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3 mars 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
22/01328
MINUTE N° 106/2023
Copie exécutoire à
– Me Nadine HEICHELBECH
– Me Noémie BRUNNER
– La SCP CAHN G./CAHN T./
BORGHI
– Me Céline RICHARD
Le 3 mars 2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 03 Mars 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01328 – N° Portalis DBVW-V-B7G-HZY7
Décision déférée à la cour : 09 Mars 2022 par le juge de la mise en état de COLMAR
APPELANTE :
La S.A. M.C.V. CGPA Société d’Assurance Mutuelle à Cotisations Variables régie par le Code des Assurances, représentée par son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour.
avocat plaidant : Me LOUPPE, avocat à Paris.
INTIMÉE sur appels principal et provoqué :
Madame [Y] [X]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.
INTIMÉES et appelantes sur appel provoqué :
La S.A. CNA INSURANCE COMPANY EUROPE représentée par son représentant légal audit siège, venant aux droits de la Société de droit anglais CNA INSURANCE COMPANY LIMITED
ayant son siège social [Adresse 3]
représentée par la SCP CAHN G./CAHN T./BORGHI, avocats à la cour.
avocat plaidant : Me GERVAIS, avocat à Paris.
La S.A.R.L. ECO-INVEST, représentée par par son représentant légal,
ayant son siège social [Adresse 4]
représentée par Me Céline RICHARD avocat à la cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 18 Novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre
Madame Myriam DENORT, Conseiller
Madame Nathalie HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN
ARRÊT contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Aristophil, créée en février 2003, ayant pour activité l’achat et la revente d’oeuvres d’art, lettres autographes, manuscrits et livres anciens de valeur, auprès d’une clientèle de particuliers, a proposé à un réseau de courtiers en assurance et de conseillers en gestion de patrimoine de commercialiser des placements financiers dénommés ‘Aristophil’, présentés comme un outil de diversification patrimoniale innovant, consistant à acquérir en pleine propriété ou en indivision des collections de lettres et manuscrits anciens appartenant à la société Aristophil.
Une convention de garde et de conservation était conclue par l’acquéreur avec la société Aristophil aux termes de laquelle cette dernière assurait la garde et la conservation des collections, cette convention contenant une promesse de vente par l’acquéreur à la société Aristophil des éléments de la collection ainsi acquis, à l’issue d’un délai de 5 ans de garde et conservation, moyennant un prix déterminé par expertise et au minimum supérieur de 8% environ par année de garde au prix d’acquisition. Elle prévoyait en outre que le propriétaire pourrait chaque année, ou au terme de la conservation, mettre fin au contrat et alors, soit conserver la collection, soit la vendre, soit appliquer la promesse de vente.
Pour organiser la commercialisation de ces oeuvres d’art, lettres autographes, manuscrits, livres et livres anciens de valeur en tant que produits de placement, la SAS Aristophil a mandaté la société Art courtage, qui a fait appel à un réseau d’agents commerciaux et de courtiers qui étaient chargés de les proposer et de les vendre à leurs clients au nom et pour le compte de la société Aristophil, parmi lesquels les sociétés Script’Invest et Lotus développement qui ont créé leurs propres réseaux de sous-mandataires. Cette dernière ayant été placée en liquidation judiciaire, le 31 octobre 2011, ses activités ont été reprises par la société Stratégie patrimoine.
Les sociétés Art courtage et Script’Invest avaient souscrit auprès de la société CNA Insurance company limited (devenue CNA Insurance Company Europe) un contrat d’assurance pour compte afin de garantir leur responsabilité et celle des intermédiaires mandatés par elles pouvant être encourue à l’occasion de la commercialisation des produits Aristophil. La société Lotus développement en a fait de même pour elle-même.
La SAS Aristophil a été placée en redressement judiciaire, selon jugement d’ouverture du 16 février 2015, puis en liquidation judiciaire le 5 août 2015. Parallèlement, une information judiciaire a été ouverte sur ses activités.
Mme [Y] [X], qui exposait avoir été démarchée par la société Lotus développement pour lui proposer des placements en produits Aristophil, et avoir été mise en relation par cette société avec la société Eco-Invest par l’intermédiaire de laquelle elle avait acquis, les 28 février et 25 mars 2011, des parts indivises de deux collections respectivement intitulées ‘Jean Cocteau, un destin, une légende’ et ‘ Les manuscrits secrets du Général de Gaulle à Londres – 1940-1942 -‘, pour un prix total de 27 000 euros, et avoir perdu son investissement, a assigné, par exploits des 11 et 14 février 2020, la société Eco-Invest et son assureur Multirisque professionnel la société CGPA, ainsi que la SA CNA insurance company Europe, venant aux droits de la société de droits anglais CNA insurance company limited, devant le tribunal judiciaire de Colmar aux fins d’obtenir indemnisation de son préjudice.
Par conclusions du 6 juillet 2020, la société CNA insurance company Europe a saisi le juge de la mise en état d’une demande tendant à l’irrecevabilité de l’action dirigée contre elle pour défaut de qualité à défendre en qualité d’assureur respectivement de la société Lotus développement, du fait de la résiliation de la police, et de la société Eco-Invest, dont le statut de mandataire de la première n’était pas établi, subsidiairement pour cause de prescription.
Par ordonnance du 9 mars 2022, le juge de la mise en état a :
– déclaré irrecevables l’ensemble des demandes dirigées par Mme [X] à l’encontre de la société CNA insurance company Europe, faute de qualité à défendre dans le cadre de la présente instance,
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la société Eco-Invest et la société CGPA à l’action en justice exercée à leur encontre par Mme [X],
– déclaré en conséquence une telle action recevable,
– débouté Mme [X] de sa prétention indemnitaire formée contre la société CNA insurance company Europe au titre des frais irrépétibles,
– condamné Mme [X] à payer à cette société la somme de 750 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum la société Eco-Invest et la société CGPA à payer à Mme [X] la somme de 750 euros sur ce fondement,
– réservé les dépens.
