Diffamation : décision du 13 octobre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00613

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Diffamation : décision du 13 octobre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00613
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POUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 13 OCTOBRE 2022

N° RG 20/00613

N° Portalis DBV3-V-B7E-TZBO

AFFAIRE :

Société SARL ENTREPRISE SOUTILLE

C/

[H] [D]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 février 2020 par la Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MONTMORENCY

N° Section : I

N° RG : F17/00618

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées à :

Me Christian BOUSSEREZ

Me Martine DUPUIS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Société SARL ENTREPRISE SOUTILLE

N° SIRET : 502 673 551

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Christian BOUSSEREZ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 89

APPELANT

****************

Monsieur [H] [D]

né le 05 août 1963 à [Localité 6] (MAROC)

de nationalité Marocaine

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Jean-Philippe FELDMAN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0275 et Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES,Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier placé lors des débats : Madame Virginie BARCZUK

Rappel des faits constants

La SARL Entreprise Soutille, dont le siège social se situe à [Localité 5] dans le Val-d’Oise, est spécialisée dans les travaux de peinture et de vitrerie. Elle emploie dix salariés et applique la convention collective régionale des ouvriers du bâtiment de la région parisienne du 28 juin 1993.

Après un premier contrat à durée déterminée, M. [H] [D], né le 5 août 1963, a été engagé par cette société le 2 janvier 2008, selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de peintre.

M. [D] a été placé durablement en arrêt de travail à compter du 3 novembre 2015.

Par courrier du 17 mars 2017, la société Entreprise Soutille a convoqué M. [D] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 mars 2017.

Le 5 avril 2017, M. [D] a bénéficié d’une visite médicale auprès de la médecine du travail, à l’issue de laquelle, il a été conclu qu’une étude de poste était à prévoir pour statuer sur l’aptitude du salarié, avec mention d’un nouvel examen médical en mai 2017.

La société Entreprise Soutille a notifié à M. [D] son licenciement pour désorganisation du service nécessitant son remplacement par courrier du 12 avril 2017, dans les termes suivants :

« Suite à notre entretien préalable auquel nous vous avions convoqué en date du 29 mars 2017 à 9h30 au sein de nos bureaux : [Adresse 4]. Nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement en raison de la désorganisation du service du fait de votre absence et de la nécessité de vous remplacer définitivement. Nous vous précisions cependant que nous vous dispensons de l’exécution de votre préavis et que vous percevrez l’indemnité compensatrice correspondante. Les motifs de ce licenciement sont les suivants :

Le poste de peintre qualification OE2 que vous occupez étant un poste clef de notre activité, nous avons été dans l’obligation d’embaucher un nouveau salarié afin de pallier à la désorganisation de l’entreprise et de réduire la surcharge de travail pesant sur les autres salariés. Compte tenu de la désorganisation et de la nécessité de vous remplacer nous ne pouvons malheureusement pas attendre plus longtemps votre retour au sein de l’entreprise.

Par conséquent, au regard de tous ces motifs nous vous confirmons que nous ne pouvons pas poursuivre notre collaboration. La date de première présentation de cette lettre marquera le point de départ de votre préavis de deux mois qui ne sera pas exécuté. Votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation Pôle emploi vous seront envoyés par courrier.»

À l’issue d’une nouvelle visite médicale le 10 mai 2017, M. [D] a été déclaré inapte à son poste de travail.

M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency en contestation de son licenciement, par requête reçue au greffe le 4 septembre 2017.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 11 février 2020, la formation de départage de la section industrie du conseil de prud’hommes de Montmorency a :

– fixé à la somme de 1 672,10 euros, le salaire moyen brut de M. [D],

– rejeté la demande de suppression des passages diffamatoires et de dommages-intérêts,

– débouté M. [D] de sa demande au titre du manquement à l’obligation de formation,

– débouté M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

– prononcé la nullité du licenciement,

– condamné la société Entreprise Soutille à verser à M. [D] la somme de 30 097,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

– condamné la société Entreprise Soutille à hauteur de la somme de 3 344, 20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et à celle de 334,43 euros pour les congés payés afférents,

– condamné la société Entreprise Soutille à verser à M. [D] la somme de 3 746,66 euros au titre de la différence entre le montant versé et l’indemnité spéciale de licenciement,

– débouté M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour mention vexatoire dans l’attestation destinée à Pôle emploi,

– rappelé que les intérêts au taux légal courent à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter de la décision pour les autres sommes allouées,

– ordonné la capitalisation des intérêts,

– condamné la société Entreprise Soutille à la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Entreprise Soutille aux dépens,

– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision sur le fondement des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile.

M. [D] avait demandé au conseil de prud’hommes :

– d’ordonner la suppression du passage diffamatoire des conclusions de la société Entreprises Soutille : « La pièce n°22 du demandeur est nécessairement un montage et en conséquence un faux »,

– de fixer la moyenne des salaires à 1 672,10 euros,

– de condamner la société Entreprise Soutille à lui payer les sommes suivantes :

. 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,

. 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

. 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

à titre principal,

– de condamner la société Entreprise Soutille à lui payer la somme de 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

à titre subsidiaire,

– de condamner la société Entreprise Soutille à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

en tout état de cause,

– de condamner la société Entreprise Soutille à lui payer les sommes suivantes :

. 3 344,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 334,42 euros au titre des congés payés afférents,

. 3 746,66 euros à titre de rappel sur indemnité de licenciement,

. 2 000 euros de dommages-intérêts pour mention vexatoire dans l’attestation Pôle emploi,

. 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,

– d’ordonner la remise des bulletins de paie rectifiés et des documents sociaux conformes,

– de se réserver le droit de liquider l’astreinte,

– d’assortir le tout des intérêts au taux légal et de capitaliser les intérêts,

– de prononcer l’exécution provisoire de droit ainsi que la condamnation de la société Entreprise Soutille aux dépens.

La société Entreprise Soutille avait quant à elle demandé au conseil de prud’hommes :

– de débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes,

– de lui déclarer inopposable la reconnaissance de la maladie professionnelle du salarié faute de notification à ce dernier par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Val-d’Oise,

– d’ordonner l’exécution provisoire,

– de condamner M. [D] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.

La procédure d’appel

La société Entreprise Soutille a interjeté appel du jugement par déclaration du 28 février 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/00613.

Par ordonnance rendue le 29 juin 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 septembre 2022.

Prétentions de la société Entreprise Soutille, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 3 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Entreprise Soutille demande à la cour d’appel de :

– constater qu’il n’est pas justifié qu’elle ait reçu la notification de la reconnaissance de maladie professionnelle de M. [D] par la CPAM du Val-d’Oise,

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il :

. a prononcé la nullité du licenciement de M. [D] et l’a condamnée à lui verser la somme de 30 097,80 euros à titre d’indemnité pour nullité du licenciement,

. l’a condamnée à hauteur de la somme de 3 344,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et à celle de 334,43 euros pour les congés payés afférents,

. l’a condamnée à verser à M. [D] la somme de 3 746,66 euros au titre de la différence entre le montant versé et l’indemnité spéciale de licenciement,

. a rappelé que les intérêts au taux légal courent à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du jugement pour les autres sommes allouées,

. a ordonné la capitalisation des intérêts,

. l’a condamnée à la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

. l’a condamnée aux dépens.

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [D] de ses autres demandes,

et statuant de nouveau,

– dire que le licenciement auquel elle a procédé était fondé sur des motifs réels et sérieux,

– rejeter l’appel incident formé par M. [D],

– dire notamment que la demande de suppression des passages diffamatoires fondée sur l’article 41 in fine de la loi du 29 juillet 1881 est prescrite en application de son article 65,

– rejeter l’ensemble des demandes formées par M. [D] en cause d’appel.

La société appelante sollicite en outre une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de l’intimé aux dépens.

Prétentions de M. [D], intimé

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 3 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [D] demande à la cour d’appel de :

– déclarer recevable mais mal fondé l’appel interjeté par la société Entreprise Soutille,

en conséquence,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

. fixé à la somme de 1.672,10 euros le salaire moyen brut de M. [D],

. prononcé la nullité du licenciement,

. condamné la société Entreprise Soutille à lui payer les sommes de :

. 3 344,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 334,42 euros au titre des congés payés afférents,

. 3 746,66 euros au titre de la différence entre le montant versé à titre d’indemnité de licenciement et l’indemnité spéciale de licenciement,

. rappelé les intérêts au taux légal,

. ordonné la capitalisation des intérêts,

. condamné la société Entreprise Soutille à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

. condamné la société Entreprise Soutille aux dépens,

. débouté la société Entreprise Soutille de toutes ses demandes, fins et prétentions,

– déclarer M. [D] recevable et bien fondé en son appel incident,

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

. rejeté la demande de suppression des passages diffamatoires et de dommages-intérêts,

. débouté M. [D] de sa demande au titre du manquement à l’obligation de formation,

. débouté M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

. condamné la société Entreprise Soutille à verser à M. [D] la somme de 30 097,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

. débouté M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour mention vexatoire dans l’attestation destinée à Pôle emploi,

. débouté les parties de leurs demandes autres,

et statuant à nouveau,

– condamner la société Entreprise Soutille à lui payer les sommes suivantes :

. 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère diffamatoire des conclusions de première instance,

. 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

. 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

. à titre principal, 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

. à titre subsidiaire, 40 000 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive,

. 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour mention vexatoire dans l’attestation Pôle emploi.

Le salarié intimé sollicite par ailleurs la remise des bulletins de salaire rectifiés et des documents sociaux conformes (attestation Pôle emploi et certificat de travail), sous astreinte de 100 euros par jour, 8 jours après la notification de la décision à intervenir, une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la société Entreprise Soutille aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront être recouvrés par la SELARL Lexavoue Paris-Versailles, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la nullité du licenciement

M. [D] invoque la nullité de son licenciement comme ayant été prononcé pendant une période de suspension de son contrat de travail pour maladie d’origine professionnelle.

Il est rappelé qu’en application des dispositions de l’article L. 1226-9 du code du travail, durant la suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut licencier le salarié sauf faute grave ou lourde, ou impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie.

M. [D] justifie d’un arrêt de travail du 13 janvier 2017 jusqu’au 23 avril 2017 (sa pièce 3), le licenciement lui ayant été notifié le 12 avril 2017.

Il est constant que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’employeur a connaissance de l’origine professionnelle de la maladie, spécialement lorsque celui-ci a connaissance d’une demande de reconnaissance d’une telle origine.

Il sera constaté à ce sujet que les certificats médicaux des 22 novembre 2016 et 13 janvier 2017 produits par le salarié (ses pièces 2 et 3) font état d’une maladie d’origine professionnelle.

Surtout, la société Entreprise Soutille reconnaît expressément aux termes de ses conclusions, page 7, avoir reçu deux courriers de la CPAM des 9 mars 2017 et 19 juin 2017, lui notifiant le rejet de l’admission du caractère professionnel de deux demandes formulées par le salarié en 2015 et 2016 (pièces 10 et 14 de l’employeur). Elle reconnaît également avoir été destinataire d’une lettre de la CPAM de l’Hérault du 17 janvier 2019 l’informant du refus de reconnaissance du caractère professionnel d’une rechute déclarée le 21 novembre 2018 (pièce 15 de l’employeur).

Il se déduit de ces constatations que l’employeur avait connaissance que le salarié revendiquait l’application de la législation sur les risques professionnels, peu important que la société Entreprise Soutille n’ait pas été destinataire de la lettre de notification de reconnaissance de la maladie professionnelle de son salarié au moment où elle a procédé à son licenciement.

Conformément aux dispositions de l’article L. 1226-13 du code du travail, en l’absence de faute grave du salarié ou d’impossibilité pour l’employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle, non caractérisée en l’espèce, la rupture du contrat de travail pendant la période de suspension doit être dite nulle, par confirmation du jugement entrepris, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner l’autre fondement de nullité invoqué par le salarié, tenant à la discrimination en raison de son état de santé, ni la demande subsidiaire relative au bien-fondé du licenciement.

Sur l’indemnisation du salarié

Outre des dommages-intérêts, le salarié licencié au cours de la période de suspension du contrat de travail qui ne demande pas sa réintégration, peut prétendre à l’indemnité légale, conventionnelle ou contractuelle de licenciement et à une indemnité compensatrice de préavis.

Indemnité pour licenciement nul

M. [D] sollicite de nouveau devant la cour une somme de 40 000 euros, ainsi qu’il l’avait fait devant le conseil de prud’hommes.

Pour autant, au vu de l’âge du salarié (53 ans) et de son ancienneté au moment du licenciement (9 ans), des indemnités de chômage perçues inférieures de 40 % à son salaire, de ses charges de famille (trois enfants encore mineurs), la cour estime que le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation du préjudice subi par le salarié du fait de la nullité de son licenciement, en lui allouant une indemnité de 30 097,80 euros, et mérite donc d’être confirmé sur ce point.

Indemnité spéciale de licenciement

L’article L. 1226-14 du code du travail dispose : « La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9 ».

Il est constant que le bénéfice de ces dispositions n’est prévu qu’au seul profit des salariés licenciés pour inaptitude ou dont la déclaration d’inaptitude est antérieure à la rupture du contrat de travail.

Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, ainsi que cela a été indiqué précédemment.

M. [D] doit dès lors être débouté de cette demande, par infirmation du jugement entrepris, étant précisé que les parties admettent toutes les deux que l’indemnité de licenciement a d’ores et déjà été versée.

Indemnité compensatrice de préavis

M. [D] peut ici prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 3 344,20 euros outre les congés payés afférents à hauteur de 334,42 euros, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la diffamation

M. [D] explique que son employeur a allégué en première instance qu’il avait produit une pièce 22 qui serait « nécessairement un montage et en conséquence un faux », la date de l’envoi postal de la CPAM du Val-d’Oise étant du 20 octobre 2016 alors que la prise en charge de la maladie serait du 26 avril 2016 et que l’envoi postal serait du 7 juin 2017. Il considère cette allégation comme étant « scandaleuse », dans la mesure où il a communiqué un duplicata du 7 juin 2017 qu’il a demandé à la CPAM, qui explique le décalage des dates et que par la suite, compte tenu de la contestation émise, il a produit l’original de la lettre.

La société Entreprise Soutille oppose la prescription de l’action en diffamation du salarié.

Il est rappelé qu’en application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’action civile en diffamation se prescrit par trois mois.

En l’espèce, il est justifié que le salarié avait connaissance des conclusions litigieuses depuis le 15 octobre 2018 (sa pièce 35).

Toutefois, M. [D], qui prétend avoir formulé sa demande au titre de la diffamation le 9 janvier 2019, soit moins de trois mois après, produit certes la lettre recommandée d’envoi de ses conclusions (sa pièce 34) mais ne produit pas les conclusions elles-mêmes, qui, seules permettraient de vérifier qu’il a bien formulé cette demande. Il ne justifie dès lors pas de l’interruption de la prescription dans le délai de trois mois.

L’action à ce titre doit donc être déclarée irrecevable, comme étant prescrite.

Le jugement, qui a débouté le salarié de sa demande, sera infirmé sur ce point, la demande de suppression des passages prétendument diffamatoires sera dite prescrite.

Sur la formation

M. [D] sollicite l’allocation d’une somme de 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation. Il indique n’avoir bénéficié d’aucune formation pendant toute la durée de son contrat de travail.

La société Entreprise Soutille conteste la demande. Elle fait valoir qu’elle envoie chaque année à tous ses salariés le nombre d’heures de formation auquel ils peuvent prétendre, que M. [D] a fait une unique demande, qui lui a été refusée parce qu’il était en arrêt maladie. Elle ajoute à titre subsidiaire que le salarié ne justifie d’aucun préjudice en lien avec l’absence de formation.

Sur ce, l’article L. 6321-1 du code du travail dispose : « L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en ‘uvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l’article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d’obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l’acquisition d’un bloc de compétences ».

La société Entreprise Soutille admet, aux termes de ses conclusions, que le salarié n’a bénéficié d’aucune formation durant toute la relation contractuelle.

M. [D] a certes été placé durablement en arrêt de travail à compter du 3 novembre 2015 jusqu’à son licenciement, mais il a travaillé pendant plus de 7 ans, entre le 2 janvier 2008, date de son embauche, et le 3 novembre 2015, date du début de son arrêt de travail, sans avoir bénéficié d’aucune formation, l’employeur ne rapportant pas la preuve de lui avoir fait des propositions que le salarié aurait refusées, ce qui lui a causé un préjudice.

Dans ces conditions, il sera retenu, par infirmation du jugement entrepris, que l’employeur a manqué à son obligation et que ce manquement a causé un préjudice au salarié qu’il convient d’évaluer, compte tenu notamment de la durée du manquement, de la qualification du salarié, de son âge et de son besoin en formation, à la somme de 1 000 euros.

Sur l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail

M. [D] fait valoir qu’il a été engagé en 2008 en qualité de peintre au coefficient 170, niveau 1, position 2, et que neuf ans plus tard, il n’a pas vu son coefficient évoluer, alors que le niveau 1, position 2 correspond, selon la convention collective, à une première spécialisation dans l’emploi, avec ou sans spécialisation dans l’emploi. Il sollicite l’allocation d’une somme de 7 500 euros à titre de dommages-intérêts sur ce fondement.

La société Entreprise Soutille s’oppose à la demande. Elle soutient que M. [D] a été engagé en qualité de peintre OE2, niveau 2, au coefficient 185, que ses bulletins de salaire confirment ce coefficient jusqu’en mars 2011 inclus, que la modification du coefficient à partir d’avril 2011 résulte d’une erreur du service de la comptabilité mais que la rémunération du salarié a été maintenue au salaire de base de 1 697,81 euros et même augmentée et est en toute hypothèse supérieure au salaire minimum conventionnel du coefficient fixé à 1 522 euros. Elle ajoute que M. [D] ne justifie d’aucun préjudice susceptible de conduire à l’allocation de dommages-intérêts.

Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Il résulte des mentions du contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2008 que M. [D] a été engagé en qualité de peintre au coefficient 170, position 2, niveau 1 et non OE2, niveau 2, au coefficient 185, comme le soutient manifestement à tort l’employeur (pièce 1 du salarié).

L’étude des bulletins de salaire montre que ceux-ci mentionnent un coefficient 185 jusqu’en avril 2011 puis un coefficient 170 ou parfois aucun, jusqu’à la rupture du contrat de travail. Elle révèle par ailleurs que le coefficient indiqué est sans rapport avec le salaire de base versé, lequel s’élève à 1 547,81 euros d’avril 2008 à décembre 2008 inclus puis à 1 697,81 euros à compter de janvier 2009 jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Si les mentions des documents contractuels apparaissent incohérentes entre elles, il apparaît que M. [D] a bénéficié d’une augmentation en janvier 2009 et que son salaire était supérieur aux minimas conventionnels du coefficient 185, fixé par exemple à 1 522 euros à compter du 1er janvier 2016 (pièce 8 de l’employeur).

Dans ces conditions, le salarié ne justifie d’aucun préjudice susceptible de commander l’allocation de dommages-intérêts.

Ce dernier sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les mentions de l’attestation destinée à Pôle emploi

M. [D] sollicite l’allocation d’une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, reprochant à son employeur d’avoir indiqué sur l’attestation destinée à Pôle emploi « licenciement pour désorganisation de l’entreprise » comme motif de rupture du contrat de travail. Il prétend que cette mention est vexatoire car elle laisse croire à une faute commise de sa part, dommageable à l’égard des tiers et notamment des éventuels futurs employeurs.

La cour constate en effet qu’il est mentionné sur l’attestation Pôle emploi, aux points 6 et 9 de l’imprimé, « licenciement pour désorganisation du service » (pièce 11 de l’employeur).

Pour autant, et ainsi que le soutient la société Entreprise Soutille, cette mention, dont la précision est imposée par l’imprimé réglementaire, correspond à la réalité du motif de rupture, tel qu’il résulte de la lettre de licenciement, et constitue donc un élément objectif, insusceptible de caractériser une mention vexatoire.

M. [D] sera en conséquence débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la remise des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt

M. [D] est bien fondé à solliciter la remise par la société Entreprise Soutille d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle emploi conformes au présent arrêt.

Il n’y a pas lieu, en l’état des informations fournies par les parties, d’assortir cette obligation d’une astreinte comminatoire. Il n’est en effet pas démontré qu’il existe des risques que la société Entreprise Soutille puisse se soustraire à ses obligations.

Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur.

Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation pour les créances contractuelles et à compter du jugement, qui en fixe le principe et le montant, pour les créances indemnitaires (à l’exception de la créance au titre de l’absence de formation, dont les intérêts de retard courront à compter du prononcé de l’arrêt qui en a fixé le principe et le montant).

En application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La société Entreprise Soutille, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens, lesquels seront recouvrés, pour ceux d’appel, directement par la SELARL Lexavoue Paris-Versailles, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [D] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 500 euros.

La société Entreprise Soutille sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Montmorency le 11 février 2020, excepté en ce qu’il a condamné la société Entreprise Soutille à payer à M. [H] [D] la somme de 3 746,66 euros au titre de la différence entre le montant versé et l’indemnité spéciale de licenciement, en ce qu’il a débouté M. [H] [D] de sa demande au titre du manquement à l’obligation de formation et en ce qu’il a débouté M. [H] [D] de sa demande de suppression des passages prétendument diffamatoires,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la demande de suppression des passages prétendument diffamatoires est prescrite,

DÉBOUTE M. [H] [D] de sa demande au titre de la différence entre le montant versé et l’indemnité spéciale de licenciement,

CONDAMNE la société Entreprise Soutille à payer à M. [H] [D] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation,

CONDAMNE la société Entreprise Soutille à payer à M. [H] [D] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le Bureau de Conciliation et d’Orientation sur les créances contractuelles et à compter du jugement sur les créances indemnitaires à l’exception de la créance pour défaut de formation dont les intérêts courront à partir de l’arrêt,

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt,

ORDONNE à la société Entreprise Soutille de remettre à M. [H] [D] un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes au présent arrêt,

DÉBOUTE M. [H] [D] de sa demande d’astreinte,

CONDAMNE la SARL Entreprise Soutille à payer à M. [H] [D] une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SARL Entreprise Soutille de sa demande présentée sur le même fondement,

CONDAMNE la SARL Entreprise Soutille au paiement des entiers dépens, dont distraction, pour ceux d’appel, au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine BOLTEAU-SERRE, Président, et par Mme Virginie BARCZUK, Greffier placé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER placé, LE PRÉSIDENT,

 


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