Nuisances sonores : décision du 21 novembre 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 23/00693

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Nuisances sonores : décision du 21 novembre 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 23/00693
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[X] [N]

C/

[S] [R]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

1ère chambre civile

ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2023

N° RG 23/00693 – N° Portalis DBVF-V-B7H-GGHJ

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé rendue le 23 mai 2023,

par le président du tribunal judiciaire de Dijon- RG : 23/00071

APPELANT :

Monsieur [X] [N]

né le [Date naissance 6] 1973 à [Localité 11] (54)

[Adresse 10]

[Localité 3]

représenté par Me Alexandre CIAUDO, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 110

INTIMÉ :

Monsieur [S] [R]

né le [Date naissance 5] 1976 à [Localité 9] (21)

[Adresse 10]

[Localité 3]

représenté par Me Fabien KOVAC, membre de la SCP DGK AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 46

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 septembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,

Sophie BAILLY, Conseiller,

Bénédicte KUENTZ, Conseiller,

Après rapport fait à l’audience par l’un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 21 Novembre 2023,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [X] [N] et Mme [L] [N] sont propriétaires d’une parcelle située dans le hameau de Thoreille à [Localité 13], cadastrée AE [Cadastre 1], sur laquelle se trouvent une maison d’habitation, une petite dépendance ainsi qu’une terrasse.

M. [S] [R], propriétaire d’une maison édifiée sur une parcelle voisine, cadastrée AE [Cadastre 4], y a installé en juillet 2021une piscine hors sol et une pergola.

M. [N] a formé des recours gracieux puis contentieux contre les autorisations d’urbanisme délivrées pour la construction de ces deux éléments. L’affaire est actuellement pendante devant la juridiction administrative.

Se plaignant de subir des nuisances sonores provoquées par les pompes à chaleur installées sur la propriété de M. [R], la première pour assurer le chauffage de la maison et la seconde pour la piscine, M. [N] a mandaté Maître [J], huissier de justice, qui a établi le 6 août 2022 un procès-verbal de constat.

Suivant assignation du 27 janvier 2023, M. [N] a fait attraire M. [R] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Dijon, aux fins de voir désigner un expert avec pour mission de donner son avis les causes et origines des nuisances sonores subies par son épouse et lui-même, et de voir condamner le défendeur à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 24 mai 2023, le juge des référés a débouté M. [N] de sa demande d’expertise, et l’a condamné à payer à M. [R] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

M. [N] a relevé appel de cette décision le 6 juin 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2023, M. [N] demande à la cour, au visa des articles 145 et suivants du code de procédure civile, de :

– infirmer l’ordonnance rendue par M. le président du tribunal judiciaire de Dijon le 23 mai 2023,

Statuant à nouveau :

– désigner un expert avec pour mission de :

1°) se faire communiquer tout document utile à sa mission ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ;

2°) se rendre sur les lieux, préciser la date d’acquisition de la maison du requérant, la date d’installation des pompes à chaleur de M. [R] ainsi que la nature et la date des travaux d’isolation phonique entrepris par ce dernier ;

3°) réaliser des mesures acoustiques depuis la terrasse, le jardin et l’intérieur de la maison de M. et Mme [N], située [Adresse 10] ; préciser si les émissions sonores émises par les pompes à chaleur sont conformes à la réglementation en vigueur ;

4°) donner un avis motivé sur les causes et origines des nuisances sonores dont est victime le requérant, en précisant s’ils sont imputables aux travaux de construction, à la conception, à un défaut de direction ou de surveillance, à leur exécution ou encore aux conditions d’utilisation et d’entretien des pompes à chaleur, dans le cas de causes multiples, évaluer les proportions relevant de chacune d’elles ;

5°) indiquer la nature et le coût des travaux nécessaires pour remédier à la situation actuelle ;

6°) d’une façon générale, recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer la cour dans son appréciation des responsabilités éventuellement encourues et des préjudices subis ;

– condamner M. [R] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le même aux entiers dépens de l’instance.

