Particulier employeur : décision du 24 mai 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00057

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Particulier employeur : décision du 24 mai 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00057
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24 MAI 2022

Arrêt n°

CV/NB/NS

Dossier N° RG 20/00057 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FLCX

[Z] [V]

/

[B] [F] épouse [N] ès qualité d’héritier de Mme [U] [W] veuve [F], [J] [F] ès qualité d’héritier de Mme [U] [W] veuve [F], [A] [K] [C] [F] épouse [S] ès qualité d’héritier de Mme [U] [W] veuve [F]

Arrêt rendu ce VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

Mme Karine VALLEE, Président

Mme Claude VICARD, Conseiller

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

Mme [Z] [V]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me MARNAT, avocat suppléant Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Stéphanie MANRY de la SELARL CAP AVOCATS, avocat au barreau de CUSSET/VICHY

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/002098 du 05/06/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)

APPELANTE

ET :

Mme [B] [F] épouse [N] ès qualité d’héritier de Mme [U] [W] veuve [F]

[Adresse 3]

[Localité 4]

M. [J] [F] ès qualité d’héritier de Mme [U] [W] veuve [F]

[Adresse 7]

[Localité 8]

Mme [A] [K] [C] [F] épouse [S] ès qualité d’héritier de Mme [U] [W] veuve [F]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentés par Me Jean ROUX, avocat suppléant Me Antoine PORTAL de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMES

Après avoir entendu Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 21 Mars 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Madame le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [Z] [V] a été engagée le 9 février 2015 en qualité d’employée de maison par Mme [U] [F], sous contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, régi par la convention collective nationale du particulier employeur du 24 novembre 1999.

Par deux avenants en date des 21 juin et 1er septembre 2015, la durée hebdomadaire du temps de travail a été portée de 17 h30 à 29 heures, puis réduite à 21h 30.

Par courrier du 4 septembre 2015, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 14 septembre suivant.

A l’issue de cet entretien tenu par M. [S], gendre de l’employeur, Mme [V] a été mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé du 17 septembre 2015, elle s’est vue notifier son licenciement pour faute grave, des initiatives médicales inadéquates, la signature de documents personnels en lieu et place de Mme [U] [F] et l’utilisation du chéquier de celle-ci lui étant notamment reprochées.

Mme [U] [F] est décédée quelques jours plus tard, le 21 septembre 2015.

Le 12 septembre 2016, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Vichy en contestation de son licenciement et paiement de diverses sommes tant au titre de l’exécution que de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 26 septembre 2016, le tribunal correctionnel de Cusset a relaxé Mme [V] des chefs de violences sur personne vulnérable sans incapacité pour lesquels elle était poursuivie, et déclaré recevable mais devenue sans objet la constitution de partie civile de Mme [A] [F], épouse [S].

Par arrêt du 21 juin 2017, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Riom, statuant sur l’appel interjeté par Mme [S] à l’encontre du jugement précité en ses dispositions civiles, a débouté cette dernière de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

L’instance prud’homale, ayant fait l’objet d’une radiation le 13 février 2017, a été réinscrite au rôle le 13 février 2019 sur demande de Mme [V] réceptionnée le 12 février 2019.

Par jugement du 9 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Vichy a:

– constaté la péremption de l’instance introduite par Mme [V];

– dit n’y avoir lieu à statuer sur le fond ;

– débouté Mme [V] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [V] à payer aux consorts [F], ayants droit de Mme [U] [F], la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens de l’instance.

Le 8 janvier 2020, Mme [V] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 14 décembre 2019.

La procédure d’appel a été clôturée le 21 février 2022 et l’affaire appelée à l’audience de la chambre sociale du 21 mars 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 04 août 2020, Mme [V] conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la cour de:

– juger que la péremption de l’instance prud’homale n’est pas acquise,

* A titre principal:

– juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour faute grave, non notifié par l’employeur en personne;

* A titre subsidiaire:

– juger prescrits les faits du 28 juin 2015 ;

– juger revêtues de l’autorité de la chose jugée les décisions pénales rendues respectivement par le tribunal correctionnel de Cusset et la cour d’appel de Riom les 26 septembre 2016 et 21 juin 2017, les faits reprochés par l’employeur et les faits objets de la décision de relaxe par le juge pénal étant identiques ;

– juger qu’elle n’a commis aucune faute, simple ou grave et ce, conformément aux décisions pénales rendues respectivement par le tribunal correctionnel de Cusset et la cour d’appel de Riom les 26 septembre 2016 et 21 juin 2017;

* En conséquence,

– condamner in solidum les consorts [F], en leur qualité d’ayants droit de Mme [F], à lui payer les sommes suivantes :

* 1.642,07 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

* 9.852,42 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 170,01 euros bruts au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

* 1.500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement;

* 1.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat ;

– condamner in solidum les consorts [F], en leur qualité d’ayants droit de feue Mme [F], à effectuer la rectification des documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte) et lui transmettre les documents rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard après expiration d’un délai de 8 jours à compter de la date de l’arrêt à intervenir;

– condamner in solidum les consorts [F] à payer à Me [G] la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle et ce, en sus des entiers dépens;

– débouter les intimés de toutes leurs demandes.

Mme [V] conteste l’acquisition de la péremption de l’instance prud’homale en rappelant qu’elle a réalisé plusieurs diligences interruptives de péremption; qu’elle a en effet sollicité, par l’intermédiaire de son conseil, par courrier officiel, les coordonnées du notaire chargé de la succession de Mme [U] [F], aux fins de pouvoir appeler tous les héritiers à la cause; que cette demande a été réitérée, par fax adressé à la juridiction prud’homale et lors de l’audience du 13 février 2017; qu’elle a plaidé le 3 mai 2017 devant la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Riom statuant sur intérêts civils; qu’elle a enfin demandé le rétablissement de l’affaire auprès de la juridiction prud’homale le 12 février 2019, soit moins de deux années après chacun de ces actes interruptifs de péremption.

Elle soulève ensuite l’irrégularité de la procédure de licenciement, en faisant valoir qu’il appartient à l’employeur de réaliser l’entretien préalable et de notifier le licenciement et qu’il ne peut donner mandat à une personne qui ne fait pas partie de l’entreprise; qu’en l’espèce, l’entretien préalable et la notification de son licenciement ont été faits par la fille et le gendre de Mme [F], laquelle avait pourtant initié la procédure; que son licenciement doit être pour ce premier motif considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle conteste les griefs reprochés, en estimant que les faits survenus le 28 juin 2015 étaient prescrits au moment du licenciement; qu’elle n’a jamais failli à sa mission et qu’elle a en fait assumé un véritable rôle d’auxiliaire de vie; qu’elle a été relaxée des faits de violence, sur lesquels se fonde pour partie le licenciement, et les intimés déboutés de leur demande en paiement de dommages et intérêts, la cour d’appel de Riom statuant sur intérêts civils ayant considéré qu’elle n’avait commis aucune faute civile à l’égard de Mme [U] [F]; que ces décisions définitives, revêtues de l’autorité de la chose jugée, lient le juge prud’homal.

Elle soutient enfin que la matérialité des faits d’abus de faiblesse n’est pas établie.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 19 août 2020, les consorts [F] concluent à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, au débouté de Mme [V] en toutes ses demandes ainsi qu’à sa condamnation à leur payer la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui du moyen tiré de la péremption de l’instance prud’homale, les intimés font valoir que la dernière diligence accomplie remonte au 5 décembre 2016, à savoir la signification de leurs propres conclusions et pièces; que le délai de péremption a commencé à courir à compter de cette date, ni la demande de renvoi formulée par Mme [V] le 13 février 2017, ni la radiation prononcée le même jour par la juridiction prud’homale n’ayant eu pour effet d’interrompre ce délai; que l’audience de plaidoirie du 3 mai 2017 devant la chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Riom, ne l’a pas plus interrompu; que Mme [V] n’a effectué ni acte de procédure, ni diligence, durant le délai de deux ans ayant couru à compter du dépôt des dernières conclusions; que la péremption de l’instance est donc acquise depuis le 5 décembre 2018.

