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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
2ème CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 16 NOVEMBRE 2023
N° RG 20/02587 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LTXW
[D] [Y]
[Z] [Y]
S.A.R.L. LES TROIS BORDIEUX
S.C.I. LES TROIS BORDIEUX
c/
[P] [V]
[M] [U]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 juin 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LIBOURNE (RG : 15/00862) suivant déclaration d’appel du 22 juillet 2020
APPELANTS :
[D] [Y]
né le 01 Février 1949 à [Localité 6]
de nationalité Française
Profession : Gérant,
demeurant [Adresse 2]
[Z] [Y]
née le 10 Août 1963 à [Localité 5]
de nationalité Française
Profession : Directrice
demeurant [Adresse 2]
S.A.R.L. LES TROIS BORDIEUX
Société à Responsabilité Limitée, immatriculée au RCS de LIBOURNE n° 480 669 332, dont le siège social est situé [Adresse 2], agissant poursuite et diligence de son représentant légal, domicilié en cette qualité au [Adresse 2]).
S.C.I. LES TROIS BORDIEUX
Société Civile Immobilière, immatriculée au RCS de LIBOURNE n° 444 606 503 dont le siège social est situé [Adresse 2], agissant poursuite et diligence de son représentant légal, domicilié en cette qualité au [Adresse 2])
Représentée par Me Clarisse MAROT substituant Me Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[P] [V]
né le 09 Septembre 1979 à [Localité 3]
de nationalité Française
Profession : Couvreur zingueur,
demeurant [Adresse 1]
Natacha GODRIE
née le 27 Février 1990 à [Localité 3]
de nationalité Française
Profession : Employée commerciale,
demeurant [Adresse 1]
Représentés par Me Conny KNEPPER de la SELARL CMC AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 octobre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Jacques BOUDY
Conseiller : Monsieur Alain DESALBRES
Conseiller : Monsieur Rémi FIGEROU
Greffier : Madame Audrey COLLIN
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
Monsieur [D] [Y] et Madame [Z] [Y] ont acquis le 15 octobre 1987 un terrain et une maison situés [Adresse 2]. Au cours de l’année 2001, ils ont fait construire deux gîtes, l’Aubarède et le Mascaret, ainsi que trois chambres d’hôtes.
Le label national ‘Gîtes de France’ a, en 2004, classé les gîtes susvisés 2 épis, puis 3 épis en 2005. Les chambres d’hôtes ont quant à elles été classées 3 épis le 05 juillet 2006.
La société à responsabilité limitée Les Trois Bordieux (la S.A.R.L. Les Trois Bordieux) a été créée pour louer les constructions à la société civile immobilière Les Trois Bordieux (la SCI Les Trois Bordieux), propriétaire des constructions et pour exploiter les gîtes et les chambres d’hôtes.
Par acte authentique du 14 juin 2013, M. [P] [V] et Mme [M] [U] ont acquis la propriété située au numéro [Adresse 1] qui est pour partie mitoyenne de celle de M. et Mme [Y].
Se plaignant de troubles du voisinage ayant entraîné le déclassement de leurs hébergements, M. et Mme [Y], la SCI Les Trois Bordieux et la S.A.R.L. Les Trois Bordieux ont, par acte du 06 juillet 2015, assigné M. [V] et Mme [U] devant le tribunal de grande instance de Libourne pour obtenir le paiement d’une somme de 112 091 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs divers préjudices.
Par jugement du 26 juin 2020, le tribunal judiciaire de Libourne a :
– déclaré recevables les demandes de la SCI Les Trois Bordieux, de la S.A.R.L. Les Trois Bordieux et de M. et Mme [Y],
– rejeté l’intégralité des prétentions des parties,
– dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle a engagés.
