que Mme [J] ait saisi la justice d’une demande tendant à la nullité de son avertissement sanctionné le 23/12/2016 et sa déclaration d’appel n’en fait nullement mention. Il résulte des dispositions combinées des articles 562 et 564 du code de procédure civile que la salariée est irrecevable en cette demande nouvelle comme étant présentée devant le juge pour la première fois dans ses écritures devant la cour, cette demande n’étant nullement l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de celles présentées au titre du harcèlement moral et de la nullité du licenciement et ne tend nullement aux mêmes fins ; en conséquence, la cour déclare cette demande irrecevable.
Sur le harcèlement moral
Mme [J] reproche à son employeur de lui avoir fait subir des faits de harcèlement moral en pages 28 et 29 de ses écritures et sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 8’000 euros pour harcèlement moral et discrimination.
Selon l’article L. 1152-1 du code du travail,’aucun’salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou compromettre son avenir professionnel. Selon l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou de les avoir relatés.
L’article L. 1154-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige, les salariés concernés présentent des éléments de fait qui permettent de présumer l’existence du harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La cour rappelle qu’aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, tel que défini par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 notamment en matière de rémunération au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’action, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou à raison de son état de santé ou de son handicap.
L’article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence de discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-96 du 27 mai 2008 au vu des quels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est motivée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, «’les conclusions d’appel doivent contenir distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqué, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions (‘) La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion’». Dès lors, Mme [J] n’invoque au soutien de sa prétention en matière de harcèlement moral et de discrimination, que les faits mentionnés dans la discussion, en pages 28 et 29 de ses écritures’où elle indique avoir été harcelée parce qu’elle cherchait à être enceinte, et avoir été particulièrement choquée du harcèlement pratiqué à son encontre, n’ayant nullement démérité, la cour n’examine pas les autres faits mentionnés dans la première partie de ses écritures relatif à l’exposé des faits. Elle sollicite la condamnation de son employeur à lui verser une somme de 8’000 euros pour harcèlement moral et discrimination.
Pour étayer ses affirmations, elle produit les deux pièces suivantes’:
– l’attestation de son médecin généraliste qui affirme l’avoir reçue le 9 janvier 2017 pour «’crise d’angoisse, pleurs et malaise général’», sa patiente expliquant qu’elle était victime de harcèlement au travail depuis son retour à la suite d’une hémorragie provoquée par un traitement lourd de PMA, lui accordant un arrêt de travail de 15 jours, prolongé d’un mois (pièce 26).
– l’arrêt de travail de prolongation du 20 janvier 2017 jusqu’au 24 février 2017 (pièce 28).
En l’état des explications et des pièces fournies, la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble en ce qui concerne le harcèlement moral, laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et d’une discrimination dont la raison n’est pas même n’est pas explicitée, le médecin n’ayant fait que mentionner dans son attestation les doléances de sa cliente expliquant son état physique dégradé, il convient de débouter Mme [J] de ses demandes d’indemnisation, tant au titre du harcèlement moral que de la discrimination. Il convient de la débouter en conséquence de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement. Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur la rupture du contrat de travail
Par lettre du 6 février 2017, la SARL JCB Concept a licencié Mme [J] aux motifs suivants :
«’Vous avez été embauchée par contrat a durée indéterminée, en qualité de Coiffeuse, a compter du 18 septembre 2014. Que ce soit au sein du salon [Adresse 5], ou au sein du salon [Adresse 2], vous exerciez sous la supervision de Mme [E] [S] «’General Manager ». Vous n’avez jamais évoqué la moindre difficulté et ne vous êtes jamais plainte de votre supérieure hiérarchique. Or, il apparaît cependant que vous avez nourri à son encontre une violente animosité, qui est inexplicable, sauf à considérer que vous n’avez pas, en réalité, admis que les règles de bon fonctionnement vous soient rappelées et qu’un avertissement (en date du 23 décembre 2016) vous soit adressé tandis que vous sembliez vous considérer comme étant «’intouchable », en raison des bonnes relations que vous entreteniez avec Mme [S]. Quoiqu’il en soit, vous avez adressé à la société BJC Incorporation un courrier daté du 9 janvier 2017 relatant des faits d’une extrême gravité. Vous y déclarez, entre autres et sur plusieurs pages, avoir été «’séquestrée » le 7 janvier 2017 et être la cible de différentes brimades, humiliations et/ou insultes qui auraient lieu depuis fin novembre/début décembre 2016. Par ailleurs, vous expliquez que tous les agissements que vous imputez à Mme [E] [S] et à Mme [N] [Y] ont une seule et unique cause, à savoir le fait d’avoir révélé votre projet de grossesse à Mme [S] à la suite de l’hémorragie que vous auriez eue le 23 novembre 2016 sur votre lieu de travail. Les faits que vous décriviez étaient, en eux-mêmes, d’une violence tellement inouïe et peu courante qu’ils nous ont très fortement interloqués, en sorte que nous avons très rapidement souhaité interroger les personnes visées dans votre courrier, tout en notant quand même que plusieurs de vos déclarations nous paraissaient réellement et totalement extravagantes. Les trois personnes que vous visez ont, unanimement et de façon concordante, vivement contesté toutes vos allégations. Mais en outre, nous nous sommes aperçus qu’en réalité, à la date d’envoi de votre lettre du 9 janvier 2017, vous aviez pleinement conscience du caractère mensonger des faits que vous citiez.
Nous avons également relevé de nombreuses incohérences chronologiques, qui établissent de
manière indubitable votre mauvaise foi. Nous ne comprenons pas comment vous avez pu en arriver à écrire les ignominies que vous proférez, ni comment vous avez pu accuser de manière mensongère plusieurs personnes, ce qui aurait pu avoir des conséquences graves. Nous tenons, enfin et surtout, à rappeler que notre société n’a jamais souhaité votre départ et que, lorsque la question d’une rupture conventionnelle a été évoquée, cela a exclusivement été de votre fait.
En effet, la chronologie exacte est la suivante : En arrêt maladie depuis le 21 décembre, vous deviez reprendre votre travail le 3 janvier 2017 au matin. Vous ne vous êtes pas présentée. Vous avez finalement repris votre poste de travail, le 5 janvier 2017. A l’issue de votre reprise, vous n’avez fourni aucun justificatif lors de votre arrivée, vous ne vous êtes entretenue avec aucune de vos responsables pour justifier de cette reprise tardive d’activité.
Le soir venu à 18h50, vous avez présenté à Mme [N] [Y] un justificatif médical pour la journée du 3 janvier 2017. Mme [Y], surprise que vous lui remettiez votre justificatif en ‘n de journée alors que vous en aviez tout le loisir depuis le matin, et que vous auriez pu également vous adresser à Mme [E] [S], vous en a fait la remarque. Mécontente, vous vous êtes alors emportée contre [N] [Y] devant l’ensemble de l’équipe et des clients restants dans le salon, en l’invectivant par des cris, des propos tendancieux et en adoptant, en résumé, une attitude qui n’est pas celle attendue dans une Maison de Beauté. Ce comportement a d’ailleurs justifié l’envoi d’un avertissement, le 6 janvier 2017. Samedi 7 janvier 2017, vous avez de nouveau été d’une telle agressivité à l’égard de Mme [Y] qu’à sa demande, M. [M] [I], Directeur Général, et Mme [E] [S], se sont rapidement rendus au salon afin de s’entretenir avec vous.
Cette réunion avait pour seul et unique objectif d’échanger avec vous, et de tenter d’apaiser une situation dont nous constations bien qu’elle était anormalement tendue en raison de plusieurs comportements inhabituels de votre fait, et notamment, des éclats de voix et des manifestations ouvertes d’hostilité et de mécontentement, qui n’ont nullement leur place dans une Maison de Beauté, a fortiori aux heures d’ouverture, quand des clientes sont présentes.
En définitive et en conclusion de cette réunion au cours de laquelle personne n’a songé à vous invectiver et/ou agresser et/ou injurier, vous avez émis le souhait de quitter l’entreprise dans le cadre de la signature de la rupture conventionnelle de votre contrat de travail. M. [I] vous a alors indiqué que cela nécessitait un temps de réflexion, à la suite de quoi vous avez repris votre poste.
En fin de journée, M. [I] vous a fait savoir ‘ par l’intermédiaire de votre collègue [N]
[Y] (qui est également déléguée du personnel) – que notre entreprise était d’accord sur le principe de la rupture conventionnelle, et qu’il vous attendait le lundi 09 janvier au matin vers 10 heures à son bureau, pour en discuter, ce que vous avez tout de suite accepté.
