COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 08 FEVRIER 2024
N° 2024/
MS/KV
Rôle N°20/11677
N° Portalis DBVB-V-B7E-BGSH3
[A] [G] épouse [V]
C/
[K] [D]
Copie exécutoire délivrée
le : 08/02/2024
à :
– Me Nicolas GOLHEN, avocat au barreau de GRASSE
– Me Alexandra SCHULER VALLERENT, avocat au barreau de GRASSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de grasse en date du 29 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° F19/00109.
APPELANTE
Madame [A] [G] épouse [V], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Nicolas GOLHEN, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
Madame [K] [D], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Alexandra SCHULER-VALLERENT, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Février 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Février 2024
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Madame Karen VANNUCCI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [A] [V] a été engagée en qualité de repasseuse à compter du 1er septembre 2004, sans contrat écrit, par Mme [K] [O] [D] qui est propriétaire d’une résidence secondaire à [Localité 3] (06) et employait plusieurs salariés.
Elle a été employée pour un temps partiel de 86,67 heures mensuelles moyennant ne dernier lieu un salaire de 1.355,88 euros . Son époux était employé comme gardien jardinier chauffeur et le couple occupait un logement de fonction.
Mme [D] vivant principalement en Arabie saoudite, elle a confié une mission d’établissement de la paie et des déclarations sociales de son personnel au cabinet d’expertise comptable Fiducial Expertise et à Madame [L] gestionnaire.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur.
Après avoir été convoquée à un entretien préalable, Mme [A] [W] a été licenciée le 10 octobre 2018, pour perte de confiance.
Estimant avoir occupé un emploi à temps complet, avoir été injustement licenciée et n’avoir pas été remplie de ses droits elle a saisi la juridiction prud’homale, afin d’obtenir diverses sommes tant en exécution qu’au titre de la rupture du contrat de travail.
Par jugement rendu le 29 octobre 2020 le conseil de prud’hommes de Grasse a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, a déboutée Mme [V] de l’ensemble de ses demandes, a dit qu’elle était remplie de ses droits par le versement d’une somme de 64euros au titre de frais bancaires et l’a condamnée aux dépens.
Mme [V] a interjeté appel de cette décision.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 octobre 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 octobre 2023, par des moyens qui seront analysés par la cour dans les motifs de sa décision, Mme [A] [V] demande à la cour d’infirmer le jugement et statuant à nouveau de:
Requalifier la durée du travail de Mme [V] à temps complet,
Juger que Madame [D] s’est rendue coupable de travail dissimulé,
Requalifier la rupture de la relation de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence:
A titre principal, en retenant 28 ans d’ancienneté:
Condamner Madame [D] à payer à Mme [V] la somme de 15.245 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement,
Condamner Madame [D] à payer à Mme [H] somme de 48.063 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire, en retenant 14 ans d’ancienneté:
Condamner Madame [D] à payer à Mme [V] la somme de 3742 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement,
Condamner Madame [D] à payer à Mme [V] la somme de 29 578 euros à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause:
Condamner Madame [D] à payer à Mme [V] un rappel de salaire de 44.359 euros brut et 4.435,90 euros de congés payés afférents au titre de son travail à temps complet ;
Condamner Madame [D] à payer à Mme [V] la somme de 14.783 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
Ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés à Mme [V] sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt de la Cour ;
Condamner Madame [D] au paiement à Mme [V] de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure prud’homale et 3.000 euros au titre de la procédure d’appel.
Condamner Madame [D] aux dépens,
Dire que les condamnations sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes pour les sommes à caractère salarial et à compter de la décision à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaires et capitalisation.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, par des moyens qui seront analysés par la cour dans les motifs de sa décision, Mme [S], demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter Mme [A] [V] de l’ensemble de ses demandes et de condamner Mme [A] [V] au paiement d’une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
1- Sur l’ancienneté de la salariée
L’appelante revendique une ancienneté au 15 octobre1991 concomitante à celle de son époux M. [U] [V] embauché à cette date en qualité de gardien, jardinier, chauffeur.
Elle se fonde essentiellement sur une lettre du 21 janvier 2003 ( pièce n° 23) faisant selon elle ressortir que Madame [L], en qualité de gestionnaire de Madame [D], effectuait le contrôle des dépenses d’entretien de la résidence et remboursait les sommes avancées par Madame [V]. Les dépenses visées remontent à octobre, novembre et décembre 2022.
Ce document est toutefois insuffisant à démontrer l’existence d’une prestation de travail, d’une rémunération et d’un lien de subordination entre Mme [V] et Mme [S] caratérisant l’existence d’une relation de travail salariée à compter du 15 octobre 1991.
L’ancienneté à prendre en considération pour l’emploi de Mme [A] [V] se situe donc au 1er septembre 2004.
2- Sur la requalification du contrat de travail à temps complet, le rappel de salaire et le travail dissimulé
Mme [V] fait grief au conseil de prud’hommes d’avoir rejeté ses demandes au motif qu’elle n’était pas soumise aux règles relatives à la durée du travail alors que les dispositions relatives à la preuve des heures travaillées prévues à l’article L3171-4 du code du travail s’appliquent aux employés de maison.
Elle rappelle que le juge ne saurait, pour rejeter la demande d’un salarié en paiement d’heures complémentaires, retenir qu’il ne produit pas d’éléments de nature à étayer sa demande.
Elle soutient que tout au long de l’année, en présence ou en l’absence de Mme [D] et de sa famille, les tâches qui lui étaient imposées impliquaient son entière disponibilité.
En effet, elle travaillait de 8h du matin à 1h du matin, que ce soit en présence de l’employeur ou de sa famille ou en l’absence de son employeur, et il lui incombait de rester disponible tout au long de la journée pour accomplir des tâches administratives ou ménagères.
Elle dresse en pièce n°28 une description de sa journée type de travail.
Mme [S] fait valoir en réponse qu’étant salariée du particulier employeur Mme [A] [V] ne peut revendiquer l’application des dispositions de droit commun pour solliciter la requalification de son temps de travail à temps partiel (86,67 heures mensuelles) en temps complet. Elle soutient que les tâches de Mme [V] ne justifiaient pas l’accomplissement d’heures complémentaires.
La durée du temps de travail de Mme [V] doit être déterminée selon les dispositions de l’article 15 de la convention collective des salariés du particulier employeur qui dispose : Conformément à la directive européenne n 97/81 du 15/12/97 publiée au JOCE L 14 du 20/1/98, tout salarié dont la durée normale de travail calculée sur une base hebdomadaire, ou en moyenne sur une période d’emploi pouvant aller jusqu’à un an, est inférieure à 40 heures hebdomadaires, est un « travailleur à temps partiel ».
Les règles relatives à la preuve des heures accomplies telles que définis par l’article L.3171-4 du code du travail sont applicables au salarié même employé de maison. S’applique donc à Mme [V] le mécanisme probatoire tel que l’a défini la chambre sociale dans ses arrêts Soc., 18 mars 2020, pourvoi n 18-10.919, et Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n 17-31.046.
En l’espèce, Mme [U] [V] produit en tout et pour tout quelques tickets de course et sa propre description de sa journée type.
La demande de Mme [V] ne repose pas sur des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies, afin de permettre à Mme [D], qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre en produisant ses propres éléments.
Au surplus il n’est pas sérieusement discuté que comme en témoigne la famille de Mme [S], Mme [A] [V] ne faisait pas les courses, ni le ménage, ni la cuisine au sein de la villa propriété de Mme [S].
Les membres de sa famille [D] relatent de manière concordante que jusqu’en 2014, ceux-ci ne séjournaient que deux à trois mois par an dans la villa, dont trois semaines sur un bâteau, puis qu’à partir de l’été 2014, leur séjour se prolongeait parfois jusqu’au mois de septembre inclus, soit une occupation du bien quatre mois par an. Mme [D] était donc absente 8 mois sur 12, et Mme [V] étaiet libre d’organiser sa journée.
Il apparaît que les rares instructions données par Mme [D] , sa fille [J] ou par Madame [L] à Mme [V] ne justifiaient pas les heures complémentaires demandées, que la salariée n’était pas tenue d’être à disposition de l’employeur en permanence et qu’elle pouvait librement vauquer à ses occupations.
Les demandes de Mme [A] [V] ayant été rejetées il ne peut être retenu que son employeur ne la rémunérait pas à hauteur de son travail et qu’il dissimulait intentionellement son activité.
Le jugement doit être confirmé en ce qu’il déboute Mme [A] [V] de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps complet ainsi que de ses demandes subséquentes en paiement d’un rappel de salaire, congés payés y afférents et d’une indemnité au titre du travail dissimulé.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
1- Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Mme [A] [V] fait grief au conseil de prud’hommes d’avoir commis une erreur de droit en jugeant fondé un licenciement fondé sur une simple « perte de confiance » .
Les premiers juges ont en effet retenu qu’elle était responsable d’un défaut d’information de l’employeur quant au départ à la retraite de son époux le 1er juillet 2017 en estimant qu’elle était seule responsable du défaut d’établissement des bulletins de paie et du paiement des cotisations à compter de juillet 2017 puisque son mari a continué de travailler jusqu’en juillet 2018 tout en percevant son salaire.
Elle soutient que Madame [D] ayant signé une lettre de mission auprès du cabinet Fiducial pour établir les bulletins de paie et faire les déclarations relatives aux salariés sous le contrôle de Madame [L], elle n’est pas responsable et qu’en tout état de cause elle a bien a informé ces prestataires dont elle était l’interlocutrice, du départ en retraite de son époux.
Il ressort d’une attestation du cabinet d’expertise comptable Fiducial, mandataire de l’employeur, que l’épouse de M. [V], Mme [A] [V] a informé le cabinet le 3 juillet du départ à la retraite de son mari. Les documents de fin de contrat ont été établis le 28 juillet 2017 par ce cabinet. Les bulletins de paie n’ont alors plus été transmis tandis que l’avantage en nature logement a cessé d’être perçu sur la tête de M. [V].
Sauf à reprocher à ses salariés la propre carence de son mandataire Mme [D] n’est pas fondée à soutenir qu’elle ignorait le départ à la retraite de M. [U] [V].
Mme [D] fait valoir que Mme [V] ne saurait sérieusement contester sa responsabilité dans la perte de confiancequi lui est reprochée par son employeur dans la mesure où :
– elle a été à l’initiative de la demande des documents pour la mise à la retraite de son
époux sans en informer son employeur ;
– elle ne pouvait ignorer que son époux continuait de percevoir un salaire indu puisque le
virement de son salaire était effectué sur le compte joint du couple ;
– elle a sciemment produit un faux bulletin de paie au nom de son époux.
Il est constant que la perte de confiance n’est pas un motif réel et sérieux de licenciement sauf si elle est la conséquence de faits objectifs et matériellements vérifiables constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, les griefs reprochés à Madame [V], consistant à n’avoir pas informé Madame [D] du départ à la retraite de son époux et produit un faux bulletin de salaire de son mari, non seulement ne découlent pas du contrat de travail de Mme [V] mais encore ne lui sont pas imputables alors même qu’elle en a informé le cabinet Fiducial.
Il en découle que le licenciement de Mme [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement critiqué du conseil de prud’hommes doit être réformé de ce chef.
Licenciée sans cause réelle et sérieuse Mme [V] peut prétendre à une indemnité.
L’ancienneté de Madame [V] étant de 14 années au moment de la rupture, l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure à 12 mois de salaires par référence à l’article L1235-3 du code du travail.
La cour lui allouera la somme de 16.500 euros par infirmation du jugement déféré.
2- Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral
Compte tenu du caractère brutal et vexatoire du licenciement de Mme [V] et du préjudice moral ainsi subi par une salariée ayant une grande ancienneté, il sera allouée à Mme [A] [V] une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts par infirmation du jugement déféré.
3- Sur le complément d’indemnité de licenciement
Il découle de ce qui précède que, en considération de son ancienneté et de son salaire, Mme [A] [V] ne peut prétendre à un complément d’indemnité de licenciement.
Sur les autres demandes
1- Sur les intérêts
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
2- Sur la remise de documents
La cour ordonne à Mme [S] de remettre à Mme [A] [V] les documents de fin de contrat rectifiés: l’attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.
Il n’est pas nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.
Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, Mme [S] sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 3.000 euros.
Par conséquent, Mme [S] sera déboutée de sa demande d’indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale, et en dernier ressort,
Infirme partiellement le jugement et statuant à nouveau des chefs infirmés,
Juge sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [A] [V],
Condamne Mme [S] à payer à Mme [A] [V]:
-16.500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
Confirme le jugement sur le surplus de ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Ordonne à Mme [S] de remettre à Mme [A] [V] un bulletin de salaire, le certificat de travail et l’attestation Pôle emploi rectifiés conformes au présent arrêt,
Dit n’y avoir lieu de prononcer une astreinte,
Dit que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
Condamne Mme [S] aux dépens de la procédure d’appel,
Condamne Mme [S] à payer à Mme [A] [V] une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Mme [S] de sa demande d’indemnité de procédure en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT