Droit de réponse : décision du 22 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03131

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Droit de réponse : décision du 22 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03131
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7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°296/2023

N° RG 20/03131 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QX7D

M. [A] [V]

C/

S.A.S. LACROIX ELECTRONICS SOLUTIONS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 27 Mars 2023 devant Monsieur Hervé BALLEREAU et Madame Liliane LE MERLUS, magistrats tenant seuls l’audience en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame Florence RICHEFOU, médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [A] [V]

né le 13 Novembre 1961 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Jean-Christophe CADILHAC, Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉE :

S.A.S. LACROIX ELECTRONICS SOLUTIONS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier CHENEDE de la SELARL CAPSTAN OUEST, Postulant, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Benoit CHARIOU, avocat au barreau de NANTES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Lacroix électronics solutions (L.E.S.), filiale de la société Lacroix électronics, a pour activité le développement et l’industrialisation de fonctions sur des ensembles et des sous-ensembles électroniques pour le compte de clients.

M. [A] [V] a été engagé par la société Matra communications selon un contrat à durée indéterminée en date du 05 avril 1988. Il exerçait les fonctions d’ingénieur développement confirmé et percevait une rémunération mensuelle moyenne de 3 707,05 euros brut.

Le 1er juin 2011, suite à un rachat de la branche Recherches & Développement de la société, le contrat de travail de M. [V] a été transféré à la SAS Lacroix électronics solutions.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Le 05 février 2018, une altercation verbale a eu lieu entre M. [V] et un prestataire de service de la société.

À compter du 06 février suivant, le salarié était placé en arrêt dans le cadre d’un accident de travail, une déclaration d’accident de travail ayant été régularisée auprès de la CPAM.

L’arrêt de travail de M. [V] a fait l’objet de plusieurs prolongations jusqu’au 17 juin 2018.

À l’issue d’une visite de reprise organisée le 18 juin 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail ayant précisé que ‘tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé’.

Par courrier en date du 26 juin 2018, la SAS Lacroix électronics solutions convoquait le salarié à un entretien préalable au licenciement fixé au 06 juillet suivant.

Puis, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 17 juillet 2018, M. [V] s’est vu notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

 ***

M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Quimper le 7 décembre 2018, afin de voir dire et juger son licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.

Il sollicitait le paiement de différentes sommes à titre de dommages-intérêts et la remise de documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte.

Par jugement en date du 04 juin 2020, le conseil de prud’hommes de Quimper a :

– Dit qu’il est incompétent pour connaître des demandes fondées sur un éventuel manquement de l’employeur à son obligation de sécurité lequel aurait occasionné l’accident du travail du 05 février 2018 ;

– Renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le pôle social du tribunal judiciaire de Quimper;

– Dit et jugé que Monsieur [V] n’a pas été victime de harcèlement moral par son employeur ;

– Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [V] est intervenu pour une cause réelle et sérieuse;

– Débouté Monsieur [V] de l’ensemble de ses demandes.

– Débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

– Laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

***

M. [V] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 10 juillet 2020.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 07 juillet 2021, M. [V] demande à la cour d’appel de :

– Infirmer en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de Prud’hommes de Quimper en date du 4 juin 2020 et, statuant à nouveau:

A titre principal :

– Dire et juger nul le licenciement de Monsieur [V] comme étant en lien avec des faits constitutifs de harcèlement moral

– Condamner en conséquence la SAS Lacroix électronics solutions à régler à Monsieur [V], à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, la somme de 100 000 euros (cent mille euros) nette

A titre subsidiaire :

– Dire et juger que le licenciement de Monsieur [V] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, du fait du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en terme de prévention du harcèlement moral

– Condamner en conséquence la SAS Lacroix électronics solutions à régler à Monsieur [V], à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 100 000 euros (cent mille euros) nette

– Condamner la SAS Lacroix électronics solutions à régler à Monsieur [V] la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamner la SAS Lacroix électronics solutions aux entiers dépens en ceux compris les éventuels frais d’exécution forcée de la décision à intervenir.

M. [V] fait valoir en substance que:

– Les difficultés ont commencé environ un an après la reprise de son contrat de travail par la société L.E.S.; de nombreuses modifications dans la situation juridique de l’employeur sont intervenues et les salariés travaillaient dans un climat de crainte permanente de nouvelles suppressions d’emploi et/ou restructurations ; le climat social était tendu ; le DUERP ne contenait aucune mention sur les risques psycho-sociaux ; le règlement intérieur se contentait de citer le code du travail ;

– M. [W] (N+2) était susceptible et orgueilleux ; il n’admettait pas les discussions ; il s’énervait facilement en réunion et invectivait ses collaborateurs en employant un ton discourtois ; au mois de décembre 2013 il a jeté son téléphone portable en direction de M. [V], tout en l’invectivant ; ces faits ont été rapportés à M. [S] (N+1) ;

– Par mail du 19 septembre 2014, la pérennité de son contrat de travail était mise en cause par M. [W], sans qu’il s’agisse toutefois d’une sanction disciplinaire ; cette manoeuvre s’inscrit dans le cadre d’un harcèlement ;

– Le 9 janvier 2015, au cours d’une réunion, il était insulté par M. [TD], Responsable industrialisation produits ; il s’en suivait une alerte au médecin du travail et un arrêt pour maladie ; aucune mesure n’était toutefois prise par l’employeur ;

– Le 5 février 2018, il était violemment pris à partie par M. [J], prestataire de service travaillant sur le même plateau ; le 6 février 2018, il était placé en arrêt de maladie pour choc psychologique et anxio dépression réactionnelle ;

– Le médecin du travail l’a mis en relation avec la psychologue du travail et avec le centre de consultations de pathologies professionnelles de [Localité 5] ; il a été convoqué à 13 reprises par le médecin du travail entre les mois d’octobre 2014 et juin 2018 ; la psychologue du travail a évoqué une situation d’agressivité collective au travail appelée ‘mobbing’ ; son arrêt du travail du 6 février 2018 a été pris en charge au titre de la législation professionnelle et l’employeur évoquait dans la déclaration d’accident du travail des ‘tensions latentes qui avaient pu fragiliser M. [V]’.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 05 janvier 2021, la SAS Lacroix électronics solutions demande à la cour d’appel de :

– Débouter l’appelant de l’intégralité de ses prétentions, fins et conclusions ;

– Condamner l’appelant au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société L.E.S. fait valoir en substance que:

– Il n’est pas établi que M. [V] ait été victime d’une violente agression sur son lieu de travail de la part de M. [W] ; cette affirmation est contredite par un témoin, Mme [OZ] ; M. [V] n’a dénoncé ces faits que 9 mois après leur date, ce qui n’est pas sérieux ;

– Le message de M. [W] du 19 septembre 2014 n’est qu’une expression du pouvoir de direction de l’employeur et pas un agissement de harcèlement moral; M. [V] ne remplissait pas les autorisations de déplacement ; il ne remplissait pas les comptes rendus d’activité en temps et en heure ; des collègues se plaignaient du nombre d’appels personnels passés ou reçus par M. [V] sur le lieu de travail ; il faisait preuve de désinvolture et d’un comportement ‘sans gêne’ ; il n’a jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires;

– Dans son courrier du 6 février 2018, M. [V] ne fait nullement état d’insultes qu’aurait proféré M. [TD] à son encontre le 10 janvier 2015 ; il est surprenant qu’en réaction à une agression violente prétendument subie, M. [V] n’ait rien dénoncé à sa hiérarchie ; il ne justifie d’aucune alerte ; en outre le 10 janvier 2015 était un samedi et personne ne travaillait ce jour là ; le certificat du Docteur [MI] [L], médecin du travail, qui accrédite les allégations de M. [V] est contraire au code de déontologie des médecins ; ce médecin n’a rien constaté ; M. [V] a refusé que le médecin du travail intervienne en 2014 au sein de la société ;

– De nombreux témoignages infirment la thèse du harcèlement soutenue par M. [V] ;

– M. [J] n’était pas présent lors de la réunion du 10 janvier 2015 au cours de laquelle M. [V] prétend avoir été agressé par ce dernier ; aucune répétition de faits n’est établie ; une enquête a été diligentée dès l’information donnée à la direction pour connaître les tenants et aboutissants de l’incident du 5 février 2018; il en est ressorti que M. [V] avait passé outre la demande de M. [J] d’être plus discret lors d’une conversation téléphonique privée et qu’il a provoqué ce dernier, lequel a reconnu lui avoir alors dit ‘je t’emmerde [V]’ et l’avoir traité de ‘connard’ ; M. [J] n’est pas salarié de la société L.E.S. mais prestataire extérieur ; la société L.E.S. n’a donc pas de pouvoir disciplinaire sur la personne de M. [J]; plusieurs témoins attestent que M. [V] a continué après ces faits à provoquer M. [J], lui adressant invectives et insultes;

– La seule déclaration d’accident du travail faite à la suite de l’incident entre M. [V] et M. [J] constitue un fait isolé ;

– La dépression alléguée par M. [V] n’a jamais été constatée médicalement ; il ne lui a été prescrit aucun traitement médicamenteux ; rien n’établit un lien entre les faits allégués et une dégradation de son état de santé ;

– [R] est versé aux débats; aucun facteur de risque psychosocial n’avait été identifié au bureau de [Localité 6] ; l’inspection du travail n’a jamais constaté le moindre manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ; le règlement intérieur contient des dispositions prohibant le harcèlement au travail ; des actions de prévention étaient régulièrement proposées aux collaborateurs qui avaient connaissance de la charte de bonne conduite élaborée dans l’entreprise;

– Le médecin du travail a expressément dispensé l’employeur de rechercher une solution de reclassement; il n’existait donc pas d’obligation de recueillir l’avis des délégués du personnel sur une quelconque solution de reclassement.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 27 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la contestation du licenciement:

1-1: Sur la demande en nullité du licenciement:

En vertu de l’article L1152-1du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.