M. et Mme [Y], la S.A.R.L. Les Trois Bordieux et la SCI Les Trois Bordieux ont relevé appel de cette décision le 22 juillet 2020 en ce qu’il a rejeté leurs prétentions et dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle a engagés.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 10 février 2022, M. et Mme [Y], la S.A.R.L. Les Trois Bordieux et la SCI Les Trois Bordieux demandent à la cour, sur le fondement des articles 1382 et 1383 anciens du code civil :
– d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il les a déboutés de leurs prétentions,
– de constater le trouble de voisinage occasionné par M. [V] et Mme [U] à leur détriment,
– de constater la responsabilité délictuelle des défendeurs dans le dommage qu’ils leur ont causé,
par conséquent :
– de condamner solidairement M. [V] et Mme [U] à réparer leur préjudice par l’allocation de la somme de 160 597 euros,
en tout état de cause :
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les consorts [V]-[U] de l’ensemble de leurs demandes reconventionnelles,
– de débouter les consorts [V]-[U] de l’ensemble de leurs demandes reconventionnelles,
– de condamner les défendeurs au paiement de 7 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils font notamment valoir que :
– Le trouble que constituent les nuisances sonores et esthétiques est certes directement subi par les locataires des gîtes et des chambres d’hôtes, mais celles-ci causent indéniablement un préjudice financier à chacun des demandeurs. La SCI, propriétaire desdits gîtes et la S.A.R.L. Les Trois Bordieux, en sa qualité de locataire de la SCI, sont également bien fondées à agir sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, au vu de la jurisprudence constante qui reconnaît la qualité pour agir de tous les titulaires d’un droit réel de jouissance sur l’immeuble, qu’ils s’agissent d’usufruitiers ou de preneurs à bail. Enfin, M. et Mme [Y] sont également bien fondés dès lors qu’ils tirent leurs revenus de cette activité, et qu’ils sont redevables du paiement des prêts en cas de défaut de la SCI.
– Sur le trouble, la jurisprudence considère que toute activité peut être à l’origine de nuisances anormales. Ainsi le trouble peut résulter de travaux entrepris par le voisin, quelle que soit leur ampleur. Le trouble est en l’espèce constitué par le bruit que génèrent les travaux, de surcroît non autorisés par la mairie, et ayant donné lieu à de multiples relevés d’infraction. En témoignent de nombreuses attestations de clients des gîtes. Le trouble est également esthétique.
– Le trouble excède indéniablement les inconvénients classiques de voisinage en ce que les travaux sont d’abord réalisés en infraction au refus de permis de construire opposé aux consorts [V]-[U]. Ces derniers tentent d’écarter l’argument en arguant qu’ils ont bénéficié d’un second permis, alors que ce permis concerne des travaux de réhabilitation du bâti. L’anormalité est également constituée par le fait que les travaux sont réalisés en dehors des heures prévues à cet effet. En atteste un rappel à la loi notifié verbalement à M. [V] concernant l’arrêté préfectoral qui réglemente les jours et horaires pour les travaux. Par ailleurs, l’activité de gîtes était présente avant l’arrivée de M. [V] et Mme [U], qui ne peuvent donc se prévaloir d’une quelconque antériorité justifiant les travaux. Il leur appartenait de se renseigner sur le voisinage et son activité afin de savoir s’ils pouvaient construire.
– Sur le préjudice, les nuisances ont eu pour conséquence de leur faire perdre l’accréditation Gites de France, qui n’offrait donc plus à ses clients le domaine des Trois Bordieux. La visibilité du gîte était garantie par ce label reconnu. De plus, l’intérêt du lieu reposait sur le calme et le silence, assurés par l’inconstructibilité d’un bâti sur la partie mitoyenne du gîte. Les comptes de résultats produits au débat démontrent une nette chute de leur chiffre d’affaires.
– Sur la responsabilité délictuelle, le régime des troubles anormaux du voisinage n’est pas exclusif. Il peut être démontré la responsabilité délictuelle de l’auteur d’un dommage sur d’autres fondements, tels que celui de l’article 1382 ancien du code civil. La faute est constituée par la réalisation de travaux en dépit du refus de l’administration. Le préjudice financier est indéniable, au regard de la perte du label ‘Gîtes de France’. Le lien de causalité est ainsi démontré.
– Sur les demandes reconventionnelles des intimés, elles seront écartées dès lors qu’aucune pièce probante démontre un préjudice ni aucun lien de causalité.
