Diffamation : décision du 22 février 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00919

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Diffamation : décision du 22 février 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00919
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 FEVRIER 2024

N° RG 22/00919

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCR7

AFFAIRE :

[L] [P]

C/

ASSOCIATION ATHLETIC CLUB DE [Localité 4]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Février 2022 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : AD

N° RG : 21/00063

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELEURL CABINET D’AVOCAT DU PARC MONCEAU

la AARPI LEGIPASS AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [P]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Bernard BENAIEM de la SELEURL CABINET D’AVOCAT DU PARC MONCEAU, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

ASSOCIATION ATHLETIC CLUB DE [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Richard WETZEL de l’AARPI LEGIPASS AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2215, substitué par Me Kate GONZALEZ, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 Janvier 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Nouha ISSA,

EXPOSE DU LITIGE.

M. [L] [P] a été embauché, à compter du 1er septembre 2009, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’éducateur sportif par l’association Athlétic Club de [Localité 4] (ci-après l’association ACBB), en charge d’un club omnisports.

Par lettre du 5 juillet 2017, l’association ACBB a convoqué M. [P] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Par lettre du 2 août 2017, l’association ACBB a notifié à M. [P] son licenciement pour cause réelle et sérieuse à caractère disciplinaire.

Au moment de la rupture du contrat de travail, l’association ACBB employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de M. [P] s’élevait à 2 731,16 euros brut.

Le 17 mai 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de l’association ACBB à lui payer notamment une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral.

Par jugement du 8 février 2022, le conseil de prud’hommes a :

– dit que le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamné l’association ACBB à payer à M. [P] les sommes suivantes :

* 16’386,96 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que les condamnations sont assorties de l’exécution provisoire de droit avec intérêts au taux légal à compter du prononcé et capitalisation ;

– ordonné à l’association ACBB de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [P] à compter du jour de son licenciement et dans la limite de six mois d’indemnités ;

– débouté M. [P] du surplus de ses demandes ;

– débouté l’association ACBB de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– mis les dépens à la charge de l’association ACBB.

Le 18 mars 2022, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, M. [P] demande la cour d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a condamné l’association ACBB à lui payer une somme de 16 386,96 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a débouté du surplus de ses demandes, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de :

– condamner l’association ACBB à lui payer les sommes suivantes :

* 21 849,28 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 100’000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

* 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 23 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé des moyens, l’association ACBB demande à la cour de :

– confirmer le jugement attaqué sur le débouté de la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [P] dénué de cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à payer une somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de dire que le licenciement de M. [P] est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes ;

– à titre subsidiaire, réduire les demandes de M. [P] à de plus justes proportions ;

– condamner M. [P] à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Une ordonnance de clôture de l’instruction a été rendue le 12 décembre 2023.

SUR CE :

Sur le bien-fondé du licenciement et l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Considérant que la lettre de licenciement pour cause réelle et sérieuse à caractère disciplinaire notifiée à M. [P], qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée : ‘ (…) Le 11 juin 2017, au cours du tournoi de [E] [Z], vous vous êtes présenté à la table centrale alors que M. [I] [S] et M. [R] [J] y organisaient le déroulement de cette manifestation sportive, impliquant pas moins de 43 équipes de plusieurs associations sportives dont la nôtre, l’ACBB.

Vous avez cru devoir prendre à partie, sans motif et en dehors de toute provocation, messieurs [S] et [J], en vociférant votre colère et en adoptant ostensiblement une attitude agressive, colérique et menaçante.

Vous avez également menacé vos auditeurs en les engageant « à bien réfléchir à leur positionnement, car l’ACBB était leur gagne-pain » et « qu’il leur fallait se méfier », sous-entendant qu’ils allaient faire l’objet d’une mesure de licenciement s’ils ne se pliaient pas à vos désidératas.

M. [S] a alors été contraint à vous inviter à sortir afin de ne pas perturber davantage le tournoi et à vous demander de vous calmer.

Afin d’éviter de nouveaux débordements de votre part et ne pas porter atteinte à la sécurité des mineurs placés sous notre responsabilité, nous avons été contraints de prendre des dispositions afin de réorganiser les cours de ces deux personnes.

Ce comportement adopté dans le cadre de l’exécution de votre contrat de travail n’est pas acceptable et justifie à lui seul le licenciement prononcé à votre encontre. Vous avez, par votre comportement irresponsable, porté atteinte à l’image de l’ACBB dans le cadre d’une représentation sportive importante.

Par ailleurs, le 7 juin 2017, vous avez critiqué ouvertement les procédures mises en place au sein de notre association afin d’y assurer notre obligation de sécurité imposée par le Code du travail.

En effet, dans le cadre de l’enquête diligentée par la Caisse primaire d’assurance maladie concernant la déclaration de M. [P] [P], vous avez affirmé qu’« il est impossible que les athlètes se mettent en arrêt maladie à chaque fois qu’ils sont blessés ». Lorsque l’on vous a rappelé que c’était pourtant la règle, vous avez vivement répondu qu’il s’agissait « de conneries ».

