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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 3 – Chambre 1
ARRET DU 15 FEVRIER 2023
(n° 2023/ , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04155 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDGZ5
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Février 2021 – TJ de PARIS – RG n° 18/08413
APPELANTS
Monsieur [L] [T] [A]
né le 06 Mars 1969 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 8]
Monsieur [O] [P] [A]
né le 21 Octobre 1972 à [Localité 9] (92)
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentés par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
ayant pour avocat plaidant Me Emmanuelle COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1114
INTIMES
Madame [K] [R] [J] épouse [A]
née le 08 Octobre 1955 à [Localité 10] (54)
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée et plaidant par Me Emmanuelle LABANDIBAR-LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2163
Monsieur [Y] [A]
né le 26 Octobre 1995 à [Localité 10] (54)
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Alexandra SEBAG, avocat au barreau de PARIS, toque : R100
ayant pour avocat plaidant Me Mélodie JUMEAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : A667
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRASSO, Président, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller,
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
[M] [A] est décédé le 19 avril 2018, laissant pour lui succéder :
-Mme [K] [J], son conjoint survivant,
-M. [Y] [A], son fils issu de son mariage avec Mme [K] [J],
-MM. [L] et [O] [A], ses deux fils nés d’un premier mariage.
[M] [A] avait souscrit quatre contrats d’assurance-vie auprès du Groupement d’intérêt économique AFER sur lesquels il avait versé des primes et effectué des rachats partiels, notamment entre 2011 et 2012, selon les modalités suivantes :
-contrat n°00304717 souscrit le 1er octobre 1978 :
*montant total des primes versées depuis l’ouverture : 2 588 024,44 euros,
*montant des primes versées entre le 16 novembre 2011 et le 11 juillet 2012 : 2 366 156 euros,
*rachat partiel depuis 2012 : 150 000 euros, outre un rachat programmé de 7 500 euros par mois de janvier 2012 à avril 2018,
-contrat n°01153055 souscrit le 1er avril 1981 :
* montant total des primes versées depuis l’ouverture : 211 075,32 euros,
* montant des primes versées entre le 16 novembre 2011 et le 11 juillet 2012 : 188 207,97 euros,
– contrat n°01162122 souscrit le 1er juin 1981 :
* montant total des primes versées depuis l’ouverture : 200 137,03 euros,
* montant des primes versées entre le 16 novembre 2011 et le 11 juillet 2012 : 190 065,6 euros
– contrat n°01165869 souscrit le 1er juillet 1981 :
* montant total des primes versées depuis l’ouverture : 157 176,69 euros,
* montant des primes versées entre le 16 novembre 2011 et le 11 juillet 2012 : 146 505,26 euros.
[M] [A] avait par ailleurs modifié à plusieurs reprises la clause bénéficiaire de ces contrats selon les modalités suivantes :
– le 8 septembre 2011 : désignation en qualité de bénéficiaires de ses quatre héritiers à part égales,
– le 5 décembre 2013 : désignation en qualité de bénéficiaires de MM. [L] et [O] [A] à parts égales,
– le 19 janvier 2016 : désignation en qualité de bénéficiaires de son épouse Mme [K] [J] et de son fils M. [Y] [A] à parts égales,
– le 15 septembre 2017 : désignation en qualité de bénéficiaires de M. [Y] [A] à hauteur de 152 000 euros et de son épouse Mme [K] [J] pour le surplus.
Par actes d’huissier du 13 juillet 2018, MM. [L] et [O] [A] ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris Mme [K] [J] et M. [Y] [A] aux fins de voir ordonner la réintégration à la succession des primes versées en 2011 et 2012 par [M] [A] comme étant manifestement excessives, ou d’obtenir leur requalification en donation déguisée.
Par ordonnance du 8 novembre 2018, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, saisi à cette fin par MM. [L] et [O] [A], a ordonné un séquestre des sommes dues à Mme [J] au titre de ces contrats d’assurance-vie et a désigné M. le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris en qualité de séquestre.
La cour d’appel de Paris a confirmé cette décision par un arrêt du 27 septembre 2019.
