N° RG 22/02828 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LOZJ
C1
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL EUROPA AVOCATS
la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 30 JANVIER 2024
Appel d’un Jugement (N° R.G. 20/04654)
rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble
en date du 14 mars 2022
suivant déclaration d’appel du 20 juillet 2022
APPELANTE :
Mme [J] [S]
née le 23 août 1959 à [Localité 5] (ALGERIE)
de nationalité Algérienne
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Sylvain REBOUL de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
L’IRCEM PREVOYANCE IRCEM PREVOYANCE, Institution de prévoyance des emplois de la famille régie par le Code de la Sécurité Sociale
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me François -Xavier LIBER-MAGNAN de la SELARL COUTTON GERENTE LIBER MAGNAN, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et plaidant par Me Grégory DUBOCQUET de la SELARL STRAT&JURIS, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine CLERC, Présidente,
Mme Joëlle BLATRY, Conseiller,
Mme Véronique LAMOINE, Conseiller,
Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 novembre 2023, Madame Lamoine a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
FAITS , PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Mme [J] [S] a signé le 1er octobre 1999, avec M. [W] [N] ayant le même domicile qu’elle, un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’auxiliaire de vie.
Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 10 avril 2001 et jusqu’au 31 décembre 2005.
Le 9 février 2006, elle a été placée en invalidité de catégories 2 par la caisse primaire d’assurance maladie à compter du 1er janvier 2006.
À compter de cette dernière date, Mme [S] a perçu une pension d’invalidité d’une part par la CPAM, d’autre part par l’IRCEM PRÉVOYANCE (ci-après l’IRCEM), institution de prévoyance des emplois de la famille régie par le code de la sécurité sociale, en qualité de caisse de régime complémentaire de prévoyance.
Suspectant une fraude de Mme [S], l’IRCEM a cessé ses versements à cette dernière à compter du 1er juin 2011.
Par acte du 16 août 2011, Mme [S] a assigné l’IRCEM devant le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins de la voir condamner à lui verser les compléments de pension d’invalidité.
Le 6 février 2012, l’IRCEM a porté plainte du chef d’escroquerie contre Mme [S], et un sursis à statuer a été prononcé le 9 mai 2012 dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.
Le 29 mars 2019, la plainte a été classée sans suite en raison de l’extinction de l’action publique du fait de la prescription.
Mme [S] a demandé la réinscription de l’affaire qui avait été radiée.
Par dernières conclusions, Mme [S] a demandé au tribunal de :
enjoindre à l’IRCEM de communiquer aux débats l’ensemble des relevés indiquant les sommes qui lui ont été versées pour la période du 1er janvier 2006 au 31 mai 2010, ainsi que la justification et le calcul détaillé du trop-perçu dont cet organisme se prévalait,
dire et juger que l’IRCEM a commis un manquement contractuel dans l’exécution du contrat de prévoyance la concernant,
par conséquent, condamner l’IRCEM à lui payer des dommages-intérêts équivalents aux prestations pécuniaires qu’elle aurait dû percevoir depuis le mois de juin 2010 et qui ne pourraient être inférieurs à 41 438,64 €, sauf à parfaire, outre intérêts capitalisés et sous astreinte, ainsi qu’une indemnité de procédure,
ordonner à l’IRCEM de lui verser pour l’avenir le complément invalidité qui lui est légitimement dû au titre de la mobilisation de sa garantie.
Par jugement du 14 mars 2022, le tribunal judiciaire de Grenoble a :
constaté que la demande de Mme [S] de communication de documents a été satisfaite par l’IRCEM,
débouté Mme [S] de ses demandes fondées sur un manquement contractuel,
dit que Mme [S] échoue à démontrer la réalité du salaire brut perçu par elle au sens de l’article 2.3 de l’annexe VI de la convention collective nationale du particulier employeur,
condamné Mme [S] à payer à l’IRCEM la somme de 12 620,08 € au titre du trop-perçu des prestations invalidité versées sur la période du 1er janvier 2006 au 31 juin 2010,
dit que l’IRCEM démontre l’existence d’une fraude aux droits sociaux, dont Mme [S] a bénéficié et dont elle ne pouvait ignorer l’existence,
dit que cette fraude est opposable à Mme [S], et justifie de la part de l’IRCEM un refus de garantie,
condamné Mme [S] :
à rembourser à l’IRCEM la somme de 12 331,56 € au titre de la répétition de l’indu,
aux dépens et à payer à l’IRCEM la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par déclaration au greffe en date du 20 juillet 2022, Mme [S] a interjeté appel de ce jugement.
