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Arrêt n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
3e chambre civile
ARRET DU 08 FEVRIER 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 17/03474 – N° Portalis DBVK-V-B7B-NG2R
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 30 MAI 2017
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE [Localité 39]
N° RG 13/00717
APPELANT :
Maître [M] [K]
[Adresse 35]
[Adresse 35]
[Localité 10]
Représenté par Me Gilles LASRY de la SCP D’AVOCATS BRUGUES – LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [W] [L] [H]
né le [Date naissance 18] 1956 à [Localité 39]
décédé le [Date décès 15] 2023 à [Localité 42]
Mademoiselle [T], [U], [G] [H], en son nom personnel et en qualité d’héritière de [W] [H], décédé le [Date décès 15] 2023
née le [Date naissance 22] 1976 à [Localité 37]
de nationalité Française
[Adresse 41]
[Localité 9]
Représentée par Me Sophia GHELLAL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Lisa JOULIE, avocat au barreau de TOULOUSE substituant Me Philippe DUPUY de la SELARL DUPUY-PEENE, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
Madame [O] [TH]
née le [Date naissance 3] 1938 à [Localité 44]
décédée le [Date décès 17] 2021 à [Localité 46]
Monsieur [Y] [P] [D]
né le [Date naissance 12] 1962 à [Localité 40]
de nationalité Française
[Adresse 19]
[Localité 8]
Assigné le 26/09/2017 par acte remis à étude
INTERVENANTS :
Madame [I] [D] épouse [VU] en qualité d’héritière de sa mère décédée [O] [TH]
née le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 40]
de nationalité Française
[Adresse 36]
[Localité 32]
Assignée le 01/3/2023 par acte remis à personne
Monsieur [R] [D] en qualité d’héritier de sa mère décédée [O] [TH]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 40]
de nationalité Française
[Adresse 31]
[Adresse 31]
[Localité 24]
Assigné le 02/03/2023 par acte remis à personne
Madame [X] [D] épouse [XA] en qualité d’héritière de son père décédé [Z] [D] fils de [O] [TH] décédée
née le [Date naissance 13] 1992 à [Localité 45]
de nationalité Française
[Adresse 21]
[Localité 29]
Assignée le 03/03/2023 par acte remis à personne
Monsieur [UN] [D] en qualité d’héritier de sa mère [O] [TH] décédée
né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 38]
de nationalité Française
[Adresse 33]
[Localité 30]
Assigné le 03/3/2023 par acte remis à personne
Monsieur [A] [D] en qualité d’héritier de sa mère [O] [TH] décédée
né le [Date naissance 27] 1965 à [Localité 40]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 30]
Assigné le 06/03/2023 par acte remis à personne
Madame [E] [D] en qualité d’héritière de son père décédé [Z] [D] fils de [O] [TH] décédée
née le [Date naissance 26] 1995 à [Localité 45]
de nationalité Française
[Adresse 14]
[Localité 16]
Assignée le 23/03/2023 par acte remis à personne
Madame [B] [D] en qualité d’héritière de son père décédé [Z] [D] fils de [O] [TH] décédée
née le [Date naissance 20] 2002 à [Localité 38]
de nationalité Française
[Adresse 33]
[Localité 30]
Assignée le 03/03/2023 par acte remis à personne
Monsieur [J] [D] en qualité d’héritier de son père décédé [Z] [D] fils de [O] [TH] décédée
né le [Date naissance 23] 2000 à [Localité 38]
de nationalité Française
[Adresse 33]
[Localité 30]
Assigné le 03/03/2023 par acte remis à domicile
Monsieur [N] [D] en qualité d’héritier de son père décédé [Z] [D] fils de [O] [TH] décédée
né le [Date naissance 28] 1993 à [Localité 45]
de nationalité Française
[Adresse 14]
[Localité 16]
Assigné le 21/03/2023 par acte remis à étude
Monsieur [V] [H], en sa qualité d’héritier de Monsieur [W] [H], décédé le [Date décès 15] 2023
né le [Date naissance 2] 1994 à [Localité 39]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représenté par Me Sophia GHELLAL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Lisa JOULIE, avocat au barreau de TOULOUSE substituant Me Philippe DUPUY de la SELARL DUPUY-PEENE, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 07 Novembre 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 novembre 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Gilles SAINATI, président de chambre
M. Fabrice DURAND, conseiller
Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA
ARRET :
– rendu par défaut
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour fixé au 25 janvier 2024 et prorogé au 08 février 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Sabine MICHEL, greffière.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 6 juillet 2005, [W] [H] s’est engagé à acquérir de M. [S] [F] un immeuble à usage d’habitation cadastré section BN n°[Cadastre 25] situé [Adresse 34] sur la commune de [Localité 39] (11) au prix de 258 000 euros.