Par jugement du 25 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué dans les termes suivants :
-déboute M. [L] [A] et M. [O] [A] de leurs demandes tendant à dire et juger que les primes de 2 890 934,83 euros versées par [M] [A] sur ses contrats d’assurance-vie sont manifestement exagérées ou constituent des donations déguisées, et à ordonner la réintégration et le rapport des primes sur la somme de 2 695 949,75 euros avec intérêts capitalisés,
-déboute Mme [K] [J] de sa demande tendant à voir ordonner la remise des fonds séquestrés,
-déboute Mme [K] [J] de sa demande de dommages et intérêts,
-dit n’y avoir lieu à écarter des débats la pièce n°18 des demandeurs,
-déboute les parties de l’ensemble de leurs demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamne in solidum M. [L] [A] et M. [O] [A] aux dépens,
-accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile à Maître Emmanuelle Labandibar-Lacan,
-ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.
MM. [L] et [O] [A] ont interjeté appel de cette décision le 3 mars 2021.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 8 octobre 2021, les appelants demandent à la cour de :
-déclarer MM. [L] et [O] [A] recevables et bien fondés en leur appel,
y faisant droit,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 25 février 2021 en ce qu’il a débouté MM. [L] et [O] [A] de leurs demandes,
statuant à nouveau,
– juger que les primes de 2 890 934,83 euros versées par [M] [A] entre le 16 novembre 2011 et le 11 juillet 2012 sur les contrats d’assurance-vie souscrits auprès du Groupement d’Intérêt Economique AFER (RCS de Paris 325 590 925 ‘ [Adresse 4]) le 01 octobre 1978 sous le n°00304717, le 01 avril 1981 sous le numéro 01153055, le 01 juin 1981 sous le numéro 01162122 et le 01 juillet 1981 sous le numéro 01165869 – sont manifestement exagérées eu égard à ses facultés patrimoniales, à son âge, à son état de santé, à l’utilité personnelle et économique du placement et qu’elles portent atteinte aux droits des héritiers réservataires,
– juger que les primes versées par [M] [A] sur les contrats d’assurance-vie souscrits auprès du Groupement d’Intérêt Economique AFER (RCS de Paris 325 590 925 ‘ [Adresse 4]) – le 01 octobre 1978 sous le n°00304717, le 01 avril 1981 sous le numéro 01153055, le 01 juin 1981 sous le numéro 01162122 et le 01 juillet 1981 sous le numéro 01165869- constituent une donation déguisée au profit de Mme [K] [J] et de M. [Y] [A],
– juger MM. [L] et [O] [A], héritiers de [M] [A], bien fondés en leur action,
– ordonner à Mme [K] [J] épouse [A] et M. [Y] [A] la réintégration et le rapport à la succession de [M] [A] décédé le 19 avril 2018, de l’intégralité du montant des primes versées sur les contrats d’assurance-vie n°00304717, n°01153055, n°01162122 et n°01165869 entre le 16 novembre 2011 et le 11 juillet 2012 représentant la somme globale de 2 890 934,84 euros,
-compte tenu des rachats partiels effectués par [M] [A], juger que la réintégration et le rapport à la succession des primes devra s’effectuer sur la somme de 2 695 949,75 euros c’est-à-dire sur la valeur de rachat de l’ensemble des assurances vie au jour de son décès,
– dire et juger que les sommes rapportées à la succession devront produire intérêts avec capitalisation annuelle à compter de la date du décès de [M] [A] intervenu le 19 avril 2018,
en tout état de cause,
– constater l’absence d’appel incident de Mme [J] du débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et matériel et confirmer en conséquence le jugement de ce chef,
– débouter M. [Y] [A] et Mme [K] [J] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,
– condamner solidairement Mme [K] [J] épouse [A] et M. [Y] [A] au paiement de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 décembre 2021, Mme [K] [J], intimée, demande à la cour de :
-débouter M. [L] [A] et M. [O] [A] en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
-condamner M. [L] [A] et M. [O] [A] au paiement de la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral et matériel causé à Mme [K] [A] par le blocage des contrats AFER,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait ordonner la réintégration des primes manifestement exagérées :
-ordonner que la réintégration du montant des primes non rachetées par M. [M] [A] soit 1 687 644,79 €,
-condamner solidairement M. [L] [A] et M. [O] [A] au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner solidairement M. [L] [A] et M. [O] [A] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Emmanuelle Labandibar-Lacan.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 novembre 2021, M. [Y] [A], intimé, demande à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel,
– débouter MM. [L] et [O] [A] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
et y ajoutant,
– condamner solidairement MM. [L] et [O] [A] à payer à M. [Y] [A] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– condamner solidairement MM. [L] et [O] [A] à payer à M. [Y] [A] la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile,
– condamner solidairement MM. [L] et [O] [A] aux entiers dépens de la présente instance au titre de l’article 699 code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.
