Diffamation : décision du 26 janvier 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01178

·

·

Diffamation : décision du 26 janvier 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01178

N° RG 21/01178 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IW63

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 26 JANVIER 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 22 Février 2021

APPELANT :

Monsieur [K] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Sandrine DORANGE, avocat au barreau de DIEPPE

INTIMEE :

Société ALBATRE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Olivier JOUGLA de la SELARL EKIS, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Roman GACEM, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 14 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 Janvier 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 26 Janvier 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [K] [P] a été engagé le 12 juillet 2012 par la société Albatre en contrat à durée déterminée en qualité d’équipier polyvalent, puis en contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter du 1er octobre 2012.

Il a été licencié pour faute grave le 15 décembre 2016 dans les termes suivants :

‘(…) Le 25 octobre 2016, Mme [I] [M], manager de quart, nous a informés le soir à 21h que vous refusiez de travailler.

Le 30 octobre 2016, vous avez, aux environs de 22h, de nouveau refusé d’accéder aux directives de votre manager de quart, Mme [I] [M].

Le 30 octobre 2016, s’adressant à Mme [G] [V], vous l’avez traitée de ‘broute minou’ et déclarant à une autre salariée ‘tu n’es bonne qu’à monter sur des bites’.

En concomitance avec ces faits, vous avez posté sur Facebook des propos injurieux à caractère diffamatoire à l’égard de vos collègues de travail et de votre supérieur hiérarchique

M. [J].

Vos collègues de travail nous ont rapporté que vous teniez des propos vindicatifs à caractère violent pour les inciter à arrêter de fumer et de boire.

Plusieurs collègues de travail nous ont déclaré qu’ils se sentaient menacés par vous, en exprimant vouloir notifier à la direction leur droit de retrait afin de ne pas travailler avec vous en conséquence de vos propos incohérents et violents.

Le 4 novembre 2016, vous n’avez pas repris votre poste de travail et ne nous avez fourni aucun motif légitime d’absence.

Deux avis d’arrêt de travail, l’un initial, l’autre de prolongation, nous ont été communiqués ultérieurement, reçus postérieurement à la date prévue pour l’entretien préalable, expédiée suivant lettre simple de votre avocat datée du 22 novembre courant.

Nous considérons que votre comportement, vos propos injurieux, sexistes, violents et menaçants au préjudice de vos collègues de travail, constituent des manquements à vos obligations professionnelles et compromettent résolument le fonctionnement du service auquel vous êtes affecté, ils constituent un manquement évident à la sécurité, et la santé des salariés dont la direction assume la pleine et entière responsabilité, conformément à ses obligations légales de résultat en la matière.

En outre, vous n’avez pas respecté le délai maximal de justification de votre absence pour maladie. Votre avocat, dans sa correspondance par courrier simple, ne justifiant d’aucune circonstance de nature à légitimer ce retard de transmission.

Nous considérons donc que l’ensemble de ces faits constituent une faute grave, rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise. (…)’.

Par requête du 13 décembre 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Dieppe en contestation du licenciement, ainsi qu’en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 22 février 2021, le conseil de prud’hommes a déclaré prescrites les demandes de M. [P], l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer à la société Albatre la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

M. [P] a interjeté appel de cette décision le 18 mars 2021.

Par conclusions remises le 20 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [P] demande à la cour d’infirmer le jugement et de :

– dire son licenciement nul, et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse, et condamner en conséquence la société Albatre à lui payer les sommes suivantes :

indemnité légale de licenciement : 1 336,79 euros

indemnité de préavis : 2 412,36 euros

congés payés afférents : 241,23 euros

dommages et intérêts pour licenciement nul, et à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse : 7 237,10 euros

indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 1800 euros.

Par conclusions remises le 21 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Albatre demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de dire en conséquence prescrites les demandes de M. [P], à titre subsidiaire, de débouter M. [P] de toutes ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription des demandes de M. [P]

M. [P] soutient que ses demandes ne sont pas prescrites dans la mesure où son licenciement repose sur une discrimination à raison de son état de santé. Ainsi, il explique que les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas un fait fautif mais s’analysent en une dérive psychique comme l’a souligné la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Rouen et comme le démontrent les différentes auditions des salariés qui évoquent un comportement délirant et inhabituel, ce que n’ignorait pas la société Albatre qui avait connaissance d’une hospitalisation en psychiatrie en juin 2015.

Outre qu’elle conteste avoir été informée de l’état de santé de M. [P], la société Albatre relève qu’il n’a été ni interné à l’issue ou au cours de sa garde à vue alors qu’il a été vu par trois médecins, ni surtout déclaré pénalement irresponsable par le médecin psychiatre qui l’a rencontré le 2 novembre 2016, aussi réfute t-elle le caractère discriminatoire de ce licenciement, ce qui doit conduire à déclarer prescrites les demandes de M. [P] qui a engagé son action plus d’un an après l’entrée en vigueur du nouvel article L. 1471-1 dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017.

Il résulte de l’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa version applicable depuis le 24 septembre 2017, que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture et, conformément à l’article 40-II de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ces dispositions s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de ladite ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Ainsi, a priori, alors que la saisine du conseil de prud’hommes date du 13 décembre 2018, soit plus d’un an après l’entrée en vigueur de l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable depuis le 24 septembre 2017, les demandes présentées par M. [P], toutes en lien avec son licenciement, sont prescrites.

Néanmoins, et alors que le troisième alinéa de cet article écarte cette prescription pour les actions exercées en application de l’article L. 1132-1, lequel est relatif aux discriminations, il convient d’apprécier si ce licenciement revêtait un caractère discriminatoire à raison de l’état de santé de M. [P].

Il résulte de l’article L. 1132-1 du code du travail qu’aucune personne ne peut être licenciée en raison de son état de santé et, en application des articles L. 1132-1, L.1132-4 et L. 2141-5 du code du travail, lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

A l’appui de sa demande, M. [P] produit l’arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Rouen du 10 septembre 2018 aux termes duquel il a été relaxé des faits de menaces de commettre un crime sur le personnel de l’établissement Mc Donald’s de Dieppe en rédigeant un message écrit ‘je peux tous vous exploser’ diffusé sur ‘facebook’, la cour ayant considéré que ‘si les inquiétudes exprimées par les responsables et le personnel de l’établissement qui employait le prévenu étaient légitimes, au regard de la dérive psychique de [K] [P] et du changement de son comportement, et si la plainte a eu le mérite de déclencher l’intervention des autorités policières, judiciaires, puis médicales, avant que cette dérive psychique ne s’aggrave, les faits visés dans la prévention ne constituent pas le délit de menaces de mort, ni un autre délit susceptible de répression’.

Il justifie par ailleurs avoir été hospitalisé au Centre hospitalier [5] entre les 3 et 16 janvier 2015 et il résulte tant de l’audition de sa compagne que de celle de Mme [W], directrice du Mc Donald, qu’il s’agissait d’une hospitalisation en services psychiatriques, la première évoquant des bouffées délirantes et la seconde un comportement étrange et agressif avec ses collègues.

Si l’audition de Mme [W] permet de retenir que la société Albatre a eu connaissance de ces troubles psychiatriques en 2015, au contraire, il n’est nullement établi qu’elle en aurait eu connaissance pour les faits reprochés dans la lettre de licenciement, étant relevé que l’arrêt de travail initial, non produit aux débats, envoyé le 22 novembre 2016 par l’avocate de M. [P], date, selon cette dernière, du 10 novembre, soit dix jours après les faits reprochés, sachant qu’aucun motif médical n’apparaît sur le certificat de prolongation versé aux débats et qu’il n’est pas davantage justifié que la société Albatre aurait été informée de l’hospitalisation de M. [P] du 6 au 17 décembre 2016, pas plus que d’un suivi par le Dr [O], lequel n’a d’ailleurs rédigé un certificat justifiant d’un suivi régulier que le 22 mars 2017.

Aussi, et s’il ressort des différentes auditions de ses collègues devant les services de police qu’il n’était pas dans son état habituel le soir des faits, certains évoquant un regard vide et froid, comme possédé, il ne peut cependant, alors qu’ils confirment tous la réalité des faits reprochés tels que repris dans la lettre de licenciement et la peur qu’ils ont ressentie, être considéré que M. [P] présenterait des éléments de fait de nature à laisser supposer l’existence d’une discrimination à raison de son état de santé.

En tout état de cause, la société Albatre apporte des éléments objectifs justifiant la décision prise dès lors que M. [P], placé en garde à vue dès le 1er novembre 2016, a été vu par deux médecins n’ayant formulé aucune demande d’hospitalisation d’office et que le médecin psychiatre diligenté à cette occasion a indiqué qu’il ne présentait pas d’idée délirante et l’a déclaré pénalement responsable de ses actes, étant au surplus relevé que les faits reprochés aux termes de la lettre de licenciement sont distincts de ceux pour lesquels M. [P] a été relaxé.

Il ne peut en conséquence être retenu que le licenciement de M. [P] reposerait sur une discrimination en lien avec son état de santé et il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré prescrites l’ensemble de ses demandes.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [P] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société Albatre la somme de 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement et contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [K] [P] aux entiers dépens ;

Condamne M. [K] [P] à payer à la SARL Albatre la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [K] [P] de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x