Il n’est pas possible d’accepter de tels accès de colère et votre refus d’appliquer des

consignes à fortiori lorsqu’elles découlent pourtant des dispositions de la loi (…)’ ;

Considérant que M. [P] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que, d’une part, il n’a eu aucune attitude excessive, menaçante ou colérique envers deux autres salariés lors de la discussion intervenue le 11 juin 2017, au cours de laquelle est seulement survenue un désaccord, et que, d’autre part, s’agissant de la discussion du 7 juin 2017, il n’a fait que critiquer la procédure de déclaration d’arrêt de travail pour maladie en cas de blessures des athlètes salariés dans les limites de sa liberté d’expression et n’a jamais refusé d’appliquer cette procédure ; qu’il ajoute qu’en toute hypothèse la sanction est disproportionnée en l’absence de tout passé disciplinaire depuis son embauche en 2009 ; qu’il réclame en conséquence une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de

21 849,28 euros ;

Que l’association ACBB soutient que les faits reprochés sont établis et constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu’elle conclut donc au débouté de la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Considérant qu’en application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; que, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ;

Qu’en l’espèce, s’agissant des faits du 11 juin 2017, l’association ACBB verse aux débats :

– un courriel de M. [K], président de la section judo, adressé à MM. [J] et [S], professeurs de judo employés par l’association, indiquant qu’il avait vu ‘de loin’ que M. [P] s’adressait à eux ‘de manière véhémente et avec des gestes déterminés’ lors d’une compétition et demandant à ces derniers de lui donner leur version des faits ;

– un courriel de réponse de M. [J] à M. [K] indiquant que M. [P] avait adopté lors de la discussion en cause une ‘attitude’ et un ‘discours’ ‘très agressifs’ et qu’il avait dit ‘qu’il fallait bien réfléchir à nos positionnements car l’ACBB était notre gagne-pain et qu’il fallait nous méfier’ ;

– un courriel de réponse de M. [S] à M. [K] indiquant que M. [P] était ‘assez énervé’ et qu’il avait dit ‘l’ACBB je m’en fous il y a un avant et un après, par contre faites attention l’ACBB c’est votre gagne-pain, méfiez-vous’ ;

Que ces éléments ne sont pas suffisamment précis et circonstanciés pour faire ressortir la réalité d’une attitude agressive, colérique et menaçante de la part de M. [P] envers ses collègues ;

Que de plus, M. [P] verse pour sa part aux débats trois attestations de personnes présentes sur les lieux (pièces n°9 à 11) mentionnant que ce dernier n’avait pas adopté une telle attitude lors de la discussion en cause ;

Que dans ces conditions, la réalité de la faute reprochée à l’appelant n’est pas établie ;

Que par ailleurs, s’agissant des faits du 7 juin 2017, il ressort seulement des débats et des pièces versées que M. [P], lors d’une discussion téléphonique avec M. [W], délégué du personnel, relative à un arrêt de travail pour maladie d’un athlète salarié de l’association, a indiqué qu’il lui ‘semblait impossible que les athlètes se mettent en arrêt maladie à chaque fois qu’ils sont blessés’ et qu’en réponse à l’observation de son interlocuteur selon laquelle ‘c’est la règle’, l’appelant a indiqué ‘c’est des conneries’ ; que M. [P] n’a ainsi fait que marquer sa désapprobation sur cette question à un représentant du personnel en des termes familiers, lesquels sont courants dans le milieu sportif, lors d’une conversation entre collègues ; qu’aucun propos excessif, insultant, dénigrant ou diffamatoire excédant la liberté d’expression du salarié n’est donc établi ; qu’en outre aucun élément ne vient établir un refus effectif de M. [P] de respecter une consigne de l’employeur en ce domaine ;

Qu’il résulte de ce qui précède que le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse comme l’ont justement estimé les premiers juges ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Qu’en conséquence, M. [P] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans leur version applicable au moment de la rupture, soit une somme de 16 386,96 euros ; qu’eu égard à son âge (né en 1962), à son ancienneté de sept années complètes, à l’absence d’élément sur sa situation postérieure au licenciement, il y a lieu d’allouer une somme de 19 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Sur dommages-intérêts pour préjudice moral :

Considérant en l’espèce que M. [P] critique tout d’abord le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement, lequel est déjà indemnisé par l’indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse mentionnée ci-dessus ;

Qu’il soutient ensuite que le licenciement a été prononcé à quelques jours de compétitions auxquelles il devait impérativement assister, ce qui constitue, selon lui, des circonstances vexatoires ; que toutefois, aucun élément ne vient établir une telle intention vexatoire de l’employeur ;

Que par ailleurs et en tout état de cause, M. [P] ne justifie d’aucun préjudice moral à ce titre ;

Qu’il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire ;

Sur le remboursement des indemnités de chômage par l’employeur :

Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu’eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il statue sur ces deux points ; qu’en outre, l’association ACBB sera condamnée à payer à M. [P] une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu’aux dépens d’appel ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement attaqué, sauf en ce qu’il statue sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Condamne l’association Athlétic Club de [Localité 4] à payer à M. [L] [P] les sommes suivantes :

– 19 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne l’association Athlétic Club de [Localité 4] aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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