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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRÊT DU 1ER FÉVRIER 2024
(n° 40 , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05801 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCKGN
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 août 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 19/02549
APPELANTES
SCP BTSG2, prise en la personne de Maître [S] [F], es qualité de mandataire liquidateur de la SCP [P] [E]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Paul YON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0347
INTIMÉE
Madame [O] [Y]-[D]
[Adresse 3],
[Localité 6]
Représentée par Me Edouard BLOCH, avocat au barreau de PARIS, toque : R179
PARTIE INTERVENTANTE
AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 2]
[Localité 5]
N’ayant pas constitué avocat ; signification de la déclaration d’appel remise à personne morale le 17 avril 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON
ARRÊT :
– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société civile professionnelle [P] [E] (ci-après désignée la société [E]), titulaire d’un office notarial, comportait un associé (M. [E]) et trois notaires salariés parmi lesquels Mme [O] [Y] épouse [D] engagée par contrat de travail en date du 29 avril 2014. La société employait à titre habituel moins de onze salariés et était soumise à la convention collective du notariat.
Mme [D], outre le salaire mensuel fixe brut d’un montant de 5.952 euros prévu au contrat de travail, a perçu des primes exceptionnelles non stipulées audit contrat pour un montant total de 178.278 euros en 2015, 329.000 euros en 2016 et 905.000 euros en 2017. La salariée soutient que ces sommes correspondent à un intéressement sur la valeur ajoutée au titre respectivement des années 2014, 2015 et 2016.
M. [E] et Mme [D] ont signé le 26 avril 2017 une promesse de cession de parts sous réserve de l’agrément par le garde des Sceaux de la nomination de Mme [D] comme notaire associée. Une nouvelle promesse a été signée le 23 juin 2017. Un avenant de prorogation était signé le 8 janvier 2018 par les parties.
Par courrier du 12 mars 2018, le conseil de Mme [D] a sollicité de l’employeur la somme de 720.000 euros au titre de l’intéressement pour l’année 2017.
Par courrier du 16 mars 2018, la société [E] a refusé cette demande.
Le 11 avril 2018, M. [E] et Mme [D] ont signé un protocole transactionnel prévoyant:
– d’une part, une promesse de cession de 532 parts sociales représentant 13,33% du capital social avec effet au 1er janvier 2018 moyennant 85.120 euros, les actes de cession devant être signés dans les 15 jours de la signature du protocole transactionnel,
– d’autre part, le versement par la société [E] de la somme de 587.480 euros au profit de la salariée et au titre des primes 2017, le règlement devant intervenir pour moitié fin mai 2018 et pour le reste fin juin 2018.
Malgré la poursuite des négociations entre les parties, aucun acte de cession de parts sociales n’a été signé. En revanche, la société [E] a versé à la salariée la prime 2017 stipulée dans le protocole transactionnel.
Par courrier du 7 novembre 2018, Mme [D] a notifié à l’employeur sa démission.
Par courrier du 15 novembre 2018, la société a pris acte de cette démission.
Par courrier du 19 décembre 2018, Mme [D] a saisi la chambre départementale des notaires d’une demande de médiation, notamment au titre des rémunérations variables dues pour l’année 2018.
Par courrier du 20 décembre 2018, Mme [D] a sollicité de l’employeur le rappel de son interessement pour l’année 2017 auquel elle estimait avoir renoncé dans le cadre du protocole transactionnel et d’un montant de 219.273 euros, ainsi que le paiement de la somme de 604.119 euros au titre de l’intéressement pour l’année 2018.
En 2019, Mme [D] a rejoint la société civile professionnelle de notaire Durand Des Aulnois.
Lors d’une réunion du 7 février 2019, la société [E] et Mme [D] ont refusé la proposition faite par le président de la chambre des notaires au titre de la médiation sollicitée par la salariée.
En vertu d’une ordonnance du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris en date du 15 mars 2019, Mme [D] a été autorisée à diligenter des saisies conservatoires de créances à l’égard de la société [E] à hauteur de la somme de 832.392 euros (représentant la somme des montants réclamés par la salariée au titre des intéressements 2017 et 2018). Ces saisies ont été pratiquées au sein de quatre établissements bancaires à hauteur de la somme de 161.715,18 euros.
Le 27 mars 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin que la société Bussière soit condamnée à lui verser diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par acte du 11 avril 2019, la société [E] a fait assigner Mme [D] à comparaître devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris afin de voir prononcer la rétractation de l’ordonnance du 15 mars 2019, ordonner la mainlevée des saisies conservatoires et obtenir une indemnité de procédure.
Par jugement du 11 juin 2019, le juge de l’exécution a débouté la société [E] et l’a condamnée au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par jugement du 19 août 2020, le conseil de prud’hommes a :
Jugé la démission de Mme [D] non équivoque,
Condamné la société Bussière à verser à Mme [D] les sommes suivantes :
– 219.273 euros à titre de complément de rémunération variable 2017,
– 604.119 euros à titre de complément de rémunération variable 2018,
Avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu’au jour du paiement,
Rappelé qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de plein droit à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et a fixé cette moyenne à la somme de 11.741,77 euros,
– 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouté Mme [D] du surplus de ses demandes,
Débouté la société [E] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société [E] aux dépens.
Le 9 septembre 2020, la société [E] a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes.
Par arrêt du 22 octobre 2020, la cour d’appel de Paris confirmé le jugement du 11 juin 2019 du juge de l’exécution et a condamné la société [E] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par jugement du 15 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [E] et a désigné la société BTSG en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 9 février 2023, le tribunal de commerce de Paris a converti la procédure de redressement judiciaire prononcée le 15 avril 2021 en procédure de liquidation judiciaire et a désigné la société BTSG en qualité de liquidateur.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 28 avril 2023, la société BTSG demande à la cour de :
Prendre acte de son intervention volontaire en qualité de liquidateur judiciaire de la société [E],
Confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [D] relatives à la rupture de son contrat de travail (requalification de la démission, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour préjudice moral),
Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société [E] à verser à Mme [D] les sommes suivantes : 219.273 euros à titre de complément de rémunération variable 2017, 604.119 euros à titre de complément de rémunération variable 2018 et 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société [E] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société [E] de ses demandes,
Et, statuant à nouveau :
Débouter Mme [D] de ses demandes au titre de la ‘rémunération’ 2017 et de la ‘rémunération’ 2018,
Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,
Débouter Mme [D] de toutes ses prétentions,
En cause d’appel :
Débouter Mme [D] de sa demande additionnelle de 678.086,39 euros au titre des prestations qu’elle prétend avoir effectuées au profit de la société [E],
Condamner Mme [D] à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais d’appel,
Condamner Mme [D] aux dépens d’appel.
Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 3 mai 2023, Mme [D] demande à la cour de :
A titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il :
– a reconnu ses créances sur la société [E] d’un montant de 219.273 euros à titre de complément de rémunération variable 2017 et de 604.119 euros à titre de rémunération variable 2018,
– lui a octroyé la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de première instance par l’employeur,
Fixer ses créances pour les montants susvisés au passif de la liquidation judiciaire de la société [E],
A titre surabondant, dire et juger que la société [E] est débitrice envers elle d’une somme additionnelle de 678.086,39 euros (sauf à parfaire) à titre de complément de rémunération variable sur le chiffre d’affaires que la société [E] prétend devoir encaisser, postérieurement à son départ, au titre des diligences effectuées par elle en son sein sous réserve que la créance que la société [E] considère avoir sur la société Durand Des Aulnois soit confirmée,
Fixer cette créance additionnelle de 678.086,39 euros (sauf à parfaire) au passif de la liquidation de la société [E],
A titre incident, infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes relatives à la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
Dire et juger qu’elle été contrainte de démissionner de son emploi salarié au sein de la société [E] compte tenu des violations permanentes et répétées de cette dernière et de son associé unique, des obligations à leur charge envers elle (et notamment des obligations en termes de paiement de salaires et d’association),
Requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dire et juger que la société [E] est débitrice envers elle de la somme de 362.059,50 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dire et juger que la société [E] est débitrice envers elle de la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral subi par elle,
Fixer ses créances susvisées d’un montant total de 462.059,50 euros au passif de la liquidation de la société [E],
Ordonner qu’il lui soit remis une attestation Pôle emploi et des bulletins de paie conformes sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
A toutes fins utiles,
Dire et juger que ces créances porteront intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la saisine de la juridiction des prud’hommes,
Fixer à la somme de 10.000 euros sa créance au titre de l’article 700 du code de procédure civile au passif de la liquidation judiciaire de la société [E],
Dire et Juger que la décision à intervenir sera opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest,
Juger que les dépens seront recouvrés en frais privilégiés de la liquidation de la société [E],
Débouter la société [E] et son liquidateur de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.
Par acte du 17 avril 2023, Mme [D] a fait assigner en intervention forcée l’AGS CGEA IDF Ouest (ci-après désignée l’AGS). Bien que citée à personne morale, l’AGS ne constituait pas avocat et ne se présentait pas à l’audience de plaidoirie du 16 novembre 2023.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 27 septembre 2023.
MOTIFS :
Au préalable, il est rappelé qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motif.
Sur les demandes au titre de la rémunération variable :
* Sur l’existence d’une rémunération variable au titre du contrat de travail :
Le liquidateur de la société [E] soutient qu’aucune rémunération variable n’a été accordée à Mme [D] au titre du contrat de travail et que si un intéressement est prévu dans les contrats de promesse de cession de parts des 26 avril et 23 juin 2017, le versement de cet intéressement est conditionné au fait que Mme [D] fasse l’acquisition des parts sociales, ce qui n’a pu se faire par la faute de l’intimée, celle-ci n’ayant pas déposé le dossier d’agrément dans le délai fixé par les contrats de promesse. Le liquidateur soutient également qu’aucun intéressement n’est dû puisque les contrats de promesse sont caducs et qu’ils n’engagent pas la société [E], ceux-ci ayant été signés par M. [E] en son nom propre. Le liquidateur conclut enfin à l’absence d’intéressement puisqu’aucune décision de l’assemblée générale de la société n’a déterminé le montant de la valeur ajoutée à partager et qu’aucun avenant au contrat de travail n’a prévu de rémunération variable.
En défense, Mme [D] soutient au contraire qu’elle a annuellement perçu un intéressement au titre de son contrat de travail, devant ainsi être qualifié de rémunération variable.
En premier lieu, comme il a été dit précédemment, le contrat de travail de Mme [D] versé aux débats prévoit seulement le versement d’une rémunération fixe au profit de cette dernière. Il s’en déduit que ce contrat ne peut servir de base juridique à la rémunération variable alléguée par la salariée.
En deuxième lieu, il ressort des contrats de promesse de cession de parts sociales conclus entre M. [E] et Mme [D] les 26 avril et 23 juin 2017 qu’un intéressement sera versé à cette dernière au moment où elle obtiendra la qualité d’associée. Or, il est constant que la condition suspensive liée à l’acquisition des parts sociales par l’intimée n’a jamais été levée (celle-ci n’étant jamais devenue propriétaire de parts sociales de la société) et qu’ainsi l’obligation de versement de l’intéressement stipulée aux contrats de promesse n’a jamais été pure et simple. En outre, comme le soutient le liquidateur, les contrats de promesse ne lient pas directement la société puisqu’ils ont été conclus par M. [E] agissant en son nom propre comme propriétaire des parts sociales de la société et non comme dirigeant de ladite société. Il se déduit de ce qui précède que, comme l’affirme la société, les contrats de promesse ne peuvent servir de base juridique à la rémunération variable alléguée par la salariée.
En troisième lieu, il ressort des bulletins de paye versés aux débats et dont les mentions ne sont pas critiquées par la société [E] que celle-ci a versé à la salariée :
– en janvier 2015, une prime exceptionnelle d’un montant de 178.278,40 euros,
– en janvier et février 2016, une prime exceptionnelle d’un montant total de 329.000 euros,
– en février, mars et mai 2017, une prime exceptionnelle d’un montant total de 905.000 euros.
De même, le contrat de promesse du 26 avril 2017 stipule que : ‘Au cas où pour quelque raison que ce soit ne tenant pas à une faute imputable à la bénéficiaire, la présente promesse ne pourrait pas se réaliser et au cas où Me [Y] demeurerait notaire salariée dans la SCP, son contrat serait modifié pour la mettre en conformité avec la situation de fait existante à ce jour et depuis deux ans et qui se caractérise par un partage des résultats opéré entre la SCP et Me [Y] sur les bases qui précèdent c’est-à-dire qu’elle aurait droit, sous forme de salaire fixe et d’un intéressement à la totalité de sa valeur ajoutée nette calculée conformément aux dispositions qui précèdent’.
S’il est vrai, comme le souligne le liquidateur, qu’aucun avenant n’est venu modifier le contrat de travail pour prévoir le versement d’un intéressement, force est de constater que M. [E], dirigeant de la société [E], reconnaît expressément dans la clause contractuelle susmentionnée qu’un tel intéressement est versé sans texte à la salariée par la société depuis deux ans.
De plus, dans un courrier du 27 février 2018, M. [E] a indiqué à la salariée que la prime de 905.000 euros versée en 2017 correspondait ‘à un très important apport de chiffre d’affaires durant l’année 2016 et a été déterminée compte tenu de la valeur ajoutée, apportée par (le travail de Mme [D])’.
Enfin, si le liquidateur conteste l’existence d’une rémunération variable fondée sur le chiffre d’affaires au titre du contrat de travail, force est de constater qu’il ne justifie nullement les modalités de calcul des primes exceptionnelles versées annuellement à la salariée depuis l’année 2015 et alors qu’il appartient à l’employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la rémunération de la salariée.
Il se déduit de ce qui précède que, comme l’énonce Mme [D], l’employeur lui a accordé depuis 2015 une rémunération variable fondée sur le chiffre d’affaires sous la dénomination ‘prime exceptionnelle.
Il n’est nullement justifié par le liquidateur que les primes versées entre 2015 et 2017 ont nécessité l’autorisation préalable de l’assemblée générale de la société. Par suite, il ne peut s’opposer au versement d’une rémunération variable au titre des années 2017 et 2018 au motif qu’aucune décision de l’assemblée générale n’a été prise en la matière.
En conclusion, il ressort des éléments produits qu’au titre du contrat de travail, la salariée devait percevoir annuellement une rémunération variable fondée sur le chiffre d’affaires et notamment au titre des années 2017 et 2018.
* Sur la rémunération variable au titre de l’année 2017 :
Mme [D] expose que l’employeur a reconnu lui devoir dans un document produit en pièce 7 la somme de 1.029.603 euros (parts patronales et salariales comprises) au titre de l’intéressement dû pour l’année 2017 mais qu’elle a accepté dans le cadre du protocole transactionnel conclu le 11 avril 2018 de ne percevoir à ce titre que la somme de 587.480 euros à condition que la cession d’actions prévue audit protocole ait lieu. La salariée soutient que l’association n’a jamais été effective en raison du comportement de l’associé unique et qu’ainsi sa renonciation partielle à la somme due ne lui était pas opposable. Elle sollicite ainsi la confirmation du jugement qui a condamné l’employeur à lui verser la somme de 219.273 euros au titre de la rémunération variable de l’année 2017, correspondant selon elle à la somme de 442.123 euros parts patronales et salariales comprises.
En défense, la société soutient que Mme [D] a été remplie de ses droits en application du protocole transactionnel.
En l’espèce et en premier lieu, la cour constate que si la pièce 7 produite par la salariée comporte un tableau partiellement tronqué authentifié par une signature faisant état d’un reste à percevoir de 1.029.603 euros, force est de constater qu’il n’est nullement indiqué dans ce document l’identité du signataire et à qui il s’applique. Par suite, la salariée ne peut se fonder uniquement sur ce document pour justifier le fait que l’employeur a reconnu lui devoir la somme de 1.029.603 euros de rémunération variable pour l’année 2017.
En second lieu, l’article 3 du protocole transactionnel du 11 avril 2018 stipule :
‘La SCP [E] s’engage à attribuer à Mesdames [Y] et [V] la somme de 950.000 euros chargée (parts patronales et salariales comprises au titre des primes 2017 :
– soit pour Mme [Y] : 587.480 euros (parts patronales et salariales comprises),
– soit pour Mme [V] : 359.618,94 euros (parts patronales et salariales comprises),
Les règlements interviendront pour 50% avant fin mai 2018 et 50% avant fin juin 2018.
La SCP [E] s’engage à régler sans délai les notes de frais de Madame [V] (d’un montant d’environ 5.000 euros) et de Mme [Y] (d’un montant d’environ 5.000 euros), sur justificatifs.
En conséquence, Mmes [Y] et [V] se déclarent intégralement remplies de leurs arrêtés au 31 décembre 2017 acquis en leur qualité de salariées’.
Il résulte de ce texte que Mme [D] s’est déclarée remplie de ses droits par le versement d’une prime de 587.840 euros ‘au titre des primes 2017″, c’est-à-dire selon les conclusions de la salariée, au titre de la rémunération variable due pour l’année 2017.
Selon les articles 2044 et suivants du code civil, la transaction fait obstacle à l’introduction ou la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. Elle éteint définitivement les contestations qui y sont mentionnées, son contenu s’impose aux parties.
Lorsque l’une des parties n’exécute pas ses engagements, l’autre peut demander la résolution ou l’exécution forcée de la transaction avec des dommages et intérêts.
S’il est vrai que la promesse de cession de parts sociales stipulée à l’article 1er du protocole au profit de la salariée n’a pas été exécutée, force est de constater que celle-ci ne conteste pas dans ses écritures la validité de la transaction et n’en demande pas la résolution.
Par suite, Mme [D] ne peut formuler de nouvelles demandes pécuniaire au titre de la rémunération variable pour l’année 2017, compte tenu des stipulations du protocole transactionnel et notamment de son article 3.
Ainsi, Mme [D] sera déboutée de sa demande pécuniaire et le jugement sera infirmé en conséquence.
* Sur la rémunération variable au titre de l’année 2018 :
Au préalable, Mme [D] soutient sans être contredite par l’employeur qu’elle a quitté l’entreprise le 31 décembre 2018 (conclusions p.10). Il s’en déduit que sa rémunération variable due au titre de l’année 2018 devait être déterminée sur une année complète.
Mme [D] reproche à l’employeur de ne pas lui avoir communiqué les comptes détaillés certifiés conformes de la société, seuls suceptibles de permettre au juge prud’homal de déterminer les montants qui lui sont dus au titre de la rémunération variable pour l’année 2018.
Elle sollicite ainsi que la somme de 604.119 euros soit inscrite au passif de la liquidation judiciaire au titre de la rémunération variable pour l’année 2018, sans préciser le détail de son calcul et sans se référer à des éléments produits. Elle indique seulement que ‘la somme sollicitée est fondée sur les encaissements réalisés par la SCP [E], au titre des diligences effectuées par Maître [Y] en sa qualité de salariée’.
En défense, l’employeur conclut, à titre principal, au débouté de cette demande au motif que Mme [D] a quitté l’étude avec les dossiers qu’elle avait apportés (sans autre précision).
Comme il a été dit précédemment, d’une part, la rémunération variable de la salariée est fonction de la valeur ajoutée dont elle a fait bénéficier la société au cours de l’année 2018 et, d’autre part, Mme [D] a travaillé tout au long de cette année au sein de la société [E]. Par suite, elle ne peut être déboutée de sa demande salariale au seul motif qu’elle a quitté la société avec ses clients à compter de l’année 2019. Au surplus, ce fait n’est pas établi par les pièces produites par l’employeur.
En deuxième lieu, l’employeur soutient que la valeur ajoutée de l’entreprise a été de 717.488 euros au titre de l’année 2018 et en déduit, à titre subsidiaire, que la salariée ne peut bénéficier que d’une rémunération variable d’un montant de 116.591,80 euros.
Toutefois, la société entend fonder le détail de son calcul sur une simulation (pièce 30) déclarant expressément ne pas tenir compte des calculs de valeur ajoutée. En outre, les sommes mentionnées dans cette simulation ne sont pas corroborées par les mentions de la déclaration d’activité professionnelle (DAP) 2018 versée aux débats. Ainsi, par exemple, la simulation se fonde sur un bénéfice après impôts de 178.488 euros alors que la DAP fait état d’un bénéfice après impôts de 412.696 euros. Enfin, la société n’explique pas avoir accordé dans le cadre du protocole transactionnel et au titre de l’année 2017 une rémunération variable d’un montant de 587.840 euros (soit plus de quatre fois supérieur à la rémunération variable proposée au titre de l’année 2018) alors qu’il ressort de la DAP 2017 produite que le bénéfice après impôt était de 269.727 euros et donc d’un montant moindre que celui de l’année 2018.
Il résulte de ce qui précède que l’employeur n’établit pas que le montant de la rémunération variable due à la salariée au titre de l’année 2018 correspond à la somme de 116.591,80 euros et non de 604.119 euros comme le soutient Mme [D] alors que, comme il a été dit précédemment, il appartient à l’employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la rémunération de la salariée.
Par suite, Mme [D] peut utilement solliciter la somme de 604.119 euros à titre de rémunération variable pour l’année 2018.
Le jugement sera confirmé en conséquence, précision faite que la somme mise à la charge de la société [E] au titre du complément de rémunération variable 2018 est une créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de ladite société et s’exprime en brut.
Sur la demande formée par la salariée ‘à titre surabondant’ :
Par acte du 4 mars 2020, la société [E] a assigné la société Durand Des Aulnois devant le tribunal judiciaire de Paris afin que cette dernière soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts, notamment pour des actes de concurrence déloyale. Elle reproche à la société Durand Des Aulnois le recrutement de deux de ses notaires dont Mme [D] et la perte de leurs dossiers évaluée dans ses écritures à un chiffre d’affaires de 856.270,92 euros.
Pour la première fois en cause d’appel, Mme [D] sollicite dans ses dernières écritures et ‘à titre surabondant’ de dire et juger que la société [E] est débitrice envers elle d’une somme additionnelle de 678.086,39 euros (sauf à parfaire) à titre de complément de rémunération variable sur le chiffre d’affaires que la société [E] prétend devoir encaisser, postérieurement à son départ, au titre des diligences effectuées par elle en son sein sous réserve que la créance que la société [E] considère avoir sur la société Durand Des Aulnois soit confirmée.
En premier lieu, la demande de Mme [D] est conditionnée au fait que ‘la créance que la société [E] considère avoir sur la société Durand Des Aulnois soit confirmée’. Or, en l’état des éléments produits, aucune décision de justice définitive n’a été rendue dans le cadre du contentieux initié par la société [E] à l’encontre de la société Durand Des Aulnois.
En second lieu, il ressort des éléments produits que l’action en justice de la société [E] est liée à un détournement de clientèle au profit de la société Durand Des Aulnois. Par suite, Mme [D] ne peut solliciter de la société [E] une rémunération variable au titre du chiffre d’affaires réalisé au profit de la société Durand Des Aulnois.
Il se déduit de ce qui précède que Mme [D] sera déboutée de sa demande pécuniaire.
Sur la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Mme [D] soutient qu’elle a été contrainte de démissionner en raison de manquements de l’employeur faisant obstable à leur association et au paiement des rémunérations qui lui étaient dues. Elle sollicite ainsi la requalification de cette démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En défense, l’employeur conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a jugé non équivoque la démission de Mme [D].
Lorsque le salarié, comme c’est le cas en l’espèce, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci, en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que Mme [D] a remis le 7 novembre 2018 à l’employeur une lettre de démission pour les raisons suivantes : ‘Je constate que les négociations que nous menons depuis plusieurs mois pour parvenir à une association entre nous quatre ont échoué. Tous mes efforts sont restés vains. Mes demandes reposaient, il me semble, sur une vision saine et modérée de l’association entre notaires exerçant des activités complémentaires même avec des écarts de rentabilité considérables. Tes conseils et toi-même les avez toutes refusées catégoriquement sans jamais fournir d’argumentation autre que ton désir absolu de rester seul maître à bord aujourd’hui et à jamais comme de t’approprier définitivement tout ou partie ( à ton seul gré) de mon travail et toutes les plus-values en procédant. Ne pouvant sur de telles bases envisager l’association, je suis au regret de renoncer et, par voie de conséquence, par honnêteté vis-à-vis de toi, de quitter mes fonctions au sein de ton étude. Je t’informe donc de ma décision de démissionner’.
Il ressort des éléments versés aux débats qu’après la conclusion d’un protocole transactionnel le 11 avril 2018 portant sur la cession des parts sociales de la société au profit de la salariée et sur le versement de la rémunération variable de cette dernière, Mme [D] a saisi le 19 décembre 2018 (soit moins de deux mois après sa démission) la chambre départementale des notaires d’une demande de médiation portant notamment sur le versement de sa rémunération variable.
Il se déduit de ce qui précède qu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque. Par suite, le courrier du 7 novembre 2018 s’analyse en une prise d’acte de rupture du contrat de travail.
* Sur le bien fondé de la prise d’acte :
Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet à la salariée de rompre le contrat de travail en cas de manquements suffisamment graves de l’employeur qui empêchent la poursuite du contrat. Il appartient à la salariée d’établir les faits qu’elle allègue à l’encontre de l’employeur. Lorsque la salariée prend acte de la rupture en raison de faits qu’elle reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon les circonstances, si les faits invoqués le justifient, soit d’une démission dans le cas contraire.
Dans ses dernières conclusions, Mme [D] reproche en premier lieu à l’employeur de n’avoir pas permis au projet d’association de se réaliser. Toutefois, ces faits se rapportent à l’acquisition du statut d’associée et sont donc étrangers à la relation contractuelle. Par suite, ils ne peuvent constituer un manquement de l’employeur à ses obligations au titre du contrat de travail.
En second lieu, Mme [D] reproche à l’employeur de ne pas lui avoir versé l’ensemble des rémunérations qui lui étaient dues.
Or, il ressort des développements précédents que la société [E] ne lui a pas réglé sa rémunération variable au titre de l’année 2018 pour un montant de 604.119 euros.
Ce fait qui porte atteinte à la rémunération de Mme [D] est d’une gravité telle qu’il empêchait la poursuite du contrat de travail.
Par suite, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
* Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail :
En premier lieu, Mme [D] demande à la cour de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 462.059,50 euros comprenant :
– la somme de 362.059,50 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral subi.
L’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version modifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 applicable à la date de la rupture (7 novembre 2018) dispose que lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit dans l’article.
En l’occurrence, pour une ancienneté de 4 ans, la loi prévoit une indemnité minimale de 1 mois de salaire brut et une indemnité maximale qui s’élève à 5 mois.
Compte tenu des sommes mises à la charge de la société au titre de la rémunération variable 2018 et de la rémunération mensuelle fixe versée à la salariée au titre du contrat de travail, son salaire mensuel moyen brut sera établi à la somme de 56.295,25 euros bruts.
Eu égard à ces éléments, à l’âge de la salariée au moment de la rupture du contrat de travail, à son salaire mensuel brut, à son ancienneté et au fait qu’elle ne produit aucun élément sur sa situation postérieure à la rupture, il convient de lui allouer la somme de 57.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mme [D] sera déboutée de sa demande indemnitaire au titre du préjudice moral, celle-ci ne justifiant pas d’un préjudice non réparé par l’allocation de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En second lieu, la société [E] employant moins de 11 salariés et compte tenu des dispositions de l’article L.1235-5 du code du travail, il n’y a pas lieu d’ordonner d’office le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à la salariée en application de l’article L. 1235-4 dudit code.
Sur les demandes accessoires :
Compte tenu des développements qui précèdent, la demande de la salariée tendant à la remise de documents sociaux conformes au présent arrêt est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif, sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte.
Compte tenu des développements précédents, l’AGS est tenue de mettre en oeuvre sa garantie dans les termes et conditions des articles L. 3253-17 et L. 3253-19 du code du travail.
Sur les intérêts légaux, en application de l’article L. 621-48 du code de commerce, l’ouverture d’une procédure collective interrompt le cours des intérêts.
Il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d’appel sont mis à la charge de la société en liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
IINFIRME le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société [P] [E] à verser à Mme [O] [Y] épouse [D] la somme de 219.273 euros à titre de complément de rémunération variable 2017,
– débouté Mme [O] [Y] épouse [D] de sa demande au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– jugé la démission de Mme [O] [Y] épouse [D] non équivoque,
CONFIRME le jugement pour le surplus, précision faite que la somme mise à la charge de la société [P] [E] au titre du complément de rémunération variable 2018 est une créance fixée au passif de la liquidation judiciaire de ladite société et s’exprime en brut,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la lettre de démission du 7 novembre 2018 s’analyse en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société [P] [E] la somme de 57.000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au profit de Mme [O] [Y] épouse [D],
RAPPELLE que l’ouverture de la procédure collective a interrompu le cours des intérêts,
DIT que la présente décision est opposable à l’AGS CGEA IDF Ouest dans les limites de la garantie qui ne porte pas sur les frais irrépétibles,
ORDONNE au liquidateur de la société [P] [E] de remettre à la salariée une attestation destinée à Pôle emploi et des bulletins de paye conformes à l’arrêt,
DIT n’y avoir lieu à astreinte,
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
MET les dépens d’appel à la charge de la société en liquidation judiciaire.
La greffière, La présidente.