L’affaire a été appelée à l’audience du 11 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et les demandes des appelants tendant à voir « juger » ne constituant pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert, mais étant le seul rappel de leurs moyens, ne feront en conséquence pas l’objet d’une mention au dispositif.
Sur la demande de réintégration des primes manifestement exagérées à l’actif successoral
MM. [L] et [O] [A] invoquent le caractère manifestement excessif des primes versées par leur père en 2011 et 2012 pour un montant total de 2.890.933 euros sur quatre contrats d’assurance-vie ouverts entre 1978 et 1981, qui représentent 91,6 % des primes totales versées par [M] [A] au cours de sa vie.
Ils se prévalent d’une disproportion entre le patrimoine successoral et les contrats d’assurance-vie souscrits et de la prétendue intention du défunt de contourner la loi successorale, par le biais d’une donation déguisée, faisant notamment valoir que les contrats d’assurance-vie souscrits ne présentaient aucun intérêt personnel et économique pour leur père.
Mme [K] [R] [J] épouse [A] soutient que le décès n’était absolument pas imminent au moment où les primes ont été versées ; que le défunt était un ancien pharmacien et avait des revenus importants provenant de son patrimoine immobilier ; que les primes versées étaient en proportion des revenus et du patrimoine du défunt et constituaient un placement utile pour lui.
M. [Y] [A] souligne que le défunt a eu des revenus très importants tout au long de sa vie, qui lui ont permis de se constituer un patrimoine immobilier et mobilier hors du commun, lui-même générateur de revenus.
Pour rejeter la demande, le tribunal a notamment estimé que les demandeurs ne justifiaient pas suffisamment de la réalité du patrimoine du défunt, anciennement pharmacien, à l’époque des versements et qu’il apparaissait légitime que celui-ci ait voulu placer les fonds provenant de la vente de sa pharmacie.
Aux termes de l’article L.132-13 du code des assurances figurant dans le chapitre qui traite des assurances vies et des opérations de capitalisation « le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.
Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »
Le caractère manifestement exagéré des primes s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, des revenus, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci.
Il existe donc un critère quantitatif consistant à apprécier la proportion des primes versées par rapport aux revenus et au patrimoine du souscripteur et un critère qualitatif reposant notamment sur l’utilité de l’opération pour le souscripteur autre que celle de transmettre le capital au(x) bénéficiaire(s), et au vu de son âge, son état de santé, son espérance de vie. Ces critères sont cumulatifs.
A cet égard, les longues considérations des parties sur la santé mentale du souscripteur ou les influences qu’il aurait pu subir ne concernent pas le débat puisqu’aucune demande en nullité n’est formulée.
[M] [A], qui était pharmacien, a souscrit ses contrats d’assurance vie en 1978 et 1981 alors qu’il était marié avec Mme [N], mère de [L] et [O] [A], et âgé de 38 ans pour le premier contrat et de 41 ans pour le second.
Il n’est pas justifié que son espérance de vie était réduite à ces dates alors que son décès est intervenu en 2018.
Entre novembre 2011 et juillet 2012, les différentes primes versées sur les quatre contrats d’adhésion AFER se sont élevées à la somme de 2.890.933 euros et correspondent au prix de vente de la pharmacie qu’il exploitait puisqu’elles s’élèvent à (1.750.000 € + 70.934,83 € + 440.000 €) 2.890.934,83 €.
La cession a en effet été réalisée au prix de 2.750.000 euros auquel il faut ajouter le prix de rachat du stock qui s’élève à la somme de 141.518,62 €. Au total, la vente de la pharmacie de [M] [A] lui a rapporté la somme totale de 2.891.518,62 €.
Pour établir la consistance du patrimoine de leur auteur au moment du versement des primes, les appelants produisent :
– une déclaration de revenus industriels et commerciaux de l’année 2009 qui fait état d’un bénéfice annuel de 64.502 € en 2009.
– l’acte de cession du fonds de commerce de la pharmacie de [M] [A] dans lequel apparaissent les résultats de la pharmacie pour les années 2008, 2009 et 2010 et sur le fondement desquels a été fixé le prix de cession.
