Your cart is currently empty!
N° 183
GR
————–
Copie exécutoire
délivrée à :
– Me Bouyssie,
le 11.05.2023.
Copie authentique
délivrée à :
– Me Lollichon-Barle,
le 11.05.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 11 mai 2023
RG 22/00024 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 433, rg n° 20/00288 du Tribunal de Première Instance de Papeete du 29 septembre 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 24 janvier 2022 ;
Appelante :
La Sarl [W] à l’enseigne «French Polynesia so Theby’s International Realty» , carte professionnelle 2014-2, n° Tahiti B 24393, Rc 14292 B dont le siège social est sis à [Adresse 9] à l’angle de la [Adresse 9], représentée par son gérant : M. [Z] [V] [W] ;
Représentée par Me Benoît BOUYSSIÉ, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
M. [J] [G] [Z] [P], né le 11 septembre 1945 à [Localité 8], de nationalité française, et
Mme [O] [I] [H] épouse [P], née le 29 janvier 1952 à [Localité 7], de nationalité française, [Adresse 5] ;
Représenté par Me Jean-Claude LOLLICHON-BARLE, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 25 novembre 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 9 février 2023, devant M. RIPOLL, conseiller désigné par l’ordonnance n° 57/OD/PP.CA/22 du premier président de la Cour d’Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de président dans le présent dossier, Mme BRENGARD, président de chambre, Mme PINET-URIOT, conseiller, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
La SARL [W], à l’enseigne French Polynesia Sotheby’s International Realty, a fait assigner, sur le fondement des articles 1134, 1142 et 1153 du code civil, les époux [P] devant le tribunal civil de première instance de Papeete afin de dire que les défendeurs ont violé les engagements pris au mandat de recherche de bien immobilier conclu entre les parties le 30 novembre 2017, non dénoncé, courant du 1er décembre 2017 au 1er décembre 2018 , et les voir condamner solidairement à lui payer la somme de 15.820.000 CFP correspondant à 5% du prix d’achat hors taxe du bien immobilier dénommé hôtel Eden Beach, situé à Bora Bora, au titre de l’inexécution du mandat de recherche du 30 novembre 2017.
La SARL [W] a exposé que :
-aux termes d’un mandat de recherche conclu entre les parties le 30 novembre 2017, les défendeurs, agissant en qualité de gérants de sociétés exploitant une unité hôtelière à Huahine et l’entreprise Tahiti Yacht Charter basée à Raiatea, agissant pour leur compte et celui de toute personne morale dont ils seraient membres ou qu’ils substitueraient, ont confié à la SARL [W] le soin de rechercher un bien, terrain nu ou unité existante, sur l’île de Bora Bora, ambitionnant d’y développer une nouvelle structure hôtelière en lien avec Tahiti Yacht Charter, au prix de 200.000.000 CFP, la commission d’agence étant fixée à 5% hors taxe du prix de vente et la durée du mandat à un an ;
-les mandants se sont expressément engagés à ne traiter l’achat du bien proposé que par seule intervention de la société [W], sauf à verser à cette dernière une indemnité compensatrice égale au montant de la rémunération prévue au mandat ;
-la requérante a ainsi présenté aux défendeurs un ensemble immobilier situé à Bora Bora connu sous le nom d’hôtel Eden Beach, une offre d’achat au prix de 200.000.000 CFP étant régularisée, refusée par les acquéreurs exigeant un prix d’achat de 300.000.000 CFP ;
-les époux [P] ont refusé de faire une offre supérieure, au prix de 285.000 CFP, susceptible d’être acceptée par les vendeurs et n’ont pas retourné à la société [W] le formulaire qu’elle leur avait adressé l’invitant à leur présenter d’autres biens ;
-la société [W] a appris par une indiscrétion, courant novembre 2018, que l’Eden Beach avait finalement été vendu le 28 octobre 2018 au prix de 280.000 F CFP, l’acquéreur s’avérant être, après recherche, la SCI VAIOREA, dont les associés sont les époux [P] ;
-les défendeurs ont violé les termes du contrat de mandat par eux conclu, la clause fixant la commission due à l’agent immobilier n’étant pas sujette à caution, le mandat n’ayant jamais été dénoncé, la société [W] ayant continué sa mission de recherche, à défaut de retour de la seconde offre par elle préparée ;
-le mandat liant les parties est conforme à la délibération numéro 90-40 AT du 15 février 1990 et de l’arrêté numéro 135CM du 15 février 1990, l’acquisition du bien via une SCI ne pouvant exonérer les défendeurs de leurs obligations contractuelles ;
-s’agissant du droit pour l’agent immobilier à commission, il est établi que le 23 octobre 2018, soit en cours de mandat, l’acquisition du bien présenté par l’agence Sotheby’s a été effectuée via la SCI VAIOREA, man’uvre ayant pour finalité d’évincer le droit à rémunération du mandataire ;
-le bien était en vente au moment où il a été acquis par la SCI VAIOREA, étant précisé que l’agence Sotheby’s détenait un mandat exclusif du propriétaire depuis le 2 mai 2015, renouvelé jusqu’au 20 septembre 2017, a multiplié les publicités et prospecté d’éventuels investisseurs étrangers ou des acquéreurs locaux ;
-de nombreux échanges ont eu lieu entre les parties au cours du premier semestre 2018, aux termes desquels les époux [P] ont sollicité l’agence Sotheby’s afin qu’elle transmette au propriétaire du bien une nouvelle offre à hauteur de 285.000 CFP ;
-subsidiairement, le droit à réparation par l’attribution de dommages et intérêts de l’agence Sotheby’s est caractérisé, le mandat signé par les époux [P] prévoyant expressément le versement d’une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération fixée en cas d’éviction par les acquéreurs de l’agent immobilier ;
-la man’uvre commise par les époux [P] afin d’évincer l’agent immobilier est caractérisée par le fait que la SCI VAIOREA a été créée le 15 octobre 2018, la cession de parts ayant été réalisée le jour de la réitération de la vente du bien.
Les époux [P] ont répliqué que :
-il est erroné de soutenir que c’est grâce à l’intervention de la SARL [W] que les défendeurs ont visité et reçu toutes les informations concernant l’Eden Beach, la société requérante ne les ayant jamais fait visiter le bien, ni ne leur ayant communiqué des informations sur ce dernier ;
-l’agent immobilier ne leur a pas fait observer que le montant offert serait probablement insuffisant, ayant négocié au prix proposé l’acquisition du bien et leur ayant fait signer deux mandats à cette fin ;
-entre le 30 novembre 2017 et l’envoi de la mise en demeure du 7 mai 2019, ils n’ont reçu aucune information de l’agent immobilier ;
-ils avaient préalablement signé, le 23 novembre 2016, avec une autre agence immobilière, une offre d’achat au prix de 200.000.000 CFP, offre devenue caduque, puis ont signé avec la SARL [W] un mandat de recherche de 200.000.000 CFP concernant un terrain-propriété bâti ou non dans le secteur géographique de Bora Bora et, le même jour, une offre d’achat de l’hôtel Eden Beach au prix de 200.000.000 CFP, offre valable jusqu’au 8 décembre 2017, actes non suivis d’effet ni d’exécution ;
-par compromis du 13 juillet 2018, le propriétaire de l’hôtel Eden Beach l’a vendu à Monsieur [E] avec faculté de substitution au prix de 280.000 CFP ;
-le 23 octobre 2018, la SCI VAIOREA, constituée le 29 août 2018, acquéreur substitué, a fait acquisition de la propriété, avec cessions de parts à chacun des époux [P], à hauteur de 80%, les défendeurs étant par ailleurs gérants de ladite société ;
-en conséquence, la propriété de l’Eden Beach n’était plus disponible à la vente depuis le 13 juillet 2018, l’hôte ; ayant été acquis par la SCI VAIOREA à un prix supérieur à celui visé au mandat litigieux,
-sur le fondement de l’action, les dispositions de l’article 8 § 1 de la délibération numéro 90-40 AT du 15 février 1990 n’ont pas été respectées, le mandat étant nul pour ne pas avoir été établi en deux exemplaires originaux ;
-en outre, ce ne sont pas les époux [P] qui se sont portés acquéreurs du bien, vendu aux époux [E], avec faculté de substitution ;
-enfin, le mandataire ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’avoir exécuté le mandat, en l’absence de toute visite, de l’établissement de tout bon de visite, les pièces produites aux débats démontrant que l’hôtel Eden Beach n’a pas été proposé aux défendeurs par la SARL [W], qui ne leur a pas fait visiter le bien ;
-subsidiairement, la clause pénale prévue au contrat, qui est révisable pour être excessive, doit être réduite à un euro symbolique, la SARL [W] n’ayant pas joué un rôle essentiel dans l’exécution du mandat et la fraude invoquée n’étant pas démontrée ;
-en tout état de cause, le mandataire a manqué aux obligations contractuelles qui lui incombent : de diligence, d’information, de conseil et de loyauté.
Par jugement rendu le 29 septembre 2021, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
Déclaré régulier le contrat de mandat conclu entre les parties par acte sous seing privé en date du 30 novembre 2017 ;
Dit que [J] [P] et [O] [I] [H] épouse [P] ont commis une faute dans l’exécution du contrat de mandat en date du 30 novembre 2017 ;
Condamné solidairement [J] [P] et [O] [I] [H] épouse [P] à réparer l’entier préjudice financier consécutif supporté par la SARL [W] ;
Dit y avoir lieu à réduction de la clause pénale prévue au contrat de mandat du 30 novembre 2017 à la somme de 1.500.000 CFP ;
Par suite, condamné solidairement [J] [P] et [O] [I] [H] épouse [P] à payer à la SARL [W] la somme de 1.500.000 CFP à titre de clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 2020 ;
Débouté la SARL [W] du surplus de ses demandes ;
Condamné solidairement [J] [P] et [O] [I] [H] épouse [P] à payer à la SARL [W] la somme de 250.000 CFP en application de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française au bénéfice de [J] [P] et de [O] [I] [H] ;
Ordonné l’exécution provisoire ;
Condamné solidairement [J] [P] et [O] [I] [H] épouse [P] aux dépens.
La SARL [W] a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 24 janvier 2022.
Il est demandé :
1° par la SARL [W], appelante, dans ses conclusions récapitulatives visées le 18 août 2022, de :
Vu les articles 1134, 1142 et 1153 du Code civil dans leur version applicable en Polynésie française, vu l’article 407 du Code de procédure civile de la Polynésie française, vu le mandat enregistré n° 20171245 du 30 novembre 2017 ;
Confirmer le jugement du 29 septembre 2021 en ce qu’il a jugé que M. et Mme [P] ont violé les engagements pris en vertu du mandat non dénoncé courant du 1er décembre 2017 au 1er décembre 2018 et en ce qu’il les a solidairement condamnés à réparer le préjudice subi par la SARL [W] ;
Infirmer le jugement du 29 septembre 2021 en ce qu’il a dit y avoir lieu à réduction de la clause pénale prévue au contrat de mandat à la somme de 1.500,000 F CFP et en ce qu’il a condamné M. et Mme [P] à payer cette somme à la SARL [W] ;
Statuant de nouveau :
Condamner solidairement M. et Mme [P] à payer à la SARL [W] la somme de 15.820.000 F CFP correspondant à 5 % du prix d’achat hors taxe, au titre de l’inexécution du mandat de recherche du 30 novembre 2017 ;
Dire que cette somme produira des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2019 et condamner solidairement M. et Mme [P] à payer à la SARL [W] la somme de 984 397 F CFP au titre des intérêts échus au 28 avril 2021, sauf à parfaire ;
Condamner solidairement M. et Mme [P] à payer à la SARL [W] la somme de 400.000 F CFP au titre des frais irrépétibles ;
Condamner solidairement M. et Mme [P] aux entiers dépens dont distraction ;
2° par les époux [J] [P] et [O] [H], intimés, appelants à titre incident, dans leurs conclusions visées le 25 mai 2022, de :
Infirmer le jugement du 29 septembre 2021 et sur l’appel incident de Monsieur et Madame [P], débouter la SARL [W] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
La condamner à rembourser les sommes qu’elle a perçues au titre de l’exécution provisoire ;
La condamner encore à payer aux époux [P] la somme de 500 000 FCFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction ;
Subsidiairement, confirmer le jugement entrepris, et condamner la SARL [W] au paiement d’une somme de 300 000 FCFP sur le fondement de l’article 407 du CPCP et la condamner de même aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 novembre 2022.
Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L’appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n’est pas discutée.
Sur la validité du mandat :
Le jugement dont appel a retenu que :
-Aux termes l’article 1134 du code civil, en sa version applicable en Polynésie française, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. En application des dispositions combinées des articles 1992, 1993 ainsi que 1998 et 2000 du code civil, en leurs versions applicables en Polynésie française, si le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, répond des dommages et intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ainsi que des fautes qu’il commet dans sa gestion, le mandant se trouve tenu, quant à lui, d’exécuter les obligations qui lui incombent, prévues au contrat, et d’indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a pu subir par sa faute.
-En l’espèce, par acte sous seing privé en date du 30 novembre 2017, les époux [P] ont donné mandat, portant le numéro 2017/245, pour une durée d’un an, à la SARL [W] de rechercher un «terrain-propriété bâtie ou non «au prix maximal de 200.000.000 F CFP, rémunération du mandataire non comprise, celle-ci étant fixée à 5% du prix de vente, outre TVA au taux en vigueur, à la charge du mandant. Le même acte stipule, in fine, une clause aux termes de laquelle «le mandant reconnaît que les affaires proposées et visitées sont strictement confidentielles et s’engage, pendant la durée du mandat et dans les douze mois suivant son expiration, à n’en traiter l’achat éventuel que par la seule intervention du mandataire. En cas de non-respect de cette obligation, le mandant s’engage expressément à verser au mandataire, en vertu des articles 1142 et 1152 du code civil, une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue ci-avant».
-En premier lieu, il convient de débouter les époux [P] de leur moyen tiré de la nullité de l’acte de mandat susvisé, au motif de son absence d’établissement en deux exemplaires originaux, pour chacun des deux mandants, les dispositions de l’article 8§1 de la délibération numéro 90-40 AT du 15 février 1990 ayant été respectées. En effet, ledit acte comporte la mention finale «en un exemplaire et une copie scannée remise au mandant», étant observé que les époux [P] ont des intérêts communs, et non distincts, ce qui aurait pu justifier la délivrance à chacun d’eux d’un acte en original, et que la jurisprudence communiquée par les défendeurs concerne le mandat de vente confié à l’agent immobilier par le vendeur, et non le mandat de recherche de bien confié par l’acquéreur au professionnel.
Les moyens d’appel des époux [P] de ce chef sont : l’établissement du mandat de recherche en autant d’originaux que de parties est une obligation d’ordre public qui est pénalement sanctionnée ; cette règle n’a pas été respectée aux termes du mandat, qui ne mentionne qu’un exemplaire et une copie scannée remise au mandant ; la sanction est la nullité du mandat ; la clause pénale qu’il contient n’est donc pas opposable.
La société [W] conclut que : le mandat est conforme à la réglementation ; il identifie les mandataires ; il précise les conditions de la rémunération de l’agent ; il est d’une durée ferme et précise ; il identifie le bien à rechercher.
Sur quoi :
Le mandat de recherche du 30 novembre 2017 a pour objet de faire rechercher par un agent immobilier un bien dont les caractéristiques sont définies pour un prix maximum déterminé. Il inclut une rémunération du mandataire et sa durée est limitée à un an. Il est établi au visa de la délibération 90-40 AT du 15 février 1990 et de l’arrêté 135 CM du 15 février 1994. Les mandants sont les époux [P] séparés de biens. Le mandat est signé par un seul époux. L’acte mentionne qu’il est établi en un exemplaire et une copie scannée remise au mandant qui le reconnaît.
L’article 8-I alinéa 1 de la délibération n° 90-40 AT dispose que :
Les conventions conclues entre les personnes visées aux 1° à 5° de l’article 1er de la présente délibération et leurs clients, rédigées par écrit en langue française et en autant d’exemplaires originaux que de parties, devront préciser :
– les conditions dans lesquelles elles sont autorisées à recevoir, conserver ou remettre des sommes d’argent, biens, effets ou valeurs à l’occasion des opérations dont il s’agit ;
– les modalités de la reddition des comptes ;
– les conditions de la détermination de la rémunération ainsi que l’indication de la partie qui en aura la charge.
L’article 1er 1° de la délibération n° 90-40 AT dispose que :
Les dispositions de la présente délibération s’appliquent aux personnes physiques ou morales qui, d’une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d’autrui et relatives à : 1° l’achat, la vente, l’échange, la location ou sous-location en nu ou en meublé, d’immeubles bâtis ou non bâtis.
L’article 23 alinéa 1 de l’arrêté n° 135 CM relatif à la profession d’agent immobilier dispose que :
Le titulaire de la carte prévue à l’article 1er (alinéa 1) du présent arrêté ne peut négocier ou s’engager à l’occasion d’opérations spécifiées à l’article 1er de la délibération susvisée du 15 février 1990, sans détenir un mandat écrit préalablement délivré à cet effet par l’une des parties.
Le mandat de recherche du 30 novembre 2017 est un mandat d’entremise qu’un époux peut valablement donner seul (v. p. ex. Civ. 1re, 20 nov. 2013, no 12-26.128).
La remise au mandant d’une «copie scannée» répond à l’exigence de la remise d’un exemplaire original, c’est-à-dire comportant la signature manuscrite des parties, qui est prescrite par l’article 8-I précité. En effet, il n’est pas contesté que les signatures qui figurent sur l’original et sur la copie numérisée soient identiques et authentiques. Par conséquent, l’apposition des signatures manuscrites numérisées du mandant et du mandataire sur le double numérisé remis au mandant ne valait pas absence de signature originale (comp. Cass. soc., 14 déc. 2022, n° 21-19.841).
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur l’exécution du mandat :
Le jugement dont appel a retenu que :
-Sur le fond, il est constant que, selon offre d’achat signée le même jour que le mandat de recherche, valable jusqu’au 8 décembre 2017, les époux [P] ont proposé d’acquérir le bien immobilier sis à Bora Bora, [Localité 6] cadastré section KD[Cadastre 1], KD[Cadastre 2], KD[Cadastre 3] et KD[Cadastre 4] et les constructions y édifiées, soit un ensemble immobilier à usage d’hôtel dénommé l’Eden Beach, au prix de 200.000.000 CFP.
-Les défendeurs soutiennent que cet acte est un faux, contestant avoir effectué des visites du bien en présence de l’agent immobilier et avoir reçu des informations relatives à l’immeuble de la part de ce dernier, soutenant qu’il n’est nullement intervenu et n’a pas exécuté son mandat en étant resté inactif. Cependant, aux termes mêmes de l’offre d’achat litigieuse, les époux [P] «reconnaissent» expressément (page 1 -désignation du bien)
«avoir grâce à l’intervention de la société [W], visité et reçu toutes informations concernant l’immeuble visé» et (page 3-négociation) et «reconnaissent- que les parties- sont entrées en contact par l’intermédiaire de l’agence Sotheby’s, l’acquéreur reconnaissant expressément avoir confié à cette dernière la mission de rechercher pour son compte un bien tel que celui objet des présentes, en vertu d’un mandat de recherche dûment établi en date du 30 novembre 2017 numéro 2017/245». Aucun bon de visite n’est nécessaire pour corroborer ces affirmations contractuelles, le mandat dont s’agit n’étant pas un mandat de vente confié par un vendeur à l’agent immobilier. En outre, la circonstance que, dès 2016, les défendeurs aient, par l’entremise de l’agence immobilière [C] [A], offert au propriétaire d’acquérir le même bien immobilier au même prix, offre devenue caduque, ne suffit pas à démontrer que les deux mentions ci-dessus visées portées à l’offre d’achat du 30 novembre 2017, approuvées par les époux [P], sont fausses et qu’une année plus tard, la SARL [W] n’a exécuté aucune démarche, pour permettre un rapprochement entre les vendeurs, dont la position aurait pu évoluer avec l’écoulement du temps, et les acquéreurs potentiels, qui auraient, ou pas, selon leur libre choix, désiré visiter de nouveau le bien dont s’agit.
-En tout état de cause, les courriels communiqués aux débats par la société Sotheby’s démontrent qu’au mois de septembre 2017, l’agent immobilier s’est rapproché des défendeurs concernant la vente de l’Eden Beach, est intervenu auprès du vendeur par un courrier du 3 décembre 2017, qui est produit aux débats, pour lui proposer, sous un profil avantageux, l’offre des mandants et que, suite au refus manifesté par le vendeur par mail du 5 décembre 2017 de vendre le bien au prix proposé, estimé insuffisant, la SARL [W] a adressé aux époux [P] le 4 juillet 2018 un courriel leur transmettant un modèle d’offre concernant le bien en cause au prix augmenté de 285.000.000 CFP, acte non retourné par les défendeurs.
-Cette chronologie démontre que, suite à ce rejet de l’offre du 30 novembre 2017, la SARL [W] a continué à exécuter ses obligations, en tentant de faire avancer les négociations entre le vendeur et les époux [P]. Or, et alors que les mandants se trouvaient toujours tenus par le respect des obligations contractuelles leur incombant en application du contrat de mandat conclu avec l’agence Sotheby’s, jamais dénoncé, et ce jusqu’au 30 novembre 2018, leur interdisant expressément d’acquérir l’Eden Beach en dehors de l’intervention de l’agent immobilier, ce bien immobilier a été vendu, par acte authentique du 23 octobre 2018 par la SARL JARDIN D’EDEN DE BORA BORA à la SCI VAIOREA, représentée par ses gérants en la personne de Monsieur et Madame [P], au prix de 280.000.000 F CFP.
-Certes, tel que le soutiennent les défendeurs, la vente est intervenue le 23 octobre 2018 au bénéfice d’un acquéreur distinct et à un prix supérieur à celui fixé dans le mandat de recherche et dans l’offre d’achat litigieux, mais il s’évince des documents produits aux débats que la SCI VAIOREA s’est, lors de la réitération de la vente, régulièrement substituée aux acquéreurs du bien initialement visés au compromis en la personne des époux [E], après que, par acte authentique du même jour, les époux [E] aient cédé aux époux [P], devenus gérants associés de cette société, 80% de leurs parts. Par ailleurs si le prix convenu est différent de celui figurant à l’offre du 30 novembre 2017, il est légèrement moindre à celui proposé aux défendeurs par la SARL [W] en son mail du 4 juillet 2018, resté sans réponse des défendeurs.
-Ainsi, il convient de considérer que la substitution dans l’acte authentique de vente de l’Eden Beach, en date du 23 octobre 2018, de la SCI VAIOREA, acquéreur du bien, dans une composition sociale différente de celle existant à l’origine, après cession de parts intervenue concomitamment au profit des époux [P], et ce dans le temps de validité du mandat de recherche conclu par ces derniers avec la SARL [W] le 30 novembre 2017, caractérise une man’uvre des défendeurs destinée à évincer l’agent immobilier mandaté et à le priver de la perception de la commission contractuellement fixée.
-En conséquence, et alors que les défendeurs ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de manquements commis par la SARL [W] à ses devoirs d’information, de conseil, de diligence et de loyauté, aucune pièce justificative n’étant produite à ce titre aux débats, il y a lieu de dire que les époux [P] ont commis une faute dans l’exécution du mandat conclu entre les parties le 30 novembre 2017.
-Sur le droit à réparation de la SARL [W], même si les époux [P] ne sont pas débiteurs de la commission fixée au contrat, qui n’a pas été exécuté, les acquéreurs dont le comportement fautif à fait perdre celle-ci à l’agent immobilier, par l’entremise duquel ils ont été mis en relation avec le vendeur, doivent, sur le fondement de la responsabilité délictuelle réparation à l’agent immobilier de son préjudice.
-La clause pénale fixée au contrat de mandat, d’un montant de 5 % du prix d’achat hors taxe, apparaît excessive à l’examen des démarches accomplies par l’agent immobilier, telles que justifiées par les courriels et la proposition d’offre augmentée produits aux débats. Il y a donc lieu de la réduire en application de l’article 1152 alinéa 2 dans sa version applicable en Polynésie française à la somme de 1.500.000 CFP, qui apparaît proportionnée aux démarches exécutées par la société requérante dans l’exécution du contrat la liant aux défendeurs.
-Par suite, il convient de condamner solidairement Monsieur [J] [P] et Madame [O] [I] [H] épouse [P] à payer à la SARL [W] la somme de 1.500.000 CFP à titre de clause pénale, avec intérêts au taux légal à compter du 17 août 2020, la société requérante étant déboutée du surplus de ses prétentions concernant les intérêts sollicités, bénéficiant du présent jugement qu’il lui appartiendra de faire exécuter.
Les moyens d’appel des époux [P] sont : la propriété de l’EDEN BEACH n’était plus disponible à la vente depuis le 13 juillet 2018 et les conditions de son acquisition ont différé de celles prévues au mandat de recherche (montant du prix, création de parts sociale ; il n’ y a pas eu interposition de personnes ni faute des mandants ; la société [W] n’a pas fait de diligences pour exécuter son mandat ; il n’y a pas matière à application d’une clause pénale.
La société [W] conclut que : la clause pénale ne peut pas être modérée à défaut d’applicabilité en Polynésie française de l’article 1152 alinéa 2du code civil qui le permet ; le mandat contient l’engagement du mandant de ne traiter l’achat éventuel que par la seule intervention du mandataire ; il n’a pas été dénoncé ; l’agence a poursuivi loyalement sa mission de recherche et a droit à sa commission ; les époux [P] ont conclu la vente avec la volonté d’évincer l’agence de mauvaise foi.
Sur quoi :
Au vu des pièces produites (celles non rédigées en langue française et non traduites étant écartées) :
Le mandat de recherche du 30 novembre 2017 contient une clause d’exclusivité rédigée en ces termes : «Le mandant reconnaît que les affaires proposées et visitées sont strictement confidentielles et s’engage, pendant la durée du mandat et dans les douze mois suivant son expiration, à n’en traiter l’achat éventuel que par la seule intervention du mandataire».
Le mandat décrit comme suit le type du bien recherché :
Nature : terrain-propriété bâtie ou non.
Secteur géographique : Bora Bora.
Prix maximum souhaité : 200 000 000 F CFP rémunération du mandataire non comprise.
Par acte sous seing privé daté du 30 novembre 2017, les époux [P] ont fait une offre d’achat valable jusqu’au 8 décembre 2017 de quatre parcelles sur le [Localité 6] à Bora Bora au prix de 200 MF CFP. Cette offre mentionne expressément que les parties sont entrées en contact par l’intermédiaire de l’agence FRENCH POLYNESIA SOTHEBY’S REALTY (sté [W]) et que celle-ci percevra sa commission le jour de la signature de l’acte authentique de vente.
Cette offre d’achat n’est pas signée par le propriétaire vendeur et celui-ci n’est pas identifié. Il résulte d’un courrier électronique daté du 4 juillet 2017 qu’elle a été rédigée par l’agence immobilière à l’intention des époux [P] avec indication d’un montant de commission de 15 MF CFP.
Le mandat exclusif de recherche n’a pas été dénoncé par les mandants.
Selon acte authentique du 23 octobre 2018, les parcelles qui en font l’objet ont été vendues par la société JARDIN D’EDEN DE BORA BORA à la société civile immobilière VAIOREA représentée par ses gérants les époux [P] au prix de 280 000 000 F CFP.
Cette vente a été précédée d’un compromis de vente en date du 13 juillet 2018. Les époux [P] ont acquis la majorité des parts de la SCI VAIOREA le 23 octobre 2018, jour de la vente du terrain.
Selon mandat de vente exclusif en date du 22 mai 2015, [B] [X] avait chargé l’agence FRENCH POLYNESIA SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY de rechercher un acquéreur pour la totalité des parts de la SCI JARDINS D’EDEN, propriétaire desdites parcelles comprenant une pension-restaurant, au prix de 3 500 000 €, soit 417 758 771 F CFP.
Il résulte de ces écrits, qui sont concordants, que l’agence FRENCH POLYNESIA SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY, qui avait reçu un mandat exclusif de vente de terrains sur lesquels était exploitée à Bora Bora une pension-restaurant, a conclu avec les époux [P] un mandat de recherche exclusif d’un bien présentant les mêmes caractéristiques, mais à un prix inférieur, auquel a été adossée une offre d’achat par les époux [P] des biens objet du mandat exclusif de vente, reconnaissant le droit à commission de l’agence, offre qui n’a pas été acceptée par le vendeur.
La vente a été finalement réalisée à un prix supérieur à celui du mandat de recherche et inférieur à celui du mandat de vente, mais sans rémunération de l’agence immobilière. La vente a été conclue avant le terme du mandat exclusif de recherche au 30 novembre 2018, qui n’avait pas été résilié.
Il est ainsi rapporté la preuve que les parties à la vente du 23 octobre 2018, la société JARDIN D’EDEN DE BORA, et la SCI VAIOREA dont les époux [P] ont simultanément acquis la majorité des parts sociales, ne seraient pas entrées en relations et n’auraient pas contracté comme elles l’ont fait sans l’entremise de la société [W] à l’enseigne FRENCH POLYNESIA SOTHEBY’S INTERNATIONAL REALTY, qui avait reçu un mandat exclusif de recherche donné par les époux [P].
Et il importe peu que les époux [P] aient accepté un prix de vente supérieur au montant maximum prévu par le mandat de recherche, ou que la vente se soit faite entre des personnes morales, dès lors que la conclusion en a été faite en contrevenant à la stipulation du mandat de recherche au terme de laquelle, pendant la durée de celui-ci et dans les douze mois suivant son expiration, le mandant s’engageait à ne traiter l’achat éventuel d’une affaire proposée par l’agence immobilière mandataire que par la seule intervention de celle-ci.
C’est par conséquent de manière exacte que, dans sa lettre de mise en demeure aux époux [P] en date du 7 mai 2019, le dirigeant de cette agence leur a dénoncé que : «Je vous ai présenté un bien à Bora Bora (réf. KD[Cadastre 1], KD[Cadastre 2], KD[Cadastre 3], KD[Cadastre 4]) qui correspondait à votre souhait de développer une activité complémentaire de celle que vous exploitez actuellement à Raiatea et Huahine (charter & hôtellerie), et vous avez signé une offre d’achat pour ce bien le 30 novembre 2017, laquelle n’a pas alors été acceptée par le vendeur. Mais, le 23 octobre 2018, vous avez réalisé l’acquisition du bien présenté par mon agence, via la SCI Vaiorea, dont vous êtes les associés et gérants au prix de 280 000 000 F CFP (‘) Mon agence est donc fondée à vous réclamer la somme de 14 000 000 F CFP augmentée de la TVA (13 %) soit un total de 15 820 000 F CFP TTC».
En effet, en concluant directement avec les vendeurs de l’immeuble un compromis de vente, puis un acte de vente, sans respecter l’exclusivité conférée à l’agence immobilière, les époux [P] ont encouru l’application de la pénalité contractuelle aux termes desquelles : «En cas de non-respect de cette obligation, le mandant s’engage expressément à verser au mandataire, en vertu des articles 1142 et 1152 du code civil, une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue ci avant», soit 5 % HT du prix de vente payable dans la comptabilité du notaire.
Il n’y a dès lors pas lieu de rechercher si l’agence immobilière aurait manqué de diligence dans l’exécution du mandat, puisqu’il est constant que l’objet de celui-ci était en fait uniquement la vente de la pension Eden connue des époux [P], eux-mêmes professionnels de l’hôtellerie.
La responsabilité encourue par les époux [P] est de nature contractuelle et la réparation du préjudice doit se faire en appliquant la clause pénale insérée au mandat de recherche. Celle-ci a été mise en ‘uvre par lettre de mise en demeure en date du 7 mai 2019 et aucun élément ne permet de retenir qu’elle l’a été de mauvaise foi.
L’article 1142 du code civil en vigueur en Polynésie française dispose que : Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. L’article 1152 du code civil en vigueur en Polynésie française dispose que : Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre. L’article 1231 du code civil en vigueur en Polynésie française dispose que : La peine peut être modifiée par le juge lorsque l’obligation principale a été exécutée en partie.
En l’espèce, la pénalité contractuelle qui a été stipulée ne contrevient à aucune disposition légale d’ordre public. Les époux [P] ont totalement manqué à leur obligation de respecter l’exclusivité du mandat de recherche.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a dit y avoir lieu à réduction de la clause pénale à la somme de 1 500 000 F CFP.
Le prix de vente sur la base duquel doit être contractuellement calculée la pénalité a été de 280 000 000 F CFP. Le montant de l’indemnité sera donc fixé à la somme de 280 000 000 x 5 % = 14 000 000 F CFP + TVA 13 % = 15 820 000 F CFP TTC avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure dont [J] [P] a accusé réception par courrier électronique daté du 17 mai 2019.
Il sera fait application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française au bénéfice de l’appelante. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.