Le lundi 09 janvier 2017, vous avez contacté téléphoniquement M. [I], pour lui indiquer que vous préfériez recevoir une invitation écrite, par courrier. C’est dans ces conditions que, par lettre en recommandé A.R. du 9 janvier, une convocation à un entretien fixé au 16 janvier 2017 à 10h30 au siège de la société, vous a été adressée. Il ne s’agissait en rien d’une tentative pour rompre à bon compte votre contrat de travail puisque, tout au contraire, c’est vous qui aviez évoqué cette possibilité ! Dans le même temps, vous étiez à votre poste de travail, que vous avez cependant quitté vers 12 heures en déclarant que vous alliez voir votre médecin.
En conclusion, non contente d’avoir eu des comportements et attitudes inacceptables tant envers votre hiérarchie, vos collègues de travail et la clientèle, vous avez adressé une correspondance dont le contenu immonde est diffamatoire et mensonger, comme vous le saviez pertinemment. La poursuite de votre contrat de travail s’avère évidemment impossible, ne serait-ce que par respect vis-a-vis de vos collègues injustement mis en cause et calomniés. Nous vous licencions donc pour faute grave’».
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles’; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
S’agissant d’une faute grave reprochée privative du droit aux indemnités de rupture qu’il appartient à l’employeur de démontrer, elle correspond à un fait ou un ensemble de faits qui, imputables au salarié, constituent une violation des obligations du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
En ce qui concerne les faits reprochés en date du 5 janvier 2017, l’employeur mentionne dans sa lettre de licenciement qu’ils ont fait l’objet de l’envoi d’un avertissement à la salariée le 6 janvier 2017. Cette dernière reconnaît dans ses écritures qu’elle a reçu un avertissement le 6 janvier 2017. Si cette lettre n’est versée aux débats par aucune des parties, la cour ne peut que la retenir pour appliquer aux faits antérieurs à sa délivrance la règle non bis in idem empêchant l’employeur de sanctionner une nouvelle fois, d’une nouvelle sanction disciplinaire, ces faits. Ainsi, la délivrance de cette sanction ne permet plus à la SARL JCB Concept d’invoquer à nouveau ces faits au soutien du licenciement, pas plus que l’ensemble des faits antérieurs à cette date connus de l’employeur, même ceux non mentionnés dans cette lettre d’avertissement, et qui sont purgés par l’envoi de l’avertissement, au soutien du licenciement.
Restent à examiner les faits du 7 janvier 2017 et ceux du 9 janvier 2017.
La SARL JCB Concept reproche à Mme [J] d’avoir fait preuve, le 07/01/2017, d’agressivité à l’égard de Mme [Y] de sorte qu’elle a dû dépêcher au salon de coiffure le directeur général M. [I] et Mme [S], general manager.
Elle verse pour en justifier :
– l’attestation de Mme [Y] qui écrit «’j’ai essuyé les frasques, agressions, cris de la part de [U] (…) le samedi 7 janvier en début de journée, également devant la clientèle et les collaborateurs’»
– celle de M. [I] qui expose avoir «’été appelé le 7 janvier 2017 par Mme [Y] pour apaiser les états d’humeur de comportement, d’attitude de Mme [J] à son égard (‘) l’échange a duré une vingtaine de minutes durant lequel Mme [J] a reconnu avoir tenu des propos désagréables à l’encontre de Mme [Y]’»
– l’attestation d’une salariée présente le 7 janvier 2017, Mme [X], qui relate «’le samedi 7 janvier alors que nous commencions la journée avec déjà de la clientèle dans le salon, [U] a de nouveau mal parlé à [N] en lui disant devant tout le monde ”tu te fous de ma gueule” devant la cliente que [N] avait en charge en balayage ainsi que [D] l’esthéticienne-manucure. Tout le monde a été choqué une fois de plus de la violence et l’agressivité que [U] avait vis-à-vis de [N]. Elle cherchait l’affrontement’»
Si M. [I] n’était pas présent au salon de coiffure le 7 janvier 2017 puisqu’il a été appelé à la suite de la scène reprochée par Mme [Y] à son encontre, il ne ressort pas des deux attestations produites d’éléments suffisants pour caractériser le comportement fautif et agressif de la salariée à l’égard de sa manager, les termes utilisés par Mme [Y] étant trop généraux et ni la cliente, ni l’esthéticienne-manucure, ni même et surtout Mme [Y] elle-même ne sont venus confirmer les termes mentionnés par Mme [X] dans son attestation. Enfin, celle rédigée par Mme [O] ne concerne pas les faits du 7/01/2017 de sorte que la cour ne peut la retenir. Et alors qu’il convient de faire application des dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail en relevant que la salariée nie les faits, et qu’un seul témoin atteste des propos tenus, il existe un doute sur leur réalité de sorte que la cour ne peut les retenir comme établis.