S’agissant de la régularité de la procédure de licenciement, ils soutiennent que, si la notification du licenciement incombe bien à l’employeur, la jurisprudence, en ce qui concerne le régime spécifique des employés de maison, admet que le licenciement puisse être prononcé par un tiers et rappellent que l’état de santé, l’âge et la conservation des biens de Mme [U] [F], au moment des faits, justifiaient que sa fille procède en ses lieu et place au licenciement de la salariée.

Quant au bien fondé du congédiement, ils soulignent que les agissements reprochés à Mme [V], non prescrits et avérés, caractérisent une faute grave ; que l’intéressée, certes relaxée, a néanmoins partiellement reconnu, devant le juge pénal, les faits qui lui étaient reprochés, le tribunal correctionnel ayant estimé que les faits avaient été commis sans intention coupable; que cette décision lie ainsi la juridiction prud’homale.

Ils ajoutent que le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil n’a pas vocation à s’appliquer dès lors que le licenciement ne repose pas sur des faits de violence, dont Mme [V] a été relaxée, mais sur des griefs distincts non identiques à ceux poursuivis par le juge répressif.

Concernant la demande indemnitaire formulée par Mme [V] au titre d’une remise tardive des documents de fin de contrat, ils indiquent avoir communiqué lesdits documents dès que possible et rappellent le contexte particulier auquel ils ont été confrontés au moment de la notification du licenciement, à savoir le décès de leur mère.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°- Sur la péremption de l’instance prud’homale :

Aux termes de l’article 386 du code de procédure civile, ‘l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans’.

La péremption est un incident d’instance anéantissant celle- ci en raison de l’inaction des parties.

Le délai de péremption court à compter de la dernière diligence interruptive de l’une des parties, étant souligné que les diligences de l’une quelconque des parties interrompent le délai de péremption à l’égard de toutes. Un nouveau délai repart à compter de chaque diligence accomplie par l’une ou l’autre des parties.

Les diligences interruptives de péremption consistent en des actes se rapportant à l’instance, manifestant la volonté des parties d’en faire avancer le cours et de nature à faire progresser l’affaire.

La jurisprudence s’attache plus au fond qu’à la forme qu’emprunte la diligence: il peut s’agir d’un acte de procédure au sens strict du terme, mais aussi de toute démarche traduisant une impulsion processuelle.

En l’espèce, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Vichy en contestation de son licenciement le 12 septembre 2016.

Mme [A] [F], épouse [S], a notifié ses écritures le 05 décembre 2016.

Par décision du 13 février 2017, la juridiction prud’homale a ordonné la radiation de l’affaire, motifs pris d’un défaut de diligence de la partie demanderesse, en constatant que Mme [V] aurait dû notifier ses écritures en réponse pour le 03 janvier 2017, délai fixé au bulletin de renvoi du 03 octobre 2017 et qu’en tout état de cause, elle devait appeler en la cause les autres héritiers de l’employeur défunt.

Cette décision de radiation, qui ne constitue pas une diligence émanant d’une partie, n’a pas interrompu le délai de péremption ayant commencé à courir le 05 décembre 2016, date des écritures de la partie défenderesse.

En revanche, le conseil de Mme [V] justifie avoir adressé le 13 février 2017, par voie électronique et par fax:

– à l’avocat de Mme [S], un courrier officiel sollicitant la communication des coordonnées du notaire en charge de la succession de Mme [U] [F] ainsi que la transmission de l’acte de notoriété;

– à la juridiction prud’homale une demande de renvoi motivée par la nécessité de régulariser la procédure en appelant à la cause tous les héritiers de l’employeur défunt.

Ces correspondances, établissant sans équivoque la volonté de la partie demanderesse de poursuivre l’instance, constituent une diligence interruptive de péremption ayant fait courir un nouveau délai.

Mme [V] a sollicité le ré- enrôlement de l’affaire par des conclusions en réponse déposées auprès du greffe le 12 février 2019, soit dans le délai de deux ans après le dernier acte interruptif de péremption.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la péremption de l’instance prud’homale n’est pas fondé. Le jugement déféré sera en conséquence infirmé.

2°- Sur la rupture du contrat de travail:

Les règles de droit commun concernant la résiliation du contrat de travail s’appliquent aux employés de maison.

Ainsi, le licenciement d’un employé de maison doit avoir une cause réelle et sérieuse et être notifié par lettre recommandée avec accusé de réception précisant clairement le ou les motifs du licenciement, à défaut de quoi il est sans cause réelle et sérieuse.

La procédure (convocation à l’entretien préalable, entretien avec l’intéressé, notification du licenciement) doit également être respectée.

* Sur le défaut de pouvoir de la personne ayant procédé à l’entretien préalable ainsi que des signataires de la lettre de licenciement:

Il résulte des dispositions des articles L. 1231-2, L. 1232-3 et L. 1232-6 du code du travail que la procédure de licenciement doit être menée par l’employeur et non par une personne étrangère à l’entreprise. La loi ne prévoit pas la représentation de l’employeur au cours de l’entretien, mais la jurisprudence admet qu’il puisse se faire représenter.

Par ailleurs, la Cour de cassation a qualifié certaines règles de procédure ‘extra légales’ de ‘règles de fond’ ou de ‘garanties de fond’ dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, tandis qu’elle en a considéré d’autres comme de simples règles de forme dont la violation entraîne la seule réparation du préjudice qui en est résulté.

Ni la loi, ni la jurisprudence ne donnent de définition de la ‘garantie de fond’ en matière de licenciement, ni n’énoncent davantage les critères permettant de déterminer quelles règles sont des règles de forme et quelles autres sont des règles de fond. C’est au cas par cas que la Cour de cassation retient les règles qui sont des garanties de fond et celles qui n’en sont pas.

Selon une jurisprudence désormais ancienne et constante (Soc., 30 septembre 2010, pourvoi n° 09-40.114), l’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Enfin, l’article 436 du code civil en matière de sauvegarde de justice énonce qu’en l’absence de mandat, les règles de la gestion d’affaires sont applicables. Ceux qui ont qualité pour demander l’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle sont tenus d’accomplir les actes conservatoires indispensables à la préservation du patrimoine de la personne protégée dès lors qu’ils ont connaissance tant de leur urgence que de l’ouverture de la mesure de sauvegarde. La gestion d’affaires est reconnue lorsqu’une personne intervient spontanément et opportunément dans les affaires d’une autre pour les gérer dans l’intérêt de celle-ci.

En l’espèce, il est constant que M. [S], gendre de Mme [U] [F], a mené l’entretien préalable qui s’est tenu le 14 septembre 2015 et a conjointement signé avec son épouse, fille de l’employeur, la lettre de licenciement.

Mme [V] soutient que le défaut de réalisation de ces actes par l’employeur lui- même prive son licenciement de cause réelle et sérieuse, d’autant que les époux [S] ne disposaient d’aucun titre juridique de représentation.

Les pièces produites aux débats établissent cependant suffisamment que Mme [U] [F], âgée de 93 ans, hospitalisée à six reprises au cours du premier semestre de l’année 2015 et décédée quatre jours après la notification du licenciement, se trouvait dans l’incapacité de s’occuper de ses affaires en raison de la dégradation de son état de santé.

Le médecin traitant de la défunte atteste que ‘son état de santé nécessitait des aides pour tous les actes de la vie quotidienne, pour tous les soins et pour toutes les démarches administratives’.

Un compte rendu hospitalier du 03 juillet 2015, faisant état des troubles cognitifs et de vigilance de la patiente, corrobore ce certificat.

Il ressort par ailleurs du procès- verbal d’audition de Mme [A] [F], épouse [S], entendue le 08 octobre 2015 lors de son dépôt de plainte, qu’elle et son mari avaient, depuis le mois de mai 2015, ‘repris la main’ et réglaient eux- mêmes le salaire de Mme [V].

Ces déclarations ne sont pas démenties par l’intéressée ni contredites par aucun élément du dossier.

Au regard des faits reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement s’apparentant à des abus de faiblesse, la mesure de licenciement prononcée pour faute grave présentait un caractère conservatoire pour les intérêts de l’employeur.