Sur la qualité à défendre de la société CNA insurance company Europe, le juge de la mise en état, après avoir rappelé, les différentes polices souscrites auprès de cette société a retenu que :
– la société Aristophil avait conclu le 15 juin 2011 avec la société Art Courtage un contrat d’agent commercial lui confiant à titre exclusif le mandat de la représenter, le cas échéant par le recrutement de mandataires, la société Art courtage indiquant d’ores et déjà vouloir se substituer pour une partie de ses missions la société Script’invest,
– la société Script’invest bénéficiait auprès de la société CNA insurance company Europe d’une police responsabilité civile professionnelle n° FN 1549 du 1er juillet 2007 au 30 juin 2008, et du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 couvrant les agents commerciaux et courtiers en art ayant reçu mandat exprès de la société Script’invest pour le placement des produits Aristophil,
– la société Lotus développement avait elle-même souscrit une police n° FN1672 auprès de la société CNA insurance company Europe à compter du 1er mars 2009 pour un an renouvelable, reprise à compter du 1er septembre 2011 par la société Stratégie patrimoine, police résiliée à compter du 31 décembre 2014,
– la société Art courtage avait souscrit auprès de la société CNA insurance company Europe une police responsabilité civile professionnelle n° FN 1925 couvrant les agents commerciaux ayant reçu mandat exprès d’Art courtage du 1er novembre 2008 au 31 décembre 2009 avec renouvellement annuel et du 1er mars au 31 mars 2012, ainsi qu’une police n° FN5989 couvrant ses mandataires directs ou indirects répondant à certains critères d’exigibilité, à l’exclusion des mandataires directs liés à Art courtage et Script’invest déjà couverts par des polices séparées.
Le juge de la mise en état a constaté que Mme [X] fondait son action sur les polices souscrites par les sociétés Art courtage et Script’invest qui garantissaient ces sociétés mais aussi tout agent commercial, et le cas échéant, tout courtier, ayant reçu mandat exprès de ces souscripteurs, mais que la preuve n’était pas rapportée que la société Eco-Invest par l’entremise de laquelle Mme [X] avait conclu les contrats litigieux bénéficiait d’un sous-mandat de ces sociétés, outre le fait que la police n° FN5989 avait été souscrite le 1er mars 2012, postérieurement aux contrats en cause et que la société Eco-Invest n’apparaissait pas dans le tableau des assurés.
S’agissant de la police souscrite par la société Lotus développement, reprise par la société Stratégie patrimoine, seul le souscripteur avait la qualité d’assuré, or il n’était pas démontré que cette société soit effectivement intervenue lors de la souscription des contrats en cause, le juge de la mise en état ayant notamment relevé que l’opération ‘prestige’ portant sur les manuscrits du Général de Gaulle avait été proposée aux époux [X] par le gérant de la société Eco-Invest le 18 mars 2011.
Le juge de la mise en état a donc déduit du tout qu’aucune des polices souscrites auprès de la société CNA insurance company Europe n’était susceptible d’être mobilisée, de sorte que cette dernière n’avait pas qualité à défendre.
Sur la prescription, le juge de la mise en état a considéré qu’il ressortait de l’argumentaire de vente qui était remis aux mandataires, du rapport de synthèse de la DGCCRF et des documents contractuels remis sur lesquels la case ‘5 ans’ était cochée en face de la mention de la durée de l’engagement, que l’attractivité du produit résidait dans la perspective d’un rachat assorti d’une plus-value substantielle à l’issue de ce délai ; qu’au regard de la complexité du montage juridique réalisé comme comportant plusieurs actes distincts, la clause de promesse de vente insérée dans le contrat de garde n’était manifestement pas explicite pour un profane en l’absence de mise en garde expresse ; que Mme [X] ne pouvait raisonnablement suspecter, au jour de la conclusion des contrats, que la valeur de oeuvres avait été surestimée. Il en a déduit que le manquement de la société Eco-Invest à son devoir de conseil ne pouvait apparaître à Mme [X] au moment de son engagement mais seulement par la révélation de la perte sur ses investissements consécutive à la déconfiture de la société Aristophil.
Il a par ailleurs considéré que ni les articles parus dans la presse, ni la lettre adressée aux investisseurs le 4 décembre 2014 par la société Aristophil dont il n’était pas démontré que Mme [X] l’avait reçue, ni les messages publiés sur la page ‘Facebook’ de la société ne pouvaient être retenus comme ayant permis à Mme [X] de connaître son dommage, le point de départ du délai de prescription devant dans ces conditions être fixé au 27 février 2015, date de la réception du courrier du mandataire judiciaire informant Mme [X] de la nécessité de déclarer sa créance.
La société CGPA a interjeté appel de cette ordonnance selon déclaration d’appel du 31 mars 2022, en ce qu’elle a jugé l’action de Mme [X] à l’encontre de la société CNA irrecevable pour défaut de qualité à défendre, et en ce qu’elle a jugé l’action de Mme [X] à l’encontre des sociétés Eco-Invest et CGPA recevable car non prescrite, ainsi qu’en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile la concernant.
Par ordonnance du 2 mai 2022, la présidente de la chambre a fixé d’office l’affaire à l’audience de plaidoiries du 18 novembre 2022, en application de l’article 905 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 10 novembre 2022, la société d’assurances mutuelles à cotisations variables CGPA demande à la cour d’infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar en ce qu’elle a :
– déclaré irrecevables l’ensemble des demandes dirigées par Madame [Y] [X] à l’encontre de la société CNA insurance company Europe faute de qualité à défendre dans le cadre de la présente instance ;
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription qui avait été opposée par la société Eco-Invest et la société CGPA ;
– déclaré en conséquence l’action recevable;
– débouté la société CGPA de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum la SARL Eco-Invest et la société CGPA à verser à Mme [Y] [X] la somme de 750 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
et statuant à nouveau de :
– juger que l’action de Mme [X] est irrecevable car prescrite ;
– juger que CNA à qualité à défendre ;
– débouter CNA de sa demande tendant à voir jugées irrecevables les demandes formulées à son encontre pour défaut de qualité à défendre ;
– débouter Mme [X] et toutes parties de toutes demandes, fins et conclusions tournées à l’encontre de CGPA ;
– condamner Mme [X] aux dépens et au paiement d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle invoque les dispositions de l’article 2224 du code civil et soutient que Mme [X] avait connaissance dès la souscription des investissements litigieux, en tous cas au plus tard dès l’automne 2014, des faits sur lesquels elle fonde aujourd’hui son action à l’encontre de la société CGPA.
Elle se prévaut de la jurisprudence selon laquelle lorsque la responsabilité d’un professionnel est fondée sur un prétendu défaut d’information, de conseil ou de mise en garde, le dommage se manifeste au jour de la conclusion du contrat qui est à l’origine de l’action en responsabilité, cette jurisprudence étant applicable en matière d’investissements immobiliers.