L’article L1154-1 dispose que ‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.

L’employeur ne peut se prévaloir de l’inaptitude médicalement constatée comme constituant un motif de rupture dès lors que cette inaptitude est consécutive à des faits de harcèlement moral.

Il ne suffit pas cependant au salarié d’alléguer des faits de harcèlement moral. Il doit établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement.

Ce n’est que si tel est le cas, qu’il revient à l’employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

En l’espèce, M. [V] invoque:

– Une altercation survenue au cours du mois de décembre 2013, au cours de laquelle son ‘N+2″, M. [W], responsable du bureau d’études électronique, se serait vivement emporté à son encontre, jetant son téléphone portable dans sa direction ;

– Un mail adressé par M. [W] au mois de septembre 2014, intitulé ‘situation préoccupante’ relevant à son encontre différents griefs, mettant en cause la pérennité de son contrat de travail ;

– Des insultes proférées à son encontre par M. [TD], responsable industrialisation produits, au cours d’une réunion le 9 janvier 2015 ;

– Une agression verbale subie le 5 février 2018 de la part de M. [J], prestataire de service travaillant sur le même plateau ( de type ‘open space’) ;

– Une dégradation de son état de santé consécutive aux agissements subis.

Il convient d’examiner chacun des faits visés afin de déterminer si, pris dans leur ensemble, ils laissent présumer une situation de harcèlement moral.

– S’agissant de l’altercation du mois de décembre 2013, M. [V] ne date pas précisément les faits; il indique simplement que le 11 décembre 2013, M. [W] ‘manifestement sous pression’, lui aurait demandé d’intervenir auprès du client TAS pour modifier sa commande sur le choix d’une peinture entraînant un surcoût de commande et il produit un échange de mails relatifs au choix par le client d’une visserie en inox, tandis que le fournisseur ne souhaite pas livrer la visserie dans ce matériau.

Ces échanges de mails n’apportent aucun éclairage sur les faits précis allégués par M. [V], qui selon ses dires, auraient eu lieu ‘quelques jours plus tard, lors d’un nouveau point technique sur ce même dossier entre M. [V] et M. [W], ce dernier s’est violemment emporté et, d’un geste brusque, a jeté son téléphone portable dans la direction de M. [V] tout en l’insultant et en lui assénant: ‘Ce n’est pas [P] qui aurait dû être viré, c’est toi’. M. [V] a immédiatement rapporté les faits à son supérieur hiérarchique, M. [S], suite à quoi il a été convenu d’un rendez-vous avec le DRH, M. [HW] [Z] (…)’.

Il ne résulte toutefois d’aucun élément vérifiable que cette altercation, qui n’est pas corroborée par des témoignages ou autres éléments, ait eu lieu dans les circonstances et termes évoqués par le salarié, la seule production d’un courriel évoquant les faits, adressé le 29 septembre 2014, soit plus de neuf mois après les faits allégués, non pas à la direction de l’entreprise, mais à M. [X], délégué du personnel, avec copie à l’épouse et à la fille du salarié, ne permettant pas d’en vérifier la matérialité.

Il ne peut à cet égard qu’être constaté l’absence d’écrit adressé aux supérieurs hiérarchiques (N+1 ou N+3, M. [W] étant le N+2) de M. [V] dans les jours ou semaines ayant suivi l’altercation évoquée, afin de dénoncer un comportement que l’intéressé aurait considéré comme anormal de la part d’un collègue.

– S’agissant des faits du mois de septembre 2014, M. [V] verse aux débats un courriel de M. [W] daté du 19 septembre 2014, intitulé ‘Situation préoccupante’ qui fait état d’un déplacement chez le client [F] le 17 septembre 2014 sans qu’ait été établie par le salarié une feuille d’autorisation de déplacement, dont il est indiqué qu’il est le seul de l’équipe à ne pas remplir ce document.

Il est fait état d’une même carence à propos d’un déplacement chez le client SPM.

Il est également fait état de remarques des deux clients [F] et SPM sur un retard de M. [V] au rendez-vous fixé.

M. [W] poursuit dans les termes suivants:

‘J’en profite également pour t’indiquer que:

– nous avons par 2 fois dû remplir pour toi ton CRA lors de tes congés des 2 derniers lundi: quand c’est le cas, merci de les remplir le vendredi soir

– Il n’est pas normal qu’après plusieurs années, il faille encore pour ces CRAs que [C] monte à ton bureau pour cliquer sur la bonne Macro

– Tu as refusé d’aller déposer la voiture de location Avis à la gare, ce que pourtant plusieurs d’entre nous ont déjà fait (c’est une contrainte Avis du vendredi soir)

– [C] avait dû à plusieurs reprises il y a quelques mois prendre en charge des appels personnels pour toi sur un sujet immobilier

– Tu perturbes depuis longtemps tes collègues par des appels personnels de longue durée.