Par uniques conclusions notifiées le 20 octobre 2022, elle demande l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, et réitère pour l’essentiel ses demandes formées en première instance, à savoir :
qu’il soit enjoint à l’IRCEM de communiquer le calcul détaillé relatif au trop-perçu dont cet organisme se prévalait dans son courrier du 24 août 2010,
qu’il soit dit et jugé que l’IRCEM a commis un manquement contractuel dans l’exécution du contrat de prévoyance la concernant,
par conséquent, la condamnation de l’IRCEM à lui payer des dommages-intérêts équivalents aux prestations pécuniaires qu’elle aurait dû percevoir depuis le mois de juin 2010 et qui ne pourraient être inférieurs à 41 438,64 €, sauf à parfaire, outre intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2011 capitalisés et sous astreinte de 100 € par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,
qu’il soit ordonné à l’IRCEM de lui verser pour l’avenir le complément invalidité qui lui est légitimement dû au titre de la mobilisation de sa garantie,
la condamnation de l’IRCEM à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
que l’IRCEM a engagé sa responsabilité contractuelle en cessant de lui verser les prestations complémentaires qui lui étaient dues,
que, contrairement à ce qui est allégué par l’intimée, elle a bien perçu les salaires figurant sur ses fiches de paye et doit être indemnisée sur cette base,
qu’elle n’a pas à subir les discordances entre ces montants et ceux déclarés par son employeur à l’URSSAF en vue du calcul des cotisations salariales et patronales,
que le tribunal a statué ultra petita en la condamnant au paiement de deux sommes alors que la seconde constituait une demande subsidiaire de l’IRCEM,
que le tribunal a cru devoir retenir l’existence d’une fraude aux droits sociaux dont elle aurait bénéficié, alors même que l’enquête pénale a été classée sans suite, si bien que le système judiciaire a estimé qu’elle ne s’était rendue coupable d’aucune infraction et ce quelle que soit la cause du classement,
que, dès lors, le tribunal ne pouvait fonder sa décision sur une suspicion de fraude non démontrée.
L’IRCEM, par uniques conclusions notifiées le 9 janvier 2023, demande la confirmation du jugement déféré sauf :
sur le montant du trop perçu au paiement duquel Mme [S] a été condamnée,
en ce qu’il a débouté les parties du surplus de leurs demandes, en particulier de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive dirigée contre Mme [S].
Elle demande à cette cour, statuant à nouveau et y ajoutant, de :
condamner Mme [S] à lui payer la somme de 21 331,56 € au titre du trop-perçu,
la condamner encore à lui payer la somme de 4 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle reprend, en les développant, les motifs retenus par le tribunal pour considérer que Mme [S] :
d’une part n’avait pas fourni les pièces nécessaires à établir la réalité de sa situation salariale en l’état d’une discordance flagrante entre les montants figurant sur ses fiches de paie et ceux déclarés par l’employeur auprès de l’URSSAF,
d’autre part avait participé à une opération frauduleuse impliquant de nombreux membres de sa famille, tous successivement, ou même concomitamment, déclarés comme embauchés comme auxiliaires de vie auprès de M. [N], dont l’identité et la signature avaient été usurpées, et tous placés ensuite en arrêt de travail pour accident ou maladie ouvrant droit au versement d’indemnités complémentaires à sa charge.
Elle explique, cependant, que le jugement est entaché d’une erreur matérielle tant dans les motifs que dans le dispositif, dès lors que sa demande portait, au principal sur une somme de 21 331,56 € (repris par erreur par le premier juge pour 12 331,56 € par interversion des deux premiers chiffres), et à titre subsidiaire sur 12 620,08 € (qu’il n’y a donc pas lieu de lui allouer s’il est fait droit, comme elle le réclame et ainsi qu’elle en justifie, à sa demande principale).
Elle développe aussi des moyens visant à justifier la condamnation de Mme [S] à lui payer une somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, mais ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions.
Il est renvoyé à ses écritures pour le surplus.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 10 octobre 2023.