L’appelante fait valoir, s’agissant du premier grief formulé par Mme [X] à l’encontre de la société Eco-Invest tiré d’une prétendue surévaluation de la valeur des oeuvres lors de la souscription des investissements litigieux et de l’absence de fourniture d’informations relatives aux méthodes d’évaluation et à la composition des collections acquises, qu’il suffit de lire les documents remis à l’investisseur pour constater qu’il est indiqué que les oeuvres d’art vendues par la société Aristophil avaient été évaluées par des experts indépendants inscrits près de différentes cours d’appel et que, de surcroît, la valeur expertisée était confirmée par les Lloyd’s eux-mêmes, assureur de renom, lesquels garantissaient le prix d’acquisition, ce qui était de nature à témoigner du sérieux et de la fiabilité des évaluations réalisées que la société Eco-Invest n’avait aucune raison de remettre en cause. Elle en déduit que Mme [X], qui aux termes du contrat bénéficiait d’un délai de réflexion, pouvait se rendre compte de la prétendue insuffisance des informations fournies. Au surplus, la surévaluation alléguée n’est pas démontrée.
L’appelante fait ensuite valoir que s’agissant du second grief formulé par Mme [X] à l’égard de la société Eco-Invest consistant à ne pas l’avoir informée de . l’absence de garantie de rachat à terme par la société Aristophil, que le contrat de garde et de conservation signé par Mme [X] prévoit expressément une simple faculté de rachat, les termes employés étant clairs et non sujets à interprétation. Au surplus, M. [Z], gérant de la société Eco-Invest, qui a été entendu par les enquêteurs, a précisé avoir expliqué aux investisseurs que la société Aristophil n’avait pas contractuellement l’obligation de racheter les collections. Elle en déduit que Mme [X] pouvait donc avoir connaissance du défaut qu’elle invoque dès la conclusion des contrats litigieux en 2011, d’autant plus qu’elle avait disposé d’un délai de réflexion de quinze jours, de sorte que sa demande est prescrite.
Elle soutient qu’en tous cas, le point de départ du délai de prescription devrait être fixé au plus tard au 4 décembre 2014, ou subsidiairement au 9 décembre 2014, ou très subsidiairement au 29 janvier 2015, invoquant notamment à cet égard les articles parus dans la presse dès octobre 2014, ainsi que les messages des 3 et 9 décembre 2014 sur la page ‘Facebook’ de la société Aristophil et la lettre circulaire du 4 décembre 2014 adressée à tous les investisseurs, dont il résulte que Mme [X] aurait dû connaître dès la fin de l’année 2014 les difficultés rencontrées par la société Aristophil et l’existence d’un risque de non-levée de l’option d’achat.
Enfin, la plainte avec constitution de partie civile déposée le 4 mai 2016 par Mme [X] n’a pas eu d’effet interruptif de la procédure civile, d’autant qu’elle n’est pas dirigée contre la société Eco-Invest.
S’agissant de la qualité à défendre de la société CNA insurance company Europe, la société CGPA soutient que les sociétés Lotus développement et Stratégie patrimoine étaient nécessairement les mandataires des sociétés Art courtage et Script’invest, elles-mêmes mandataires exclusifs de la société Aristophil, et que la société Eco-Invest était mandataire de Lotus développement et donc de la société Art Courtage, les documents contractuels mentionnant en effet que la société Eco-Invest avait la qualité de mandataire autorisé de la société Aristophil qui a encaissé le prix de vente et émis, à réception des fonds, les certificats d’indivisaire et factures correspondant au montant des investissements.
Elle considère que si la société Eco-Invest a agi en qualité de mandataire de la société Aristophil, c’est qu’elle est nécessairement et de fait mandataire même indirect de la société Art courtage, celle-ci ayant reçu mandat exclusif de distribuer les produits Aristophil, qu’elle bénéficie donc de la garantie de la société CNA insurance company Europe, soulignant que la société Eco-Invest ayant effectué une déclaration de sinistre auprès de cet assureur, il lui a seulement été opposé le plafond de garantie.
La société CGPA considère donc que c’est de mauvaise foi que la société CNA insurance company Europe soutient pour la première fois à hauteur d’appel ne pas avoir reçu le courriel en question qui aurait été adressé à une adresse inexistante, de sorte que la société Eco-Invest bénéficie donc bien de la police n° FN1672 comme elle l’indique.
*
Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 12 septembre 2022, la société Eco-Invest demande à la cour d’infirmer le jugement des mêmes chefs que ceux visés par la société CGPA, et statuant à nouveau de :
– juger que Mme [X] aurait dû avoir connaissance des faits qui fondent son action depuis la signature des contrats litigieux ;
– juger l’action de Mme [X] irrecevable car prescrite ;
– juger que la société CNA a qualité à défendre ;
– débouter la société CNA de sa demande tendant à voir juger irrecevable les demandes formulées à son encontre pour défaut de qualité à défendre ;
Subsidiairement,
– juger que Mme [X] aurait dû avoir connaissance de ce que la société Aristophil ne lèverait pas l’option d’achat qui lui avait été concédée dès l’automne 2014 avec la révélation par la presse de l’enquête pénale diligentée à l’endroit de la société Aristophil et du courrier adressé par cette dernière à l’ensemble des investisseurs, dont elle-même, le 4 décembre 2014 ;
– juger l’action de Mme [X] irrecevable car prescrite.
En tout état de cause,
– débouter Mme [X] et toute partie de toutes demandes, fins, moyens et conclusions dirigés à l’encontre de la société Eco-Invest ;
– condamner Mme [X] à payer à la société Eco-Invest la somme de 1 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société Eco-Invest fait siennes les conclusions de la société CGPA tant en ce qui concerne la prescription de l’action de Mme [X], que la qualité à défendre de la société CNA insurance company Europe
Elle ajoute à cette argumentation qu’à la lumière des documents souscrits, Mme [X] ne pouvait imaginer un rendement garanti de 8% par an et qu’elle a complété une fiche client mentionnant l’existence d’un risque afférent à l’investissement par laquelle elle certifiait avoir reçu de son conseiller les informations nécessaires à la compréhension du contrat, ce qui démontre qu’elle avait connaissance de l’aléa au jour de la conclusion des contrats et, a fortiori, du risque d’absence de rachat des parts par la société Aristophil. Elle conteste avoir indiqué à Mme [X] que la société Aristophil assurait un rachat systématique des parts à terme, et que ce seul constat ne pouvait présager des suites qui seraient effectivement données.