Suivant leurs dernières conclusions notifiées le 06 septembre 2021, M. [V] et Mme [U] demandent à la cour, sur le fondement des articles 122 et suivants du code de procédure civile, 544, 1382 et 1383 anciens du code civil, de :
– déclarer recevable mais mal fondé l’appel interjeté par la S.A.R.L. Les Trois Bordieux, la SCI Les Trois Bordieux et M. et Mme [Y],
– débouter les appelants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes présentées à leur encontre,
– déclarer irrecevable la S.A.R.L. Les Trois Bordieux pour défaut de droit d’agir,
à titre reconventionnel :
– condamner solidairement M. et Mme [Y] et la SCI Les Trois Bordieux au paiement :
– de la somme de 4 500 euros au titre de la création d’une nouvelle ligne téléphonique,
– de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,
– de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire,
– de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– des entiers dépens, en ce compris les constats d’huissiers.
Ils font notamment valoir que :
– sur le défaut de droit d’agir de la S.A.R.L. Les Trois Bordieux, celle-ci a fait l’objet d’une dissolution et d’une radiation publiée au BODACC le 29 avril 2014, bien avant la délivrance de l’assignation aux consorts [V]-[U]. Cette société ne pouvait donc agir en justice faute d’avoir la personnalité morale. C’est à tort que le tribunal l’a déclarée recevable.
– c’est le trouble qui doit être anormal, et non l’acte ou l’activité qui l’a causé. Or les appelants s’attachent à démontrer l’anormalité du fait générateur et non du trouble subi. De plus, le simple fait de subir des travaux réalisés par un voisin ne peut suffire à engager la responsabilité de celui-ci sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.
– M. et Mme [Y] échouent à démontrer le trouble mais surtout son caractère anormal.
– le seul fait de réaliser des travaux dans un bâtiment mitoyen ne peut être qualifié de trouble anormal. Les nuisances sonores évoquées ne constituent que des inconvénients normaux de voisinage.
– sur le trouble esthétique, les photographies ne sont pas datées et ne permettent pas de connaître leur prise de vue. Aussi, ces travaux ont été réalisés postérieurement à la perte du label dont les consorts [Y] se plaignent, de sorte qu’aucun lien n’existe entre eux.
– sur la prédisposition de la victime, le label Gîtes de France ne conditionne aucunement son obtention à l’unique condition de tranquillité. Les appelants ne peuvent soutenir que cette caractéristique est l’élément fondamental et suffisant pour ouvrir un gîte. Le label ne leur a pas été retiré pour ce motif mais au regard du dégât des eaux qu’ils ont subi. Surtout, cette perte d’accréditation ne les prive pas d’exercer leur activité commerciale puisqu’ils ne font pas l’objet d’une interdiction administrative.
– si par extraordinaire la cour reconnaissait l’existence d’un trouble anormal de voisinage, elle ne pourra que constater l’absence de preuve du lien de causalité, dès lors que le prétendu trouble n’est pas la cause de la perte du label Gîtes de France.
– sur le préjudice de la SCI Les Trois Bordieux, l’existence d’une accréditation Gîtes de France est sans effet sur les revenus de la SCI qui étaient fixes et découlaient uniquement du bail commercial. Au contraire, elle a même perçu des revenus supérieurs au montant du loyer commercial au titre des années 2015 et 2016.
– sur le préjudice des M. et Mme [Y], celui-ci n’est pas justifié, ni dans son principe ni dans son quantum. Les revenus de la SCI lui permettent de faire face à ses charges, de sorte que les époux n’ont pas à supporter le remboursement de ses emprunts sur leurs deniers personnels.
– sur leur responsabilité délictuelle, celle-ci ne saurait être retenue et ce pour les mêmes motifs que ceux exposés au titre des troubles anormaux de voisinage.
– sur leurs demandes reconventionnelles, M. et Mme [Y] ont commis des nuisances sonores et esthétiques. Ils n’hésitent pas à entreposer leurs résidus de tonte et autres composts sur leur parcelle située en mitoyenneté. Aussi, leur chien erre sur leur propriété.
– Sur le préjudice moral, les multiples provocations de M. et Mme [Y], leur discours dénigrants et injurieux à leur encontre ainsi que l’acharnement procédure dont ils font preuve les ont précipités dans un état de choc et d’épuisement important.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023.
MOTIVATION
Sur la recevabilité des demandes de la S.A.R.L. Les Trois Bordieux
Dans les motifs de leurs dernières conclusions d’appel, M. [V] et Mme [U] soutiennent, sur le fondement de l’article 32 du Code de procédure civile, que la S.A.R.L. Les Trois Bordieux ne dispose pas du droit d’agir à leur encontre en raison de sa dissolution intervenue au cours de l’année 2013 ayant abouti à une clôture des opérations de liquidation intervenue le 31 mars 2014. Cependant, dans le dispositif de celles-ci, ils demandent que son appel soit déclaré recevable mais mal fondé.
Si la cour n’est dès lors pas saisie d’une demande des intimés tendant à déclarer la S.A.R.L. Les Trois Bordieux irrecevable en ses prétentions, les moyens soulevés par ceux-ci sont entrés dans les débats et permettent à la cour de relever d’office, en application de l’article 120 du Code de procédure civile, que celle-ci ne disposait plus de la personnalité juridique lui permettant d’ester en justice lors de la délivrance de l’assignation en date du 06 juillet 2015.
Sur les troubles anormaux du voisinage
Aux termes de l’article 544 du code civil, ‘la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements’.
S’agissant du trouble anormal de voisinage, il s’agit d’une source autonome de responsabilité, sans faute et en l’absence même de toute intention de nuire. Ce trouble est retenu dès lors qu’un fait ou une activité, quoique licite cause à un voisin des dommages excédant les troubles ordinaires de voisinage.
La SCI Les Trois Bordieux, dont les associés à parts égales sont M. [Y] et Mme [Y], était propriétaire de deux gîtes. Elle les a donnés à bail à la S.A.R.L. Les Trois Bordieux à compter du 15 avril 2005 jusqu’à la date de dissolution de cette dernière qui est intervenue le 02 décembre 2013.
Ces deux hébergements avaient reçu le label Gîtes de France le 1er avril 2004 puis en 2005, soit bien avant que M. [V] et Mme [U] acquièrent des consorts [H]-[C] la propriété voisine de celle de M. et Mme [Y].
La charte de l’organisme de tourisme précisait que l’agrément été accordé notamment en considération d’un ‘environnement de qualité exempt de nuisances visuelles, auditives et olfactives fréquentes’.
Un mur mitoyen sépare l’un des deux gîtes dénommé l’Aubarède d’un ancien bâtiment, longtemps inoccupé, se trouvant sur la parcelle voisine antérieurement détenue par les consorts [H]-[C]. L’état dégradé de la construction jouxtant la propriété de la SCI Les Trois Bordieux, de M. et Mme [Y] était connu de ceux-ci lorsqu’ils ont procédé à l’édification des deux hébergements temporaires comme l’atteste leur propre courrier du 22 août 2013.
Il est établi que ce bâtiment s’est partiellement effondré au mois de février 2011 ce qui a entraîné un affaissement d’une partie de la toiture du gîte dénommé l’Aubarède, provoquant un important dégât des eaux.
Comme l’indique le jugement rendu le 28 août 2014 par le tribunal de grande instance de Libourne, l’effondrement de la toiture de l’immeuble des consorts [H]-[C] résulte de dégradations commises par des termites, ceux-ci ayant été attirés par l’humidité ambiante et l’absence de tout entretien des lieux par leurs propriétaires. Les insectes ont également infesté la toiture du gîte dénommé l’Aubarède.
Ce sinistre a donné lieu à une instance judiciaire ayant opposé les consorts [H]-[C] à la SCI les Trois Bordieux au cours de laquelle un rapport d’expertise a été déposé au greffe de la juridiction libournaise le 21 mai 2013.
Auparavant, dans un courrier du 05 mai 2011, l’organisme des Gîtes de France avait demandé à la SCI Les Trois Bordieux la suspension de la mise en location de l’hébergement L’aubarède dont l’état s’était dégradé puis l’a retiré de leur offre de location à compter du 06 décembre 2012 en raison du risque d’effondrement du mur mitoyen et de l’effritement du sol.
M. [V] et Mme [U] ne sauraient être tenus pour responsables de cette situation dans la mesure où ils ne sont devenus propriétaires de la parcelle contigue à celle de la SCI Les Trois Bordieux qu’à compter du 14 juin 2013, soit après la date de survenance du sinistre. L’acte authentique stipule très clairement que les vendeurs, en l’occurrence les consorts [H]-[C], se réservent le bénéfice ou la perte des actions judiciaires en cours, s’agissant de l’instance en bornage et celle relative à l’effondrement d’une partie de l’immeuble (p5). Cette situation a d’ailleurs été rappelée par le conseiller de la mise en état de la présente cour dans son ordonnance en date du 12 octobre 2016.