Par acte reçu le 5 août 2005 par Me [M] [K], notaire à [Localité 39], la SCI La Fount Grande a été constituée entre [W] [H] (90 parts/100) et sa fille Mme [T] [H] (10 parts/100).
Par acte authentique reçu le 2 février 2006 par Me [K], la SCI La Fount Grande s’est substituée à [W] [H] pour acheter l’immeuble précité au prix convenu de 258 000 euros.
Le prix était payé au moyen d’un prêt de 318 000 euros remboursable en 240 mensualités accordé par la Caisse d’Epargne Languedoc Roussillon à la SCI La Fount Grande.
Ce prêt était assorti des garanties suivantes :
– un privilège de prêteur de deniers pour 136 240 euros ;
– le nantissement du contrat d’assurance-vie n°718001306 de [W] [H] pour 80 000 euros ;
– un cautionnement personnel de [W] [H] à hauteur de 100 % ;
– un cautionnement personnel de Mme [T] [H] à hauteur de 100 % ;
– une caution de la SACCEF à hauteur de 32 %.
Le privilège de prêteur de deniers a été inscrit le 14 février 2006 à la conservation des hypothèques de [Localité 39] (volume 2006V n°561) pour un montant de 136 240 euros en principal et de 20 436 euros en accessoire ayant effet jusqu’au 2 janvier 2030.
Par acte authentique reçu le 16 avril 2010 par Me [VJ], notaire à Narbonne, avec la participation de Me [K], [W] [H] et Mme [T] [H] ont cédé la totalité des 100 parts sociales de la SCI Fount Grande à M. [Y] [D] et à [O] [TH] au prix de 19 156,84 euros auquel s’ajoutait le solde créditeur du compte courant d’associé de 28 435,29 euros.
Cette cession de parts sociales a été autorisée par la Caisse d’Epargne selon courrier du 3 mars 2010 accordant la suppression des garanties personnelles de [W] [H] et précisant que « le prêt existant au nom de la SCI continuant sous les mêmes conditions initiales ».
Aux termes des statuts de la SCI La Fount Grande modifiés le 16 avril 2010, M. [Y] [D] est devenu détenteur de 99 parts/100 et [O] [TH] de seulement 1 part/100.
Par courrier du 22 décembre 2011, la Caisse d’Epargne informait [W] [H] et Mme [T] [H] d’un impayé de 3 243,82 euros par la SCI La Fount Grande.
Ce courrier était suivi le 17 janvier 2012 d’une mise en demeure à [W] [H] de régler la somme due de 3 573,21 euros afin d’éviter la déchéance du terme du contrat de prêt.
Une seconde mise en demeure était notifiée le 25 mai 2012 à Mme [T] [H] pour un montant impayé actualisé de 8 442,42 euros et le 29 juin 2012 à [W] [H] pour la somme de 9 665,58 euros.
Par courrier du 19 juillet 2012, la Caisse d’Epargne prononçait la déchéance du terme du contrat de prêt à cette date et exigeait de [W] [H], pris en sa « qualité de caution gagiste de la SCI La Fount Grande », le paiement de la somme de 268 224,73 euros.
Le 12 octobre 2012, la Caisse d’Epargne mettait en ‘uvre le nantissement en procédant au rachat partiel du contrat d’assurance-vie de [W] [H] à hauteur de 70 000 euros.
Le 2 mai 2013, la Caisse d’Epargne publiait le commandement de payer valant saisie de l’immeuble signifié le 8 avril 2013 à la SCI La Fount Grande.