Tu montres de façon globale une désinvolture qui devient problématique.

La liste devient longue et je ne parle pas de la santé de [Y] qui est miné par ton attitude depuis de longues années.

Cette situation ne peut plus durer de mon point de vue, nous en avions pourtant parlé en fin d’année dernière’.

M. [V] indique que les remarques figurant dans ce courriel peuvent paraître dérisoires et auraient pu faire l’objet de remarques verbales.

Il estime toutefois qu’il caractérise ‘une pression pour précipiter l’issue d’une rupture du contrat avec la référence explicite à l’incident précité du mois de décembre 2013 (…)’.

Le message précité contient des reproches énoncés dans le strict cadre du pouvoir de direction de l’employeur et contrairement à ce que soutient M. [V], il n’y est fait aucune référence à ‘l’incident du mois de décembre 2013″, de telle sorte que ce message de M. [W] ne s’inscrit pas dans la chronologie croissante d’actes réitérés depuis 2013.

M. [H], collègue de travail auquel M. [V] adressait copie du message de M. [W], lui répondait le 24 septembre 2014: ‘C’est vraiment d’un niveau cour de récréation (…)’, tandis que le même jour, M. [V] a adressé à M. [S] un message intitulé ‘Situation préoccupante: Droit de réponse’, dans lequel il répond point par point aux griefs formulés par M. [W].

Il doit être relevé à cet égard que l’intéressé ne conteste pas l’absence de formalisation préalable d’une autorisation de déplacement, indiquant: ‘(…) je pense ne pas être le seul de l’équipe (de quelle équipe…), comme indiqué, à oublier de les remplir en temps et en heure (…)’.

Il ne conteste pas plus le retard chez le client SPM, indiquant avoir ‘été pris dans un bouchon puis un fort ralentissement – lui – faisant perdre environ 1 heure’ et être arrivé chez le client ‘sur les coups de 10h30/10h45″, ajoutant: ‘Là-encore, tout le monde savait où j’étais’, sans faire état cependant d’une information téléphonique alors donné par téléphone au client sur son retard compte tenu des conditions de circulation.

L’affirmation selon laquelle ‘aucune heure n’avait été fixée ni par L.E.S. ([N] [H]) ni par SPM ([N] [LA])’ est peu crédible s’agissant d’un rendez-vous professionnel et en tout état de cause, il apparaît pouvoir être légitimement attendu d’un salarié en déplacement de clientèle qu’il avise le client d’un retard, ne serait-ce que par correction et pour préserver l’image de marque de son employeur.

Il doit encore être relevé que M. [V] ne conteste pas utilement l’absence de compte rendu d’activité (CRA), se bornant à indiquer: ‘(…) je ne pense pas que cela mette en cause le fonctionnement de l’entreprise et donc que cela puisse la mettre en péril’, ce qui n’est pas le sujet, le fait de renseigner des CRA faisant partie intégrante des missions du salarié.

S’agissant des appels téléphoniques personnels répétés occasionnant une gêne pour les collègues situés à proximité, M. [V] ne s’explique pas autrement que par l’indication qu’il ‘n’a pas de portable’ et que ‘s’il – lui – arrive de temps à autre d’être appelé sur son fixe professionnel, – il – ne pense pas exagérer les conversations externes et sûrement pas en conversations longue durée (…)’.

Il résulte toutefois de l’attestation de Mme [OZ], assistante du bureau d’études de [Localité 6], qu’elle était régulièrement destinataire d’appels personnels pour M. [V] qui basculaient sur le standard, plusieurs collègues de travail (M. [G], M. [T] – par ailleurs délégué du personnel et membre du CE -, M. [U]) attestant de longs appels téléphoniques à caractère personnel passés à voix haute par leur collègue et entraînant une gêne dans le travail d’autrui.

M. [V] conclut que ‘toutes ces allégations ou insinuations à mon encontre commencent vraiment à peser sur mon état psychologique.

Chaque fait et geste estampilllé [B] [V] est analysé, critiqué, suspecté par quelques personnes mal intentionnées (…) l’intention de me nuire, voir de me licencier, semble réelle (…)’.

Toutefois, au delà d’une telle affirmation qui n’est pas étayée de données objectives sur l’analyse prétendument systématique des faits et gestes de l’intéressé dans le but supposé de lui nuire, et alors que les termes du courriel de M. [W] s’inscrivent dans le strict pouvoir de direction de l’employeur, étant encore observé qu’il n’en est pas demandé la requalification en sanction disciplinaire, plusieurs points (Non remplissage des autorisations de déplacement et comptes rendus d’activité, retards aux rendez-vous de clientèle, appels téléphoniques personnels bruyants sur le lieu de travail) ne sont pas utilement remis en cause par l’intéressé.

S’il résulte du dossier de suivi auprès de la médecine du travail que M. [V] a contacté le médecin du travail le 23 septembre 2014 pour lui indiquer qu’il se sentait ‘pisté, dénigré, mis à l’écart par certains collègues, épié en permanence’ et que ‘les reproches et les provocations lui semblent permanents’, pour autant, il n’est pas présenté d’éléments par le salarié accréditant la réalité d’une telle situation qui ne résulte pas des autres pièces dont il se prévaut, tandis que l’envoi d’un courriel d’observations par l’employeur cinq jours auparavant, s’il a provoqué chez M. [V] le ressenti que relatent les notes du médecin du travail, ne caractérise nullement les agissements décrits par l’intéressé à ce professionnel de santé au travail.

– S’agissant des faits du 9 janvier 2015, M. [V] prétend avoir été insulté par M. [K] [TD], responsable industrialisation produits, lors d’une réunion au cours de laquelle il était question de modifications à apporter à un produit rack RCU.

Il soutient que:

– M. [TD] lui a, à cette occasion, tenu les propos suivants: ‘J’en ai rien à foutre de ce papier’, ajoutant: ‘Enculé, t’es qu’un enfoiré, espèce d’enculé, t’es qu’un enfoiré’ répété sous forme de litanie.

– Etait présent M. [D], qui n’a pas tenté de calmer son collègue.

– Il a alerté sa hiérarchie.

– Messieurs [S] et [W] ont convoqué M. [TD] hors la présence de M. [V] et ont annoncé qu’ils ne prendraient aucune sanction contre le responsable industrialisation produits.

– Il a alerté le médecin du travail qui a considéré que les faits étaient graves et destructeurs, lui conseillant de rencontrer la psychologue du service.

– Il a été placé en arrêt de travail du 12 au 15 janvier 2015.

Il ne résulte d’aucune des pièces produites par M. [V] qu’il ait alerté sa hiérarchie, en l’espèce M. [S] et/ou M. [W], des insultes dont il affirme avoir fait l’objet le 9 janvier 2015.

Ces faits sont relatés pour la première fois par le salarié plus de trois ans après, dans un courrier du 6 février 2018 transmettant à l’employeur un avis d’arrêt de travail, dans lequel il évoque la date du ‘vendredi 10 janvier 2015″, indique-t’il par suite d’une erreur de plume, étant observé que l’exemplaire de ce courrier produit par l’employeur n’évoque pas les faits de 2015 mais uniquement ceux du 5 février 2018.

L’avis d’arrêt de travail établi par le médecin traitant du salarié le 12 janvier 2015 a été prescrit pour trois jours et mentionne une ‘anxiété réactionnelle’.

M. [V] produit un courriel adressé le 21 janvier 2015 au Docteur [MI], médecin du travail, dans lequel il relate les faits précédemment décrits, indiquant qu’il a préféré s’absenter ‘quelques jours pour prendre un peu de recul’, qu’il ne ‘souhaite aucune action qui pourrait mettre cette personne en difficulté professionnelle’ mais qu’il ne souhaite pas non plus que les faits ‘soient classés sans suite et tombent dans la normalité’. Il estime que des personnes ‘semblent donc vouloir profiter de ma position bancale pour m’invectiver en toute impunité. Sans vouloir tomber dans la psychose, ni dénoncer un complot, les faits de ces derniers mois, les attaques diverses, répétées, multidirectionnelles, me paraissent étranges et pourraient faire penser à un mode d’harcèlement moral pour me faire craquer en me mettant à la faute’.

Le Docteur [MI] répondait le 22 janvier 2015 à M. [V] en indiquant notamment: ‘On ne peut pas laisser passer des faits aussi graves et destructeurs pour vous ‘passer’ sans réagir. Je vous conseille de voir notre psychologue (…). Ce genre d’attitude n’est pas admissible. Il est fréquent de voir ainsi le collectif de travail se taire dans de telles situations: pour ne pas être exposés eux-aussi. Ces attitudes restent très traumatisantes pour tous. Il faut qu’elles cessent (…)’.

Nonobstant l’arrêt de travail versé aux débats, il n’est rien noté au dossier de la médecine du travail à la date des faits et l’on y relève la mention suivante: ‘Pas d’arrêt de travail depuis la dernière visite du 06/01/2015 au 07/04/2015 (…) Examen clinique amélioré s’est moins impliqué dans les remarques des collègues évite ainsi le conflit mais pas de communication ce qui gène le travail. Pas de communication entre les collègues. Ambiance très tendue (…)On attend et si situation aigue on pourrait faire intervenir la psychologue. On met une surveillance santé au travail tous les 6 mois (effet protecteur vis à vis de sa hiérarchie) (…)’.

En outre, hormis les déclarations faites par M. [V] auprès du médecin du travail, aucun élément factuel n’établit la réalité d’insultes proférées à l’encontre de l’intéressé par M. [TD], de telle sorte que le contenu du message adressé au salarié le 22 janvier 2015 par le Docteur [MI] ne peut être considéré comme établissant la matérialité du fait allégué.

