Parts sociales : décision du 8 février 2024 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/00144

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Parts sociales : décision du 8 février 2024 Cour d’appel de Chambéry RG n° 22/00144
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COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 08 Février 2024

N° RG 22/00144 – N° Portalis DBVY-V-B7G-G4ZF

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d’ANNECY en date du 06 Décembre 2021, RG 2020J00239

Appelante

Mme [H] [Z] [F] [R]

née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 6], demeurant [Adresse 4]

Représentée par Me Frédérique MARQUOIS-BELLON, avocat au barreau d’ANNECY

Intimée

S.A. SOCIETE GENERALE dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Pierre BREGMAN, avocat au barreau d’ANNECY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 21 novembre 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 29 mai 2018, la SA Société Générale a consenti à la Sarl Crêperie Del’ys, représentée par Mme [R] sa gérante, un prêt de 12 000 euros destiné à l’acquisition d’un véhicule professionnel remboursable sur une durée de trois années au taux de 1,90 % hors frais et assurances.

Courant 2016, la SA Société Générale avait préalablement consenti à cette même société un prêt d’investissement, pour un montant en principal de 65 000 euros, remboursable sur une durée de 7 ans au taux de 1,75% hors frais et assurances, pour la réalisation de travaux et l’acquisition de matériels professionnels.

Par acte du 30 août 2019, Mme [R] a régularisé en faveur de la banque, dans la limite de 32 500 euros, en renonçant au bénéfice de discussion, un cautionnement omnibus des sommes dues par la Sarl Crêperie Del’ys et ce pour une durée de 120 mois.

Par jugement du 2 mars 2020, le tribunal de commerce d’Annecy a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la Sarl Crêperie Del’ys.

La SA Société Générale a déclaré sa créance entre les mains du mandataire liquidateur par courrier recommandé posté le 12 mai suivant.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception des 10 juillet et 7 septembre 2020, la SA Société Générale a mis en demeure Mme [R] de lui régler la somme de 32 500 euros en sa qualité de caution solidaire de la Sarl Crêperie Del’ys.

Faute de règlement spontané, la SA Société Générale a, par acte du 9 novembre 2020, fait assigner Mme [R] devant le tribunal de commerce d’Annecy aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 32 500 euros en principal, outre les intérêts au taux contractuel de 5,75% l’an.

Par jugement contradictoire du 6 décembre 2021, le tribunal de commerce d’Annecy a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

– condamné Mme [R], prise en qualité de caution solidaire de la Sarl Crêperie Del’ys, à payer à la SA Société Générale la somme de 32 500 euros en principal, outre les intérêts contractuels au taux de 5,75% l’an,

– ordonné la capitalisation des intérêts de retard en application de l’article 1343-2 du code civil,

– condamné Mme [R] à payer à la SA Société Générale la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par acte du 27 janvier 2022, Mme [R] a interjeté appel de la décision.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [R] demande à la cour de :

– déclarer recevable et bien fondé son appel interjeté à l’encontre du jugement déféré,

Par conséquent,

– réformer en intégralité le jugement déféré en ce qu’il a :

condamné Mme [R] prise en qualité de caution solidaire de la Sarl Crêperie Del’ys à payer à la SA Société Générale la somme de 32 500 euros en principal, outre les intérêts contractuels au taux de 5,75% l’an,

ordonné la capitalisation des intérêts de retard en application de l’article 1343-2 du code civil,

condamné Mme [R] au paiement à la SA Société Générale de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

Et statuant à nouveau,

– dire et juger que le contrat de cautionnement qu’elle a conclu en date du 30 août 2019 était disproportionné par rapport à ses capacités financières,

– dire et juger que son état de faiblesse au 30 août 2019 l’empêchait de signer un engagement de caution en toute connaissance de cause,

Par conséquent,

– débouter la SA Société Générale de toutes demandes par elle introduites à son égard,

– condamner la SA Société Générale à lui payer la somme de 33 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice par elle subi,

– constater qu’aux termes de la vente du fonds, une somme d’un montant de 15 000 euros revient à la SA Société Générale,

Par conséquent, à titre subsidiaire et pour le cas où, par extraordinaire, une quelconque condamnation devrait être prononcée à son égard,

– déduire des sommes sollicitées de la part de la SA Société Générale celle de 15 000 euros ci-avant énoncée,

– condamner la SA Société Générale à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction sera faire au profit de Me Marquois.

En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 27 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Société Générale demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

En conséquence,

– condamner Mme [R] en qualité de caution solidaire de la Sarl Crêperie Del’ys à lui payer la somme de 32 500 euros en principal, outres les intérêts au taux contractuel de 5,75% l’an,

– ordonner la capitalisation des intérêts de retard en application de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner Mme [R] au règlement de la somme de 2 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

Y ajoutant,

– condamner en outre Mme [R] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais de procédure et des frais irrépétibles exposés par la SA Société Générale dans le cadre de la présente procédure en appel,

– condamner l’appelante aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la proportionnalité de l’engagement de caution signé le 30 août 2019

Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.

Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.

L’article L.332-1 du code de la consommation dispose toutefois qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

L’appréciation de la disproportion se fait donc à la date de la conclusion du contrat de cautionnement (soit le 30 août 2019), à charge pour la caution de démontrer son existence. Dans l’affirmative, le créancier peut toutefois démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l’engagement au jour de l’appel en garantie. A défaut, le créancier ne peut se prévaloir du cautionnement.

Cette disposition est mobilisable par toutes les cautions personnes physiques, qu’elles soient ou non averties.

Pour apprécier factuellement la disproportion, il convient de prendre en considération la situation patrimoniale de la caution dans sa globalité. Sont donc non seulement pris en compte les revenus et les biens propres de la caution mais également tous les éléments de patrimoine susceptibles d’être saisis. Concernant l’appréciation de la disproportion manifeste au jour de la signature de l’engagement, viennent en déduction des actifs ainsi identifiés l’ensemble des prêts et des engagements souscrits par la caution à l’exception de ceux qui auraient été pris postérieurement à la souscription de la garantie litigieuse. En ce qui concerne la capacité de la caution à faire face à ses engagements au jour de l’appel en garantie, la consistance du patrimoine de la caution à prendre en considération s’entend de son endettement global à cette date, en ce compris celui résultant d’autres engagements.

En l’espèce, la cour relève, pour apprécier la disproportion alléguée par l’appelante, que cette dernière a déclaré, pour l’année 2019, percevoir des revenus du travail à hauteur de 22 489 euros (avant abattement). Mme [R] produit par ailleurs une attestation notariée de vente d’un bien commun, situé [Adresse 5] à [Localité 7] (maison d’habitation indivise avec M. [B] [S]) et datée du 14 août 2019, pour un prix de 165 000 euros, sans justifier du montant du ou des crédits demeurant en cours pour ce bien au jour de la vente et/ou du fait que la quotité devant lui revenir après partage serait inférieure à 50%.

Il est en outre acquis aux débats que Mme [R] détenait 80% des parts sociales de la Sarl Crêperie Del’Ys, laquelle possède le fonds de commerce du restaurant ainsi qu’une licence IV (valorisée à 15 000 euros dans ses écritures), ainsi que 50% des parts sociales de la Sci Del’Ys détenant les murs commerciaux ([Adresse 1] à [Localité 7]) du restaurant qui auraient été acquis au prix de 50 000 euros en 2016.

La production par l’appelante d’un tableau de ressources et de charges, non-daté, non-signé et établi dans un contexte indéterminé, ne peut être pris en compte dans l’évaluation du patrimoine de Mme [R] au jour du cautionnement.

Dans ces conditions, force est de constater que, au jour de l’engagement du 30 août 2019, les éléments sus-reproduits ne permettent pas de caractériser, s’agissant d’un cautionnement d’un montant de 32 500 euros, l’existence d’une disproportion manifeste dont la charge de la preuve revient à l’appelante.

Dès lors, le jugement déféré ne peut qu’être confirmé sur ce point.

Sur l’altération du discernement de Mme [R] au jour de l’engagement

Sans se prévaloir de la nullité du cautionnement du 30 août 2019, Mme [R] excipe d’une situation médicale complexe au cours de l’été 2019 (hystérectomie sous anesthésie générale, traitement des douleurs par morphine, etc…) laquelle ‘l’empêchait de signer un engagement de caution en toute connaissance de cause’.

Faute toutefois de contester juridiquement la validité de l’acte sur le fondement duquel la banque assoit sa demande en paiement, la cour ne saurait envisager de prononcer la nullité d’un acte alors-même que cette demande n’est aucunement formalisée dans les motifs et le dispositif des conclusions de l’appelante.

Sur la demande en paiement

Il doit être rappelé que le cautionnement de Mme [R] stipule expressément que la caution renonce au bénéfice de discussion de sorte que la caution, qui ne conteste pas l’existence d’une créance de la société cautionnée envers la banque, ne peut valablement exciper du fait que la banque aurait dû, prioritairement, rechercher l’éventuel boni susceptible de résulter des opérations de liquidation ou encore actionner préalablement d’autres garanties concurrentes, étant rappelé que la déclaration de créance de la SA Société Générale à la liquidation judiciaire de la Sarl Crêperie Del’Ys porte sur un montant de 63’128,58 euros et qu’il n’est pas justifié de l’effectivité d’un quelconque règlement de 15 000 euros au profit de la banque par le liquidateur.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné Mme [R] à payer la somme de 32 500 euros à la SA Société Générale, sauf à préciser que ce montant emporte intérêts au taux légal, la caution ne s’étant nullement engagée à régler une éventuelle créance avec intérêts au taux contractuel au terme de son engagement du 30 août 2019.

Sur l’action en responsabilité dirigée contre la banque

Mme [R] excipe cumulativement, au fil de ses écritures, de griefs liés à l’attitude de la SA Société Générale laquelle aurait exigé un cautionnement tardif (soit plus de 18 mois après la signature du second concours), abusif, dans une période où elle se trouvait affaiblie par la maladie et en usant ‘[de] manoeuvres limite frauduleuses’ dans le recouvrement de la dette.

Or, s’il ne peut être éludé que Mme [R] a connu de sérieux problèmes de santé au cours de l’été 2019, il a été précédemment rappelé que l’appelante ne conclut aucunement à la nullité du cautionnement pour vice du consentement.

Il échet au surplus de constater que, si la banque a entendu sauvegarder une partie de ses intérêts en sollicitant, en août 2019, le cautionnement de Mme [R] à hauteur de 32 500 euros, la date à laquelle le tribunal de commerce a arrêté l’état de cessation des paiements s’avère néanmoins postérieure de plusieurs mois (janvier 2020). Aussi, quand bien même la SA Société Générale a demandé et obtenu le cautionnement de Mme [R] à une période où l’activité de la Sarl Crêperie Del’Ys était en perte de vitesse (Mme [R] reconnaissant elle-même un état de santé précaire en 2019 alors-même qu’elle revendique avoir été ‘l’élément moteur et principal de l’activité de la société’), il n’en demeure pas moins qu’aucune faute n’est démontrée concernant la banque laquelle demeure fondée à solliciter ce type de garantie en période de tension de trésorerie, étant par ailleurs observé qu’aucun soutien abusif n’est prétendu ou étayé en l’espèce.

Aussi, Mme [R] doit être déboutée de sa demande indemnitaire.

Sur les demandes annexes

Mme [R], qui succombe en principal, est condamnée aux dépens et à payer la somme de 1 500 euros à la SA Société Générale au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a dit que la condamnation en principal est assortie d’intérêts contractuels au taux de 5,75% l’an,

Statuant à nouveau,

Dit que la condamnation à paiement de Mme [H] [R], en qualité de caution solidaire de la Sarl Crêperie Del’ys, à payer à la SA Société Générale la somme de 32 500 euros en principal, est assortie d’intérêts au taux légal,

Y ajoutant,

Condamne Mme [H] [R] aux dépens d’appel,

Condamne Mme [H] [R] à payer la somme de 1 500 euros à la SA Société Générale au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi prononcé publiquement le 08 février 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente

 


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