Aussi, le fait que les époux [S], fille et gendre de l’employeur devenus les interlocuteurs habituels de Mme [V] dans l’exécution de son contrat de travail, aient procédé à son entretien préalable et son licenciement sans bénéficier d’un mandat, d’une mesure de protection ou de l’accord écrit de l’employeur, s’inscrit dans le cadre de la gestion d’affaires d’un parent devenu incapable.

Le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure de licenciement s’avérant dans ce contexte inopérant, le licenciement doit être considéré comme ayant été valablement prononcé.

* Sur la faute grave :

Aux termes des dispositions combinées des articles L. 1232-1 et L. 1235- 1 du code du travail, l’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.

La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis.

En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la pertinence des griefs invoqués au soutien du licenciement prononcé pour faute grave. En application de l’article L.1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.

Lorsque que les faits sont établis mais qu’aucune faute grave n’est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l’employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il résulte par ailleurs des dispositions combinées de l’article 12 de la convention collective et des articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail que le bien-fondé du licenciement du salarié d’un particulier employeur pour une cause réelle et sérieuse n’est soumis qu’aux dispositions de la convention collective, laquelle prévoit que le contrat de travail peut être rompu par l’employeur pour tout motif constituant une cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave, notifiée à Mme [V] le 17 septembre 2015, est libellée comme suit:

‘Madame,

Nous faisons suite à l’entretien préalable de licenciement du 14 septembre 2015 et nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour fautes graves.

Il résulte, en effet :

– du dossier médical de Mme [F] remis par l’hôpital de [Localité 10] :

1) Le 28/06/2015 vous avez retiré volontairement un pansement réalisé par le personnel de l’hôpital de [Localité 10], au motif qu’il serrait trop et qu’il était en place depuis deux jours. Il vous est expliqué que vous n’avez pas à faire cela, que ce type de pansement peut rester plusieurs jours en place.

2) Le 28/06/2015 une aide soignante atteste qu’elle vous entend, à travers la porte fermée, vous énerver sur Mme [F] et lui reprocher de vomir et d’être ‘sale’ ! Elle vous explique gentiment qu’il ne faut pas forcer la patiente au point de la faire vomir et qu’il faut peut-être accepter parfois qu’elle mange moins mais qu’elle le garde. Vous lui faites bien comprendre que vous connaissez votre métier. Elle informe les IDE (Infirmières Diplômées d’État).

3) Le 28/06/2015 cette même aide soignante vous a reprise un peu plus tôt car vous faisiez boire Mme [F] allongée. Elle vous a expliqué que cette pratique était dangereuse et non autorisée à l’hôpital. Vous avez répondu que vous connaissez bien les fausses routes puisque vous vous occupiez d’une dame de 103 ans qui en avait fait une…

– de l’attestation fournie par Mme [L] [H], infirmière à domicile de Mme [F] :

4) le 15/07/2015 vous avez retiré la perfusion de Mme [F] au motif qu’elle était finie. Elle vous en a fait le reproche et vous lui avez répondu ‘c’est pas bien compliqué’. Elle vous a rappelé que vous n’aviez pas mis de bouchon, ni tourné le robinet d’arrêt et que c’est de sa responsabilité. Vous lui répondez: ‘ah, mais on apprend tous les jours’ !

Malgré un rappel à l’ordre de notre part, pour ces faits très graves,

5) le 25/07/2015 vous réitérez, selon Mme [L], exactement les mêmes faits au motif que cela gêne pour la toilette de Mme [F].

Les deux fois, les poches de perfusion ont disparu ce qui empêche l’infirmière de constater si la perfusion est passée correctement et entièrement.

6) Mme [L] s’émeut du fait que vous administrez de la vitamine K à Mme [F] car le Docteur a dit de le faire, mais vous ne l’en informez que le lendemain. Que vous ne supportez aucun reproche et vous sentez agressée de suite, que vous n’entendez pas qu’il y a des précautions à prendre car cela vous semble facile, mais que vous n’avez pas fait les études pour. Qu’il est assez difficile de travailler avec vous car vous ne faites que ce que vous voulez.

– de l’attestation fournie par Mr [P] [E] Directeur de la [Adresse 9] :

7) le 23/05/2015, selon le témoignage de Mr [E], vous avez imité la signature de Mme [F] sur une attestation d’importance majeure, destinée à finaliser une adhésion à une assurance vie MIF devant recevoir le produit de la vente de la maison de Mme [F]. Au risque que ce document falsifié remette irrémédiablement en cause le processus d’adhésion et lui cause ainsi un sérieux préjudice financier.

– du compte bancaire de Mme [F]

8) Entre le 26 et le 28/07/2015 vous avez fait signer à Mme [F] un chèque de salaire pour le mois de juillet, de 1260€, daté du 01/08/2015. Chèque d’un montant supérieur à vos heures réellement travaillées puisque le 29/07/2015 vous vous êtes mise en arrêt maladie jusqu’au 04/08/2015 inclus. Vous n’avez pas jugé bon de nous en informer, alors que depuis la fin mai 2015 nous avions repris la main sur les déclarations CESU et la rédaction des chèques, et que nous sommes arrivés à [Localité 10] le 28/07/2015, ce qui laissait au moins trois jours pour vous payer à la fin du mois.

Pire, à votre reprise le 05/08/2015, vous avez accepté sans rien dire, un second chèque de salaire pour le mois de juillet, remis par Mme [S], d’un montant de 1140€, alors que vous aviez encaissé le chèque de 1260€ ce même jour du 05/08/2015 !

Ce n’est que le 07/08/2015, lorsque Mr [S] a découvert l’existence de ce chèque de 1260€ en consultant le compte de sa belle-mère et qu’il vous a interpellée à ce sujet à 18h30, que vous avez rendu ce chèque de 1140€.

Ces faits qui auraient pu avoir des conséquences dramatiques sur la santé de Mme [F] [U] en raison de son grand âge (93 ans), de son état de santé très préoccupant et de sa fragilité morale, et accessoirement à ses intérêts matériels, m’obligent à prendre des mesures immédiates de protection en faveur de ma maman.

C’est pourquoi, compte tenu de l’extrême gravité des faits énoncés et malgré vos explications lors de notre entretien préalable, je suis au regret de devoir prononcer votre licenciement pour fautes graves.

Pour ces mêmes raison, votre maintien auprès de Mme [U] [F] s’avère impossible. Votre licenciement prend donc effet à compter de la première présentation de cette lettre, sans indemnité de licenciement ni de préavis.(…)’.

Il ressort ainsi des énonciations de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que Mme [V] a été congédiée pour avoir:

– d’une part, pris des initiatives médicales inadéquates et potentiellement dangereuses pour l’état de santé de Mme [U] [F] les 28 juin, 15 et 25 juillet 2015;

– d’autre part, signé des documents personnels en lieu et place de Mme [U] [F] le 23 mai 2015 et utilisé son chéquier entre les 26 et 28 juillet 2015.

S’agissant de ces derniers faits, M. [P] [E], directeur de la [Adresse 9] à [Localité 10], foyer logement non médicalisé au sein duquel résidait Mme [U] [F], atteste que ‘le 23 avril 2015, M. [S], le gendre de Mme [F], m’a demandé de remettre à Mme [V] une attestation fiscale à faire signer par Mme [F] et lui renvoyer ensuite, par e- mail, afin de terminer une adhésion à un contrat d’assurance vie de la plus haute importance pour elle.

M. [S] s’est rendu compte que la signature sur le document n’était pas celle de Mme [F] et me l’a fait savoir. En effet, Mme [V] s’était permise de signer de sa main cette attestation en lieu et place de Mme [F], en imitant sa signature.

Nous sommes donc allés faire signer Mme [F] en bonne et due forme, vu l’importance juridique de ce document’.

Dans ses écritures, Mme [V] ne dément aucunement que M. [E] lui a bien remis une attestation fiscale à faire signer par Mme [F].

Or, la comparaison des deux attestations fiscales litigieuses produites aux débats fait apparaître une différence évidente de signature et établit que l’une d’entre elles n’a pas été signée par la défunte.

Il s’évince de ce qui précède que l’attestation confiée à Mme [V] aux fins de signature par Mme [F] a manifestement été signée par la salariée elle- même.

Par ailleurs, Mme [V] ne conteste pas dans ses écritures avoir reçu deux chèques en règlement de son salaire du mois de juillet 2015, avoir accepté, le 05 août 2015, le second chèque signé par M. [S] alors qu’elle avait, le jour même, encaissé le premier chèque, et n’avoir restitué le second que lorsque M. [S] l’a interrogée.

Elle soutient que le premier chèque a été signé par Mme [F]. Or, l’écriture figurant sur le talon du chèque litigieux produit aux débats et mentionnant la date du 1er août 2015, ne correspond pas à celle d’une personne âgée de 93 ans. En outre, à la date précitée, Mme [F] ne s’occupait plus, depuis plusieurs mois déjà, de régler le salaire de sa salariée.

Le fait pour une employée de maison de signer des documents juridiques importants en lieu et place de son employeur et d’utiliser ses moyens de paiement constitue une indélicatesse et un manque de probité à l’égard d’une vieille dame dépendante de 93 ans, constitutifs d’une faute grave rendant impossible la poursuite de la relation de travail.

Aussi, la cour considère, sans qu’il soit besoin de se prononcer plus avant sur les autres agissements invoqués, que le licenciement pour faute grave de Mme [V] est fondé.

4°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail:

La faute grave ainsi retenue s’oppose à ce qu’il soit fait droit aux demandes formées par Mme [V] au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

5°- Sur les autres demandes de la salariée:

* Sur la remise sous astreinte de documents de fin de contrat rectifiés:

Mme [V], dont le licenciement pour faute grave a été confirmé, sera débouté de ce chef de demande, sans objet.

* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat :

Il est établi que les documents de fin de contrat ont été adressés à Mme [V] par courrier expédié le 15 octobre 2015, soit un mois après la notification de son licenciement le 17 septembre 2015.

Même en retenant le caractère tardif de la remise des documents, nonobstant le deuil ayant frappé les ayants droit de Mme [F] décédée le 21 septembre 2015, la salariée n’explicite aucunement la nature du préjudice qui en aurait résulté.

Aussi, la cour rejette ce chef de demande, dont la preuve du bien- fondé est insuffisamment rapportée tant dans son principe que dans son quantum.

* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement:

Selon l’article L. 1232-3 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié doit, au cours de l’entretien, indiquer les motifs de la décision envisagée et recueillir les explications du salarié.

En l’espèce, Mme [V] soutient que lors de l’entretien préalable, M. [S] lui a uniquement reproché ‘un problème de relation avec les autres employés’ et n’a pas évoqué les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement.

A l’appui de cette assertion, elle produit le témoignage circonstancié de M. [O] [X] qui, assis à une table voisine, a écouté l’entretien.

L’employeur ne produit pour sa part aucun élément contredisant cette attestation et démontrant qu’il a fait connaître à la salariée les causes du congédiement envisagé.

Cette irrégularité de forme, qui a empêché la salariée de fournir des explications sur les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement, a pu lui occasionner un préjudice moral justifiant l’octroi d’une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.

6°- Sur les frais irrépétibles et dépens :

Eu égard à la nature du litige, il ne paraît pas inéquitable de laisser aux parties, succombant chacune partiellement en leurs prétentions, la charge de leurs frais irrépétibles et dépens respectifs.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu’il a condamné Mme [V] à payer aux consorts [F] la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en sus des dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Mme [Z] [V] de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;

Statuant à nouveau,

Constate que la péremption de l’instance prud’homale n’était pas acquise;

Dit que le licenciement pour faute grave de Mme [V] est fondé;

Déboute Mme [V] de ses demandes en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse;

Déboute Mme [V] de ses demandes en rectification sous astreinte des documents de fin de contrat et paiement de dommages et intérêts pour remise tardive de ces documents;

Condamne in solidum Mme [B] [F], épouse [N], Mme [A] [F], épouse [S], et M. [J] [F] à payer à Mme [Z] [V] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement;

Y ajoutant,

Déboute Mme [V] et les consorts [F] de leur demande respective en indemnisation de leurs frais irrépétibles;

Dit que Mme [V] et les consorts [F] conserveront la charge de leurs dépens respectifs de première instance et d’appel;

Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI K. VALLEE

 


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