République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 21/12/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/03846 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UN47
Jugement (RG N° 20/03196) rendu le 14 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTS
Monsieur [W] [S]
né le 12 septembre 1977 à [Localité 4] (Irak)
de nationalité irakienne
demeurant [Adresse 2]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 59178/02/22/006904 du 05/08/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Douai)
représenté par Me Faten Chafi – Shalak, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
Madame [T] [O]
née le 05 février 1976 à [Localité 3] (Irak)
de nationalité irakienne
demeurant [Adresse 2]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 59178/02/22/006905 du 05/08/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Douai)
représentée par Me Faten Chafi – Shalak, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
SARL Kurdonya prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Faten Chafi – Shalak, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur [G] [V]
et
Madame [R] [B] épouse [V]
demeurant ensemble, [Adresse 1]
représentés par Me Jean-Philippe Deveyer, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 07 novembre 2023 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 octobre 2023
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FAITS ET PROCEDURE
Par acte authentique du 26 septembre 2012, la société WD immobilier a donné à bail à la SARL Kurdonya un immeuble à usage commercial situé à [Localité 5] (Nord), 35 Grand Place, pour une durée de 9 années à compter du 1er octobre 2012, pour l’exploitation d’une activité de restauration rapide. Monsieur [S] et son épouse, Madame [O], se sont portés cautions solidaires du preneur à l’égard du bailleur afin de garantir « le paiement régulier et exact des loyers ».
Par acte authentique du 28 décembre 2018, la société WD immobilier a cédé l’immeuble objet du bail à Monsieur [V] et à son épouse, Madame [B].
Par acte d’huissier du 11 février 2019, les époux [V] [B] ont fait délivrer à la société Kurdonya un commandement de payer visant la clause résolutoire du contrat de bail portant sur la somme de 7 556,56 euros, correspondant aux loyers et charges des mois de janvier, février et mars 2019, outre le coût de l’acte pour un montant de 178,60 euros.
Par actes d’huissier des 3 et 11 avril 2019, les époux [V] [B] ont fait assigner les époux [S] [O] et la société Kurdonya devant le juge des référés.
Par ordonnance rendue le 30 septembre 2019, le juge des référés a constaté la résolution du bail au 12 mars 2019, mais dit n’y avoir lieu à référé sur la provision à valoir sur les loyers et les charges restant dus et le montant de l’indemnité d’occupation des lieux.
Par actes d’huissier des 2 et 5 juin 2020, les époux [V] [B] ont en conséquence fait assigner les époux [S] [O] et la société Kurdonya devant le juge du fond.
Par jugement rendu le 14 juin 2022, le tribunal judiciaire de Lille a notamment :
-condamné solidairement la société Kurdonya et les époux [S] [O] à payer aux époux [V] [B] la somme de 9 600 euros au titre des loyers impayés, et celle de 178,60 euros au titre du coût du commandement de payer signifié le 11 février 2019,
-débouté les requérants du surplus de leur demande en paiement,
-débouté la société Kurdonya et les époux [S] [O] de leur demande en paiement, de leur demande de compensation, au titre des charges, frais de gestion et indexation, et de leur demande indemnitaire,
-condamné la société Kurdonya et les époux [S] [O] aux dépens,
-condamné solidairement la société Kurdonya et les époux [S] [O] à payer aux époux [V] [B] la somme de 2 500 euros au titre de leurs frais non compris dans les dépens,
-débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 3 août 2022, la société Kurdonya et les époux [S] [O] ont relevé appel de l’ensemble des chefs de cette décision, à l’exception de celui ayant débouté les époux [V] [B] du surplus de leurs demandes.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions transmises par le RPVA le 28 avril 2023, la société Kurdonya et les époux [S] [O] demandent notamment à la cour de :
Vu les articles 1104 et suivants, 1195 et suivants, 1347 et suivants du code civil,
Dire l’appel recevable et bien fondé ;
Infirmer le jugement du 14 juin 2022 ;
Statuant à nouveau ;
– Débouter les époux [V] [B] de l’ensemble de leurs demandes ;
– Condamner solidairement les époux [V] [B] à verser la somme de 35 904,71 euros à la société Kurdonya au titre du remboursement des charges, frais de gestion et des indexations ;
– Ordonner, le cas échéant, la compensation entre cette somme et toute somme que la société Kurdonya et les époux [S] [O] devraient régler au titre des loyers et charges impayés, à supposer que ces derniers soient justifiés ;
– Constater que les charges du premier semestre de l’année 2019 d’un montant de 3 456 euros, ne sont pas justifiées, n’ont pas fait l’objet de régularisation et doivent être déduites du montant réclamé par les époux [V] [B] ;
– Constater que le montant du dépôt de garantie d’un montant de 6 000 euros doit être décompté des sommes réclamées par les époux [V] [B] ;
– Condamner solidairement les époux [V] [B] à verser la somme de 30 000 euros à la société Kurdonya à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi ;
– Ordonner, le cas échéant, la compensation entre cette somme et toute somme que la société Kurdonya et les époux [S] [O], en qualité de cautions, devraient régler aux époux [V] [B], au titre des loyers et charges impayés, déduction faite du dépôt de garantie d’un montant de 6 000 euros et à supposer que les loyers et charges soient justifiés ;
– Condamner solidairement les époux [V] [B] à verser à la société Kurdonya et aux époux [S] [O] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, dont distraction au profit de Me [M] [Z], outre la prise en charge des entiers dépens.
Par conclusions transmises par le RPVA le 29 janvier 2023, les époux [V] demandent notamment à la cour de :
Vu notamment les articles 1103, 1104 et suivants, 1231-1 du code civil,
– Déclarer irrecevables les nouvelles prétentions développées par « les époux [V] [B] » (sic) et la société Kurdonya au titre de la restitution du dépôt de garantie ;
– Confirmer le jugement rendu le 14 juin 2022 en ce qu’il a constaté que les « défendeurs » étaient débiteurs d’une dette de loyer pour la période de janvier à juin 2019 ;
– Confirmer le jugement rendu le 14 juin 2022 du chef des frais irrépétibles de première instance et des dépens ;
– Réformer néanmoins la décision entreprise sur le quantum des condamnations prononcées et en ce qu’elle a rejeté les demandes formulées au titre des charges impayées ;
– Débouter la société Kurdonya et les époux [S] [O] de l’intégralité de leurs demandes ;
– Condamner solidairement la société Kurdonya et les époux [S] [O] à payer aux époux [V] [B] la somme de 19 674,56 euros ;
– Condamner solidairement la société Kurdonya et les époux [S] [O] à payer aux époux [V] [B] la somme de 178,60 euros au titre du coût du commandement de payer signifié le 11 février 2019 ;
– Condamner solidairement la société Kurdonya et les époux [S] [O] à payer aux époux [V] [B] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Les condamner solidairement aux entiers frais et dépens de l’instance.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l’exposé de leurs moyens.
Par message adressé par le RPVA le 29 novembre 2023, la cour a invité les parties à lui présenter leurs observations, par une seule note en délibéré chacune, sans droit de réponse entre elles, avant le 5 décembre 2023 à 14h00, sur l’applicabilité des articles 1104 et 1195 nouveaux du code civil au litige, eu égard à la date de conclusion du contrat de bail.
Par message RPVA du 4 décembre 2023, les bailleurs ont constaté que les dispositions des articles 1104 et 1195 du code civil n’avaient pas vocation à s’appliquer dans le cadre du litige.
La société locataire et les cautions n’ont pas répondu.
SUR CE
A titre préliminaire, il convient de souligner qu’il n’y a lieu ni de reprendre ni d’écarter dans le dispositif du présent arrêt les chefs de demandes figurant dans les dispositifs des écritures des parties qui portent sur des moyens ou des éléments de fait relevant des motifs et non des chefs du présent arrêt devant figurer dans sa partie exécutoire. Il ne sera donc pas répondu aux demandes de la société Kurdonya et des époux [S] tendant à :
– constater l’absence de régularisation de charges depuis 2014 ;
– constater l’absence de cause des frais de gestion ;
– constater la nullité de la clause d’indexation.
Il ne sera pas davantage statué sur leur demande tendant à faire déclarer leur appel recevable, aucune fin de non-recevoir ne leur ayant été opposée.
I – Sur les demandes en paiement des époux [V] [B]
1) Au titre des loyers et charges
La société locataire et les cautions affirment que la société Kurdonya a quitté les lieux le 1er avril 2019, et non le 1er août 2019 comme le plaident les bailleurs, et qu’il convient de déduire des sommes réclamées par les bailleurs le montant du dépôt de garantie versé lors de l’entrée dans les lieux, qui leur a été reversé par la société WD immobilier lors de leur acquisition. Cette demande est recevable puisqu’elle ne tend qu’à opposer compensation ou faire écarter les prétentions adverses concernant le paiement des loyers et charges, et n’est que l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire aux prétentions soumises aux premiers juges.
La société locataire et les cautions ajoutent qu’en l’absence de régularisation des charges locatives, la société Kurdonya est fondée à obtenir le remboursement des provisions qu’elle a réglées entre 2014 et 2018 pour un montant total de 31 680 euros, et celle 3 456 euros correspondant à la somme de 576 euros (charges mensuelles) x 6 mois, pour 2019.
Elles arguent que la clause du bail relative aux impôts et charges, prévoyant que des frais de gestion » s’élevant à 4% du loyer annuel » seront à régler en sus de la provision pour charges, est nulle. En effet, la société WD immobilier, puis ses successeurs, se sont toujours chargés eux-mêmes de la gestion. Ils ne pouvaient donc répercuter de tels frais à la locataire. La somme indûment versée s’élève à 3 619,17 euros.
En outre, la clause d’indexation, qui exclut la réciprocité de la variation, et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse, doit être réputée non écrite. La somme indûment versée s’élève à 605,54 euros.
Les bailleurs leur doivent donc la somme de 35 904,71 euros, laquelle devra être compensée, le cas échéant, avec toute somme dont serait redevable la société Kurdonya.
Les époux [V] [B] répondent que la société Kurdonya n’a pas quitté les lieux le 1er avril 2019, mais le 1er août 2019, date de la remise des clefs. À cette date, la société locataire restait redevable d’une somme de 19 674,56 euros au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation impayés. Le bail prévoyait une provision sur charge, laquelle a été réajustée sans que la locataire émette la moindre contestation. Le montant des loyers et des charges est justifié par les pièces versées aux débats.
Les bailleurs soutiennent que la demande de déduction du montant du dépôt de garantie de la somme qui leur est due est irrecevable en cause d’appel, en application de l’article 564 du code de procédure civile.
Ils font valoir que la société locataire n’a payé ni les loyers ni les charges dont elle était redevable pour l’année 2019. Les appelants sont donc particulièrement malvenus à solliciter un quelconque règlement à ce titre.
Ils ajoutent que la clause relative aux frais de gestion est parfaitement régulière et que les appelants ne s’expliquent pas sur la raison pour laquelle ces frais ne pourraient pas être répercutés sur le locataire.
Ils soulignent qu’ils ne sont propriétaires et bailleurs des locaux que depuis le 28 décembre 2018 et ne peuvent en conséquence être concernés par les demandes formulées au titre des sommes perçues par le précédent propriétaire et bailleur, qui sont au demeurant prescrites.
Réponse de la cour
Aux termes dispositions de l’article 1134 ancien du code civil, applicable au litige compte tenu de la date de signature du contrat de bail, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes de l’article L112-1 du code monétaire et financier, en sa version en vigueur depuis le 10 janvier 2009, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article L. 112-2 et des articles L. 112-3, L. 112-3-1 et L. 112-4, l’indexation automatique des prix de biens ou de services est interdite.
Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision.
En application des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
En l’espèce, le contrat de bail conclu le 26 septembre 2012 entre la société WD immobilier et la société Kurdonya prévoit :
– en sa clause « loyers », que le loyer annuel s’élèvera, à compter du 1er octobre 2014, à 19 200 euros hors taxes et hors charges, augmenté de l’indexation sur la base de l’indice du 1er trimestre 2012, et que le locataire versera au bailleur, en même temps que chaque terme de loyer, payable d’avance les 1er janvier, avril, juillet et octobre de chaque année, une provision sur les charges, taxes et prestations à sa charge de 480 euros, ajustée chaque année en fonction des dépenses effectuées l’année précédente ;
– en sa clause « impôts – charges », que la locataire remboursera au bailleur les frais de gestion s’élevant à 4% du loyer annuel à payer en sus de la provision pour charges ;
– en sa clause « indexation du loyer », que le loyer sera indexé tous les ans, à la date anniversaire de l’entrée en jouissance, sur l’indice national du coût de la contruction et lui fera subir les mêmes variations d’augmentation, mais qu’en cas de baisse de l’indice choisi, le loyer restera identique sans aucune diminution ;
– en sa clause « dépôt de garantie », que le preneur a payé au bailleur la somme de 3 600 euros à titre de dépôt de garantie ;
– en sa clause « restitution des lieux loués – remise des clés », que le preneur rendra toutes les clés du local le jour où finira son bail.
L’acte de vente de l’immeuble aux époux [V] [B] stipule quant à lui, après avoir rappelé qu’au jour de la vente, le local était donné à bail commercial moyennant un loyer mensuel de 1 937,81 euros, outre une provision mensuelle sur charges de 444 euros, que l’acquéreur percevra les loyers à échoir à compter de l’entrée en jouissance, et que tous comptes de jouissance arrêtés à cette date, et le versement du dépôt de garantie par le vendeur à l’acquéreur, feront l’objet d’un règlement direct entre les parties.
Il n’est pas contesté par les parties que la résiliation du bail est intervenue à la date du 12 mars 2019 conformément à l’ordonnance rendue le 30 septembre 2019 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille.
Les pièces versées aux débats établissent que la société locataire a rendu aux bailleurs les clés du local commercial pris à bail, par courrier officiel de son conseil, le 1er août 2019. La locataire est donc tenue du règlement des sommes dues jusqu’à cette date.
Afin de justifier de leur demande en paiement, les bailleurs versent aux débats un décompte ainsi libellé :
-Loyers et charges janvier 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges février 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges mars 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges avril 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges mai 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges juin 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges juillet 2019 : 2 459,32 euros ;
-Loyers et charges août 2019 : 2 459,32 euros ;
Total : 19 674,56 euros.
Il sera observé que :
-ce ne sont plus des loyers mais des indemnités d’occupation qui sont dues par la société locataire depuis le 12 mars 2019, date d’acquisition de la clause résolutoire, les parties ne contestant pas la poursuite de l’occupation à titre onéreux à compter de cette date ;
– les époux [S] [O] ne se sont portés cautions que des loyers dus par la société Kurdonya.
– compte tenu de la date de restitution du local ci-dessus constatée, la société locataire n’est pas redevable d’une indemnité d’occupation pour le mois d’août 2019.
Par ailleurs, alors qu’il incombe au bailleur qui réclame au preneur de lui rembourser, conformément au contrat de bail commercial le prévoyant, un ensemble de dépenses et de taxes, d’établir sa créance en démontrant l’existence et le montant de ces charges, les bailleurs ne justifient par aucune pièce du montant de la provision pour charges qu’ils réclament. La demande en remboursement formulée à ce titre par la société locataire est donc fondée.
C’est également à juste titre que la société locataire et les cautions observent que la clause d’indexation du bail exclut, en cas de baisse de l’indice, l’ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle, alors que le propre d’une clause d’échelle mobile est de faire varier le loyer à la hausse comme à la baisse. Cette clause, en écartant toute réciprocité de variation, introduit la distorsion prohibée par l’article L.112-2, alinéa 2, du code monétaire et financier, la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence ayant mathématiquement pour effet que la période de révision du loyer devient plus longue que celle de la variation de l’indice. Cette clause doit dès lors être réputée non écrite.
Si les bailleurs arguent, dans le corps de leurs écritures, que les demandes formulées au titre des sommes perçues par la société WD immobilier, bailleur originaire, sont prescrites, ils ne présentent aucune fin de non recevoir de ce chef dans leur dispositif, qui seul saisit la cour en application de l’article 954 du code de procédure civile. Il ne sera donc pas répondu à ce moyen.
En revanche, c’est à bon droit que les bailleurs rappellent qu’ils ne sont devenus propriétaires de l’immeuble donné à bail qu’à compter du 28 décembre 2018. Or, l’acte de vente ne met pas à la charge des acquéreurs l’obligation d’effectuer une restitution incombant au bailleur originaire. Dès lors, la restitution d’un indu de charges et d’indexation des loyers antérieur à la vente de l’immeuble incombe au bailleur originaire, de sorte que la demande de la société locataire et des cautions au titre des indus antérieurs au 28 décembre 2018 ne peut qu’être rejetée.
En outre, la société locataire et les cautions ne justifient nullement en quoi la clause du bail relative aux frais de gestion serait nulle. A supposer qu’ils aient usé d’un terme inapproprié, ils sont mal fondés à contester le montant des frais de gestion fixés de manière forfaitaire par le bail, lequel fait la loi des parties.
En tout état de cause, la demande de la société locataire et des cautions au titre des indus antérieurs au 28 décembre 2018 n’aurait pu qu’être rejetée au regard des observations précédemment formulées sur les restitutions incombant au bailleur originaire, et que le compte réalisé dans les écritures des appelants s’arrête, en ce qui concerne les frais de gestion, à l’année 2017.
Enfin, la demande de la société locataire et des cautions en déduction du dépôt de garantie du montant de la dette locative ne peut qu’être déclarée recevable, en application de l’article 564 du code de procédure civile, en ce qu’elle tend à opposer compensation et à faire écarter les prétentions adverses. Les bailleurs ne lui opposant aucun moyen de fond, l’acte de vente de l’immeuble ayant en outre prévu le versement du dépôt de garantie du vendeur à l’acquéreur, cette demande ne peut qu’être accueillie.
Au bénéfice de ces observations, et en l’absence de toute contestation par les bailleurs des comptes réalisés par la société locataire et les cautions dans leurs écritures, il convient de déduire du montant des loyers, indemnités d’occupation et provisions sur charges appelés par les bailleurs entre les mois de janvier et de juillet 2019, représentant un montant de 17 215,24 euros (7 mois x 2 459,32 euros), les sommes suivantes :
– 4 032 euros au titre des provisions sur charges indues (7 mois x 576 euros) ;
– 124,67 euros au titre de l’indexation indue des loyers (7 mois x 17,81 euros) ;
– 3 600 euros au titre du dépôt de garantie.
La société Kurdonya doit donc être condamnée à payer aux époux [V] [B] la somme de 9 458,57 euros, solidairement avec les époux [S]- [O] dans la limite de 4 453,15 euros représentant les loyers non indexés dus entre le 1er janvier et le 12 mars 2019, seules des indemnités d’occupation, et non plus des loyers, étant dues par l’occupante à compter de cette date. Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires.
2) Au titre du coût du commandement de payer
Réponse de la cour
Les bailleurs n’ont pas pris la peine de justifier leur demande, ni la locataire et les cautions celle d’y répondre, dans le corps de leurs écritures respectives.
Le coût du commandement de payer délivré à la société Kurdonya étant lié à la présente instance, il entre dans la liste des dépens prévus par l’article 695 du code de procédure civile au titre des émoluments des officiers publics ou ministériels.
Il sera donc statué sur cette demande dans la partie du présent arrêt relative aux demandes accessoires.
La décision entreprise sera réformée en ce sens.
II – Sur la demande de dommages-intérêts de la société Kurdonya
La société Kurdonya plaide qu’elle justifie d’un changement de circonstances qui était imprévisible lors de la conclusion du contrat, puisque des travaux de voirie ont été effectués par la ville de [Localité 5] à compter de mai 2017 et pendant plusieurs années durant l’exécution du bail commercial. En raison de ces travaux, elle n’a plus été en mesure d’exploiter son fonds de commerce. Cependant, ses bailleurs ont refusé de lui accorder une baisse de loyers et lui ont fait délivrer un commandement de payer. Ce comportement justifie leur condamnation à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1104 et 1195 du code civil, et d’ordonner la compensation de cette somme avec toute somme qui serait due par les appelants.
Les bailleurs répondent qu’ils ne sont pas responsables de la réalisation de travaux par la ville de [Localité 5]. Lesdits travaux ont débuté au mois de mars 2017, sachant que les époux [V] [B] ont fait l’acquisition de l’immeuble concerné le 28 décembre 2018, soit plus de 21 mois plus tard. À cette date, la société Kurdonya était à jour de ses loyers. Force est donc de constater que la réalisation de ces travaux n’est pas à l’origine des difficultés alléguées par la locataire. Contrairement à ce que prétendent les appelants, aucune demande de diminution de loyers n’a été formulée par la société Kurdonya, dont le gérant a, dès son départ, entrepris l’exploitation d’une autre activité dans un local dont il a fait l’acquisition, situé à quelques dizaines de mètres de l’immeuble donné en location par les époux [V] [B]. Enfin, les conditions cumulatives imposées par l’article 1195 du code civil ne sont pas réunies.
Réponse de la cour
Il sera observé que ni les dispositions de l’article 1104, ni celles de l’article 1195 nouveaux du code civil, entrées en vigueur le 1er octobre 2016, ne sont applicables au présent litige, le contrat de bail ayant été conclu le 26 septembre 2012.
Les demandes de la société locataire, fondées sur des textes inapplicables, ne peuvent qu’être rejetées.
A titre superfétatoire, il ne peut être reproché aux bailleurs un manquement à leur devoir d’exécuter le contrat de bonne foi, ces derniers n’étant aucunement responsables des travaux de voirie engagés par la ville de [Localité 5] en mai 2017, lesquels ont affecté les commerces de centre-ville, notamment à la suite de l’interdiction de stationner ayant pris effet à compter du 23 mai 2018, soit avant la transmission du bail aux époux [V] [B]. En outre, la société Kurdonya ne démontre pas avoir formellement sollicité une diminution du montant de son loyer, afin de tenir compte de l’incidence de ces travaux sur la fréquentation de son fonds de commerce de restauration, la seule attestation de Mme [E] [C] [I], qui indique avoir entendu le propriétaire du local refuser de réduire le loyer à la demande de M. [S], n’étant pas de nature à rapporter cette preuve.
La décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a débouté la société Kurdonya de sa demande indemnitaire.
III – Sur les demandes accessoires
1) Sur les dépens
En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, il convient de condamner in solidum la société Kurdonya et les époux [S] [O] aux dépens d’appel et de première instance, en ce inclus le coût du commandement de payer du 11 février 2019. La décision entreprise sera réformée en ce qu’elle a prononcé une condamnation solidaire, alors que les cautions ne se sont engagées solidairement qu’en garantie des loyers. Me [Z] sera débouté de sa demande de distraction.
2) Sur les frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Kurdonya et les époux [S] [O] seront condamnés in solidum à hauteur de la somme fixée au dispositif du présent arrêt au titre des frais irrépétibles d’appel, et déboutés de leur propre demande.
La décision entreprise sera réformée du chef des frais irrépétible de première instance, en ce que la condamnation prononcée, dont le quantum sera confirmé, aurait également dû être prononcée in solidum.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement querellé en ce qu’il a :
– débouté la société Kurdonya de sa demande indemnitaire ;
– condamné la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] à payer à Monsieur [V] et Madame [B] la somme de 2 500 euros au titre de leurs frais non compris dans les dépens ;
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Déclare recevable la demande présentée par la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] au titre de la restitution du dépôt de garantie ;
Condamne la société Kurdonya à payer à Monsieur [V] et Madame [B] la somme de 9 458,57 euros, solidairement avec Monsieur [S] et Madame [O] et dans la limite de 4 453,15 euros pour ces derniers, en leur qualité de cautions ;
Rejette les demandes de la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] au titre du remboursement des indus de provisions sur charge, indexation des loyers antérieurs au 28 décembre 2018 ;
Rejette les demandes de la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] au titre du remboursement des frais forfaitaires de gestion ;
Déboute Monsieur [V] et Madame [B] de leur demande en paiement au titre du coût du commandement de payer du 11 février 2019;
Condamne in solidum la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] aux dépens de première instance et d’appel, en ce inclus le coût du commandement de payer du 11 février 2019, et déboute Me [Z] de sa demande de distraction ;
Dit que la condamnation de la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] au titre des frais irrépétibles de première instance est prononcée in solidum ;
Condamne in solidum la société Kurdonya, Monsieur [S] et Madame [O] à payer à Monsieur [V] et Madame [B] la somme de 1 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles d’appel et les déboute de leur propre demande de ce chef.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot