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21 février 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
20/03142
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 21 FEVRIER 2023
N° RG 20/03142 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LVIO
S.A.R.L. AGRAF FRANCE
c/
S.A.R.L. VBP DISTRIBUTION
Nature de la décision : EXPERTISE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 juillet 2020 (R.G. 2019F00788) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 24 août 2020
APPELANTE :
S.A.R.L. AGRAF FRANCE, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 6]
représentée par Maître Mathieu GIBAUD de la SAS DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A.R.L. VBP DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 4]
représentée par Maître Marjorie SCHNELL de la SELARL MARJORIE SCHNELL AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 10 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
La société VBP Distribution est une société familiale qui exerce une activité de ‘d’intermédiaire dans le commerce d’autres produits spécifiques’.
La société Agraf ‘France, dont le gérant est M. [T], exerce une activité ‘d’intermédiaire du commerce en meubles, articles de ménage et quincaillerie’.
La société VBP Distribution a adressé le 28 janvier 2015 une proposition de contrat d’agence commerciale à la société Agraf’France afin que celle-ci devienne son agent commercial dans l’ouest de la France et la région parisienne pour la vente de produits de la marque Omer, essentiellement d’agrafage, de clouage et d’emballage. Cette proposition qui détaillait les conditions de perception de ses commissions par l’agent commercial a été acceptée par celui-ci le jour même. Cette proposition a été suivie de la rédaction d’un contrat signé par la société mandante le 27 février 2015 mais qui n’a pas été ratifié par la mandataire.
Les parties ont travaillé ensemble sur les bases de la proposition du 28 janvier 2015 à compter de cette date.
Des difficultés sont apparues entre les parties dans l’exécution du contrat d’agence commerciale dans le courant de l’année 2017.
Le 25 septembre 2017, la société Agraf’ France a ainsi adressé un courrier à son mandant pour dénoncer une modification unilatérale des conditions contractuelles portant sur les modalités de paiement de ses factures et pour réclamer des justificatifs des bases de calcul de ses commissions et la communication des tarifs de vente des produits. Le 6 octobre 2017, le mandant lui a répondu qu’il n’y avait eu aucune modification unilatérale des conditions contractuelles et que l’ensemble des documents nécessaires au calcul de ses commissions lui avait déjà été transmis. Elle ajoutait que certains produits avaient subi une hausse des prix par répercussion des prix pratiqués par son fournisseur, la société Omer, elle même confrontée à une hausse du coût des matières premières.
Par courrier recommandé daté du 23 octobre 2018, la société Agraf France a notifié à la société VBP Distribution la résiliation unilatérale du contrat d’agence commerciale aux torts exclusifs du mandant et sans préavis, invoquant une modification unilatérale du contrat constituée par une hausse imprévisible et injustifiée du prix des produits, son mandataire exigeant subitement qu’il réalise une marge de 30% par article contrairement aux dispositions contractuelles et à la pratique mise en place.Le mandataire faisait également état de refus ou report de livraison, du refus de lui fournir du matériel de démonstration et de l’absence de paiement de certaines commissions. La société Agraf’France a sollicité aux termes de son courrier le paiement d’une indemnité de rupture de 38 659,34 euros et une indemnité de préavis de 4832,41 euros.
Par courrier du 03 janvier 2019, la société VBP Distribution a contesté avoir commis la moindre faute dans l’exécution de son mandat. Elle a en revanche argué de multiples manquements de la société Agraf’France à ses propres obligations contractuelles, lui reprochant notamment d’avoir toujours refusé de lui communiquer ses offres de prix à ses clients. La société VBP Distribution a alors réclamé à son ancien mandataire le paiement de la somme de 34 947 euros au titre du préavis obligatoire non effectué et en réparation des préjudices économiques et d’image subis.
La société Agraf France a alors fait assigner la société VBP Distribution devant le tribunal de commerce de Bordeaux dans le cadre d’une assignation à bref délai délivrée le 16 juillet 2019 pour l’audience du 30 juillet 2019 aux fins de faire constater une résiliation du contrat aux torts exclusifs de la défenderesse et obtenir sa condamnation au paiement de l’indemnité de cessation du contrat, de l’indemnité compensatrice de préavis et des commissions dues et non payées.
Par jugement contradictoire du 09 juillet 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
– débouté la société Agraf’ France de ses demandes au titre de l’indemnité de cessation du contrat et du préavis,
– débouté la société Agraf France de ses demandes de communication sous astreinte et de sa demande de sursis à statuer,
– condamné la société VBP Distribution à payer à la société Agraf France la somme de 2 084,95 euros au titre des commissions non versées,
– débouté la société VBP Distribution de ses demandes au titre de l’indemnité de cessation du contrat et du préavis,
– condamné la société Agraf France à payer à la société VBP Distribution la somme de 205,90 euros HT au titre du cloueur Omer V80,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie conservera les dépens à sa charge.
En substance, le tribunal a jugé que la société Agraf France n’établissait pas l’existence d’une modification des conditions de son commissionnement, d’une augmentation brutale des prix, d’une modification des conditionnements ou d’un manquement du mandant à son obligation d’information de son mandataire ayant mis ce dernier dans l’incapacité d’exercer son mandat dans des conditions raisonnables.
Les juges de première instance ont rejeté la demande de communication de documents formée par la mandataire jugeant celle-ci inutile et a condamné le mandant à régler au mandataire les seules commissions non contestées.
Le tribunal a débouté la société VBP Distribution de ses demandes reconventionnelles, la preuve des préjudices allégués n’étant pas établie.
Par déclaration du 24 août 2020, la société Agraf France a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société VBP Distribution.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 10 mai 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Agraf France, demande à la cour de :
– vu les articles L. 134-4, L. 134-5, L. 134-11, L. 134-12, L. 134-13, R. 134-2 et R. 134-3 du code de commerce,
– réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 09 juillet 2020 et statuer de nouveau :
– d’une part,
– la dire et la juger recevable et bien fondée en son action,
– constater que le contrat d’agence commerciale a été résilié aux torts de la société VBP Distribution,
– en conséquence,
– condamner la société VBP Distribution à lui verser la somme de 37 199,54 euros, correspondant à deux ans de commissions, au titre de l’indemnité de cessation de contrat avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– condamner la société VBP Distribution à lui verser la somme de 4 649,94 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– d’autre part,
– avant dire droit sur les demandes de rappel de commissions dues à la société Agraf France,
– condamner la société VBP Distribution à :
– lui communiquer tous les éléments nécessaires à l’établissement de ses factures de commissions, en particulier un extrait des documents comptables, duplicatas de bons de commandes et de factures, avec une certification d’exhaustivité établie par son expert-comptable, pour le matériel vendu aux entreprises Matfa, Tucauderie, Soca, Rapidhome, Cevenhome, Louisiane, Comec et Leobert, ainsi que pour la vente d’une fermeuse de cartons Extend 103 TB + GTL-2-500 à la société La Tucauderie, sur la période du 28 janvier 2015 au 24 octobre 2018. Cette condamnation sera assortie d’une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce pendant deux mois passé lequel délai, il sera de nouveau fait droit, laissant au juge de l’exécution le soin de liquider l’éventuelle astreinte,
– lui communiquer un extrait des documents comptables certifiés conformes nécessaires à la vérification du montant des commissions qui lui ont été versées depuis 2015. Cette condamnation sera assortie d’une astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce pendant deux mois passé lequel délai, il sera de nouveau fait droit, laissant au juge de l’exécution le soin de liquider l’éventuelle astreinte,
– surseoir, dès lors, à statuer sur le montant du rappel de commissions que la société VBP Distribution sera condamnée à lui payer dont les droits et moyens seront réservés de ce chef,
– condamner la société VBP Distribution à :
– lui verser, à titre provisionnel une somme de 2 200 euros au titre ses commissions dues et non versées pour le matériel vendu pour un montant total de 21 619,90 euros aux entreprises Matfa, Tucauderie, Soca, Rapidhome, Cevenhome, Louisiane, Comec et Leobert sur la période du 28 janvier 2015 au 24 octobre 2018 et surseoir à statuer sur le calcul exact du préjudice,
– lui verser la commission due et non versée pour la vente d’une fermeuse de cartons Extend 103 TB + GTL-2-500 à la société La Tucauderie,
– lui verser 356,20 euros au titre de la régularisation des commissions versées en vertu des deux factures du client Matfa n°104505 et 105048,
– lui payer la facture de commission n°181089 du 30 novembre 2018 d’un montant de 1 115,30 euros ; ainsi que la facture relative aux frais de retour matériel de démonstration,
– enfin,
– constater que les manquements reprochés à la société Agraf France, par la société VBP Distribution, sont inexistants et que la société VBP Distribution ne détient aucune créance sur elle,
– rejeter, en conséquence, toute demande de compensation des créances formulée par la société VBP Distribution,
– débouter la société VBP Distribution de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions formulées à son encontre,
– en tout état de cause,
– condamner la société VBP Distribution à lui payer, la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers dépens de première instance.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 16 février 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, la société VBP Distribution, demande à la cour de :
– dire et juger la société Agraf France irrecevable et en tout cas mal fondée en son appel,
– la dire et la juger recevable et bien fondée en son appel incident,
– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 09 juillet 2020 en ce qu’il a :
– débouté la société Agraf France de ses demandes au titre de l’indemnité de cessation du contrat et du préavis,
– débouté la société Agraf France de ses demandes de communication sous astreinte et de sa demande de sursis à statuer,
– condamné la société VBP Distribution à payer à la société Agraf France 2 084,95 euros au titre des commissions non versées,
– condamné la société Agraf France à payer à la société VBP Distribution la somme de 205,90 euros HT au titre du cloueur Omer V80,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 09 juillet 2020 en ce qu’il a :
– débouté la société VBP Distribution de ses demandes au titre de l’indemnité de cessation du contrat et du préavis,
– débouté la société VBP Distribution de ses demandes au titre du préjudice moral et d’image,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– statuant à nouveau,
– juger la société Agraf France irrecevable et/ou mal fondée en ses demandes,
– constater la mauvaise foi procédurale de la société Agraf France,
– constater la mauvaise foi, la déloyauté et les manquements de la société Agraf France dans l’exécution du contrat d’agence commerciale,
– débouter la société Agraf France de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
– juger que la société Agraf France ne rapporte pas la preuve d’un comportement fautif grave de son mandant justifiant la rupture du contrat à ses torts,
– juger que la rupture du contrat d’agence commerciale est imputable à société Agraf France,
– la dire et la juger bien fondée et recevable en ses demandes,
– juger qu’elle se reconnait redevable du paiement de commissions à hauteur de 1 175,30 euros et 909,65 euros concernant le client Matfa à réception de la facture conforme correspondante,
– condamner la société Agraf France à réparer les préjudices économique, d’image et moral subis par elle de son fait en lui payant le somme de 20 000 euros,
– condamner la société Agraf France à lui verser la somme de 14 947,68 euros au titre du préavis obligatoire en matière de rupture commerciale du contrat d’agence commerciale et du préjudice subi par elle du fait de l’inexécution dudit préavis,
– opérer une compensation avec les commissions à devoir à la société Agraf France à hauteur de 2 084,95 euros (1 175,30 euros + 909,65 euros) et condamner ainsi la société Agraf France à lui payer la somme de 34 947,68 euros (20 000 euros + 14 947,68 euros) ‘ 2 084,95 euros soit une somme finale de 32 862,73 euros,
– condamner la société Agraf France à lui payer la somme de 205,90 euros HT au titre du cloueur Omer V80,
– à titre subsidiaire, concernant les demandes de communication de documents de la société Agraf France,
– désigner, aux frais avancés de la société Agraf France, un expert judiciaire spécialisé en gestion et comptabilité afin de vérifier sa marge brute en ce qui concerne les clients litigieux du secteur de la société Agraf France concernant la période de la relation contractuelle, soit jusqu’au 24 octobre 2018,
– condamner la société Agraf France à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance, et de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
– condamner la société Agraf France à payer les entiers dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 décembre 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 10 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS
1- L’article L 134-12 du code de commerce dispose qu’en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L’article L 134-13 du code de commerce, dispose que la réparation prévue à l’article L. 134-12 n’est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l’initiative de l’agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
3° Selon un accord avec le mandant, l’agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu’il détient en vertu du contrat d’agence.
2- Le mandant soutient en l’espèce que si la cessation résulte bien de son fait, celle-ci est justifiée par des circonstances imputables au mandant par suite desquelles la poursuite de son activité ne pouvait plus être raisonnablement exigée. Il lui appartient dès lors d’établir la réalité des circonstances imputables au mandant l’ayant empêché de poursuivre son activité.
Le mandant fait état de deux circonstances imputables au mandant qu’il conviendra d’étudier successivement.
Sur la modification brutale des conditions de commissionnement et l’augmentation des prix de vente des produits :
3- La société Agraf’ France soutient qu’il avait été contractuellement convenu entre les parties que la mandataire devait réaliser une marge moyenne brute mensuelle de 30% et que sa mandataire lui a unilatéralement imposé de réaliser une marge brute minimale de 30% par ligne d’article. Elle a dû ainsi augmenter le prix de certains des articles vendus avec une marge moindre habituellement, ce qui a mécontenté la clientèle et ne lui a pas permis de poursuivre son activité. Elle soutient que la mandante n’a pas voulu honorer certaines commandes comprenant une marge insuffisante.
Elle ajoute qu’elle n’avait aucune obligation d’appliquer l’augmentation annuelle des prix pratiquée par le fabricant OMER puisque sa seule obligation était de réaliser une marge moyenne mensuelle d’au moins 30%.
4- La société VBP Distribution soutient que le tribunal de commerce a, à bon droit, considéré que les conditions du commissionnement n’avaient pas été modifiées. Elle ajoute qu’elle n’a jamais annulé aucune commande. Elle fait valoir qu’elle a simplement demandé à son mandataire de répercuter sur le client final la hausse des tarifs des produits de la société Omer. Elle lui a ainsi adressé un courrier le 18 janvier 2018 puis le 29 août 2018 lui rappelant la nécessité d’actualiser ses prix.
Elle fait valoir enfin que le contrat prévoyait une marge moyenne mensuelle de 30% pour éviter que le mandataire ne perçoive aucune commission sur certaines ventes.
5- La proposition acceptée le 28 janvier 2015 prévoit pour la division clouage, agraphage OMER concernée par ce litige une commission qui varie en fonction de la marge moyenne mensuelle réalisée par le mandant selon le tableau suivant :
Marge
de 30 à 35%
de36 à 40%
de 41
à 44%
de45 à 50%
de 51 à 60%
plus de 61 %
taux de commissions à appliquer sur le CA HT facturé hors transport facturé
5%
10%
15%
18%
20%
25%
Il ressort des échanges entre les parties qu’un désaccord est intervenu entre elles sur l’interprétation de ces dispositions, le mandataire considérant qu’il était totalement libre dans la fixation du prix des produits et le choix de la marge à appliquer, sa seule obligation étant de réaliser une marge moyenne brute de 30%, alors que le mandant entendait lui imposer d’appliquer à tous ses clients les prix actualisés chaque année avec pour chaque produit une marge brute minimale de 30%.
Si la proposition de contrat d’agence commerciale ne fait état que d’une marge brute moyenne mensuelle, et pas d’une marge brute minimale par produit, devant être atteinte par l’agent commercial pour percevoir une commission, il ne peut être reproché au mandant d’avoir souhaité pratiquer une politique commerciale plus cohérente avec un écart moindre des prix entre les différents clients pour des produits identiques. Si la société mandante reconnaît dans ses différents courriers avoir à titre exceptionnel accepté la vente de produits moins margés, elle indique qu’il ne s’agissait que d’une tolérance dans le but d’obtenir de plus grosses commandes par la suite, par ailleurs jamais réalisées.(pièce 13.2).
Dès lors, il sera jugé que le fait d’avoir imposé à son mandataire de réaliser une marge brute minimale sur chaque produit, sans pour autant lui imposer un prix fixe de vente, n’est pas fautif, et ce d’autant plus que la marge brute minimale imposée de 30% apparaît raisonnable compte tenu de la marge brute moyenne imposée à l’agent. Il sera ajouté qu’il n’est pas démontré que la mandante a pour autant refusé de livrer certains clients.
Il ressort en réalité des échanges intervenus qu’il a été à maintes reprises demandé à la mandataire d’actualiser ses prix compte tenu de la grille tarifaire du fabricant des produits Omer, ce qu’elle a refusé de faire, parfois sur trois années consécutives pour certains clients, ce qui a fini par aboutir en 2018 à une hausse des prix importante, et ce d’autant plus que le fabricant Omer avait lui-même augmenté ses prix du fait de la hausse du coût des matières premières ce dont l’agent commercial a dûment été informé en début d’année. Il ne peut dès lors être imputé au mandant une hausse brutale et imprévisible des prix.
Enfin, si la société Agraf’ France justifie du mécontentement de trois clients, elle ne démontre pas la perte desdits marchés et que son activité ne pouvait pas être poursuivie dans des conditions raisonnables, comme les autres agents commerciaux confrontés à la hausse des prix des produits du fait de l’augmentation du coût de certaines matières premières.
Sur le non respect par le mandant de son obligation d’information de son mandataire :
6- La société Agraf’ France reproche à son mandant de ne pas lui avoir communiqué le tarif de vente public des produits et de ne pas avoir justifié des remises qu’elle obtenait elle-même lors de l’acquisition des produits. Elle explique avoir été ainsi placée dans l’incapacité de calculer son taux de marge. Elle reconnait avoir reçu les tarifs à l’export de la société Omer mais soutient que ceux-ci ne sont pas applicables.
7- La société VBP Distribution soutient qu’elle a transmis tous les documents utiles à sa mandataire qui n’a émis aucune contestation pendant deux ans.
8- Les juges de première instance ont à bon droit jugé que le mandataire établissait par trois courriers versés aux débats en date du 14 janvier 2016, du 28 avril 2017 et du 14 mai 2018 de la transmission au mandataire des prix d’achats publics du matériel Omer comprenant les remises quantitatives. Ces tarifs sont effectivement des tarifs à l’export, la société Omer étant une société italienne.
Par ailleurs, le contrat conclu entre les parties n’imposait pas au mandant de communiquer à son mandataire les éventuelles remises que lui consentait le fabriquant afin de les répercuter sur le calcul de la marge de son mandataire. La société Agraf’France a d’ailleurs adressé ses factures de commissions en 2015 et 2016 sans soulever de difficulté de ce chef.
La société Agraf’France n’établit pas ainsi qu’elle était dans l’incapacité de calculer son taux de commissionnement.
Les juges de première instance ont pu ainsi à juste titre décidé que la société Agraf’ France n’était pas, au moment de la rupture, dans l’incapacité d’exercer son mandat dans des conditions raisonnables. De ce fait, la résiliation du contrat lui étant imputable, le tribunal de commerce a débouté la société Agraf’France justement de ses demandes indemnitaires.
Sur les commissions restant dues :
9- La société Agraf’France demande à la cour, sur le fondement de l’article R 134-3 du code de commerce, de faire injonction à son ancien mandant, sous astreinte, de lui communiquer tous les éléments nécessaires à l’établissement de ses factures de commissions en particulier un extrait des documents comptables, duplicatas de bons de commandes et de factures, avec une certification d’exhaustivité établie par son expert-comptable, pour le matériel vendu aux entreprises Matfa, Tucauderie, Soca, Rapidhome, Cevenhome, Louisiane, Comec et Leobert, ainsi que pour la vente d’une fermeuse de cartons Extend 103 TB + GTL-2-500 à la société La Tucauderie sur la période du 28 janvier 2015 au 24 octobre 2018.
Elle sollicite le versement de diverses provisions.
10- La société VBP Distribution soutient qu’elle a communiqué tous les documents utiles. Elle reconnait devoir les sommes de 1115,32 euros et 909,65 euros concernant le client Matra et conteste devoir des commissions au titre des autres clients cités par son contradicteur s’agissant selon elle de commissions non dues car portant sur des commandes passées après la rupture du contrat d’agence commerciale ou alors de commissions déjà versées. A titre subsidiaire, elle sollicite la désignation, aux frais avancés de la société Agraf France, d’un expert judiciaire spécialisé en gestion et comptabilité afin de vérifier sa marge brute en ce qui concerne les clients litigieux du secteur de la société Agraf France concernant la période de la relation contractuelle, soit jusqu’au 24 octobre 2018.
11- Aux termes de l’article R 134-3 du code de commerce, le mandant remet à l’agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises. Ce relevé mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé.
L’agent commercial a le droit d’exiger de son mandant qu’il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.
12- Il ressort des pièces produites aux débats que le mandant n’a jamais communiqué à son mandataire l’extrait des documents comptables prévu par l’article susvisé. Il conviendra de faire droit à sa demande. Il sera également fait droit à sa demande de communication des bons de commande et de factures pour les clients susvisés. Il n’y a pas lieu de prononcer une astreinte. La société Agraf’France sera déboutée de ce chef de demande.
Il n’y a pas lieu de prévoir la communication d’autres documents.
13- Aux termes de l’article L 134-7 du code de commerce, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d’agence, l’agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l’opération est principalement due à son activité au cours du contrat d’agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l’article L. 134-6, l’ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l’agent commercial avant la cessation du contrat d’agence.
14- Il ressort du tableau produit en pièce 22 a par le mandant que celui-ci refuse le principe du droit à commission de son mandataire sur un certain nombre de commandes aux motifs que celles-ci portent sur des livraisons effectuées en novembre 2018, soit après la rupture du contrat, les factures ayant été établies sur une période allant du 30 octobre 2018 au 13 novembre 2018.
Or, sur le fondement de l’article susvisé, les commissions sont dues lorsque l’ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l’agent commercial avant la cessation du contrat d’agence mais également lorsque l’opération est principalement due à son activité au cours du contrat d’agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat.
Dès lors, si l’agent établit que l’ordre a été reçu avant la cessation du contrat ou que l’ordre a été reçu après cette date mais dans un délai raisonnable, que la cour fixera à deux mois, et provient de son activité pendant le contrat d’agence, la commission est bien due.
Il conviendra néanmoins de recourir à une expertise pour calculer le montant des commissions éventuellement dues sur la base de la proposition de contrat d’agence commerciale, de la pièce 24 de la société Agraf’France et de la pièce 22 a de la société VBP Distribution, aucune des deux parties ne communiquant le calcul effectué par elle et qui conduit à des montants dus extrêmement différents ( exemple pour les commandes Cevenhome, le mandataire chiffre ses commissions à 435,34 et à 300,88 euros et le mandant à 43,53 euros et 30,09 euros).
La société Agraf’France devra consigner la somme de 3000 euros à valoir sur la rémunération de l’expert.
15- Compte tenu des pièces versées aux débats, il sera alloué une provision de 2866,05 euros à la société Agraf’France à valoir sur ses commissions.
16- Il sera prononcé un sursis à statuer sur les sommes dues au titre des commissions.
La décision de première instance sera ainsi infirmée de ce chef.
Sur les demandes reconventionnelles du mandataire :
17- La société VBP Distribution reproche à son ancienne mandante de ne pas avoir effectué un préavis de trois mois et sollicite de ce chef la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 14 947,68 euros correspondant à la perte d’ un trimestre de marge.
Elle sollicite également la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice économique, moral et d’image compte tenu notamment du dénigrement dont elle aurait été l’objet de la part de son ancien mandataire.
Elle demande enfin à la cour de confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné la société Agraf’France à lui verser la somme de 205,90 euros au titre du cloueur non restitué.
18- La société Agraf’France conclut au rejet de la demande de paiement d’une indemnité de préavis au profit du mandant. Elle conteste avoir dénigré son ancien employeur.
19- La cour relève que la mandante n’a pas demandé à la mandataire d’effectuer un préavis. Elle ne justifie pas par ailleurs de la perte de marge brute alléguée sur le trimestre ayant suivi le départ de son agent, la rupture de ce contrat lui permettant de conclure un autre contrat d’agence commerciale ou de vendre en direct sur ce territoire.
La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a rejeté cette demande.
La société VBP Distribution ne justifie pas du préjudice moral et d’image qu’elle allègue par les pièces qu’elle produit. Les actes de dénigrement ne sont notamment pas établis.
La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a condamné la société Agraf’France à lui verser la somme de 205,90 euros au titre du cloueur non restitué, la société Agraf’France ne faisant valoir aucun moyen de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
20- Il sera prononcé un sursis à statuer sur la demande relative aux frais de procédure.
Les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et par décision mixte,
Confirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 9 juillet 2020 sauf en ce qui concerne la demande de la société Agraf’France relative au paiement de ses commissions ( demande de sursis à statuer, demande de communication de pièces, demande de provisions sur les commissions à chiffrer ),
et statuant à nouveau
Ordonne à la société VBP Distribution de communiquer à la société Agraf’France un extrait des documents comptables certifiés conforme par l’expert comptable, les duplicatas de bons de commandes et des factures, avec une certification d’exhaustivité établie par l’expert-comptable, pour le matériel vendu aux entreprises Matfa, Tucauderie, Soca, Rapidhome, Cevenhome, Louisiane, Comec et Leobert, ainsi que pour la vente d’une fermeuse de cartons Extend 103 TB + GTL-2-500 à la société La Tucauderie sur la période du 28 janvier 2015 au 24 octobre 2018,
Déboute la société Agraf’France de sa demande visant à voir prononcer une astreinte,
et avant dire droit
Ordonne la réouverture des débats,
Ordonne une expertise judiciaire,
Commet pour y procéder
Monsieur [R] [P]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Tél : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02]
Mèl : [Courriel 7]
avec pour mission de :
après s’être fait remettre par les parties toutes pièces utiles,
– de donner à la cour tout élément susceptible de lui permettre de déterminer si les commissions revendiquées par la société Agraf’France au titre de ses dernières conclusions et de sa pièce 24 correspondent à des commandes passées avant la cessation de son contrat d’agence commerciale ou dans les deux mois suivant cette cessation mais par suite de son activité avant cette cessation,
– en toute hypothèse, proposer pour chacune des commissions revendiquées un mode de calcul et un montant conforme aux stipulations contractuelles,
Dit que pour procéder à sa mission l’expert devra :
– convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise;
– à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations; l’actualiser ensuite dans le meilleur délai :
. en faisant définir un enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations;
. en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent;
. en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse;
– au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport (par ex. : réunion de synthèse; communication d’un projet de rapport), et y arrêter le calendrier de la phase conclusive de ses opérations :
. fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse,
. rappelant aux parties, au visa de l’article 276 alinéa 2 du CPC, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au delà de ce délai.
Dit que la société Agraf’France fera l’avance des frais d’expertise et devra consigner auprès du régisseur de cette cour, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente ordonnance, à peine de caducité, la somme de 3000 € à titre provisionnel, à valoir sur les frais et honoraires de l’expert, sauf dans l’hypothèse où une demande d’aide juridictionnelle antérieurement déposée serait accueillie, auquel cas les frais seront avancés directement par le trésorier payeur général ;
Dit que l’appelant avisera l’expert commis de ladite consignation et communiquera ses pièces numérotées sous bordereaux datés : ces conditions étant remplies, l’expert organisera la première réunion ;
Dit que, sauf accord contraire des parties, l’expert commis devra adresser aux parties un pré-rapport de ses observations et constatations afin de leur permettre de lui adresser un Dire récapitulant leurs arguments sous un délai d’un mois ;
Dit qu’à l’issue du délai ci-dessus mentionné, et au plus tard six mois après avoir reçu l’avis de consignation ou dès notification de la décision d’aide juridictionnelle, sauf prorogation dûment autorisée, l’expert devra déposer au service des expertises le rapport de ses opérations qui comprendra toutes les annexes intégralement reproduites, rapport accompagné de sa demande de rémunération dont il adressera un exemplaire aux parties et rappelons qu’il appartiendra aux parties, le cas échéant, d’adresser au magistrat chargé du contrôle des expertises ainsi qu’à l’expert leurs observations écrites sur cette demande de rémunération dans un délai de 15 jours à compter de sa réception ;
Dit qu’au cas où les parties viendraient à se concilier, l’expert devra constater que sa mission est devenue sans objet et faire rapport au magistrat chargé du contrôle de l’expertise ;
Dit qu’en cas d’empêchement de l’expert commis il sera procédé à son remplacement par ordonnance du magistrat chargé de la surveillance des expertises ;
Dit le magistrat chargé du contrôle des expertises et à défaut tout autre juge du siège de cette cour pour surveiller l’exécution de la mesure ;
Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 23 mai 2023 afin qu’il soit vérifié que la consignation a bien été effectuée,
Condamne la société VBP Distribution à verser à la société Agraf’France la somme de 2866,05 euros à titre de provision à valoir sur ses commissions,
Prononce un sursis à statuer sur la demande de paiement des commissions et sur les demandes formées au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Réserve les dépens;
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.