Parts sociales : décision du 25 janvier 2024 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/02130

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Parts sociales : décision du 25 janvier 2024 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/02130
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N° RG 22/02130 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JDTA

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 JANVIER 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 24 Mai 2022

APPELANT :

Monsieur [Z] [Y] [X]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Julie GOURION-RICHARD, avocat au barreau de VERSAILLES substitué par Me Karine MANN, avocat au barreau de l’EURE

INTIMEE :

S.A.R.L. EDP

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Anne-Laure COCONNIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Décembre 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 07 décembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 25 janvier 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Janvier 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sarl EDP (la société) est spécialisée dans les études, diagnostics et prélèvements relatifs à l’environnement. Elle comportait quatre associés dont M. [Z] [Y] [X], beau-fils de M. [D] [U], gérant de ladite société.

Le 4 septembre 2008, M. [Z] [Y] [X] (le salarié) a été engagé en qualité de technicien par la société par contrat à durée indéterminée relevant de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Syntec).

Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié exerçait la fonction de directeur du service laboratoire et bénéficiait du statut de cadre.

En juin 2019, la société a été mise en vente et par acte de cessions de parts sociales du 28 novembre 2019, le salarié a vendu ses parts d’associé à la société Climatrec.

Le 7 janvier 2020, M. [Y] [X] a été licencié par courrier daté du 10 janvier 2020, remis en main propre, l’employeur motivant sa décision en raison d’un abandon de poste.

Contestant cette décision, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux qui par jugement du 24 mai 2022, a :

– dit son licenciement nul,

condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

14 881,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

1 488,11 euros au titre des congés payés sur préavis,

19 179,75 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

1 euro au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné à la société de faire parvenir au salarié une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 21ème jour suivant la notification du jugement,

s’est réservé le droit de liquider cette astreinte,

débouté les parties de leurs autres demandes,

– dit que les condamnations prononcées par la présente décision, en ce qu’elles n’ont pas le caractère de dommages et intérêts, portent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil et à compter du prononcé du jugement pour les condamnations à des dommages et intérêts,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement,

– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire devront être supportées par la société en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné la société aux entiers dépens.

Le 24 juin 2022, M. [Y] [X] a relevé appel de la décision.

Par conclusions du 8 novembre 2023, il demande à la cour de :

réformer le jugement déféré en ce qu’il a :

condamné la société à lui payer les sommes de 14 881,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, de 1 488,11 euros au titre des congés payés sur préavis et de 19 179,75 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement alors qu’il sollicitait également la somme de 52 000 euros net de CSG/CRDS à titre d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

condamné la société à lui payer une somme de 1 euro au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, alors qu’il sollicitait, à ce titre, la somme de 3 000 euros,

ordonné à la société de lui faire parvenir une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 21ème jour suivant la notification du présent jugement, alors qu’il sollicitait une astreinte de 200 euros par jour de retard et à compter du prononcé du jugement,

s’est réservé le droit de liquider cette astreinte et autorisé en tant que de besoin, le salarié à saisir le conseil par simple requête aux fins de liquidation de ladite astreinte,

débouté le salarié du surplus de ses demandes, alors qu’il sollicitait la somme de 52.000 euros nette de CSG/CRDS à titre d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

– déclarer le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société EDP à lui verser :

14 881,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

1 488,11 euros au titre des congés payés sur préavis ;

19 179,75 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement; 1 euro au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société à lui verser la somme de 52 000 euros net de CSG/CRDS à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter la société de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société aux entiers dépens et dire qu’ils pourront être recouvrés directement par Mme Julie Gourion-Richard, avocate au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.  

Par conclusions du 16 novembre 2023, la société demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

condamné la société à verser les sommes suivantes :

14 881,14 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

1 488,11 euros au titre des congés payés afférents ;

19 179,75 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

1 euro au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonné à la société de faire parvenir au salarié une attestation destinée à Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter du 21ème jour suivant la notification du jugement ;

s’est réservé le droit de liquider cette astreinte et a autorisé en tant que de besoin le salarié à saisir le conseil par simple requête aux fins de liquidation de ladite astreinte ;

débouté la société de ses demandes reconventionnelles ;

dit que les condamnations prononcées par la présente décision, en ce qu’elles n’ont pas le caractère de dommages et intérêts, portent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil, et à compter du prononcé du jugement pour les condamnations à des dommages et intérêts ;

ordonné l’exécution provisoire du jugement ;

condamné la société aux entiers dépens.

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande relative à une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et de sa demande au titre de rappel de salaire et congés payés afférents ;

Statuant à nouveau :

A titre principal :

– dire et juger que le salarié a usé de fraude, à titre principal ;

– constater qu’il est démissionnaire de son emploi, à titre subsidiaire;

– constater le bien-fondé du licenciement du salarié dont le motif a été choisi par lui, à titre infiniment subsidiaire ;

En conséquence :

– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes ;

– le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

En tout état de cause :

– condamner le salarié à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

A titre infiniment subsidiaire :

– constater que la rupture du contrat de travail est survenue amiablement ;

– constater que le salarié n’a jamais invoqué un quelconque vice de consentement ;

– en conséquence, limiter à 14 699,26 euros le montant de l’indemnité légale de licenciement ;

A titre infiniment subsidiaire, limiter à 14 881 euros le montant des dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’ordonnance de clôture a été fixée au 16 novembre 2023.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour constate que la nullité du licenciement, retenue par les premiers juges, n’est pas soutenue par le salarié qui demande, comme l’intimée, l’infirmation du jugement déféré sur ce point, de sorte que ce chef est d’ores et déjà infirmé.

En outre, il n’appartient pas à la cour ni d’examiner, ni de se prononcer sur les éventuelles anomalies comptables découvertes par la société, après les cessions de parts sociales des associés dont celle de l’appelant et longuement développées dans les écritures, la juridiction commerciale étant saisie du litige.

Sur le licenciement pour faute grave

La preuve des faits constitutifs de la faute grave incombe à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits reprochés au salarié aux termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige sont établis, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

Aux termes de la lettre de licenciement datée du 10 janvier 2020 et remise en main propre au salarié le 7 janvier précédent, l’employeur motive sa décision de rupture du contrat de travail par un abandon de poste.

En premier lieu, l’employeur fait sien l’adage « la fraude corrompt tout » et soutient que le salarié a « fraudé afin de prétendre abusivement à l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail ».

En résumé de ses conclusions, l’employeur soutient qu’il a engagé la procédure de licenciement à la demande de son salarié et pour le motif que celui-ci lui a indiqué, ce dernier souhaitant quitter rapidement la société, ceci afin de lui permettre de bénéficier de l’assurance chômage.

Le courrier du 8 janvier 2020 du salarié confirme en effet les faits ci-dessus, puisque ce dernier a effectivement demandé à son employeur de le licencier pour faute grave (abandon de poste) car il souhaitait « quitter rapidement la société pour des raisons personnelles ».

Pour autant, il convient de rappeler que l’employeur est seul détenteur du pouvoir d’engager une procédure de licenciement si bien qu’il ne peut valablement faire appel à la théorie de la fraude pour remettre en cause la procédure qu’il a lui-même initié et ce, d’autant qu’il a participé à son dévoiement et a agi de concert avec son salarié puisqu’il a fait état d’un entretien préalable qui ne s’est pas tenu, a remis la lettre de licenciement en main propre en y indiquant le motif précisé par son salarié, sans autre développement circonstancié.

Dans ces conditions, la société est mal venue à soutenir l’existence d’une fraude au licenciement pour s’opposer aux demandes du salarié, étant rappelé que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

En deuxième lieu, l’employeur soutient que par la lettre du 8 janvier 2020, le salarié a manifesté sa volonté de quitter l’entreprise et qu’il doit être considéré comme démissionnaire.

Or, ledit moyen qui est en contradiction avec les éléments précédemment développés par la société, ne saurait pas plus prospérer dans la mesure où les termes du courrier ne font pas mention d’une volonté explicite, claire et non équivoque de démissionner du salarié, soit de rompre de manière unilatérale son contrat de travail mais uniquement de celle de quitter l’entreprise dans la cadre d’un licenciement.

Dans ces conditions, il ne peut être soutenu par l’employeur que le contrat de travail a été rompu par ledit courrier et, partant, utilement invoqué le principe « rupture sur rupture ne vaut ».

En troisième lieu, l’employeur soutient que l’abandon de poste est caractérisé à compter du 6 janvier 2020.

Le courrier de licenciement qui fixe les limites du litige, ne précise ni la période d’absence du salarié, ni ne fait état d’une mise en demeure préalable de justifier d’une quelconque absence.

En outre, ladite lettre a été remise en main propre au salarié le 7 janvier 2020 ce qui tend à établir que celui-ci était toujours dans l’entreprise à cette date.

Au surplus, aucune pièce ne rapporte une absence à la date du 6 janvier ci-dessus alléguée par l’employeur, laquelle, même à la supposer établie, ne serait pas constitutive d’un abandon de poste.

Enfin, l’employeur soutient que la rupture du contrat de travail est intervenue d’un commun accord entre les parties.

Or, en ayant fait le choix de licencier son salarié, l’employeur ne peut utilement invoquer l’existence d’une rupture amiable, alors que si tel avait été le cas, les parties auraient dû engager une procédure de rupture conventionnelle.

Faute de l’avoir fait et pour les raisons précédemment développées, il convient de considérer le licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En outre, la décision déférée est confirmée en ses dispositions relatives aux indemnités conventionnelle de licenciement et compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, lesquelles ne font pas l’objet de contestation pertinente, la société revendiquant, à tort, l’octroi de l’indemnité légale de licenciement alors qu’elle est moins avantageuse que l’indemnité conventionnelle de licenciement dont le calcul n’est pas discuté.

Compte tenu des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, du salaire moyen du salaire non discuté (4 960,38 euros), de son ancienneté, de l’absence d’élément relatif à sa situation postérieure à la rupture et des circonstances particulières de l’espèce, il convient de lui allouer la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la décision déférée est infirmée sur ce point.

Il est rappelé que les dommages et intérêts seront exonérés de CSG et CRDS dans la limite du montant minimum prévu aux dispositions de l’article L 242-1-II,7 du code de la sécurité sociale.

La décision déférée est également infirmée en ce qu’elle a assorti la remise des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte et en sa disposition relative au point de départ des intérêts au taux légal sur les sommes allouées.

Enfin, il convient de faire application des dispositions de l’article L. 1235-4 dont les conditions sont réunies et d’ordonner à l’employeur le remboursement des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite d’un mois.

Eu égard à la solution du litige, la demande reconventionnelle pour procédure abusive formée par la société ne peut qu’être rejetée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Mme Julie Gourion-Richard, avocate au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile et de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’apparaît pas inéquitable de rejeter également la demande formée à ce titre par le salarié.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Evreux du 24 mai 2022, sauf en ses dispositions relatives aux indemnités conventionnelle de licenciement, compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, aux frais irrépétibles et aux dépens,

Statuant dans cette limite et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [Z] [Y] [X] est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société EDP à payer à M. [Y] [X] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les dommages et intérêts alloués seront exonérés de CSG et CRDS dans la limite du montant minimum prévu par la loi pour l’indemnité concernée ;

Rappelle que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Ordonne à la société de remettre à M. [Y] [X] une attestation destinée à Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt,

Dit n’y avoir lieu d’assortir cette remise d’une astreinte ;

Condamne la société EDP à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite d’un mois ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société EDP aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés directement par Mme Julie Gourion-Richard, avocate au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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