Par ordonnance du 6 octobre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux condamnait la SCI La Fount Grande à payer à [W] [H] une provision de 72 601 euros représentant le montant prélevé par la Caisse d’Epargne sur le contrat d’assurance-vie de [W] [H].
Par acte d’huissier du 7 mai 2013, [W] [H] et Mme [T] [H] ont fait assigner Me [K] devant le tribunal de grande instance de Carcassonne aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.
Par actes d’huissier du 28 février 2015 et du 9 mars 2015, [W] [H] et Mme [T] [H] ont fait assigner M. [Y] [D] et [O] [TH] en paiement des dettes de la SCI La Fount Grande.
Les deux instances ont été jointes.
Par ordonnance du 18 mai 2016, le juge de la mise en état a condamné M. [D] à payer aux consorts [H] la somme de 73 062,99 euros et condamné [O] [TH] à leur verser la somme de 738,01 euros.
M. [D] et [O] [TH] n’ont pas comparu devant le tribunal.
Par jugement réputé contradictoire du 30 mai 2017, le tribunal de grande instance de Carcassonne a :
‘ condamné Me [K] à payer à [W] [H] la somme de 70 000 euros ;
‘ dit que cette condamnation était solidaire avec celles prononcées par le juge de la mise en l’état par ordonnance du 18 mai 2016 ;
‘ débouté [W] [H] de ses plus amples demandes à l’encontre de Me [K] ;
‘ débouté Mme [T] [H] de ses plus amples demandes à l’encontre de Me [K] en l’état de l’absence d’un préjudice certain et actuel ;
‘ débouté les consorts [H] de leurs plus amples demandes à l’encontre de M. [D] et de [O] [TH] ;
‘ ordonné l’exécution provisoire ;
‘ condamné in solidum Me [K], M. [D] et [O] [TH] aux dépens et à payer aux consorts [H] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe du 22 juin 2017, Me [K] a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 4 octobre 2017, le premier président de la cour d’appel a rejeté la demande de consignation formée par Me [K] en aménagement de l’exécution provisoire.
[O] [TH] est décédée le [Date décès 17] 2021.
Me [K] a fait assigner en intervention forcée tous les héritiers mentionnés dans l’acte de notoriété de la défunte établi le 11 février 2022 par Me [BZ] [SB], notaire à Bordeaux : Mme [I] [D] épouse [VU], M. [A] [D], M. [R] [D], M. [UN] [D], Mme [X] [D] épouse [XA], M. [N] [D], Mme [E] [D], M. [J] [D] et Mme [B] [D].
[W] [H] est décédé le [Date décès 15] 2023.
M. [V] [H] est intervenu volontairement à l’instance au côté de sa s’ur Mme [T] [H], ces deux personnes étant les seuls héritiers de leur père défunt ainsi que l’établit l’acte de notoriété établi le 8 mars 2023 par Me [MY], notaire à [Localité 43].
Vu les dernières conclusions de Me [K] déposées au greffe le 13 septembre 2023 aux termes desquelles il conclut à l’infirmation intégrale du jugement déféré, au débouté des consorts [H] et à leur condamnation à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions de Mme [T] [H] et de M. [V] [H] déposées au greffe le 20 octobre 2023 aux termes desquelles ils demandent à la cour :
‘ d’infirmer partiellement le jugement déféré en ce qu’il les a déboutés de leur demande en paiement du solde du prêt formée contre Me [K], M. [D] et [O] [TH] ;
En conséquence,
‘ de condamner solidairement Me [K], M. [Y] [D] et les héritiers de [O] [TH] à proportion des parts qu’ils détiennent dans le capital de la SCI La Fount Grande à leur payer :
‘ 73 801 euros, sauf à déduire les sommes qui auraient été versées en exécution de l’ordonnance du 18 mai 2016 du juge de la mise en état ;
‘ 163 883,64 euros arrêtée au 30 septembre 2015 sauf à parfaire au titre des intérêts, frais et accessoires ;
‘ 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
‘ 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Me [C] ;
M. [Y] [D] et les héritiers de [O] [TH], régulièrement appelés en la cause, n’ont pas constitué avocat.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 7 novembre 2023.