-une assignation établie par Mme [J] en date du 8 janvier 2014 qu’elle avait adressée à [M] [A] et dans laquelle elle sollicitait du tribunal la condamnation de son mari à lui verser la somme de 7.000 € au titre de sa contribution aux charges du mariage aux motifs que : « en 2012, ses droits à la retraite [de [M] [A]] se sont élevés à la somme de 66.309 euros , soit la somme mensuelle de 5.526 euros. Mais il ne s’agit pas de son unique source de revenus puisqu’en 2011, il déclarait en sus des revenus fonciers, si bien que ses revenus tous confondus se sont élevés à la somme annuelle de 132.013 euros, soit un revenu mensuel de 11.001 euros ».
Mme [J] justifie que, de manière non exhaustive, le défunt était au moment du décès au moins propriétaire des biens suivants :
-appartement dans le 16ème arrondissement, 18 rue du Général Appert, estimé entre 3.000.000,00€ et 3.187.400,00€ ;
– appartement dans le [Adresse 3], estimé à 250.000,00€
– un parking d’une valeur de 10.000€ ;
– ses parts dans la SCI TAITI, dont l’estimation est en cours ;
– des parts dans la SCI [Y], propriétaire des murs de la pharmacie, eux-mêmes d’une valeur approximative de 500.000€ ;
– deux véhicules automobiles Mercedes et Jaguar ;
– comptes bancaires à la HSBC (comptes chèques et comptes épargne) pour un total cumulé de 1.867.560,32€ au jour du décès ;
– compte bancaire au Luxembourg pour 978.000 € ;
– un bien immobilier en Israël.
Le total à parfaire de ce patrimoine appartenant en nue-propriété aux appelants à concurrence de ¿ chacun, générait des revenus, notamment fonciers et les appelants ne font pas état, notamment, des autres revenus fonciers du défunt qui avait conservé les murs de sa pharmacie qui étaient loués.
Ce patrimoine au moment du décès a donné lieu à un important redressement fiscal.
Dès lors que le défunt a cessé son activité de pharamacien en 2008 suite à un accident vasculaire cérébral, et n’en a plus tiré de revenus, son patrimoine était en grande partie figé au moment du versement des primes.
Il ressort des documents fournis par la compagnie AFER que [M] [A] a réalisé des rachats à hauteur de :
– 1.245.223,67€ sur le contrat n° 00304717 ;
– 149.779,50€ sur le contrat n° 01153055 ;
– 67.439,43€ sur le contrat n° 01162122 ;
– 10.912,61€ sur le contrat n° 011655869 ;
Soit un total de 1.473.355,21€.
Les primes finalement versées, soit 1 687 644,79 € après rachats, qui n’ont jamais mis le souscripteur en difficulté financière, ne sont donc pas excessives eu égard à la situation patrimoniale et aux facultés exceptionnelles du souscripteur en 2011 et 2012.
Les contrats litigieux étaient utiles pour le souscripteur puisqu’ils lui ont permis notamment d’y verser dans un but de placement et de prévoyance les fonds provenant de la vente de sa pharmacie de manière optimale pour s’assurer un bon rendement, qui s’est avéré en l’espèce réel et effectif, avoir des liquidités en cas de besoin imprévu en procédant à des rachats si nécessaire, et bénéficier d’avantages fiscaux alors qu’il avait précédemment rencontré des difficultés avec l’administration fiscale.
Si les primes versées doivent servir à la constitution d’un placement à long terme, conforme à la nature du contrat d’assurance-vie, en 2011, [M] [A], après avoir vendu sa pharmacie, était en charge de son épouse et de son dernier fils [Y] alors âgé de 16 ans dont il lui fallait assurer l’avenir, comme il avait assuré celui de ses frères aînés, et ces placements ont présenté un réel intérêt personnel et économique, confirmé par les rachats effectués, pour partie programmés mensuellement et donc destinés à subvenir partiellement aux dépenses de la famille. Le souscripteur en 2011 et 2012 n’était âgé que de 71 ans et s’il avait subi un accident vasculaire cérébral en 2008 l’ayant empêché de poursuivre son activité professionnelle, aucune pièce médicale n’indique que son espérance de vie était menacée à court terme puisqu’il n’est d’ailleurs décédé que dix ans après l’AVC et sept ans après les versements litigieux.
Par suite le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [L] [A] et M. [O] [A] de leurs demandes tendant à dire et juger que les primes de 2 890 934,83 euros versées par [M] [A] sur ses contrats d’assurance-vie sont manifestement exagérées.
Sur la demande de la requalification des primes en donation déguisée et de rapport de ces sommes à la succession
Aux termes de l’article 894 du code civil, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte.
Un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable. Il en est est ainsi lorsqu’il est inéluctable que le bénéficiaire recevra la valeur acquise à l’expiration du contrat qui, à défaut d’aléa, ne peut plus être considéré comme un contrat d’assurance.
En janvier 2011, [M] [A] désignait comme bénéficiaire sa femme, puis, en septembre 2011 ses quatre héritiers à parts égales, puis en 2013 ses deux premiers enfants puis enfin, en 2016 et 2017, sa femme et son dernier fils.
Au moment du versement des primes il n’était donc pas particulièrement animé d’une intention libérable à l’égard de l’un ou l’autre.
Mais en tout état de cause et surtout, dès lors qu’en l’espèce les contrats étaient assortis d’une faculté de rachat, que [M] [A] a d’ailleurs exercée à plusieurs reprises, conservant une réelle possibilité de récupérer ses fonds auprès de l’assureur, il ne peut être soutenu qu’il ait voulu se dépouiller de manière irrévocable au profit du ou des bénéficiaires et la qualification de libéralités ne saurait donc être retenue.
Il n’y a pas donc lieu de requalifier les primes en donation indirecte et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les dommages et intérêts
Mme [J] demande à la cour de condamner M. [L] [A] et M. [O] [A] au paiement de la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et matériel, motifs pris de la gravité des propos tenus à son encontre, laissant penser qu’elle aurait abusé, manipulé, harcelé son époux et détourné des fonds appartenant à la succession.
Elle réitère donc ainsi la demande formée devant le tribunal et, le jugement l’ayant déboutée de sa demande à ce titre, elle est appelante incidente sur ce point.
Cependant, comme le font à juste titre valoir les appelants, ne figure pas, dans le dispositif de ses conclusions remises dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile la prétention tendant à l’infirmation du jugement sur ce point.
Or il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement si l’intimé qui forme appel incident ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions l’infirmation des chefs du dispositif du jugement.
L’appel est postérieur au 17 septembre 2020.
Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [J].
M. [Y] [A] sollicite pour sa part et pour la première fois en appel, la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral au motif que depuis le décès de son père, il subit les multiples procédures judiciaires intentées par ses demi-frères, qui bloquent ainsi la succession, alors qu’il essaie de se concentrer sur ses études et sur son entrée dans le monde professionnel et que l’action des appelants s’inscrit dans un contexte scandaleux et diffamatoire, dont il souffre, et qui l’a conduit à être interrogé pendant de longues heures par les services de police dans le cadre de la plainte pour abus de faiblesse visant sa mère, ce qui a été très éprouvant psychologiquement et physiquement.
Les appelants répondent qu’ils ont dû agir dans les trois mois du décès afin de faire séquestrer les fonds issus de l’assurance vie lesquels doivent, aux termes du code des assurances, être versés dans le mois suivant le décès du souscripteur et pour éviter que les fonds soient dépensés avant la décision à intervenir.
Ils font valoir qu’ils sont disposés à trouver un terrain d’entente et avaient d’ailleurs accepté sans hésiter la médiation organisée par le tribunal judiciaire après l’assignation objet du présent litige.
Aux termes de l’article 1240 du code civil « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
M. [Y] [A] est âgé de 25 ans et a perdu son père à l’âge de 22 ans et il ne peut donc qu’être atteint par la présente procédure et son contexte.
Cependant,l’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts que lorsqu’est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.
Or en l’espèce, M. [L] [A] et M. [O] [A] n’ont fait qu’exercer leur droit d’agir puis leur droit de recours sans qu’un abus caractérisé de ces droits puisse leur être imputé à faute.
Par suite, la demande de dommages et intérêts de M. [Y] [A] sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
L’équité commande de faire droit à la demande des intimés présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; les appelants sont condamnés à leur verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.
Partie perdante, les appelants ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doivent supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions dévolues à la cour ;
Y ajoutant,
Déboute M. [Y] [A] de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne in solidum M. [L] [A] et M. [O] [A] à payer à Mme [K] [R] [J] une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [L] [A] et M. [O] [A] à payer à M. [Y] [A] une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [L] [A] et M. [O] [A] aux dépens de l’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile pour les avocats qui en ont fait la demande.
Le Greffier, Le Président,