En ce qui concerne les faits du 9 janvier 2017, l’employeur reproche à Mme [J], après avoir sollicité une rupture conventionnelle, d’avoir exigé une convocation écrite pour l’entretien préalable de sorte que l’employeur s’est exécuté pour le 16/01/2017. Ce fait n’est nullement fautif et ne peut être reproché à Mme [J].
Sur l’envoi d’une correspondance dont «’le contenu immonde est diffamatoire et mensonger’comme vous le saviez pertinemment », ses «’collègues étant injustement mis en cause et calomniés’», la cour relève que l’employeur ne développe nullement les termes qu’il qualifie ainsi dans sa lettre de sanction mais dans ses écritures, il indique que Mme [J] a été licenciée pour avoir, dans ce courrier, diffamé plusieurs collègues et menti dans sa correspondance. En ce qui concerne les mensonges, l’employeur reproche à Mme [J] d’avoir indiqué qu’elle avait été victime d’une hémorragie sur le lieu de travail le 23 novembre 2016 alors que l’incident avait eu lieu le 21 décembre 2016. Mme [J] reconnaît qu’elle a commis une erreur et compte tenu de l’arrêt maladie qui a suivi ce seul incident de santé consécutif à l’hémorragie de la salariée, cette erreur doit être rectifiée sans entraîner de sanction.
Pour ce qui est de la diffamation et des calomnies, la cour relève que Mme [J] a dénoncé avoir été harcelée moralement par ses collègues dans son courrier du 9 janvier 2017 et si la cour n’a pu retenir les faits de harcèlement moral dénoncés en raison de la procédure relative au mode de preuve à rapporter non respectée par la salariée, il n’est pas plus démontré par la SARL JCB Concept la fausseté des reproches formulés par Mme [J] à l’encontre de sa hiérarchie et sa conscience de leur caractère mensonger. Aussi, le licenciement de Mme [J] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les conséquences
Mme [J] demande la condamnation de la SARL JCB Concept à lui verser la somme de 31’027,56 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle expose n’avoir retrouvé un emploi salarié que le 01/02/2018. Le licenciement relève des dispositions en vigueur à la date du licenciement en février 2017.
Compte tenu de son âge lors de la rupture (42 ans), de son ancienneté dans l’entreprise (plus de 2 ans) et du montant de son salaire, et alors qu’elle dit avoir été au chômage pendant un an, la cour évalue son préjudice moral et financier à la somme de 16’000 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Mme [J] réclame en outre des dommages et intérêts pour préjudice moral résultant du caractère particulièrement vexatoire du licenciement contenant indemnisation des brimades qu’elle a subies (mise au placard, déchéance de ses fonctions, harcèlement en public, pressions pour la contraindre à démissionner). Mais alors que son préjudice moral a déjà été pris en compte par la cour dans l’évaluation de l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, et qu’elle ne justifie nullement du caractère vexatoire de la procédure mise en ‘uvre par son employeur, elle ne peut solliciter en outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral alors que la cour l’a déboutée de ce chef de demande. Il convient de la débouter de ce chef de demande. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Enfin, Mme [J] réclame l’indemnité de préavis d’un montant de 3 mois, soit la somme de 8 399,67 euros outre les congés payés, dont elle a été privée en raison du licenciement pour faute grave dont elle a été l’objet. La SARL JCB Concept ne conteste pas le quantum de l’indemnité demandée. Il convient dès lors d’y faire droit. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le remboursement par l’employeur à l’organisme des indemnités de chômage
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de six mois d’indemnités ;
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens d’appel seront mis à la charge de la SARL JCB Concept ;
La demande formée par Mme [J] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 4 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions ayant débouté Mme [J] au titre du harcèlement moral et de la discrimination, et l’ayant déboutée de ses demandes au titre du licenciement nul et vexatoire.
Et statuant à nouveau des chefs infirmés
Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [U] [J]
Condamne la SARL JCB Concept à verser à Mme [J] les sommes suivantes :
– 16’000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 8 399,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 839,96 euros au titre des congés payés afférents
Déboute Mme [J] du surplus de ses demandes
Ordonne le remboursement par la SARL JCB Concept, aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à Mme [J] dans la limite de 6 mois d’indemnités en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail’;
Condamne la SARL JCB Concept aux dépens de première instance et d’appel
Condamne la SARL JCB Concept à payer à Mme [J] la somme de 4’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme’Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIERLe PRÉSIDENT