MOTIFS DE L’ARRET
A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler » ou « dire et juger » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu’i1 soit tranché sur un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n’y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.
Sur l’action en responsabilité contre le notaire,
Sur la faute du notaire,
Le notaire qui intervient comme rédacteur d’acte doit conseiller utilement et habilement les parties. Il doit attirer leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques de leurs engagements. Il doit aussi suggérer les mesures et clauses contractuelles les plus propices pour obtenir le résultat que les parties à l’acte désirent atteindre.
Le notaire répond de toute faute commise dans la mise en ‘uvre de cette obligation de conseil et engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.
Il appartient au notaire, débiteur de ce devoir de conseil, d’apporter la preuve de ce qu’il a correctement satisfait à cette obligation envers ces clients.
En l’espèce, l’acte de vente des parts sociales de la SCI La Fount Grande par [W] [H] et Mme [T] [H] à M. [D] et à [O] [TH] a été reçu en forme authentique le 16 avril 2010 par Me [VJ], notaire à Narbonne.
Cette acte authentique indique que Me [K] y a participé pour assister [W] [H] et Mme [T] [H].
[W] [H] et Mme [T] [H] cédaient ainsi l’intégralité des parts sociales de la SCI La Fount, étant précisé que cet acte du 16 avril 2010 restait muet sur le sort des garanties antérieurement accordées par les cédants à la Caisse d’Epargne dont le prêt ayant financé l’achat de l’immeuble de la société restait dû à hauteur de 272 407,87 euros au 1er avril 2010.
L’acte de cession rappelait seulement l’existence du privilège de prêteur de deniers inscrit le 14 février 2006, sans évoquer les autres garanties personnelles et réelles maintenues à la charge de [W] [H] et de Mme [T] [H].
Une telle opération matérialisait une prise de risques particulièrement élevée pour [W] [H] et Mme [H] qui perdaient tout droit sur les parts sociales et indirectement sur l’immeuble de la société, tout en restant personnellement tenus de garantir le prêt bancaire accordé par la Caisse d’Epargne.
Le maintien de ces garanties personnelles et réelles de [W] [H] et de Mme [T] [H], alors que ces derniers vendaient à des tiers toutes les parts de la société propriétaire de l’immeuble, imposait au notaire de prodiguer un devoir de conseil renforcé à ses clients quant aux risques qu’ils prenaient en acceptant le maintien de ces sûretés.
En l’espèce, ni l’acte de vente du 16 avril 2010 ni aucune autre pièce versée aux débats ne fait état d’une information donnée à ce sujet, et encore moins d’un avertissement délivré à [W] [H] et à Mme [H] par leur notaire quant aux risques inhérents au maintien des garanties personnelles accordées par ces derniers lors de l’octroi du prêt bancaire à la SCI La Fount Grande.
Le seul courrier de la Caisse d’Epargne du 3 mars 2010 informant [W] [H] de mainlevée de sa garantie personnelle ne démontre aucunement qu’il a été correctement informé par la banque de ce que le nantissement de son contrat d’assurance-vie était maintenu.
De même, aucune information n’a été donnée à Mme [T] [H] concernant sa caution personnelle qui était maintenue en dépit de la cession des parts sociales.
De surcroît, la méconnaissance par les vendeurs du maintien des garanties du prêt ressort clairement du courrier adressé le 29 mars 2012 à la Caisse d’Epargne par [W] [H] affirmant ne plus être « titulaire de ce prêt et de ces remboursements » au motif que sa banque aurait supprimé ses garanties dans le courrier du 3 mars 2010 précité.
La Caisse d’Epargne répondait le 18 juin 2012 à [W] [H] que la levée de garantie se limitait à sa « garantie personnelle physique », conformément aux termes du courrier du 3 mars 2010.
[W] [H] avait manifestement mal compris l’expression « garanties personnelles de M. [W] [H] » de ce courrier, la distinction juridique entre garanties personnelles et réelles n’étant pas d’une clarté évidente pour les profanes qui ont précisément recours à des juristes professionnels pour être informés de ces subtilités du droit.