Le salarié évoque au demeurant la présence, le jour des faits, d’un autre collègue de travail, M. [D], dont il n’apparaît pas qu’il ait été à tout le moins sollicité pour témoigner des faits allégués, quelle que fût sa position de retrait, réelle ou supposée, le jour de l’événement relaté.

La matérialité du fait allégué n’est pas établie.

– S’agissant de l’agression verbale subie le 5 février 2018 de la part de M. [J], prestataire de service, M. [V] affirme avoir été violemment pris à partie par ce dernier, dans les termes suivants: ‘Tu vas la fermer ta grande gueule, tu n’es qu’un sac à merde, vas te faire foutre’ puis ‘C’est bien fait pour ta gueule si tu n’as pas été pris chez Bolloré’, ‘ton travail c’est de la merde’ et enfin: ‘Ne me cause plus [V], t’es qu’un connard’.

M. [V] soutient que plusieurs témoins n’ont pas réagi, Mme [E] située dans le bureau d’en face ayant fermé sa porte, tandis que M. [U], présent au début de l’altercation, aurait quitté les lieux.

M. [V] produit un avis d’arrêt de travail initial prescrit le 6 février 2018 établi sur le formulaire dédié aux accidents du travail pour ‘Choc psychologique: anxio-dépression réactionnelle’ ainsi que le certificat final du 5 octobre 2018 et le courrier de prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels, adressé par la CPAM du Finistère le 25 avril 2018.

Il produit également le questionnaire adressé par la CPAM dans lequel il indique que les faits se sont déroulés ‘suite à un appel téléphonique externe d’une durée de 5 minutes’ et que leur auteur est son ‘voisin de plateau open space’, citant la présence de deux témoins: M. [U] et Mme [E].

Il produit le questionnaire renseigné par l’employeur qui indique: ‘Des tensions latentes au sein du service ont pu fragiliser M. [V] pour prendre le recul nécessaire au traitement sur le champ de cette altercation sans attendre le lendemain le retour des managers’.

M. [M], professeur d’éducation physique et sportive, atteste avoir été l’interlocuteur téléphonique de M. [V] le jour des faits et indique: ‘(…) La communication a été interrompue par un brouhaha lointain dont je ne comprenais pas la teneur.

Je pensais que [A] s’était éloigné du combiné mais je l’ai entendu dire ensuite: ‘Ca ne va pas non ‘

Tu ne me parles pas comme ça, hein ‘ s’adressant à une autre personne proche de lui (…)’.

L’appelant invoque également l’attestation de M. [J], produite par l’employeur, qui relate sa version des faits dans ces termes: ‘(…) Vers 14h30 ou 15h00, coup de téléphone sur le téléphone professionnel de Mr [V], c’est un collègue de sport, Mr [V] était très expressif, hilare avec ce collègue en racontant leurs aventures sportives du WE, comme tous les débuts de semaine.

Hilarant et parlant très fort car [Y], son chef hiérarchique, n’était pas présent ce jour.

Je me suis éloigné de mon poste car dérangé pour continuer sereinement mon travail. Je suis allé voir mes collègues pour exprimer mon ras-le-bol de ces conversations. En retournant à mon poste après quelques minutes, il rigolait de plus belle et, excédé, j’ai craqué.

J’ai exprimé à haute voix que je ne supportais plus de connaître ses mésaventures du WE, il m’a rétorqué ‘Quesque que t’a’ très agressif et ricanant en disant à son ami ‘y a un prestate qui est pas content’ et j’ai lâché un ‘je t’emmerde Mr [V]’, en aucun cas je lui ai dit sac à merde, cela ne fait pas parti de mon vocabulaire.

Je n’aurai pas dû dire cela mais devant ce comportement dédaigneux et méprisant, c’est sorti car impossible de communiquer’.

M. [J] indique que par la suite, il aurait été interpellé par M. [V] en ces termes: ‘Petit prestate de merde, c’est pas un prestate qui va me dire quoique ce soit, t’est qu’un fayot, un lèche cul, tout le monde ne peut pas t’encadrer, ta condition de prestate doit te peser (…)’.

La matérialité de ce fait survenu le 5 février 2018 est établie.

Pour autant, eu égard aux développements qui précèdent, cet événement est isolé et ne s’inscrit pas dans le cadre d’agissements répétés.

M. [V] fait état des conséquences qu’ont eues les faits dont il se prévaut sur sa santé psychique.

Toutefois, contrairement à ce qu’affirme l’appelant, les pièces de nature médicale qu’il produit ne peuvent être mises en lien avec des agissements répétés répondant à la définition précitée donnée par l’article L1152-1 du code du travail, l’événement du 5 février 2018, par son caractère unique et isolé, ne s’inscrivant pas dans un tel cadre, les trois autres faits dont se prévaut M. [V], outre qu’ils sont éloignés les uns des autres dans le temps, n’étant pas établis.

Dans un tel contexte, les déclarations que M. [V] a pu faire aux professionnels de santé qu’il a été amené à consulter, sur son ressenti de la relation professionnelle de travail, sont dénuées de portée quant à la présomption d’une situation de harcèlement moral telle qu’alléguée.

Au résultat des développements qui précèdent, les éléments dont se prévaut M. [V], pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer un harcèlement moral.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [V] de sa demande tendant au prononcé de la nullité du licenciement et de sa demande tendant au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul.

1-2: Sur la contestation de la cause réelle et sérieuse de licenciement:

L’employeur, tenu d’une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

Il appartient à l’employeur d’assurer l’effectivité de cette obligation de sécurité à laquelle il est tenu, en assurant la prévention des risques professionnels.

Il est constant que si l’inaptitude médicalement constatée d’un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.

L’inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu’elle résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation générale de sécurité.

En l’espèce, l’examen des attestations produites par la société L.E.S. révèle qu’il régnait dans l’entreprise un climat pour le moins délétère, que M. [W], l’un des responsables hiérarchiques (N+2) du salarié dont le témoignage a été sollicité par l’employeur, décrit lui-même ainsi: ‘(…) Je souhaiterais en premier lieu puisque M. [V] a réussi l’exploit de se faire rendre inapte auprès de la médecine du travail, signaler que c’est son responsable M. [Y] [S] qui a été miné pendant toute cette période, au point de développer un sérieux problème au pancréas. Il est à noter d’ailleurs que l’ambiance au sein du bureau d’études est plus sereine depuis le départ de M. [V], lequel entretenait un climat de tension régulière (…) M. [V] est une personne qui poussait ses collègues et responsables à bout, il se sentait harcelé alors que c’est lui qui harcelait son responsable (…)’. M. [W] évoque encore le ‘véritable chemin de croix’ qu’auraient constitué pour M. [S] les entretiens annuels devant être conduits avec M. [V].

M. [S], responsable hiérarchique direct de l’intéressé, évoque quant à lui une agression physique qu’il indique avoir subie de la part de M. [V] en 2013, alors qu’il lui avait fait une remarque sur un appel téléphonique personnel dont le niveau sonore élevé gênait la communauté de travail organisée en ‘open space’. Il indique: ‘(…) Il s’est levé et m’a croché dans le col, plaqué sur le mur (…). Dès lors, il m’a tiré physiquement vers mon bureau pour y poursuivre l’altercation. Celle-ci s’est poursuivie pendant plusieurs heures pendant lesquelles il s’est exprimé (…) Je m’en suis tenu à escalader à mon supérieur hiérarchique ([O] [W]) en lui demandant de ne pas donner suite parce-que les conséquences pour [A] [V] pouvaient être lourdes (…).

Il conclut son long témoignage de la manière suivante: ‘En conclusion, depuis 2001, [A] [V] aura contribué à créer un climat très anxiogène me concernant et à placer une chape de plomb sur le BE mécatronique. L’agression physique dont j’ai été la victime aura été définitivement traumatisante et quand je vois la suite des événements, je regrette de ne pas avoir été plus loin dans l’escalade interne que j’aurais pu poursuivre (…)’.

M. [TD] évoque ses échanges depuis plusieurs années avec M. [V] en qualifiant ceux-ci de ‘véritable supplice’: ‘Faites d’insinuations sur mes compétences, mon expérience, il créait une ambiance détestable et très éloignée d’une collaboration qui fait avancer un projet (…)’.

M. [G] évoque des nuisances diverses, gênant selon lui le travail, liées au partage d’un bureau avec M. [V].

Entre le ‘chemin de croix’ décrit par M. [W] à propos des relations de M. [S] avec son subordonné et l’image d’un ‘supplice’ employée par M. [TD] à propos de ses relations professionnelles avec M. [V], la ‘bonne ambiance’ évoquée par M. [I] qui ajoute encore qu’il n’existe pas de problème de communication avec les responsables hiérarchiques de l’entreprise, apparaît totalement illusoire dès lors que les attestations versées aux débats par la société L.E.S. mettent en évidence un dysfonctionnement majeur systémique, manifestement enkysté depuis plusieurs années, mettant en cause le bon fonctionnement du service, sa cohésion et la santé de ses acteurs.

Sans qu’il soit utile et/ou justifié d’entrer dans le débat instauré par les parties sur la responsabilité d’une telle situation, il est établi que M. [V], quel que fût le rôle que lui prêtent certains témoins quant à l’origine du malaise décrit, en a subi les conséquences, ce que traduit très précisément le dossier médical de la médecine du travail qu’il verse aux débats.

On y lit, entre 2014 et 2018 l’expression d’un mal être et d’une anxiété, générés par un climat dégradé au sein de la communauté de travail, justifiant à différentes reprises la consultation d’une psychologue du travail.

C’est également à l’occasion d’un conflit entre M. [W] et M. [V], le 5 février 2018, à propos d’une conversation téléphonique bruyante et source de gêne pour l’entourage, que va être effectuée par ce dernier une déclaration d’accident du travail, suivie d’une prise en charge par la CPAM au titre du risque professionnel.

Ainsi et peu important l’absence de prescription médicamenteuse invoquée par l’employeur, lequel connaissait parfaitement et depuis plusieurs années la situation ainsi que cela résulte des témoignages précités, sans qu’il ne justifie d’une quelconque action concrète de prévention du risque psychosocial, le Document Unique de Prévention des Risques Professionnels (DUERP) étant d’ailleurs totalement muet sur cette question, il est manifeste que la société L.E.S. a failli à l’obligation légale de sécurité à laquelle elle était tenue.

Le Docteur [DJ], médecin du travail, relevait en outre dans la fiche d’entreprise établie à la suite d’une visite effectuée le 21 juin 2018 le fait que les risques psychosociaux ‘doivent être évalués par l’employeur qui doit mettre des mesures de prévention en place pour les éviter’.

Il n’est nullement justifié par la société L.E.S. de la mise en oeuvre de telles mesures alors qu’elle était parfaitement informée de l’existence d’un climat délétère lié à des difficultés relationnelles entre [V] et certains de ses collègues, qui a été jusqu’à entraîner une déclaration d’accident du travail à la suite de l’altercation du 5 février 2018, la société intimée évoquant elle-même dans le questionnaire transmis par la CPAM, ‘des tensions latentes au sein du service – qui – ont pu fragiliser M. [V]’.

Il est établi que cette situation a entraîné pour M. [V] une altération de son état de santé, manifestement liée au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Outre les indications données par les notes du médecin du travail dans le dossier personnel versé aux débats, il résulte d’un certificat du médecin traitant du salarié en date du 15 juillet 2019 qu’il était suivi pour ‘des troubles anxieux et une humeur à thymie basse’, quand bien même ‘cette pathologie n’a pas nécessité la prise de psychotrope compte-tenu d’un bon entourage familial et d’une capacité du patient à compenser par une réflexion personnelle ou la pratique d’activités sportives’.

Ses proches (compagne, enfants) attestent des répercussions visibles qu’ils ont pu noter sur sa santé et son humeur du fait des difficultés relationnelles au travail qu’il relatait, le fait souligné par l’employeur que M. [V] ait pu échanger à ce sujet de façon privilégiée avec l’une de ses filles, exerçant la profession de responsable en ressources humaines, étant dénuée de portée et ne relativisant en rien la réalité des conséquences subies par le salarié du fait d’un dysfonctionnement systémique dont la société L.E.S. n’a pas pris la mesure.

Ces mêmes difficultés organisationnelles, qui se sont notamment manifestées par un problème de gêne acoustique, déjà évoqué par le passé, lié à des appels téléphoniques passés ou reçus par M. [V], sont au moins en partie à l’origine de l’incident du 5 février 2018 qui entraînera la prescription d’un arrêt de travail prolongé jusqu’au 17 juin 2018, mais également la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident par la CPAM.

Dans de telles conditions et sans qu’il soit justifié d’entrer plus avant dans le détail de l’argumentation des parties, l’inaptitude constatée le 18 juin 2018 par le médecin du travail, ajoutant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, trouve manifestement son origine dans un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Dès lors et par voie d’infirmation du jugement entrepris, le licenciement de M. [V] sera jugé sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, compte-tenu des circonstances de l’espèce, de l’ancienneté du salarié (30 ans), de son âge lors du licenciement (56 ans), du salaire brut moyen, tenant compte de l’incidence de la prime de 13ème mois, des six derniers mois précédant l’arrêt de travail (3.766,45 euros), de la situation de l’intéressé à la suite de la rupture justifiée notamment par la production d’une attestation pôle emploi en date du 10 mai 2019 et d’un contrat de travail à durée déterminée de deux mois conclu le 1er juillet 2019 sur un poste de surveillant de piscine à temps complet moyennant un salaire de base de 1.527,64 euros, il est justifié de condamner la société L.E.S. à payer à M. [V] la somme de 23.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail, la société L.E.S. sera en outre condamnée à payer à l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage, actuellement dénommé ‘Pôle emploi’, les allocations servies à M. [V] dans la proportion de trois mois.

2- Sur les dépens et frais irrépétibles:

La société L.E.S., partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel par application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande en revanche de la condamner à payer de ce dernier chef à M. [V] une indemnité d’un montant de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu’il a débouté M. [V] de ses demandes fondées sur l’existence alléguée d’un harcèlement moral ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que le licenciement notifié par la société Lacroix Electronics Solutions à M. [V] par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 17 juillet 2018 est sans cause réelle et sérieuse;

Condamne la société Lacroix Electronics Solutions à payer à M. [V] la somme de 23.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Lacroix Electronics Solutions à rembourser à l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage, dénommé Pôle emploi, les allocations servies à M. [V] à la suite de son licenciement, dans la proportion de trois mois ;

Déboute la société Lacroix Electronics Solutions de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Lacroix Electronics Solutions à payer à M. [V] la somme de 2.500 euros à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Lacroix Electronics Solutions aux dépens de première instance et d’appel.

La greffière Le président

 


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