S’agissant de la prétendue surévaluation des ‘uvres, elle considère qu’elle est sans lien avec la responsabilité susceptible de peser sur elle, puisqu’elle n’était pas en mesure d’en apprécier la valeur réelle, qui avait été estimée par des experts judiciaires indépendants, outre le fait que de nombreux spécialistes vantaient le sérieux, les mérites et l’intérêt des investissements en produit Aristophil. Cette surévaluation n’est au surplus pas démontrée puisque, notamment un manuscrit autographe de Jean Cocteau a été vendu à un prix excédant largement l’estimation initiale.
Enfin, elle soutient que sa qualité de mandataire de la société Lotus développement n’est pas contestable puisqu’elle produit un mandat de commercialisation conclu le 10 janvier 2010 entre cette société et son gérant, M. [E] [Z]. De plus, elle a été commissionnée par la société Lotus développement, puis par la société Stratégie patrimoine, mandataires de la société Art courtage, dont elle était sous-mandataire. Or le contrat souscrit par Art courtage auprès de la société CNA insurance company Europe garantit également les sous-mandataires.
Elle ajoute qu’il résulte en outre de l’annexe 4 au contrat conclu entre les sociétés Art courtage et Stratégie patrimoine que M. [E] [Z], représentant légal de la société Eco-Invest, figurait parmi les membres du réseau du courtier, respectivement la société Stratégie patrimoine, et qu’en outre par un courrier du 4 octobre 2019, la société CNA insurance company Europe a expressément reconnu que sa responsabilité professionnelle en tant que mandataire de la société Stratégie patrimoine était couverte par la police n° FN 1672, et ne peut désormais, en toute bonne foi, arguer d’une confusion.
*
Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 23 juin 2022, Mme [X] demande à la cour de déclarer l’appel principal et les appels incidents de la société Eco-Invest et la société CNA insurance company Europe mal fondés, de confirmer l’ordonnance dans la limite de son appel incident, et sur appel incident d’infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
– déclaré irrecevables l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre de la société CNA insurance company Europe, faute de qualité à défendre ;
– l’a déboutée de sa prétention indemnitaire formée à l’encontre de la société CNA insurance company Europe au titre des frais irrépétibles,
– l’a condamnée à lui verser la somme de 750 euros au titre des frais irrépétibles ;
statuant à nouveau de :
– déclarer recevable sa demande dirigée contre la société CNA insurance company Europe ;
– rejeter la demande de cette dernière sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner in solidum avec la société Eco-Invest et la société CGPA au dépens de première instance et d’appel ainsi qu’au paiement d’une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et de 6 000 euros pour la procédure d’appel.
Sur la prescription, elle fait siens les motifs de l’ordonnance querellée et discute la pertinence des décisions de jurisprudence citées par les autres parties, rappelant qu’il convient de rechercher à quel moment, étant investisseur profane, elle a vu concrètement son dommage survenir, lui permettant alors d’appréhender le manquement au devoir de conseil et d’information ainsi que ses conséquences éventuelles.
Elle soutient que le point de départ du délai de prescription ne peut être fixé à la date de conclusion des contrats litigieux puisqu’à cette date, elle n’était pas en mesure de prendre conscience de l’étendue du dommage dont elle sollicite réparation, lequel couvre notamment le fait d’avoir acquis, par l’intermédiaire de la société Eco-Invest, la pleine propriété d”uvres d’art manifestement surévaluées et susceptibles de revendication par l’Etat, sans que celle-ci ne justifie ni même n’invoque la moindre vérification quant aux caractéristiques substantielles des pièces, et le fait d’avoir investi dans un placement inadapté à ses attentes, à défaut d’avoir été suffisamment informée par la société Eco-Invest de l’absence de garantie de rachat des parts à terme par la société Aristophil.
Elle soutient qu’il lui était impossible de prendre conscience de la surévaluation des ‘uvres acquises par l’intermédiaire de la société Eco-Invest à la date des souscriptions litigieuses, puisqu’elle n’entrait pas en possession des oeuvres et que le modèle économique imposait qu’elle en confie la garde à la société Aristophil pour une durée de cinq années, et que ce sont les estimations du cabinet de commissaires priseurs dans le cadre de la procédure collective de la société Aristophil et l’enquête de la DGCCRF qui ont mis en évidence cette surévaluation.
Elle soutient que le montage juridique relevait de la tromperie et qu’elle n’était pas en mesure de comprendre les tenant et aboutissant de l’opération dans sa globalité, et notamment que la société Aristophil n’était pas contractuellement engagée au rachat des ‘uvres au terme du contrat, et donc d’appréhender le risque de perte en capital auquel elle s’exposait, la société Eco-Invest ayant au contraire insisté sur le rachat systématique des oeuvres par la société Aristophil au terme du contrat et entretenu sciemment la confusion s’agissant des mécanismes « d’option d’achat », « de promesse de vente » et « d’engagement de rachat en cas de levée d’option ».
Elle ajoute que ni les articles de presse, ni la lettre circulaire de la société Aristophil dont elle conteste avoir été destinataire, ne peuvent constituer le point de départ du délai, qui ne peut être antérieur au 27 février 2015. Subsidiairement, la plainte avec constitution de partie civile qu’elle a déposée a interrompu la prescription en application de l’article 2241 du code civil, en ce qu’elle a manifesté sans équivoque son intention de mettre en cause la responsabilité des auteurs de son dommage auquel a nécessairement contribué
la société Eco-Invest. Elle considère que, dans cette hypothèse, l’effet interruptif de prescription de sa plainte pénale peut être étendu à l’action civile qui poursuit le même but, à savoir rechercher la responsabilité des distributeurs des produits litigieux.
Sur la qualité à défendre de la société CNA insurance company Europe, elle soutient qu’en acceptant de statuer seul en tant que juge de la mise en état, sur l’applicabilité de quatre polices d’assurance, le premier juge a excédé ses pouvoirs, et qu’il appartient à l’assureur, au demeurant tenu d’une obligation de bonne foi, de verser aux débats en leur intégralité toutes ses polices d’assurance liées à la commercialisation du placement, ce que ne fait pas la société CNA insurance company Europe.
Elle ajoute que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration du bien fondé de l’action. Or la société CNA insurance company Europe, dans un courrier du 4 décembre 2019 qu’elle s’est abstenue de produire, n’a pas dénié sa garantie se contentant d’opposer son plafond de garantie, ne démontre pas une impossibilité de mobilisation de l’une ou l’autre des quatre polices concernées.
*
Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 10 novembre 2022, la société CNA insurance company Europe conclut à la confirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a jugé que l’action de Mme [X] dirigée contre elle était irrecevable pour défaut de qualité à défendre, à l’infirmation de l’ordonnance s’agissant de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, et demande à la cour de juger l’action de Mme [X] prescrite.
A titre subsidiaire, de :
– juger que Mme [X] avait ou aurait dû avoir connaissance des griefs qu’elle formule s’agissant de son investissement au sein de l’indivision « Le Général de Gaulle et la Trilogie des grands destins » depuis la revendication par l’État des 313 brouillons de télégrammes manuscrits du Général de Gaulle rédigés entre 1940 et 1942 à laquelle il a été fait droit par un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 20 novembre 2013,
– juger que l’action de Mme [X] au titre de son investissement au sein de l’indivision « Le Général de Gaulle et la Trilogie des grands destins » prescrite ;
En tout état de cause,
– juger l’action de Mme [X] irrecevable et la débouter de toutes ses demandes ;
– la condamner au paiement d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur sa qualité à défendre, elle invoque, s’agissant de la police souscrite n° FN 1672 par la société Lotus développement, l’expiration de la garantie subséquente à la résiliation des garanties souscrites au titre de la police dont le bénéfice a été transmis à la société Stratégie patrimoine selon avenant du 10 octobre 2011. Elle fait valoir qu’il s’agissait d’une police souscrite en base réclamation, or aucune réclamation n’a été formée par Mme [X] entre la date de prise d’effet du contrat et l’expiration du délai subséquent de cinq ans à compter de la résiliation qui a expiré le 11 octobre 2016, de sorte que la garantie n’est pas mobilisable au titre de cette police.
Subsidiairement, elle conteste que la société Lotus développement soit intervenue dans la souscription des produits Aristophil par Mme [X], les courriels versés aux débats concernant d’autres produits.
La société CNA insurance company Europe fait valoir ensuite qu’elle n’a pas non plus qualité à défendre en qualité d’assureur de la société Eco-Invest au titre des polices souscrites par la société Art courtage invoquées par Mme [X] sur qui pèse la charge de la preuve de la qualité d’assurée de la société Eco-Invest.
À cet égard, elle soutient qu’à supposer qu’il soit établi que la société Eco-Invest avait la qualité de mandataire de la société Lotus développement, la police souscrite par cette dernière ne couvrait que le souscripteur ; que le courrier du 14 octobre 2019 provient d’une confusion opérée entre les sociétés Eco-Invest et Stratégie patrimoine qui sont visées comme étant une seule et même entité ; que le courriel de M. [Z] n’a jamais été réceptionné par elle car ayant été adressé à une adresse électronique inexistante ; que la société Stratégie patrimoine n’a jamais entrepris aucune démarche pour que la société Eco-Invest bénéficie de la qualité d’assurée au titre de la police n° FN 1672, ou d’une autre police comme le lui imposait le contrat qu’elle avait conclu avec la société Art Courtage ; qu’enfin la société Eco-Invest n’était pas sous la responsabilité de Stratégie patrimoine.
Elle soutient ensuite que les polices n° FN 1549 et n° FN 1925 souscrites respectivement par les sociétés Script’invest et Art courtage sont des polices ‘pour compte de qui il appartiendra’ mais imposent toutes deux que le mandataire ait reçu mandat exprès du souscripteur, or la société Eco-Invest ne justifie d’aucun mandat exprès, d’ailleurs elle s’est elle-même présentée comme mandataire de la société Lotus développement.
Enfin, la police n° FN 5989 souscrite par la société Art courtage couvre les mandataires et sous-mandataires de cette société répondant aux critères d’éligibilité indiqués dans le bulletin de souscription et ayant choisi de souscrire ladite police ; or à supposer que la société Eco-Invest soit un mandataire de la société Art courtage elle aurait dû souscrire au contrat, ce qu’elle n’a pas fait.
Sur la prescription, la société CNA insurance company Europe fait valoir qu’il convient de rechercher si, au jour de la conclusion des contrats, l’investisseur pouvait légitimement ignorer les faits fondant son action, à savoir, en l’espèce, qu’il n’y avait pas de garantie de rachat de son investissement par la société Aristophil et qu’il présentait donc à ce titre un risque, la durée de l’investissement étant sans incidence, et que la question de la surévaluation des ‘uvres est un argument sans lien avec la question de l’éventuelle responsabilité encourue par la société Eco-Invest, qui n’est pas à l’origine de la tromperie dont se plaint Mme [X].
Elle considère que les stipulations contractuelles sont parfaitement claires s’agissant de l’absence d’obligation de rachat de la société Aristophil, et qu’aucun élément ne permet de retenir que la société Eco-Invest aurait présenté les placements litigieux comme assortis d’une obligation de rachat à terme par la société Aristophil. En outre, Mme [X] a elle-même reconnu avoir eu pleinement conscience, avant de souscrire l’investissement litigieux, du risque qui lui était intrinsèque.
Subsidiairement, elle s’associe aux conclusions des autres parties sur la connaissance qu’a pu avoir Mme [X] de son dommage dès l’automne 2014 et sur l’absence d’effet interruptif de prescription de la plainte pénale.
A titre superfétatoire, elle fait valoir que selon Mme [X], le tribunal de grande instance de Paris, saisi d’une assignation délivrée à la société Aristophil par l’Etat français, a jugé le 20 novembre 2013 que 313 brouillons de télégrammes manuscrits du Général de Gaulle rédigés entre 1940 et 1942 détenus par la société Aristophil devaient être qualifiés d’archives publiques et étaient, en conséquence, la propriété de l’Etat français, de sorte qu’à supposer que ces télégrammes fassent partie des biens composant la collection « Le Général de Gaulle et la Trilogie des Grands destins » au sein de laquelle Mme [X] a investi, ce qui ne semble pas être le cas, puisqu’il s’agirait plutôt de la collection « Les manuscrits secrets du général de Gaulle à Londres 1940-1942 », la cour ne pourra qu’en déduire que les sommes que Mme [X] a investies au sein de cette indivision sont perdues depuis le 20 novembre 2013.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
Sur la qualité à défendre de la société CNA insurance company Europe
L’article 789 6° du code de procédure civile, qui est applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, donne compétence exclusive au conseiller de la mise en état pour connaître des fins de non-recevoir, y compris lorsque leur examen suppose que soit tranchée une question de fond, sauf dans ce cas, si une des parties s’y oppose.
La société CNA insurance company Europe ayant saisi le juge de la mise en état de la fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à défendre, au motif qu’elle n’avait pas la qualité d’assureur de la société Eco-Invest, c’est sans excéder ses pouvoirs que le juge de la mise en état a examiné, en l’absence d’opposition des autres parties, les différentes polices souscrites afin de se prononcer sur la qualité d’assureur, et par voie de conséquence la qualité à défendre de cette partie.
Il sera par ailleurs rappelé qu’il appartient au tiers qui entend exercer une action directe contre l’assureur du responsable d’un dommage, de démontrer l’existence d’un contrat d’assurance, la preuve du contenu de ce contrat reposant sur l’assureur.
Comme l’a exactement relevé le premier juge, il ressort des productions que la société Lotus développement a proposé à M. [V] [X] le 18 novembre 2010 des placements en produits Aristophil et lui a adressé dans cette perspective deux simulations portant sur des collections différentes de celles finalement acquises par son épouse.
Il est admis par les parties que Mme [X] a été mise en relation par la société Lotus développement avec la société Eco-Invest, et son représentant M. [E] [Z], par l’entremise desquels elle a souscrit les investissements en cause. La société Eco-Invest apparaît en effet comme mandataire sur les fiches connaissance client établies lors de la conclusion des contrats de vente de parts en indivision, et M. [Z] a apposé sa signature sous la mention ‘le vendeur ou son mandataire autorisé’ sur ces contrats.
Mme [X] a ainsi acquis, le 28 février 2011, 8 parts indivises de l’indivision Coraly’s ‘Jean Cocteau, un destin, une légende’, et le 25 mars 2011, 3 parts de l’indivision Coraly’s prestige 100 ‘Les manuscrits secrets du Général de Gaulle à Londres -1940-1942’, étant toutefois observé que le certificat d’indivision correspondant à cet investissement vise en réalité la collection ‘ Le Général de Gaulle et la Trilogie des grands destins’. Il est par ailleurs établi que cette collection a été proposée aux époux [X] par M. [Z] agissant au nom de la société Eco-Invest.
Il apparaît ainsi que la société Lotus développement n’est pas intervenue directement dans la souscription des produits Aristophil en cause de sorte que la garantie de la société CNA insurance company Europe ne peut être recherchée au titre de la police n° FN 1672 souscrite par celle-ci. Il sera en outre relevé que cette police, souscrite en base réclamation, a été transférée par avenant du 10 octobre 2011 à la société Stratégie patrimoine, et ce à effet au 1er septembre 2011, et que celle-ci n’est pas intervenue dans les cessions en cause. La société Lotus développement n’avait donc plus la qualité d’assurée à compter de la prise d’effet de cet avenant, or aucune réclamation n’a été présentée par Mme [X] dans le délai subséquent de cinq ans.
Comme l’a exactement retenu le premier juge, cette police ne garantissant que le souscripteur qui a seul la qualité d’assuré, et non ses mandataires, elle ne pourrait pas davantage être mobilisée, à supposer que la société Eco-Invest ait effectivement la qualité de mandataire de la société Lotus développement comme elle le prétend, ce qui ne peut être déduit de l’avenant au mandat de commercialisation du 14 janvier 2010 dont se prévaut l’intimée qui lie la société Lotus développement à M. [E] [Z], et non à la société Eco-Invest, étant observé que ce dernier, après la création de la société, avait conservé une activité à titre personnel et que le numéro d’inscription au RCS figurant sur ledit avenant n’est pas celui de la société Eco-Invest.
Il ne peut pas davantage être tiré du courrier adressé le 4 octobre 2019 à la société Eco-Invest par la société CNA insurance company Europe dans lequel elle indique ‘ la police FN1672 souscrite par ECO INVEST (STRATEGIE PATRIMOINE) auprès de notre société et garantissant sa responsabilité civile professionnelle prévoit une limite de garantie […] une reconnaissance non équivoque de sa garantie s’agissant du litige opposant la société Eco-Invest à Mme [X] auquel il n’est pas fait la moindre référence, alors que, de plus, il apparaît que l’assureur a manifestement assimilé la société Eco-Invest à la société Stratégie patrimoine. Or, à la date de souscription des contrats par Mme [X], en février et mars 2011, la société Stratégie patrimoine n’était pas encore assurée auprès de la société CNA insurance company Europe, et la société Eco-Invest n’était pas non plus sous-mandataire de la société Stratégie patrimoine.
Le courriel de déclaration de sinistre de M. [Z] du 31 août 2020, que la société CNA insurance company Europe conteste avoir reçu est enfin sans emport, et se réfère d’ailleurs à des attestations d’assurance délivrées à la société Stratégie patrimoine en 2013 et 2014.
La police n° FN 1549 souscrite par la société Script’invest ne peut pas non plus être mobilisée, dans la mesure où il n’est pas soutenu que la société Eco-Invest ait été un sous-mandataire de cette société.
S’agissant des polices n° FN 1925 et n° FN 5989 souscrites auprès de la société CNA insurance company Europe par la société Art courtage, le premier juge a exactement retenu que la première de ces polices étant souscrite ‘pour compte de qui il appartiendra’ ne couvrait que les agents commerciaux ayant reçu un mandat exprès de cette société (annexes CNA n°0-23 et 0-42), ce qui exclut les mandataires ‘indirects’. Or la société Eco-Invest ne justifie pas avoir été mandataire de la société Art courtage à la date de conclusion des contrats en cause. En effet, si son nom apparaît effectivement sur l’annexe 4 au contrat de courtage conclu entre les sociétés Art courtage France et Stratégie patrimoine, il convient toutefois de relever que ce contrat a été conclu le 19 juin 2013, soit plus de deux ans après la souscription par Mme [X] des placements Aristophil litigieux. Pour le même motif, la police n° FN 5989 garantissant la responsabilité professionnelle des sous-mandataires ne peut être invoquée, outre que les sous-mandataires doivent expressément souscrire à cette police, ce que la société Eco-Invest n’a pas fait.
Il s’évince de l’ensemble de ces constatations que la société Eco-Invest, par l’intermédiaire de laquelle Mme [X] a souscrit les investissements litigieux, n’a pas la qualité d’assurée au titre de l’une quelconque des quatre polices susvisées, et que la police souscrite par la société Lotus développement n’est pas davantage susceptible d’être mobilisée, de sorte que la société CNA insurance company Europe n’a donc pas qualité à défendre en qualité d’assureur de l’une ou l’autre de ces sociétés. L’ordonnance entreprise doit donc être confirmée en tant qu’elle a déclarées irrecevables les demandes de Mme [X] dirigées contre la société CNA insurance company Europe.
Sur la prescription
Mme [X] fonde son action indemnitaire sur l’existence de manquements imputables à la société Eco-Invest, faisant valoir qu’elle n’aurait pas contracté si elle avait été mieux informée d’une part sur le fait que les collections étaient surévaluées et potentiellement incessibles, faute pour l’intermédiaire d’en avoir vérifié les caractéristiques, d’autre part sur l’absence de garantie de rachat des collections à terme par la société Aristophil, son préjudice consistant d’une part en une perte de chance de ne pas contracter, d’autre part de faire fructifier le capital ainsi investi dans un produit d’épargne plus avantageux.
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En matière d’action en responsabilité, le délai de prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.
En cas de manquement à une obligation d’information ou de mise en garde, le dommage qui consiste en la perte de chance de ne pas contracter se manifeste, en principe, dès la conclusion du contrat, sauf à ce qu’il soit établi que l’investisseur victime avait pu légitimement l’ignorer, la prescription ne pouvant en effet courir contre celui qui ne peut exercer ses droits.
Tel est notamment le cas en matière de contrat d’investissement lorsque l’investisseur profane se prévaut d’une perte de chance d’avoir pu mieux investir ses capitaux, le dommage n’étant pas décelable au moment de la conclusion du contrat et ne se révélant que lorsque le risque de perte du capital s’est réalisé.
En l’espèce, les contrats de placements en produits ‘Aristophil’ proposés à Mme [X] par la société Eco-Invest consistaient en l’acquisition de parts indivises de collections d”uvres préconstituées par la société Arsitophil définies par leur intitulé, d’une part la collection « Jean Cocteau, un destin, une légende » d’une valeur totale alléguée de 12 000 000 euros et d’autre part ‘ Les manuscrits secrets du Général de Gaulle à Londres – 1940-1942 – d’une valeur totale alléguée de 7 500 000 euros. Ces contrats de vente étaient également accompagnés de « contrats de garde, de conservation et d’expositions » souscrits au nom de l’indivision et acceptés par Mme [X], et de conventions notariées d’indivision relative auxdites collections.
Aux termes de la convention de garde, de conservation et d’expositions, les indivisaires confiaient à la société Aristophil la garde et la conservation des collections pour une durée maximale de cinq ans, cette dernière s’engageant à les conditionner, expertiser et conserver, et lui consentait une promesse de vente à un prix ne pouvant être inférieur à la valeur déclarée au départ majorée de 8% ou 8,75% par année de garde, suivant la collection. À l’issue du contrat, l’acquéreur pouvait soit conserver la collection, soit la revendre, soit appliquer la promesse de vente prévue dans l’acte au bénéfice de la société Aristophil.
En l’occurrence, comme la relevé le premier juge, l’attractivité de ces produits d’investissement résidaient notamment dans la garantie de valeur conférée par la société Aristophil, figurant expressément dans les garanties Aristophil que M. [Z] a reconnu au cours de l’enquête pénale avoir remis systématiquement à ses clients, ainsi que dans la perspective d’un rachat par cette société des parts ou collections acquises, au terme des cinq années du contrat, un tel engagement de rachat étant en effet de nature à diminuer le risque du placement.
Si une lecture attentive des clauses des contrats permet effectivement de constater l’absence de tout engagement de rachat des oeuvres ou parts indivises par la société Aristophil au terme du contrat, les contrats prévoyant seulement une option, force est cependant de constater que les différentes mentions figurant dans les contrats de garde étaient de nature à conforter un investisseur profane, comme l’était Mme [X], dans l’idée d’un rachat des oeuvres par la société Aristophil au terme du contrat, ce qui devait lui assurer une rentabilité minimum de l’ordre de 8 % à 8,75 % par an, conformément à ce que lui avait été indiqué par la société la société Lotus développement dans son courriel du 18 novembre 2010 évoquant un rapport de 8 % l’an pour un investissement ‘classique’ et de 8,95 % pour un investissement ‘prestige’. Cette conviction était renforcée par l’argumentaire de la société Eco-Invest, M. [Z] ayant en effet reconnu dans un courrier du 14 janvier 2020 adressé au conseil de Mme [X], comme lors de son audition dans le cadre de l’enquête pénale, qu’il avait informé ses clients du fait qu’il s’agissait certes d’une simple faculté de rachat mais que les rachats avaient toujours été honorés avec les plus-values annoncées, son épouse en ayant d’ailleurs bénéficié.
Ces dispositions contractuelles, ainsi que celles des conventions d’indivision qui prévoyaient également un droit de préemption au profit de la société Aristophil, subsidiairement des autres indivisaires, et comportaient, à défaut d’exercice de l’un ou l’autre de ces droits de préemption, une clause d’agrément aux termes de laquelle, en cas de refus d’agrément, ‘ la société Aristophil devra soit acquérir personnellement les parts, soit se substituer un ou plusieurs tiers dispensés d’agrément , associées à l’argumentaire des intermédiaires ci-dessus évoqué étaient de nature à convaincre Mme [X], à l’issue du délai de réflexion dont elle bénéficiait, de la certitude d’un rachat à terme des parts acquises par la société Aristophil, sans que puisse utilement lui être opposée la mention de la ‘fiche connaissance client’ signée par elle, selon laquelle elle certifiait avoir reçu de son conseiller les informations nécessaires à la compréhension du contrat.
En outre, cette fiche mentionnait que le niveau de risque de l’investissement était faible. En effet, même en l’absence de rachat des parts ou collections par la société Aristophil, l’intérêt de ces placements résidait aussi dans la possibilité de céder les collections et parts indivises dont la valeur apparaissait sur les certificats établis par la société Aristophil.
Au stade de la conclusion des contrats en cause, l’investisseur, qui n’entrait pas en possession des manuscrits constituant les collections acquises dont la société Aristophil assurait la conservation et la garde, ne pouvait déceler un risque de surévaluation, et pouvait au contraire légitimement croire, en l’absence de toute mise en garde spécifique, au vu notamment du document intitulé ‘les garanties Aristophil’ remis par la société Eco-Invest, que la valeur annoncée par la société Aristophil qui se prévalait de son expertise dans le domaine des manuscrits anciens, était conforme à la valeur réelle des manuscrits et collections acquis, alors que les différentes ventes aux enchères réalisées dans le cadre de la procédure collective de la société Aristophil devaient aboutir à des distributions à hauteur d’un montant nominal respectivement de 40,989 euros et de 14,796 euros pour les parts de la collection ‘Jean Cocteau’ et de 8,755 euros et 44,098 euros pour les parts de la collection ‘Général de Gaulle – Trilogie des grands destins’, ce qui révélait une surévaluation manifeste des collections acquises par Mme [X].
Ces informations n’étant nécessairement pas connues de Mme [X] au jour de la souscription des contrats, celle-ci ne pouvait donc correctement appréhender le risque de perte de son capital auquel elle s’exposait en cas de revente sur le marché des collection et parts acquises, ni se rendre compte, à cette date, que le placement proposé comme comportant un faible risque par la société Eco-Invest ne répondait pas à ses attentes et objectifs, quand bien même avait-elle disposé d’un délai de réflexion.
La question de la connaissance ou non par la société Eco-Invest de cette surévaluation manifeste, qui concerne le fond du litige, est sans incidence s’agissant de déterminer le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité de l’acquéreur et la date à laquelle il a pu légitimement avoir connaissance de son dommage.
Cette date doit être fixée, comme l’a exactement retenu le premier juge au 27 février 2015, date du courrier du mandataire judiciaire informant Mme [X] de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Aristophil et l’invitant à déclarer sa créance. C’est en effet à cette date que Mme [X] a pu avoir la connaissance effective du caractère mensonger des affirmations ayant présidé à la conclusion des contrats litigieux, au regard de la situation économique et juridique réelle des investissements effectués, et du dommage en résultant, et avoir ainsi conscience de la perte d’une chance d’avoir pu, en étant mieux informée, prendre une décision de placement plus judicieuse, et investir son capital dans des placements répondant mieux à ses attentes et objectifs.
C’est vainement qu’il est soutenu par l’appelante et la société Eco-Invest que cette connaissance aurait été acquise dès la fin de l’année 2014 du fait de l’écho qui a été fait de l’enquête de la DGCCRF dans la presse nationale, ou par la lettre ‘circulaire’ expédiée le 4 décembre 2014 à chacun des clients par la société Aristophil pour les informer de sa situation de cessation de paiements, alors qu’il ne résulte d’aucun des éléments versés aux débats la preuve que Mme [X] ait eu connaissance, dès 2014, de ces articles de presse, et de la réception effective du courrier susvisé qui est contestée par l’intimée. Il ne peut pas non plus être tiré argument de la publication d’informations sur la page ‘Facebook’ de la société Aristophil que Mme [X] n’était pas tenue de consulter.
Il ne peut enfin être soutenu, s’agissant de la collection « Le Général de Gaulle et la Trilogie des Grands destins », que Mme [X] aurait eu connaissance de la perte de son investissement au jour du jugement du tribunal de grande instance de Paris le 20 novembre 2013 ayant reconnu à 313 brouillons de télégrammes manuscrits du Général de Gaulle rédigés entre 1940-1942 le caractère d’archives publiques, alors que si elle fait état de ce jugement, elle n’était pas partie à l’instance, et la date à laquelle il a été porté à sa connaissance n’est pas déterminée, outre qu’il existe une ambiguïté sur l’objet du contrat souscrit qui vise la collection « Les manuscrits secrets du général de Gaulle à Londres 1940 et 1942 , alors que le certificat d’indivision vise la collection « Le Général de Gaulle et la Trilogie des Grands destins ».
L’ordonnance entreprise doit donc être confirmée en tant qu’elle a considéré que l’action engagée par Mme [X] contre la société Eco-Invest et son assureur la société CGPA par exploits des 11 et 14 février 2020 n’était pas prescrite.
Sur les dépens et frais exclus des dépens
L’ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu’elle a réservé les dépens. En effet, la décision mettant fin à l’instance engagée contre la société CNA insurance company Europe par Mme [X], cette dernière devra supporter les dépens y afférents. Pour le surplus, les dépens de l’incident suivront ceux de l’instance au fond.
La décision entreprise sera par ailleurs infirmée en tant qu’elle a prononcé des condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En effet, eu égard à la complexité du litige et à l’impossibilité pour Mme [X] de connaître les particularités des différentes polices souscrites par les conseillers en gestion de patrimoine auprès de la société CNA insurance company Europe, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de cette dernière les frais irrépétibles qu’elles a exposés en première instance. Par ailleurs, en l’absence de condamnation aux dépens s’agissant des autres demandes, aucune condamnation ne peut intervenir en première instance au bénéfice de Mme [X] ou d’une autre partie, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de l’incident.
La société CGPA et la société Eco-Invest qui succombent à titre principal seront condamnées aux entiers dépens d’appel et seront déboutées de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il sera par contre alloué sur ce fondement à Mme [X] une somme de 2 000 euros en appel. Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la société CNA insurance company Europe les frais exclus des dépens qu’elle a exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar en date du 9 mars 2022, sauf en ce qu’elle a réservé les dépens et prononcé des condamnations sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à la charge d’une part de Mme [X], et d’autre part de la société Eco-Invest et de la société CGPA ;
INFIRME la décision entreprise de ces seuls chefs ;
Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant à la décision entreprise,
CONDAMNE Mme [Y] [X] aux dépens de première instance afférents à ses demandes dirigées contre la société de droit anglais CNA insurance company Europe ;
DIT que pour le surplus les dépens de l’incident suivront ceux de l’instance au fond ;
REJETTE les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;
CONDAMNE in solidum la SARL Eco-Invest et la société d’assurances mutuelles à cotisations variables CGPA aux entiers dépens d’appel ainsi qu’à payer à Mme [Y] [X] une somme de 2 000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
REJETTE les autres demandes sur ce fondement en cause d’appel.
Le greffier, La présidente,