Parts sociales : décision du 25 janvier 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/01329

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Parts sociales : décision du 25 janvier 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/01329
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT

DU 25 JANVIER 2024

N° 2024/19

Rôle N° RG 23/01329 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BKVPR

[Z] [N]

S.A.S. LUD’EAU SERVICES

S.A.S. INELHI

C/

[B] [X]

[H] [A] épouse [X]

S.A.R.L. LS NAUTIC

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Frédéric MARCOUYEUX

Me Pascale BARTON-SMITH

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Tribunal de Commerce d’AIX EN PROVENCE en date du 19 Décembre 2022 enregistréeau répertoire général sous le n° 2022008362.

APPELANTS

Monsieur [Z] [N]

né le 12 Février 1966 à [Localité 3] (92)

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Frédéric MARCOUYEUX de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE, et assisté de Me Axelle JOUVE de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

S.A.S. LUD’EAU SERVICES prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE et assisté de Me Axelle JOUVE de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

S.A.S. INELHI prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE et assisté de Me Axelle JOUVE de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMES

Monsieur [B] [X]

né le 27 Août 1970 à [Localité 5] (13) demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pascale BARTON-SMITH, avocat au barreau de MARSEILLE, et assisté de Me Clément GAMBIN, avocat au barreau de VERSAILLES, plaidant

Madame [H] [A] épouse [X]

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Pascale BARTON-SMITH, avocat au barreau de MARSEILLE, et assistée de Me Clément GAMBIN, avocat au barreau de VERSAILLES, plaidant

S.A.R.L. LS NAUTIC, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 2]

représentée par Me Pascale BARTON-SMITH, avocat au barreau de MARSEILLE, et assistée de Me Clément GAMBIN, avocat au barreau de VERSAILLES, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 09 Novembre 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillèrea fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère, rapporteur

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2024,

Signé par Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre et Madame Marielle JAMET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [B] [X] est l’associé fondateur de la société Lud’eau Services créée en 2006, société spécialisée dans la réparation et la maintenance de bateaux de plaisance dans le port de [4] à [Localité 5].

Son épouse Mme [H] [A] a créé, quant à elle, la société Nautic Conciergerie en 2017 chargée du nettoyage et de l’avitaillement des bateaux.

En 2019 les parts sociales de la société Lud’eau Services ont été cédées à la société Inelhi, gérée par M. [Z] [N] aux termes d’un contrat de cession du 19 juillet 2019.

Dans le cadre de cet accord, il a été prévu que M. [B] [X], sous contrat à durée indéterminée, serait investi d’une mission d’accompagnement de la société Inelhi, assortie d’une clause de non-concurrence d’une durée de trois ans. Le contrat de travail a pris fin le 31 août 2020 par rupture conventionnelle.

Le 1er juillet 2021, M. [Z] [N], reprochant à M. [B] [X] des manquements à son obligation de non-concurrence, notamment au travers de la société Nautic Conciergerie gérée par son épouse, l’a mis en demeure de cesser ses agissements.

Le 1er août 2022 M. [B] [X], estimant être libéré de la clause de non-concurrence, a créé la société LS Nautic, également en charge d’une activité de réparation et de maintenance navale.

Par assignation du 12 octobre 2022, reprochant aux époux [X] et à la société LS Nautic la violation de leurs obligations de non-concurrence et de loyauté et de leur obligation de délivrance, M. [Z] [N], la société Lud’eau Services et la société Inelhi ont assigné ces derniers devant le juge des référés du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence pour voir cesser ces actes sous astreinte de 25 000 euros et obtenir le paiement d’une indemnité provisionnelle à hauteur de 157 548 euros en réparation de leur préjudice, portée à 357 548 euros.

Par ordonnance en date du 19 décembre 2022 le juge des référés du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence a statué ainsi:

Disons que la demande de la société Inelhi est recevable,

Disons que la demande de Monsieur [Z] [N] est irrecevable,

Disons qu’à ce jour il ne peut plus y avoir de troubles illicites, la clause de non concurrence étant terminée, et déboutons la société Lud’eau Services et la société Inelhi de leur demande à ce titre,

Disons, en présence de contestations sérieuses, ne pouvoir prononcer de condamnation à paiement sur le fondement dudit article 873 alinéa 2 du code de procédure civile,

Déboutons la société Lud’eau Services et la société Inelhi de leurs demandes, tendant à voir Monsieur [X], la société LS Nautic et Madame [A] condamnés à lui payer une somme de 357.548 € , et invitons les parties à mieux se pourvoir par devant le juge du fond,

Déboutons M. [X] [B] – LS Nautic (SARL), Mme [A] épouse [X] [H] de leur demande pour procédure abusive,

Condamnons la société Lud’eau Services, la société Inelhi et M. [N] [Z] aux dépens,

Disons n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rappelons que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

——

Par acte en date du 19 janvier 2023 M. [Z] [N], la société Lud’eau Services et la société Inelhi ont interjeté appel de la décision.

——

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 10 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [Z] [N], la société Lud’eau Services (SAS) et la société Inelhi (SAS) demandent à la cour de :

Vu les pièces versées au débat,

Vu le contrat de cession,

Vu les articles 484 et suivants du code de procédure civile,

Vu l’article 873 du code de procédure civile,

Vu l’article 1218 du code civil,

Vu les articles 1625 et suivants du code civil,

Vu les articles 1200 et 1240 du code civil,

‘ Infirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a jugé irrecevables les demandes portées par la société Inelhi et Monsieur [N] [Z] ;

‘ Infirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a jugé le trouble manifestement illicite non

constitué, et débouté les requérantes de leurs demandes tendant à obtenir la cessation sous astreinte de l’activité concurrente exercée, et l’interdiction d’y procéder ;

‘ Infirmer l’ordonnance de référé en ce qu’elle a retenu l’existence de contestations sérieuses, et débouté les appelants de leur demande indemnitaire à titre provisionnelle ;

Statuant à nouveau,

‘ Recevoir l’appel interjeté par la société Lud’eau Services, la société Inelhi et Monsieur [N] [Z], et le dire bien fondé ;

‘ Dire et juger recevables en leurs demandes les sociétés Lud’eau Services, Inelhi et Monsieur [N] [Z] ;

‘ Dire et juger l’existence d’une activité concurrente illicite par Monsieur [X] [B], au travers désormais la société LS Nautic, dûment caractérisée ;

‘ Dire et juger établi le manquement de Monsieur [X] [B] à son obligation de délivrance, née de la cession intervenue de ses parts sociales de la société Lud’eau Services ;

‘ Dire et juger que l’activité concurrente illicite désormais exercée au travers la société LS Nautic

constitue un trouble manifestement illicite ;

‘ Dire et juger au surplus qu’est dûment caractérisée une violation ab initio de la clause de non concurrence visée à l’acte de cession ;

‘ Dire et juger que les manquements établis aux obligations du Cédant justifient l’octroi d’une provision aux appelants ;

‘ Dire et juger le préjudice consécutif à l’exercice d’une activité concurrente illicite par Monsieur

[X] [B], au travers désormais la société LS Nautic, justifié à hauteur de 357.548 EUR, ou subsidiairement à hauteur du montant que la Cour appréciera ;

‘ Dire et juger établie la complicité fautive de Madame [H] [A] épouse [X] ;

‘ Dire et juger que la créance revendiquée à titre provisionnel ne souffre aucune contestation sérieuse ;

En conséquence,

‘ Faire injonction à Monsieur [B] [X] de cesser toute activité concurrente illicite et de procéder à la fermeture de la société LS Nautic dans un délai de 15 jours à compter de l’arrêt à venir, et de cesser de manière définitive toute activité qui viendrait en concurrence à la société Lud’eau Services, sous astreinte de 25.000 EUR par infraction constatée ;

‘ Condamner solidairement Monsieur [X] [B], Madame [A] [H] épouse [X], et la société LS Nautic, à payer au bénéfice des sociétés Lud’eau Services, Inelhi et de Monsieur [Z] [N] la somme provisionnelle de 357.548 EUR ou subsidiairement la somme qu’il lui appartiendra d’apprécier ;

‘ Condamner solidairement Monsieur [X] [B], Madame [A] [H] épouse [X], et la société LS Nautic, à payer au bénéfice des sociétés Lud’eau Services, Inelhi et de Monsieur [Z] [N] la somme provisionnelle de 8.000 EUR, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et entiers dépens ;

Les appelants font valoir que M. [X] a violé les obligations nées de la cession des parts en exerçant une activité concurrente à celle de la société Lud’eau, soit indirectement par l’intermédiaire de son épouse, soit directement avec la création de la société LS Nautic sur un domaine d’activité et un secteur géographique identiques.

M. [Z] [N], la société Lud’eau Services et la société Inelhi soulignent le trouble manifestement illicite occasionné par la violation de l’obligation de délivrance du cédant, garantie qui s’applique même à l’expiration de la clause de non-concurrence. Ils sollicitent dès lors la cessation de l’activité concurrente de la société LS Nautic.

Par ailleurs, ils font valoir que leur demande de provision est justifiée en l’absence de contestation sérieuse tant sur la violation de l’obligation de délivrance que sur la violation ab initio de la clause de non-concurrence, laquelle n’a expiré qu’au 31 octobre 2022.

Les appelants rappellent en outre la nature du préjudice occasionné par cette activité concurrente illicite en raison de l’entrave portée à l’activité économique de la société Lud’eau.

—–

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 4 octobre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [B] [X], Mme [H] [A] épouse [X] et la société LS Nautic (SARL) demandent à la cour de :

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le contrat de cession,

Vu les articles 700 et 873 du code de procédure civile,

‘ Confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

– Dit Monsieur [Z] [N] irrecevable en ses demandes ;

– Dit qu’à ce jour il ne peut plus y avoir de troubles illicites, la clause de non-concurrence étant terminée, et a débouté la société Lud’eau Services et la société Inelhi de leur demande à ce titre ;

– Dit, en présence de contestations sérieuses, ne pas pouvoir prononcer de condamnation à paiement sur le fondement de l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;

– Débouté la société Lud’eau Services et la société Inelhi de leurs demandes, tendant à voir Monsieur [B] [X], la société LS Nautic et Madame [H] [A] épouse [X] condamnés à lui payer une somme de 357.548 ;

– Condamné la société Lud’eau Services, la société Inelhi et Monsieur [Z] [N] aux dépens de première instance ;

‘ La réformer pour le surplus ;

Et statuant à nouveau :

– Dire et juger la société Inelhi irrecevable en son action à défaut de justifier d’un intérêt personnel à agir ;

– Écarter des débats les pièces n° 6, 8, 16 et 17 communiquées par les appelants ;

– Dire et juger n’y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société Lud’eau services, la société Inelhi et Monsieur [Z] [N] qui se heurtent à des contestations sérieuses tenant à l’absence de preuve de l’existence d’un trouble manifestement illicite et d’un quelconque manquement de Monsieur [B] [X], de la société LS Nautic et de Madame [H] [X] à la clause de non-concurrence et aux obligations de loyauté et de délivrance découlant de l’acte de cession du 19 juillet 2019 ;

– Débouter la société Lud’eau Services, la société Inelhi et Monsieur [Z] [N] de l’intégralité de leurs prétentions et demandes de toute nature ;

– Condamner la société Lud’eau Services, la société Inelhi et Monsieur [Z] [N] à payer chacun, à chacun des intimées, une somme de 1.500 € en réparation du préjudice résultant du caractère purement dilatoire de la présente procédure ;

– Condamner la société Lud’eau Services, la société Inelhi et Monsieur [Z] [N] à payer chacun, à chacun des intimés, une somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance outre une somme de 5.000 € complémentaire au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

– Condamner solidairement la société Lud’eau Services, la société Inelhi et Monsieur [Z] [N] aux entiers dépens de l’instance d’appel ;

Les intimés répliquent en premier lieu que les demandes de M. [N] et de la société Inelhi sont irrecevables faute d’intérêt personnel à agir dès lors que les faits reprochés ne concernent en réalité que la société Lud’eau.

M. [B] [X], Mme [H] [A] épouse [X] et la société LS Nautic font valoir par ailleurs qu’il n’existe aucun trouble manifestement illicite en l’état de l’expiration de la clause de non-concurrence au 19 juillet 2022, les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 ne s’appliquant pas à l’obligation de non-concurrence.

Ils contestent en outre toute violation de ladite clause et invoquent la nullité et le défaut de force probante de certaines pièces communiquées par les appelants à l’appui de leurs demandes, ajoutant que certaines allégations ne sont pas démontrées et sont mensongères.

Les intimés dénient également toute violation de l’obligation de délivrance et rappellent que la garantie légale d’éviction du fait personnel du cédant n’entraîne pour celui-ci d’interdiction de se rétablir qu’à certaines conditions, dont l’appréciation relève en tout état de cause du juge du fond.

Enfin, M. [B] [X], Mme [H] [A] épouse [X] et la société LS Nautic soutiennent qu’aucun préjudice n’est démontré et ils soulignent au contraire le caractère abusif de la procédure et les préjudices qui en ont résulté pour eux.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l’action au nom de M. [Z] [N] et de la société Inelhi :

Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l’espèce, il apparaît que la société Inelhi, outre qu’elle est actionnaire de la société Lud’eau, est signataire en qualité de cessionnaire/bénéficiaire du contrat de cession d’actions passé le 19 juillet 2019 avec M. [B] [X], dont la mise en ‘uvre est précisément discutée, tant en ce qui concerne le respect de la clause de non-concurrence que de l’obligation de délivrance.

M. [Z] [N], président de la société Lud’eau, et actionnaire de la société Inelhi, invoque quant à lui un préjudice personnel résultant d’une baisse de sa rémunération mensuelle. Pour autant, il ne formule aucune demande d’indemnisation de ce chef, distincte du préjudice invoqué par la société.

En conséquence, et sans préjudice de l’examen du bien-fondé des demandes de la société Inelhi, il y a lieu de confirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a déclaré la demande de la société Inelhi recevable et celle de M. [Z] [N] irrecevable.

Sur la demande tendant à écarter certaines pièces communiquées par les appelants :

Les intimés sollicitent de voir écarter des débats les pièces n° 6, 8, 16 et 17 communiquées par les appelants.

Ces pièces, consistant en une attestation de M. [L] [I], un rapport de synthèse de Confidencia Investigations, et des attestations de Messieurs [M] [C] et [W] [D], n’ont pas vocation à être écartées de facto.

Néanmoins, leur force probante sera appréciée notamment à la lumière des dispositions des articles 200 et suivants du code de procédure civile et 16 du code de procédure civile.

Sur la compétence du juge des référés :

Aux termes de l’article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Par ailleurs, en application de l’article 873 du même code, le président peut, dans les mêmes limites et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans tous les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

M. [N] et les sociétés Lud’eau et Inelhi font grief aux époux [X] et à la société LS Nautice, d’une part, de n’avoir pas respecté la clause de non-concurrence contenue au contrat de cession signé le 19 juillet 2019 et d’autre part, de n’avoir pas respecté l’obligation de délivrance pesant sur le cédant, notamment au titre de la garantie légale d’éviction.

S’agissant de la clause de non-concurrence, il ressort de l’article 11 dudit contrat qu’elle a été prévue pour une durée de trois ans à compter de la « date de réalisation », événement fixé au 19 juillet 2019 par le même contrat, de sorte qu’elle a expiré a priori au 19 juillet 2022, soit avant la date de saisine du juge des référés.

M. [N] et les sociétés Lud’eau et Inelhi invoquent à cet égard une prorogation de la clause de non-concurrence au 31 octobre 2022 par l’effet des mesures résultant de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 compte-tenu de la période d’urgence sanitaire, ou à tout le moins une prise en compte de la force majeure résultant de la pandémie. Pour autant, cette appréciation relève du seul juge du fond et exclut le caractère « manifeste » de la violation invoquée par les appelants à la date de saisine du premier juge.

En outre, en reconnaissant que la clause a cessé au plus tard le 31 octobre 2022, M. [N] et les sociétés Lud’eau et Inelhi reconnaissent également, implicitement, qu’à la date des débats devant le juge des référés, soit le 21 novembre 2022, M. [B] [X] et la société LS Nautic n’étaient plus astreints à une obligation de non-concurrence, rendant sans objet leur demande tendant à voir cesser toute activité concurrente et procéder à la fermeture de la société LS Nautic de ce chef.

Ainsi, les actes de concurrence déloyale dont se prévalent les appelants antérieurement à l’expiration de la clause de non-concurrence, quelle que soit la date retenue, notamment au travers de la société dirigée par Mme [H] [A] [X], à les supposer établis, relèvent du seul juge du fond.

S’agissant de l’obligation de délivrance, il n’est pas contesté par la partie adverse que cette obligation, notamment au titre de la garantie d’éviction dont est tenu le cédant, est de nature à créer une interdiction pour celui-ci de se rétablir.

Il en résulte que les modalités d’exercice de l’activité de la société LS Nautic, nouvellement créée le 1er août 2022 par M. [B] [X], également dans le domaine de la réparation navale et dans un secteur géographique similaire, sont sujettes à discussion.

Néanmoins, si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu, il a été également jugé que cette restriction est encadrée par diverses conditions et notamment un principe de proportionnalité entre les intérêts antinomiques des parties, principe qui devra être apprécié au cas d’espèce à l’aune de l’existence d’une clause de non-concurrence d’une durée de trois ans.

Il résulte de ce qui précède que si la société Lud’eau peut se prévaloir d’un trouble occasionné par la situation de concurrence existant avec la société LS Nautic nouvelle créée, en revanche, le caractère illicite des manquements reprochés à M. [B] [X], ainsi qu’à son épouse et à la société LS Nautic, ne peut être qualifié de manifeste au sens des dispositions de l’article 873 susvisé en l’état des éléments tenant à l’appréciation de la durée de la clause de non-concurrence et des conditions de mise en ‘uvre de la garantie d’éviction, appréciation qui ne relève pas en tout état de cause du juge des référés, et pas davantage de la cour statuant en sa formation des référés.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a débouté M. [N] et les sociétés Lud’eau et Inelhi de leur demande tendant à « faire injonction à Monsieur [B] [X] de cesser toute activité concurrente illicite et de procéder à la fermeture de la société LS Nautic dans un délai de 15 jours à compter de l’arrêt à venir, et de cesser de manière définitive toute activité qui viendrait en concurrence à la société Lud’eau Services, sous astreinte de 25.000 EUR par infraction constatée ».

De même, outre qu’il n’appartient pas au juge des référés de statuer sur une demande indemnitaire, fût-ce à titre provisionnel, il y a lieu de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a rejeté la demande de provision eu égard aux contestations sérieuses soulevées.

Sur la procédure abusive :

Au visa de l’article 32-1 du code de procédure civile les époux [X] et la société LS Nautic sollicitent la condamnation des appelants au paiement de la somme provisionnelle de 1 500 euros en réparation de leur préjudice.

Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile, et de l’article 559 en cause d’appel, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

Pour autant, il convient de rappeler que l’ « amende » civile prononcée sur ce fondement ne peut l’être qu’à l’initiative du juge et non des parties, cette amende revenant à l’Etat.

En conséquence, doit être déboutée la partie intimée qui fonde sa demande de dommages et intérêts exclusivement sur les dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile.

Sur les frais et dépens :

M. [N] et les sociétés Lud’eau et Inelhi, parties succombantes, conserveront la charge des dépens de la procédure d’appel.

En revanche l’équité commande de les dispenser d’une indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance rendue le 19 décembre 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence,

Y ajoutant,

Condamne M. [N] et les sociétés Lud’eau et Inelhi aux dépens de la procédure d’appel,

Dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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