Contrairement à la position soutenue par Me [K], le notaire était débiteur d’un devoir de conseil envers [W] [H] et Mme [H] concernant le sort des garanties antérieurement accordées par eux à l’établissement prêteur.
Le notaire n’était pas dispensé de prodiguer ce conseil au motif que ses clients auraient négocié avec la banque, hors intervention du notaire, les conditions de mainlevée ou de maintien de certaines de ces garanties.
Ce conseil était d’autant plus essentiel en l’espèce que la lecture des courriers versés aux débats démontre que [W] [H] n’avait pas compris la distinction entre sa garantie personnelle (objet du courrier du 3 mars 2010) et la garantie réelle du nantissement de son contrat d’assurance-vie qui était maintenue en dépit de ce courrier du 3 mars 2010.
Me [K] n’est pas fondé à soutenir dans ses écritures que la lettre du 3 mars 2010 « est compréhensible par toute personne et ne nécessite aucune compétence juridique pour en apprécier la portée » alors que le droit des sûretés est une matière particulièrement technique dont la complexité a conduit [W] [H] à se méprendre sur l’expression « garanties personnelles de M. [W] [H] » mentionnée dans le courrier du 3 mars 2010.
Il appartenait donc à Me [K] de procéder à une analyse globale de l’opération de cession, de recenser avec ses clients l’ensemble des garanties que ces derniers avaient antérieurement accordées à la banque et d’en analyser les enjeux et les risques ultérieurs pour eux.
Cette opération d’analyse des garanties maintenues était d’autant plus aisée pour Me [K] qu’il avait personnellement reçu l’acte d’achat de l’immeuble par la SCI La Fount Grande dont il avait aussi rédigé les statuts.
Ce conseil dû par le notaire ne concernait pas l’opportunité économique de l’acte envisagé mais consistait à informer précisément ses clients sur les garanties dont ils demeuraient débiteurs et sur les risques qui en découlaient pour eux alors qu’ils cédaient par ailleurs l’intégralité des parts sociales et abandonnaient ainsi tout droit sur l’immeuble social.
Lors de l’intervention de Me [K] le 16 avril 2010, la convention de cession n’était pas définitivement conclue de sorte que le notaire restait débiteur de son devoir de conseil portant sur les garanties accordées antérieurement à l’acte de cession.
Me [K] ne s’est pas assuré que ses clients étaient conscients du maintien des garanties antérieurement accordées et des risques qui en découlaient lorsqu’ils ont cédé les parts sociales de la SCI La Fount Grande.
Il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les vendeurs des parts sociales ont « pris un risque calculé dont ils doivent supporter les conséquences » ainsi que le soutient Me [K] dans ses conclusions.
Bien au contraire, la nature du risque pris par ses clients n’a jamais été évoquée par le notaire qui les assistait et les pièces du dossier démontrent que [W] [H] a été abusé par la terminologie juridique du courrier de son banquier du 3 mars 2010 qui a maintenu la garantie réelle du nantissement sans l’évoquer clairement.
Ainsi que l’a exactement relevé le jugement déféré, le notaire aurait dû indiquer à Mme [T] [H] que la vente ne la dégageait pas de son cautionnement personnel et à [W] [H] que la levée de sa garantie personnelle laissait intact le nantissement grevant son contrat d’assurance-vie.
Il est donc établi que Me [K] a manqué à son devoir de conseil et d’information de ses clients.
Sur le préjudice matériel subi par [W] [H],
Cette faute de Me [K] a entraîné un préjudice consistant en une perte de chance pour [W] [H] et Mme [H] de ne pas contracter, c’est-à-dire de renoncer à la vente de leurs parts sociales en raison du maintien des garanties et des risques financiers trop importants qui pesaient sur eux en cas de défaillance de la SCI La Fount Grande à payer les échéances restantes du prêt immobilier.
Concernant [W] [H], et contrairement à la position retenue par les premiers juges, ce préjudice de perte de chance ne peut pas se confondre avec le montant du dommage lui-même de 70 000 euros.
Il convient, pour apprécier la probabilité pour [W] [H] et Mme [T] [H] de ne pas contracter s’ils avaient été correctement conseillés par Me [K], de tenir compte :
– de ce que le prix de cession des parts avait été fixé après déduction du passif bancaire de la valeur de l’immeuble constituant l’unique actif social ;
– des risques encourus très importants pour les vendeurs des parts sociales, en cas de défaillance future de la société, au regard des avantages résultant de la conclusion de la vente ;
– de l’absence d’urgence pour [W] [H] et Mme [H] de vendre les parts d’une SCI financièrement saine et propriétaire d’un immeuble locatif rentable, cette absence d’urgence ne les incitant pas à prendre des risques excessifs dans une telle opération.
En conséquence, dans l’hypothèse où Me [K] aurait correctement conseillé ses clients sur le maintien des garanties et la nature des risques financiers qui en découlaient, la cour évalue à 80 % la probabilité selon laquelle [W] [H] et Mme [H] auraient renoncé à cette opération.
La renonciation à cette vente de parts sociales aurait évité à [W] [H] de perdre la somme de 70 000 euros prélevée le 12 octobre 2012 par la Caisse d’Epargne sur le contrat d’assurance-vie nanti à son profit.
Le préjudice de perte de chance s’élève donc à 80 % de ce montant de 70 000 euros.
Ce préjudice présente un caractère certain alors même que les héritiers de [W] [H] disposent contre la SCI La Fount Grande et contre ses deux associés d’une action en réparation de la situation dommageable née de la faute du notaire. Cette action distincte peut assurer la réparation du même préjudice sous réserve que le cumul d’action ne conduise pas à une indemnisation globale supérieure à ce préjudice de 70 000 euros.
De surcroît, la perte de cette somme de 70 000 euros est définitive dès lors que les poursuites engagées par [W] [H] le 8 janvier 2015 par saisie-attribution contre la SCI La Fount Grande et le 18 août 2016 par commandement de saisie-vente signifié à M. [Y] [D] (débiteur de 99 % de la dette) sont toutes demeurées vaines, l’immeuble appartenant à M. [Y] [D] étant en outre grevé de plusieurs hypothèques rendant illusoire toute voie d’exécution à son égard.
L’impôt sur le revenu de 2 601 euros correspondant à ce rachat partiel d’assurance-vie ne constitue pas un préjudice subi par [W] [H] qui aurait en toute hypothèse supporté cette imposition lors du dénouement du contrat. Il n’y a donc pas lieu de tenir compte de cette somme pour calculer le préjudice subi par [W] [H].
Par ailleurs, Mme [T] [H] et M. [V] [H] n’apportent la preuve d’aucun autre préjudice matériel supporté par [W] [H] qui n’est plus caution personnelle et dont la seule garantie réelle portant sur le contrat d’assurance-vie a déjà été mise en ‘uvre en totalité par la Caisse d’Epargne.
Les demandes de Mme [T] [H] et de M. [V] [H] contre le notaire portant sur le paiement des sommes restant dues au titre du contrat de prêt ne peuvent donc qu’être rejetées.
En conséquence, Me [K] sera condamné à indemniser les consorts [H] à hauteur de la perte de chance pour [W] [H] de ne pas contracter, soit : 70 000 euros x 80 % = 56 000 euros.
Sur le préjudice matériel subi par Mme [T] [H],
Mme [T] [H] ne justifie pas avoir été destinataire de la mise en demeure valant déchéance du terme, ni avoir reçu un quelconque acte de poursuite de la part de la Caisse d’Epargne.
Le décompte qu’elle produit a été édité le 4 avril 2022 par la Caisse d’Epargne tel qu’arrêté à la date du 30 septembre 2015, c’est-à-dire antérieurement à la réalisation de la vente de l’immeuble saisi par la banque, vente amiable autorisée par jugement d’orientation du 12 novembre 2013 renvoyant l’affaire à l’audience de rappel du 11 mars 2014.
De surcroît, la vente de l’immeuble suite à la procédure de saisie immobilière engagée par la Caisse d’Epargne, créancier inscrit au premier rang sur ce bien immobilier, rend hautement improbable l’engagement de poursuite ultérieure contre Mme [T] [H] qui n’a produit aucune pièce relative à la vente amiable du bien saisi autorisée par le jugement d’orientation du 12 novembre 2013.