A la suite de leur acquisition de la propriété sur laquelle se trouvait la construction partiellement effondrée, M. [V] et Mme [U] ont entrepris des travaux de réhabilitation du bien.
Les appelants soutiennent que ces travaux ont généré de très importantes nuisances sonores et visuelles durant la période comprise entre le 06 juillet et le 10 août 2013.
Ils versent à l’appui de leur affirmation plusieurs attestations de locataires saisonniers qui ont occupé les gîtes durant la période comprise entre :
– le 06 juillet et le 20 juillet 2013 (Bon) ;
– le 24 juillet et le 03 août 2013 ([A]) ;
– le 27 juillet et le 10 août 2013 ([B]).
Ces écrits font état de la perturbation de leur séjour estival liée à des bruits de travaux provenant de la propriété de M. [V] et Mme [U] ainsi que le ressenti de vibrations dans les sols et murs du gîte occupé, nonobstant l’intervention de M. Et Mme [Y] auprès de leurs voisins. Certains d’entre-eux soulignent que ces nuisances existaient à toute heure du jour et même le dimanche.
En réponse, M. [V] et Mme [U] estiment que les nuisances, dont ils contestent l’existence, n’auraient pu intervenir durant l’été 2013 dans la mesure où ils n’ont obtenu le permis de construire que le 30 octobre 2014.
Cette affirmation est erronée dans la mesure où, d’une part, ceux-ci avaient déposé une première demande de permis de construire dès le 21 novembre 2012, autorisation qui leur a été refusé le 15 janvier 2014 et que, d’autre part, ils ne contestent pas leur réalisation durant l’été 2013 dans leur propre courrier du 22 août 2013.
Les nuisances susvisées ont bien été répercutées par les occupants des hébergements temporaires à l’organisme Gîtes de France comme l’indique le courrier de ce dernier du 10 janvier 2014.
Pour apprécier le caractère anormal du trouble de voisinage allégué, il y a lieu de relever les éléments suivants :
Tout d’abord, les spécificités des lieux doivent être pris en considération. Les propriétés respectives des parties se trouvent en zone rouge inondable et naturelle comme l’atteste le plan d’urbanisme de la commune d'[Localité 4] et non dans une zone agricole soumis à d’intenses nuisances sonores liées à des exploitations agricoles proches comme le soutiennent M. [V] et Mme [U].
Il est établi, au regard des attestations mentionnées ci-dessus, que les lourds travaux de réhabilitation entrepris par M. [V] et Mme [U] ont été effectivement entrepris sans respecter les périodes autorisées par l’arrêté municipal. Un rappel de la réglementation leur a d’ailleurs été adressé par la police municipale comme l’indique le maire de la commune d'[Localité 4] dans sa correspondance du 28 novembre 2013.
Il y a lieu en outre de relever que les agréments et le référencement des Gîtes de France ont été retirés aux propriétaires des hébergements temporaires le 10 janvier 2014. L’un des motifs de cette décision est que leur lieu d’implantation ‘n’est pas propice à la détente’ en raison des nuisances sonores subis par les clients.
Certes, ces nuisances sonores n’ont pas toujours été perçues par certains occupants durant l’été 2013 comme l’atteste le constat d’huissier dressé par Me [O] (p5, 6). Cependant, la majorité des avis positifs des clients recensés par l’officier ministériel n’est pas pertinente dans la mesure où ceux-ci portent sur une période antérieure ou postérieure à la date de réalisation des travaux de réhabilitation de l’immeuble effondré.
Il est ainsi démontré que les importants travaux de réhabilitation de l’immeuble effondré entrepris par M. [V] et Mme [U] durant l’été 2013 ont occasionné à la SCI Les Trois Bordieux, M. et Mme [Y] un trouble anormal de voisinage.
Cependant, le lien entre les nuisances essentiellement sonores subies par les appelants et le retrait de l’agrément par l’organisme Gîtes de France et donc la cessation d’activité de location des hébergements temporaires n’est pas suffisamment établi.
En effet, plusieurs motifs motivent en réalité cette décision. Le principal est tiré de la dégradation des murs et du sols du gîte dénommé l’Aubarède consécutive au dégât des eaux évoqué ci-dessus. Or, comme le rappelle l’ordonnance du conseiller de la mise en état précitée, le jugement rendu le 28 août 2014 par le tribunal de grande instance de Libourne a définitivement condamné les consorts [H]-[C] à verser à la SCI Les Trois Bordieux les sommes de 11 997 euros au titre du préjudice matériel.
Il a été rappelé que M. [V] et Mme [U] ne peuvent être déclarés responsables de cette situation ayant entraîné la fermeture de l’hébergement l’Aubarède à compter du mois de mai 2011.
Le jugement rendu le 28 août 2014 par le tribunal de grande instance de Libourne a également mis à la charge des voisins de la SCI Les Trois Bordieux la somme de 23 105 euros au titre de son préjudice d’exploitation et donc de la perte financière subie par l’activité d’exploitation des gîtes. Aucun élément quant au résultat de l’appel relevé par les consorts [H]-[C] à l’encontre de cette décision n’est produit aux débats. En l’état, il y a donc lieu de considérer que ce type de préjudice a dès lors été indemnisé.
De même, les appelants n’établissent pas que leurs voisins ont entrepris les travaux de réhabilitation de l’immeuble partiellement effondré en violation de la décision de rejet qui leur a été opposée le 15 janvier 2014 par l’autorité administrative. En effet, le refus initial d’accorder le permis de construire ayant été uniquement motivé par la non-conformité du système d’assainissement prévu. La construction réalisée par M. [V] et Mme [U] a été rétroactivement validée par le maire de la commune dans sa décision du 30 octobre 2014.
En outre, il ne peut être reproché à M. [V] et Mme [U] d’occuper leur propriété à l’issue des travaux de réhabilitation de l’immeuble partiellement effondré et de générer ainsi des nuisances habituelles à tout voisinage qui ne peuvent donc être qualifiées d’anormales.
Il sera enfin relevé que le premier juge a justement relevé que les différentes photographies versées aux débats par la SCI Les Trois Bordieux, M. et Mme [Y], dont la datation apparaît inconnue, ne permettent pas de démontrer l’existence d’un trouble de voisinage de nature esthétique ou postérieur à la fin du mois d’août 2013.
En conséquence du caractère limité du trouble anormal de voisinage (juillet-août 2013) mais de son importance sur cette courte période, il convient d’infirmer le jugement attaqué et de condamner M. [V] et Mme [U] au paiement aux appelants, ensemble, d’une indemnité de 8 000 euros.
Sur la responsabilité délictuelle de M. [V] et Mme [U]
L’article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016, énonce que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La SCI Les Trois Bordieux, M. et Mme [Y] reprochent à M. [V] et Mme [U] la commission de plusieurs fautes.
La première tient au fait que leurs voisins se sont vus délivrer le 24 juin 2014 un procès-verbal d’infractions aux règles d’urbanisme par l’autorité municipale.
Cependant, les appelants n’établissent pas le lien entre les manquements reprochés par le maire de la commune d'[Localité 4] et l’existence d’un préjudice personnel.
La deuxième résulterait de la réalisation des travaux de réhabilitation alors que le permis de construire n’avait pas encore été accordé.
La troisième serait tirée du non-respect par leurs voisins des horaires leur permettant d’entreprendre les travaux de réhabilitation de l’immeuble partiellement effondré.
Ces deux derniers faits, examinés au titre du trouble anormal de voisinage, n’ont pas occasionné à la SCI Les Trois Bordieux, M. et Mme [Y] un préjudice personnel distinct de celui réparé ci-dessus et qui serait résulté d’une faute commise par M. [V] et Mme [U].
En conséquence, il y a lieu de rejeter les prétentions formulées par les appelants sur le fondement de la responsabilité délictuelle des intimés. Le jugement attaqué sera donc confirmé sur ce point.
Sur les demandes reconventionnelles de M. [V] et Mme [U]
Sur les nuisances sonores et esthétiques ainsi que l’intrusion
Les mains-courantes effectuées par M. [V] et Mme [U] auprès des services de gendarmerie dans lesquelles leurs auteurs reprochent un certain nombre d’agissements fautifs à M. et Mme [Y] ne constituent pas des éléments suffisants pour démontrer la véracité des faits dénoncés, ceux-ci étant par ailleurs contestés par les appelants, notamment en ce qui concerne l’intrusion au sein de leur propriété.