MOTIFS
Sur les demandes principales
# sur la demande de Mme [S] aux fins de communication de pièces
Mme [S] demande qu’il soit enjoint à l’IRCEM de communiquer ‘le calcul détaillé relatif au trop-perçu dont elle se prévalait dans son courrier du 24 août 2010″.
Dans la lettre du 24 août 2010 dont il est question, l’IRCEM indiquait :
avoir servi à Mme [S] une pension d’invalidité de catégorie 2 pour la période du 1er janvier 2007 au 31 juillet 2010 sur la base des salaires figurant sur les bulletins de salaire que la bénéficiaire lui avait transmis en mars 2006, à savoir :
d’avril à décembre 2000,un montant mensuel brut de 1680,98 €,
de janvier à mars 2000, un montant trimestriel brut de 5036,06 €,
que ces montants étaient très différents de ceux déclarés par son employeur à l’URSSAF pour la même période, soit :
avril, mai et juin 2000 : 991 €,
juillet, août et septembre : 206 €,
octobre, novembre et décembre : 769 €,
janvier, février et mars 2001 : 4 984 €,
que le nouveau calcul de la pension pour la période du 1er janvier 2007 au 31 juillet 2010 sur la base des salaries déclarés par l’employeur faisait apparaître un trop perçu de 12 620,08 €.
Suite à la demande de communication de pièces formées en première instance, l’IRCEM a transmis à Mme [S] par l’intermédiaire de son conseil le 20 mai 2021 le détail de toutes les sommes perçues par cette dernière du 1er janvier 2007 au 30 juin 2010 au titre de sa pension d’invalidité, étant souligné que la demande au titre des sommes versées entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2006 était sans objet puisque le trop payé invoqué par l’IRCEM ne portait que sur les sommes versées à partir du 1er janvier 2007 et que, s’agissant de l’année 2010, la demande de communication de pièces s’arrêtait au 31 mai 2010 de sorte que les pièces communiquées sur ce point étaient conformes à la demande.
Si l’IRCEM n’a pas, dans ce courrier du 20 mai 2021, communiqué le détail du calcul du trop-perçu en renvoyant, sur ce point, Mme [S] à l’accord de prévoyance annexé à la convention collective nationale dont cette dernière se prévalait, les chiffres mentionnés dans la lettre du 24 août 2010 associés au détail des prestations versées permettent de procéder à ce calcul mois par mois et, par conséquent, de vérifier le montant du trop perçu réclamé, en appliquant la règle de trois suivante, par exemple pour le mois d’avril 2007 :
montant versé (pour avril 2007 au vu du tableau annexé au courrier du 20 mai 2021 : 457,49 € nets) divisé par le salaire moyen ayant servi de base au calcul de ce montant soit la moyenne de ceux figurant sur les bulletins de salaire de Mme [S] tels que rappelés dans la lettre du 24 août 2010 soit ([1 680,98 x 9] + 5 036,06) / 12 = 1 680,88 €, et multiplié par la moyenne des salaires figurant sur les déclarations URSSAF de l’employeur tels que rappelés dans la lettre du 24 août 2010 soit (991 + 206 + 769 + 4 984) / 12 = 579,16 soit un résultat final, pour ce mois d’avril 2007 de 157,63 € réellement dû, ce qui, toujours pour le mois d’avril 2007, donne un montant trop-perçu de :
457,49 € (pension versée) – 157,63 € (pension due) = 299,86 €.
La période sur laquelle porte le trop-perçu invoqué dans la lettre du 24 août 2010 (du 1er avril 2007 au 31 juillet 2010) correspondant à 40 mois, le trop perçu de 12 620,08 € mentionné dans cette lettre de notification est cohérent avec le montant de ce trop-perçu pour un mois précis tel que calculé ci-dessus à titre d’exemple, étant souligné que, selon les mois concernés, la pension effectivement versée à Mme [S] a varié de 457,49 € jusqu’à 515,16 € selon le détail figurant dans le tableau annexé à la lettre de communication de pièces du 20 mai 2021.
C’est donc par une juste appréciation des éléments qui lui étaient soumis que le tribunal a considéré que l’IRCEM avait satisfait à la demande de communication de pièces, et le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Les pièces ainsi produites permettant de calculer le trop-perçu dont l’IRCEM se prévalait dans son courrier du 24 août 2010 ainsi qu’il vient d’être développé, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces telle que nouvellement formulée en cause d’appel par Mme [S].
# sur la demande de Mme [S] fondée sur une responsabilité contractuelle de l’IRCEM
C’est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a considéré que le lien entre Mme [S], salariée d’un particulier employeur, et l’IRCEM, n’était pas de nature contractuelle, en raison du caractère obligatoire du régime de prévoyance tel que prévu par l’accord collectif du 24 novembre 1999 annexé à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur applicable en l’espèce, auquel adhère le salarié par la simple signature de son contrat de travail lui ouvrant droit au régime de protection prévu par la convention collective et ses avenants, et régi par l’IRCEM. En cela, le salarié adhère de plein droit au règlement de cette institution et non pas à un contrat de groupe qu’aurait souscrit son employeur.
Dès lors, les arguments invoqués par Mme [S] et tirés de la rédaction des articles L. 931-1 et L. 931-3 du code de la sécurité sociale sont inopérants à caractériser ce lien contractuel, étant souligné, à titre d’exemple, que les articles L. 932-7 et L. 932-8 du même code excluent l’application de certaines de leurs dispositions, habituellement applicables aux contrats d’assurance en cas de fausse réticence ou fausse déclaration intentionnelle du bénéficiaire, ou encore de défaut de paiement d’une cotisation, « lorsque l’adhésion à l’institution (NB de prévoyance) résulte d’une obligation prévue dans une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel ».
Par ailleurs, le tribunal a justement relevé, au vu des pièces produites, que si la convention collective du particulier employeur prévoit, dans l’article 2.3 de l’annexe VI « Prévoyance » que « le salaire de référence servant de base au calcul de la rente d’invalidité est le salaire annuel brut perçu dans la profession par le salarié au cours des quatre derniers trimestres civils précédant l’arrêt de travail initial », Mme [S] ne justifiait pas de la réalité de ces salaires à l’appui d’une part de sa demande fondée sur une faute de l’IRCEM, d’autre part de celle tendant à voir reprendre le versement du complément d’invalidité à compter du 1er juin 2011, par la seule production de ses bulletins de salaires pour la période considérée, en ce que ceux-ci présentent de nombreuses irrégularités, en particulier :
les bulletins de salaires des mois de juin 2000, juillet 2000, septembre 2000, et janvier à mars 2001, dont la présentation diffère de ceux des mois d’août, octobre, novembre et décembre 2000, sont libellés en euros, alors que cette monnaie n’avait pas cours à cette époque,
la période d’ancienneté mentionnée sur ces fiches de paye est constante pour chaque année sans ajustement et incohérente avec les autres informations fournies ; ainsi cette période est mentionnée comme étant de « 2 ans et 9 mois » sur les fiches de paie de 2000, puis de « 1 an et 4 mois » en janvier 2021, alors que le contrat de travail produit par Mme [S] est en date du 1er octobre 1999,
Mme [S], qui prétend avoir communiqué, en annexe de la lettre de son conseil du 12 janvier 2011, ses relevés de compte pour justifier de la perception effective des salaires invoqués, ne les produit pas aujourd’hui, étant souligné que la copie de cette lettre telle que versée aux débats n’en fait pas mention,
ainsi qu’il a été rappelé plus haut, les montants figurant sur ces bulletins de salaires diffèrent notablement des montants déclarés à l’URSSAF par son employeur.
Enfin, le tribunal a, après un examen complet et détaillé du rapport d’enquête pénale et des procès-verbaux d’audition produits aux débats auquel il est expressément renvoyé, justement conclu à un faisceau d’indices graves et concordants révélant l’existence d’une véritable organisation frauduleuse dont l’objet était de fournir des revenus à la famille de Mme [S] par les organismes sociaux concernés, sous le couvert d’un emploi de dix de ses membres dont Mme [J] [S] par M. [W] [N] oncle de cette dernière, alors même que celui-ci vivait sous le même toit que ses supposés salariés, le tout dans un immeuble appartenant au mari de Mme [S], toutes ces embauches s’étant soldées par des placements en arrêt de travail ouvrant droit au versement d’indemnités à la charge de l’IRCEM, le médecin prescripteur des arrêts de travail étant à la fois le médecin traitant de l’employeur et celui des prétendus employés, et les documents déclaratifs de l’employeur comportant des écritures et des signatures différentes alors même que M. [N] avait des difficultés à lire, écrire et comprendre le français.