Mme [T] [H] ne démontre donc pas avoir subi un quelconque préjudice matériel en conséquence de la faute de Me [K].
Le jugement déféré sera donc confirmé en ses dispositions ayant rejeté les demandes de Mme [T] [H] d’indemnisation de son préjudice matériel formées contre Me [K].
Sur le préjudice moral subi par [W] [H] et par Mme [T] [H],
La faute du notaire a exposé [W] [H] et Mme [T] [H] à un risque important de poursuites par la Caisse d’Epargne en vue du paiement de la dette de la SCI La Fount Grande qu’ils avaient consenti à garantir.
[W] [H] a reçu de nombreux courriers comminatoires de la banque l’ayant contraint à payer en pure perte la somme de 70 000 euros à la Caisse d’Epargne.
Mme [T] [H] n’a reçu qu’un courrier de mise en demeure par la banque, avant interruption des démarches de la Caisse d’Epargne à son égard qui n’a cependant jamais renoncé à sa garantie de cautionnement.
Cette situation a généré pour les deux personnes ainsi mis en demeure et potentiellement poursuivies en justice un préjudice, d’anxiété important lié aux risques de supporter en pure perte le poids d’un lourd engagement financier pris au bénéfice d’autrui.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions ayant rejeté ces demandes.
Le préjudice moral subi par les intimés en raison de la faute du notaire sera donc fixé à hauteur de 6 500 euros pour [W] [H] et de 3 500 euros pour Mme [T] [H].
La même demande indemnitaire est formée contre M. [D] et contre les héritiers de [O] [TH]. Cette demande n’est fondée sur aucun moyen de fait et de droit dans les motifs des conclusions et sera donc rejetée.
Sur les demandes dirigées contre M. [Y] [D] et contre les héritiers de [O] [TH],
La cour relève en premier lieu que le jugement déféré a retenu à tort que le juge de la mise en état avait définitivement condamné M. [D] et [O] [TH] à payer respectivement les sommes de 73 062,99 euros et 738,01 euros.
En effet, les ordonnances du juge de la mise en état accordant une provision n’ont pas autorité de la chose jugée sur le fond.
[W] [H] a payé la somme de 70 000 euros prélevés sur son contrat d’assurance-vie à la Caisse d’Epargne en lieu et place de la SCI La Fount Grande.
Cette somme ne peut pas être mise à la charge in solidum de M. [D] et des héritiers de [O] [TH], ainsi que le demandent les consorts [H] puisque l’article 1857 du code civil dispose que « les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social ».
L’échec de la saisie-attribution diligentée le 8 janvier 2015 contre la SCI La Fount Grande établit l’exercice préalable par [W] [H] de vaines poursuites contre la société ainsi que l’exige l’article 1858 du code civil pour pouvoir poursuivre les associés.
En conséquence, il convient de condamner les deux associés de la SCI La Fount Grande, à proportion de leur part dans le capital social, à payer à la succession de [W] [H] :
– 70 000 euros représentant la somme payée à la Caisse d’Epargne ;
– 1 200 euros d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile accordé par ordonnance de référé du 6 octobre 2014.
La somme totale due est donc de 71 200 euros se répartissant ainsi :
– 70 488 à la charge de M. [D] (99 parts) ;
– 712 euros à la charge des héritiers de [O] [TH] (1 part), étant précisé que le créancier de la défunte dispose du droit de poursuivre la totalité de sa succession pour obtenir paiement de cette créance.
La demande complémentaire formée par Mme [T] [H] et par la succession de [W] [H] à hauteur de 182 543,04 euros ne peut qu’être rejetée en l’absence de preuve apportée par ces derniers de ce qu’ils auraient supporté la charge financière d’une quelconque somme au-delà du montant de 70 000 euros précédemment évoqué.
Enfin, le recours anticipé que les mêmes demandeurs exercent en qualité de cautions contre le débiteur sur le fondement de l’ancien article 2032-4° du code civil, transféré à droit constant par ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 dans l’article 1309-4° du code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021) doit également être rejeté en l’absence de preuve apportée d’une créance subsistante de la Caisse d’Epargne, après que cette dernière a été payée par priorité sur le prix de vente de l’immeuble saisi.
Sur la solidarité entre les débiteurs de la dette,
Les deux condamnations prononcées contre M. [D] (70 488 euros) et contre [O] [TH] (712 euros) doivent être prononcées in solidum avec celle prononcée contre Me [K] à hauteur de 56 000 euros.
En effet, les condamnations contre les deux associés et contre le notaire, quoique prononcées sur des fondements juridiques distincts, matérialisent la réparation d’une perte financière sous-jacente unique subie par [W] [H] à cause de la défaillance des associés et de la faute du notaire, ces deux causes ayant concouru à la survenue d’un même préjudice.
Il convient toutefois de limiter la solidarité ordonnée contre le notaire à proportion de la seule indemnité de 56 000 euros mise à sa charge, soit :
‘ 55 440 euros concernant sa dette solidaire avec M. [D] ;
‘ 560 euros concernant sa dette solidaire avec les héritiers de [O] [TH].
La différence de 15 200 euros sera supportée exclusivement par M. [D] (15 048 euros) et par les héritiers de [O] [TH] (152 euros).
La cour observe par ailleurs que Me [K] n’exerce aucune action en garantie de l’indemnité mise à sa charge par le présent arrêt à l’encontre de M. [D] et de la succession de [O] [TH].
Sur les demandes accessoires,
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d’appel seront supportés in solidum par Me [K], par M. [D] et par les héritiers de [O] [TH] qui succombent tous en appel.
Conformément à l’équité, il sera en outre alloué à Mme [T] [H] et à la succession de [W] [H] une indemnité in solidum de 5 000 euros à la charge des parties tenues aux dépens sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l’exception de celles ayant rejeté les demandes formées par Mme [T] [H] en réparation de son préjudice matériel contre Me [K], contre M. [Y] [D] et contre les héritiers de [O] [TH] ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant,
Condamne Me [M] [K] in solidum avec M. [Y] [D] à payer à la succession de [W] [H] la somme de 55 440 euros ;
Condamne Me [M] [K] in solidum avec Mme [I] [D] épouse [VU], M. [A] [D], M. [R] [D], M. [UN] [D], Mme [X] [D] épouse [XA], M. [N] [D], Mme [E] [D], M. [J] [D] et Mme [B] [D], tous pris comme héritiers de [O] [TH], à payer à la succession de [W] [H] la somme de 560 euros ;
Condamne M. [Y] [D] à payer à la succession de [W] [H] la somme de 15 048 euros ;
Condamne Mme [I] [D] épouse [VU], M. [A] [D], M. [R] [D], M. [UN] [D], Mme [X] [D] épouse [XA], M. [N] [D], Mme [E] [D], M. [J] [D] et Mme [B] [D], tous pris comme héritiers de [O] [TH], à payer à la succession de [W] [H] la somme de 152 euros ;
Condamne Me [M] [K] à payer une indemnité de 6 500 euros à la succession de [W] [H] et une indemnité de 3 500 euros à Mme [T] [H] en réparation de leur préjudice moral ;
Déboute Mme [T] [H] et M. [V] [H], venant aux droits de [W] [H], de leurs demandes complémentaires formées contre Me [M] [K], contre M. [Y] [D] et contre les héritiers de [O] [TH] ;
Condamne in solidum Me [M] [K], M. [Y] [D], Mme [I] [D] épouse [VU], M. [A] [D], M. [R] [D], M. [UN] [D], Mme [X] [D] épouse [XA], M. [N] [D], Mme [E] [D], M. [J] [D] et Mme [B] [D] à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Ghellal, avocat au barreau de Montpellier, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Me [M] [K], M. [Y] [D], Mme [I] [D] épouse [VU], M. [A] [D], M. [R] [D], M. [UN] [D], Mme [X] [D] épouse [XA], M. [N] [D], Mme [E] [D], M. [J] [D] et Mme [B] [D] à payer une indemnité de 5 000 euros à la succession de [W] [H] et à Mme [T] [H] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,