En ses dernières écritures notifiées le 16 août 2023, M. [R] demande à la cour, au visa des articles 9, 834, 835, 145 du code de procédure civile, ainsi que des articles R 1336-6 et suivants du code de santé publique, de :

A titre principal,

– confirmer l’ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Dijon du 24 mai 2023 en ce qu’elle a :

débouté M. [X] [N] de sa demande d’expertise,

condamné M. [X] [N] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [X] [N] aux dépens,

Y ajoutant,

– débouter M. [X] [N] de toutes demandes plus amples ou contraires,

– condamner M. [X] [N] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,

– condamner le même aux entiers dépens de première instance et d’appel,

A titre subsidiaire,

– lui donner acte de ce qu’il émet les protestations et réserves d’usage sur la demande d’expertise judiciaire formulée par M. [N],

– compléter la mission de l’expert comme suit :

décrire les vues créées par M. [N] sur la propriété de M. [R] ;

mesurer la distance existante entre les différentes portes et fenêtres de la propriété de M. [N] et la propriété de M. [R] aux points les plus proches de chacune d’entre elles ;

mesurer la distance existante entre la terrasse de la propriété de M. [N] et la propriété de M. [R] au point le plus proche ;

dire si la construction de la terrasse en limite de propriété est de nature à porter atteinte à l’intimité de M. [R] ;

mesurer la hauteur du mur séparatif érigé par M. [N] et dire s’il respecte la hauteur légale ou réglementaire applicable ;

– ordonner que les frais d’expertise soient à la charge de M. [N],

– réserver les frais irrépétibles et les dépens de l’instance.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour un exposé complet de leurs moyens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par une ordonnance du 26 septembre 2023.

MOTIFS

L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’existence d’un litige potentiel et d’un intérêt probatoire à la mesure demandée en référé pour éclairer la partie sur l’éventuel litige au fond, caractérise le motif légitime requis par l’article 145 du code de procédure civile, sans qu’il y ait lieu pour la juridiction saisie de se prononcer sur le débat de fond concernant les conditions de mise en oeuvre de l’action que le requérant pourrait ultérieurement engager. La demande doit toutefois être rejetée si les faits invoqués pour la justifier sont purement hypothétiques ou si elle est formulée en vue d’une action au fond irrémédiablement vouée à l’échec.

En outre, contrairement aux conditions de mise en oeuvre des dispositions de l’article 834 du code de procédure civile, également cité par l’appelant, la caractérisation de l’urgence n’est pas requise pour que puisse être ordonnée une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145.

Au soutien de sa demande d’expertise, M. [N] produit en l’espèce un procès-verbal de constat établi le 6 août 2022 par Maître [J], huissier de justice à [Localité 8], qui atteste avoir entendu au cours de ses constatations réalisées entre 8h30 et 9h30 un bruit de moteur continu, un bourdonnement sans interruption, qu’il qualifie de nuisance sonore, audible à l’extérieur sur la terrasse côté Sud de la maison de M. [N], et également à l’intérieur, dans la partie séjour et dans la chambre Sud (dans cette dernière pièce, uniquement lorsque la fenêtre est ouverte). L’huissier précise que le bruit de moteur provient de la propriété située au Sud-Est de celle de ses requérants, soit la propriété [R], sur laquelle sont installées, en son côté Est, deux pompes à chaleur.

M. [N] justifie également avoir déposé préalablement auprès de la gendarmerie d'[Localité 7], le 19 août 2021, une main courante faisant état des nuisances sonores générées par la pompe à chaleur utilisée par M. [R] pour chauffer sa piscine.

Il verse enfin aux débats un diagnostic de bruit résiduel établi par la société Acoustique France le 12 juillet 2023, soit postérieurement à la décision querellée, à l’issue de la réalisation de mesures diurnes et nocturnes les 3 et 4 juillet 2023. Il considère au vu des résultats de cette étude que, compte tenu du bruit résiduel particulièrement faible relevé lorsque les pompes à chaleur ne fonctionnent pas, le bruit généré par ces équipements, même conforme aux documents techniques produits par M. [R], excède le niveau sonore légalement admissible.

Ces pièces attestent de l’existence d’un litige potentiel et d’un intérêt probatoire à la mesure demandée en référé par M. [N]. Il n’est à cet égard pas établi qu’une éventuelle procédure au fond serait irrémédiablement vouée à l’échec, dès lors que l’absence de plaintes d’autres voisins peut s’expliquer, le cas échéant, par la configuration des lieux, et que, si M. [R] produit les caractéristiques techniques de son matériel pour justifier que les émissions sonores seraient conformes aux normes réglementaires applicables, M. [N] fait justement valoir qu’il n’est pas établi que les pompes à chaleur auraient été correctement installées et entretenues.

Il convient en conséquence de faire droit à la mesure d’expertise demandée par M. [N], l’expert se voyant confier la mission précisée au dispositif du présent arrêt, aux frais avancés du requérant.

M. [R] sollicite à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il serait fait droit à la demande d’expertise présentée par M. [N], que la mission de l’expert soit étendue à d’autres problèmes de voisinage, en faisant valoir :

– que M. [N] a érigé en limite de sa propriété un mur d’une hauteur non réglementaire puisque inférieure à 2,60 m,

– ‘qu’une vue oblique a été créée depuis la propriété de M. [R], depuis la propriété de M. [N]’, que ‘les chambres situées au premier étage de la propriété [R] ont une vue directe et plongeante sur la propriété de M. [N]’ et qu”une telle vue s’effectue en méconnaissance des dispositions applicables’,

– qu”une terrasse a été construite par M. [R], en limite de propriété, sans respecter les distances réglementaires applicables en la matière’,

– que de telles problématiques ont pour conséquence une perte d’intimité, de vue et d’intimité en raison de la construction effectuée par M. [N].

Il sera toutefois relevé que le mesurage du mur litigieux ne nécessite pas le recours à un expert judiciaire. Par ailleurs, les explications de M. [R] relatives aux problèmes de vues et de terrasse, telles qu’elles ressortent de ses écritures, critiquent ses propres installations. En outre, même en considérant que ces indications résultent d’une erreur de plume liée à une interversion des noms des parties, il convient de relever que les explications de M. [R] sont imprécises s’agissant de la description des problèmes de vues et de terrasse évoqués, qu’elles sont taisantes sur leur date de leur création, et qu’elles ne sont enfin pas suffisamment étayées par les photographies versées aux débats.

M. [R] ne justifie en conséquence pas d’un intérêt légitime à voir étendre les opérations d’expertise judiciaire sur ces questions, de sorte qu’il sera débouté de la demande qu’il présente de ce chef.

Sur les frais de procès

La nature de la présente affaire, s’agissant d’un référé probatoire, commande de laisser provisoirement à la charge de M. [N] l’ensemble des dépens, dont le sort définitif sera, le cas échéant, ultérieurement réglé si une juridiction du fond est saisie.

Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu’en faveur de M. [R]. L’équité ne commande toutefois pas de faire application de ces dispositions à l’encontre de M. [N].

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l’ordonnance rendue le 24 mai 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Dijon en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a condamné M. [N] aux dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne une mesure d’expertise, confiée à Mme [I] [E], demeurant [Adresse 2] – Mèl : [Courriel 12], avec pour mission de :

– se rendre sur les lieux, [Adresse 10],

– entendre les parties et tout sachant,

– faire préciser par M. [R] les dates d’installation des deux pompes à chaleur équipant sa propriété,

– réaliser des mesures acoustiques depuis la terrasse, le jardin et l’intérieur de la maison de M. [N],

– préciser si les émissions sonores issues des pompes à chaleur installées sur la propriété de M. [R] sont conformes à la réglementation en vigueur, et décrire la gêne en résultant pour les occupants de la propriété de M. [N],

– indiquer en outre la nature et le coût des travaux nécessaires pour y remédier,

– de façon générale, recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer le tribunal éventuellement saisi au fond dans son appréciation des responsabilités susceptibles d’être encourues et des préjudices subis,

Dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile, notamment qu’il pourra s’adjoindre tous spécialistes de son choix dans une spécialité autre que la sienne, à charge pour lui de joindre leur avis à son rapport,

Fixe à la somme de 2 000 euros, le montant de la provision à valoir sur les frais d’expertise qui devra être consignée par M. [N] à la régie d’avances et de recettes du tribunal judiciaire de Dijon avant le 20 décembre 2023,

Dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l’expert sera caduque et privée de tout effet,

Dit que préalablement au dépôt de son rapport, l’expert devra déposer un pré-rapport et recueillir les observations des parties pour y répondre dans le cadre de son rapport définitif,

Dit que l’expert devra déposer son rapport au greffe du tribunal judiciaire de Dijon dans les six mois suivant sa saisine,

Désigne le juge chargé du contrôle des expertises au sein de ladite juridiction pour suivre les opérations d’expertise,

Dit que l’expert, en cas d’empêchement ou de refus de la mission, sera remplacé sur simple demande par ordonnance de ce magistrat,

Déboute M. [R] de sa demande d’extension de la mission d’expertise à des problématiques de hauteur de mur, de jours et de vues et d’implantation de terrasse,

Condamne M. [N] aux dépens exposés à hauteur d’appel,

Déboute les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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