Si l’huissier de justice mandaté par les intimés a pu constater que certains déchets verts avaient été jetés par les propriétaires des gîtes, il n’est pas établi, au regard du litige portant sur les limites séparatives ayant donné lieu au prononcé d’un arrêt par la présente cour, que ceux-ci ont été volontairement entreposés sur la propriété de M. [V] et Mme [U]. Au regard de la configuration des lieux, le caractère inesthétique de ce dépôt n’est également pas suffisamment démontré.
Sur la ligne téléphonique
Les intimés soutiennent également que leurs voisins ont procédé à la coupure de la ligne téléphonique desservant la parcelle alors détenue par M [G]. Ils réclament à leur encontre le paiement d’une somme de 4 500 euros correspondant au coût de remise en état de l’installation. Ils affirment que les faits dénoncés, contestés par la SCI Les Trois Bordieux, M. et Mme [Y], auraient été commis par ces derniers au cours de l’année 2003.
Ces faits ne sont cependant pas établis dans la mesure où l’attestation de M. [G], ancien propriétaire des parcelles de M. [V] et Mme [U], n’en fait pas état et que la vétusté des installations téléphoniques aériennes peut être à l’origine de l’absence de ligne téléphonique comme l’atteste le constat d’huissier dressé le 27 juillet 2015 par Me [O] (p17). Il sera enfin ajouté que l’acte authentique du 14 juin 2013 stipule que M. [V] et Mme [U] acquièrent le bien immobilier en l’état de sorte que cette situation était connue de ceux-ci dès cette date.
En conséquence, le jugement entrepris ayant rejeté la demande de M. [V] et Mme [U] tendant à obtenir de M. et Mme [Y] le paiement du coût de la création d’une ligne téléphonique sera confirmé.
Sur le préjudice moral
Au regard des éléments relevés ci-dessus et de la condamnation de M. [V] et Mme [U], ces derniers ne justifient d’aucun préjudice moral indemnisable résultant de fautes qui auraient été commises par leurs voisins.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Si la décision de première instance doit être confirmée, il y a lieu en cause d’appel de mettre à la charge de M. [V] et Mme [U] le versement au profit de la SCI Les Trois Bordieux, M. et Mme [Y], ensemble, d’une indemnité de 3 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes présentées sur ce fondement.
Sur les dépens
Les dépens de première instance seront à la charge de M. [V] et Mme [U] de sorte que le jugement entrepris sera réformé sur ce point. Il en sera de même pour ce qui concerne ceux d’appel.
PAR CES MOTIFS
– Infirme le jugement rendu le 26 juin 2020 par le tribunal de grande instance de Libourne
en ce qu’il a :
– déclaré recevables les demandes présentées par la société à responsabilité limitée
Les Trois Bordieux à l’encontre de M. [P] [V] et Mme [M] [U] ;
– rejeté les demandes présentées par la société civile immobilière Les Trois Bordieux, M. [D] [Y] et Mme [Z] [Y] à l’encontre de M. [P] [V] et Mme [M] [U] en raison de l’existence de troubles anormaux du voisinage ;
– dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle a engagés ;
et, statuant à nouveau dans cette limite :
– Déclare irrecevables les demandes présentées par la société à responsabilité limitée Les Trois Bordieux à l’encontre de M. [P] [V] et Mme [M] [U] ;
– Condamne in solidum M. [P] [V] et Mme [M] [U] à payer à la société civile immobilière Les Trois Bordieux, M. [D] [Y] et Mme [Z] [Y], ensemble, la somme de 8 000 euros au titre de l’indemnisation des troubles anormaux de voisinage ;
– Condamne M. [P] [V] et Mme [M] [U] au paiement des dépens de première instance ;
– Confirme le jugement déféré pour le surplus ;
Y ajoutant ;
– Condamne M. [P] [V] et Mme [M] [U] à verser à la société civile immobilière Les Trois Bordieux, M. [D] [Y] et Mme [Z] [Y], ensemble, la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;
– Condamne M. [P] [V] et Mme [M] [U] au paiement des dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,