Le tribunal a encore justement considéré qu’il ne pouvait être tiré aucune conséquence de l’absence de poursuite suite à cette enquête, au vu de l’ancienneté des faits entraînant une prescription de l’action publique, ainsi qu’il ressort de la lettre de transmission du service des enquêtes du parquet du tribunal de grande instance de Grenoble du 17 avril 2019 (pièce n° 27 de l’appelante) mentionnant ce motif au titre du classement sans suite de l’affaire.
C’est donc par une juste appréciation des éléments qui lui étaient soumis que le tribunal a conclu que Mme [S], qui ne pouvait ignorer l’existence de cette fraude organisée aux prestations sociales en raison des conditions de sa réalisation et de sa proximité tant géographique que familiale avec l’employeur prétendu et ses supposés salariés et qui en a bénéficié, ne pouvait, dans ces conditions, prétendre à une reprise du versement du complément d’invalidité à compter du 1er juin 2011.
# sur la demande de l’IRCEM au titre du remboursement du trop-perçu
L’IRCEM réclame le remboursement de la totalité des sommes perçues par Mme [S] au titre de la pension d’invalidité de catégorie 2, pour la période du 1er janvier 2007 au 31 mai 2010 soit la somme totale de 21’331,56 € telle qu’elle ressort du tableau en date du 18 mai 2021 joint à la lettre du 20 mai 2021 de communication de pièces en première instance.
C’est par des motifs pertinents, au vu de l’ensemble des éléments qui viennent d’être développés, que le tribunal a considéré que Mme [S] ne rapportait pas la preuve qui lui incombe de ce qu’elle remplissait les conditions d’emploi et de salaires lui permettant de prétendre aux prestations qu’elle a ainsi perçues et qu’en outre, au vu de la fraude caractérisée, elle ne pouvait pas même justifier de la réalité d’un emploi, la simple production du contrat de travail et des bulletins de salaire, dont les irrégularités ont été évoquées ci-dessus, étant, dans ces circonstances, insuffisants à constituer la preuve requise.
Le jugement sera donc confirmé sur le principe de la restitution d’un indu correspondant à la totalité des sommes versées au titre de la pension d’invalidité pour la période correspondante, mais infirmé sur le montant des sommes à restituer en raison de l’erreur affectant le dispositif du jugement en ce qu’il porte, notamment, sur une somme (12 331,56 €) qui ne figurait pas dans les demandes de l’IRCEM et qui résulte de toute évidence d’une confusion avec la somme de 21 331,56 € que cet organisme réclamait en principal.
Sur les demandes accessoires
Dans le corps de ses conclusions prises devant cette cour, l’IRCEM a développé des moyens tendant à voir juger abusive l’action initiée par Mme [S] et la voir condamner à l’indemniser à ce titre. Pour autant, elle n’a pas formulé, dans le dispositif des mêmes conclusions, de demande de condamnation de Mme [S] à lui payer des dommages-intérêts sur ce fondement.
Or, aux termes de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il en résulte que les moyens tendant au caractère abusif de l’action de Mme [S], développés dans le corps des conclusions de l’IRCEM mais non repris dans le dispositif de celles-ci, ne saisissent la cour d’aucune demande tendant à voir condamner Mme [S] à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, ce qu’il y aura lieu de constater.
Mme [S], qui succombe en son appel, devra supporter les dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile. Pour les mêmes motifs, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur.
Il est équitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de L’IRCEM pour l’instance d’appel.
Les mesures accessoires du jugement entrepris sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a :
condamné Mme [J] [S] à payer à l’IRCEM PRÉVOYANCE la somme de 12 620,08 € au titre du trop-perçu des prestations invalidité versées sur la période du 1er janvier 2006 au 31 juin 2010,
condamné Mme [J] [S] à rembourser à l’IRCEM PRÉVOYANCE la somme de 12 331,56 € au titre de la répétition de l’indu.
L’infirme sur ces deux points et, statuant de nouveau et y ajoutant :
Condamne Mme [S] à payer à l’IRCEM PRÉVOYANCE la somme de 21 331,56 € au titre de la répétition de l’indu.
Vu l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile :
Constate qu’elle n’est saisie d’aucune demande tendant à voir condamner Mme [S] au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Condamne Mme [S] à payer à l’IRCEM PRÉVOYANCE la somme supplémentaire de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes les autres demandes.
Condamne Mme [S] aux dépens d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE