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N° RG 22/00270 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LGGC
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 05 DECEMBRE 2023
Appel d’une décision (N° RG 18/00494)
rendue par le Tribunal Judiciaire de Vienne
en date du 14 octobre 2021
suivant déclaration d’appel du 14 janvier 2022
APPELANTE :
S.A.S. [Localité 13] DISTRIBUTION prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 15]
[Localité 13]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Noémie LE PALLABRE, avocat au barreau de NANTES
INTIMES :
Mme [G] [Z] épouse [T]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 13]
M. [R] [T]
né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 13]
M. [V] [I]
né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 13]
Mme [S] [Y]
née le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 13]
représentés par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Ludovic LEROY, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller
DÉBATS :
A l’audience publique du 9 octobre 2023, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
En 2012, M. [R] [T] et Mme [G] [Z] épouse [T] ont acquis d’un tènement situé [Adresse 9] sur la commune de [Localité 13], cadastré section AA n°[Cadastre 6] d’une superficie de 620m² sur lequel est édifiée leur maison d’habitation.
La même année, M. [V] [I] et Mme [S] [Y] ont acquis sur la même commune, au [Adresse 8], la parcelle voisine de même superficie, cadastrée section AA n°[Cadastre 5] , sur laquelle ils ont également établi leur maison d’habitation.
Ces parcelles sont situées dans une zone pavillonnaire en bordure du parc international d’activités de [Adresse 11].
Les consorts [T]-[I]-[Y], par ailleurs propriétaires indivis de la parcelle cadastrée AA n°[Cadastre 7] qui sert d’accès à leurs propriétés, occupent effectivement les lieux depuis août 2013.
La société [Localité 13] Distribution a obtenu auprès de la mairie de [Localité 13] le 22 juillet 2014 un permis de construire pour la création d’un magasin Super U et d’une station service, le tout pour une surface de plancher totale de 5103m².
La société [Localité 13] Distribution a déposé une nouvelle demande de permis de construire pour réaliser sur la même assiette foncière un équipement commercial de l’enseigne Super U avec étage de bureaux , terrasse et escalier, pour une surface de plancher de 5326m².
Ce permis de construire accordé le 10 mars 2016, a fait l’objet d’un recours gracieux par les consorts [T]-[I]-[Y] qui a été rejeté par le maire de [Localité 13] le 13 juin 2016 . Ceux-ci ont alors saisi le 9 août 2016 le tribunal administratif de Grenoble d’une requête aux fins d’annulation de ce permis de construire , lequel l’a transmis pour compétence à la cour administrative d’appel de Lyon.
Le 13 décembre 2016, la société [Localité 13] a sollicité et obtenu le 13 février 2018 un permis de construire modificatif afin d’être autorisée à déroger aux dispositions applicables à l’intérieur de la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) de [Adresse 11] s’agissant de la hauteur des bâtiments’; les consorts [T]-[I]-[Y] ont présenté une requête en annulation devant la cour administrative d’appel de Lyon à l’encontre de ce nouveau permis de construire.
Par arrêt du 20 décembre 2018, cette cour administrative d’appel, statuant sur les deux demandes, a annulé partiellement les permis de construire délivrés à la société [Localité 13] en ce qu’ils autorisaient un projet excédant la hauteur maximale autorisée par les dispositions de l’article 10 du règlement du Plan d’Aménagement de Zone (PAZ) de la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) de [Adresse 11] sur une partie de la façade Sud-Est du bâtiment, et a accordé un délai de 3 mois à la société [Localité 13] Distribution pour déposer un permis de construire modificatif pour régulariser ce point.
Suivant acte extrajudiciaire du 9 avril 2018, les consorts [T]-[I]-[Y] ont assigné la société [Localité 13] Distribution devant le tribunal de grande instance de Vienne en responsabilité sur le fondement des troubles anormaux du voisinage et en indemnisation de leur préjudice.
Par jugement contradictoire du 14 octobre 2021, le tribunal précité devenu tribunal judiciaire de Vienne a’:
débouté M. et Mme [T] d’une part, et les consorts [I]-[Y] d’autre part, de leurs demandes formulées sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme,
dit que la responsabilité de la société [Localité 13] Distribution est engagée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage,
débouté M. et Mme [T] d’une part, et les consorts [I]-[Y] d’autre part d’autre part, de leur demande de réparation de leurs dommages en nature,
condamné la société [Localité 13] Distribution à payer à M. et Mme [T]’:
la somme de 8.000€ au titre de la réparation de leur préjudice de perte de valeur de leur propriété,
la somme de 3.000€ au titre de la réparation de leur préjudice de troubles de jouissance et de leur préjudice moral,
condamné la société [Localité 13] Distribution à payer aux consorts [I]-[Y]’:
la somme de 12.000€ au titre de la réparation de leur préjudice de perte de valeur de leur propriété,
la somme de 7.000€ au titre de la réparation de leur préjudice de troubles de jouissance et de leur préjudice moral,
débouté la société [Localité 13] Distribution de sa demande de condamnation de M. et Mme [T] d’une part, et les consorts [I]-[Y] d’autre part, pour procédure abusive,
débouté la société [Localité 13] Distribution de sa demande de condamnation de M. et Mme [T] d’une part, et les consorts [I]-[Y] d’autre part, au paiement d’une amende civile,
condamné la société [Localité 13] Distribution à payer à M. et Mme [T] et aux consorts [I]-[Y] la somme de 3.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la société [Localité 13] Distribution aux entiers dépens de l’instance, avec recouvrement par Me Chapuis, avocat au barreau de Vienne conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
ordonné l’exécution provisoire,
débouté les parties de toute autre demande.
Selon déclaration déposée le 14 janvier 2022, la société [Localité 13] Distribution a relevé appel.
Par ordonnance juridictionnelle du 29 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté, comme étant devenue sans objet, la demande de radiation présentée par les consorts [T]-[I]-[Y] sur le fondement de l’article 525 du code de procédure civile, a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné la société [Localité 13] Distribution aux dépens de l’incident.
Dans ses dernières conclusions déposées le 7 septembre 2023 sur le fondement des articles L.480-13 du code de l’urbanisme, 544, 1240, 1241 du code civil, la société [Localité 13] Distribution demande que la cour, jugeant son appel recevable et bien fondé, de’:
débouter les consorts [T] -[I]-[Y] de leur demande d’appel incident,
réformer le jugement déféré en ce qu’il’:
a dit que sa responsabilité était engagée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage,
l’a condamnée à payer à’:
M. et Mme [T] la somme de 8.000€ au titre de la réparation de leur prétendu préjudice de perte de valeur de leur propriété, outre celle de 3.000€ au titre de la réparation de leur prétendu préjudice de troubles de jouissance et de leur préjudice moral,
M. [I] et Mme [Y] la somme de 12.000€ au titre de la réparation de leur prétendu préjudice de perte de valeur de leur propriété, outre celle de 7.000€ au titre de la réparation de leur prétendu préjudice de troubles de jouissance et de leur préjudice moral,
l’a déboutée de sa demande de condamnation des consorts [T]-[I]-[Y] pour procédure abusive,
l’a condamnée au paiement de la somme de 3.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
a rejeté les autres demandes d’indemnisation formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
l’a condamnée au paiement des dépens,
statuant à nouveau,
à titre principal, débouter les consorts [T]-[I]-[Y] de toutes leurs demandes,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que sa responsabilité est engagée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, réduire à de plus justes proportions l’évaluation des prétendus préjudices subis par les consorts [T]-[I]-[Y],
à titre reconventionnel, condamner les consorts [T]-[I]-[Y] à lui verser la somme de 30.000€ à parfaire à titre d’indemnisation des dommages subis en conséquence du caractère abusif de l’action contentieuse,
en tout état de cause, condamner les consorts [T]-[I]-[Y] à lui verser la somme de 5.000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et les condamner également aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées le 15 septembre 2023 au visa de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, de l’arrêt n°16LY04441 et 18LY01263 rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 20 décembre 2018, les consorts [T]-[I]-[Y] entendant voir déclaré recevable leur appel incident, demandent à la cour de’:
réformer le jugement entrepris en ce qu’il’:
les a déboutés de leurs demandes de réparation de leurs dommages en nature ainsi que sur leur demande sur le fondement de l’article L480-13, 2° du code de l’urbanisme,
n’a pas correctement apprécié la perte de valeur de leur propriété ainsi que leur préjudice moral,
les a déboutés de leur demande subsidiaire d’expertise immobilière,
statuant à nouveau,
déclarer leur demande recevable et bien fondée,
constater, suivant décision de la juridiction administrative, l’illégalité du permis de construire ayant autorisé la construction du supermarché « Super U » litigieux sis [Adresse 15],
en conséquence,
condamner la société [Localité 13] Distribution à raison des troubles anormaux de voisinage à modifier la construction litigieuse de manière à retirer toute vue et ouverture de la façade sud-est surplombant leurs fonds et à en réduire la hauteur pour la rendre conforme au considérant n° 20 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 20/12/2018, à savoir une réduction de hauteur sur une longueur de 13,56m, de 2 m sur 9% du linéaire et de 0,75 m sur 5% du linéaire, et ce sous astreinte de 1.500€ par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
condamner la société [Localité 13] Distribution à payer’:
aux consorts [T] la somme de 24.000 € à titre de dommages et intérêts résultant de la perte de valeur de leur propriété,
aux consorts [I]-[Y] la somme de 24 000 € à titre de dommages et intérêts résultant de la perte de valeur de leur propriété,
dans le cas où la cour ne ferait pas droit à la demande de réparation en nature, condamner la société [Localité 13] Distribution à payer’:
aux consorts [T] la somme de 45.000€ à titre de dommages et intérêts résultant de la perte de valeur de leur propriété,
aux consorts [I]-[Y] la somme de 45.000 € à titre de dommages et intérêts résultant de la perte de valeur de leur propriété,
assortir les condamnations pécuniaires susvisées des intérêts de droit à compter de l’assignation,
subsidiairement, avant dire droit et dans le cas où la cour l’estimerait nécessaire, ordonner une expertise judiciaire et désigner un expert en immobilier avec pour mission d’évaluer la perte de valeur vénale des propriétés de M. et Mme [T] et des consorts [I]-[Y],
confirmer le jugement entrepris pour le surplus
débouter la société [Localité 13] Distribution de l’intégralité de ses demandes
y ajoutant
condamner la société [Localité 13] Distribution à payer aux consorts [T] d’une part, et aux consorts [I]-[Y] d’autre part, la somme de 7.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 septembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
Sur l’appel principal de la société [Localité 13] Distribution
Conformément aux dispositions de l’article 544 du code civil, nul ne doit occasionner à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage .
La responsabilité pour troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage n’impose pas de constater un comportement fautif d’un propriétaire ou d’un occupant pour qu’un voisin agisse en cas de trouble
Le non-respect d’autorisation d’urbanisme ne caractérise pas à lui seul l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Pour ouvrir droit à réparation, le trouble de voisinage doit présenter un caractère anormal et être d’une gravité certaine. La normalité des troubles de voisinage s’apprécie en fonction des circonstances de temps et de lieu et non pas en fonction du ressenti subjectif de la victime, celle-ci ne pouvant pas prétendre à l’immutabilité de ses avantages individuels selon la zone dans laquelle elle réside.
Au soutien de leur action en troubles anormaux du voisinage, les intimés excipent de trois catégories de nuisances’: des nuisances sonores créées par les passages des voitures et camions du fait de la fréquentation du magasin, y compris le dimanche, et par les employés des bureaux, des nuisances en lien avec le fonctionnement de l’équipement et des nuisances visuelles liées l’existence de fenêtres en façade sud-est du bâtiment U, d’une terrasse et d’un escalier extérieur qui créent des vues en surplomb sur leurs propriétés.
s’agissant des nuisances sonores
Les consorts [T]-[I]-[Y] communiquent aucun élément de preuve pertinent objectivant les bruits qu’ils dénoncent et qu’ils corrèlent à la présence du magasin U, telles que des études acoustiques
Ainsi, les photographies de poids-lourds situés à proximité du mur de clôture d’une propriété (dont il ne peut être déterminé d’une part, s’il s’agit de celle de M. et Mme [T] ou de celle des consorts [I]-[Y] et d’autre part, si ces véhicules sont stationnés ou s’ils circulent et encore s’ils sont en lien avec l’exploitation du magasin U, étant en tout état de cause sur la voie publique et non pas sur le terrain de la société [Localité 13] Distribution) sont assurément insuffisantes à prouver «’les incessants passages des voitures et camions générés par la grande fréquentation du magasin’», étant acquis que les habitations des intimés sont situées le long de la [Adresse 15] qui est une voie de circulation desservant le centre de la commune, donc de nature routière et non résidentielle. Ils n’établissent pas davantage l’existence de nuisances sonores en lien avec le service Drive de ce magasin.
Ensuite, ils soutiennent sans offre de preuve subir les bruits de conversations et éclats de rire des employés du magasin lors de leurs pauses sur la terrasse, ou lorsqu’ils rejoignent leurs véhicules’; il en est de même du’«’téléphone des bureaux qui sonne de manière incessante’» ou encore de «’la porte qui vibre à chaque passage d’un employé’».
Sans qu’il y ait lieu de statuer sur la pertinence de l’analyse acoustique produite par la société [Localité 13] Distribution pour dire l’absence d’émergences sonores indésirables liées à son activité et à son bâtiment à usage de bureaux, (à savoir que les consorts [T]-[I]-[Y] lui font reproche de ne pas avoir réalisé les mesures acoustiques aux points stratégiques) dès lors que la charge de la preuve des nuisances sonores incombe aux consorts [T]-[I]-[Y] et qu’ils échouent dans cette preuve, ces derniers sont déboutés de leurs prétentions fondées sur l’existence de ces nuisances.
s’agissant des inconvénients liés au fonctionnement de l’équipement à savoir stockage et livraison de marchandises
Les consorts [T]-[I]-[Y] n’établissent aucunement en l’état des photographies qu’ils communiquent (vue aérienne rapprochée des lieux, photographies de poids-lourds devant les habitations -les mêmes que précédemment-, photographie de la configuration du carrefour à l’Ouest de la [Adresse 15], photographies de l’escalier, du palier et des fenêtres du Super U), la réalité des inconvénients allégués, qu’il s’agisse de la surfréquentation de la [Adresse 15] par les véhicules des clients du magasin et par les camions de livraison de carburant pour la station-essence de celui-ci et de marchandises, ou encore des inconvénients liés service Drive de ce magasin dont ils indiquent que la sortie donne directement sur leur accès [Adresse 15].
En tout état de cause, la société [Localité 13] Distribution démontre que l’espace de stockage du magasin est situé à plus de 50 mètres des habitations des intimés et n’est pas visible depuis chez eux, tandis que la zone de livraison/ réception des marchandises est située à l’angle Nord du magasin U, à l’opposé de ces habitations’, mais également qu’il n’existe pas de stationnement pour ses poids-lourds à proximité de celles-ci, l’espace aménagé à l’angle Sud-Est de son terrain étant réservé à la clientèle du service Drive tandis que la zone entre le bâtiment commercial du magasin et la limite séparative des propriétés des intimés est aménagée en espaces verts, non carrossable.
Les consorts [T]-[I]-[Y] ne sont donc pas non plus fondés à exciper d’un préjudice du fait du fonctionnement du magasin U, faute d’en établir la réalité.
s’agissant des nuisances visuelles
Les consorts [T]-[I]-[Y] , qui indiquent de pas y avoir lieu de distinguer selon leurs propriétés respectives, soutiennent la création de vues droites dans leurs propriétés avec la réalisation du bâtiment commercial par la société [Localité 13] Distribution qui comporte en façade Sud-Est des fenêtres de bureau, un escalier extérieur et une terrasse dont la palissade ajourée permet aux employés du magasin de regarder à travers vers leurs propriétés, semblant dénoncer également une privation d’ensoleillement.
Les consorts [I]-[Y] précisent être dans l’impossibilité d’équiper leur propriété d’une piscine en plein soleil du fait de l’existence de ces vues.
Les intimés entendent faire remarquer que la haie de bambous installée par la société [Localité 13] Distribution ne permet pas de bloquer ces vues, étant située au-delà des fenêtres tandis que les arbres plantés (des liquidambars) ne permettront pas d’occulter ces vues avant plusieurs décennies compte tenu de leur croissance lente.
La société [Localité 13] Distribution objecte que seule la propriété [I]-[Y] est concernée par les ouvertures en façade Sud-Est de son bâtiment commercial, M. et Mme [T] dont la propriété est plus éloignée, ne souffrant qu’aucune vue donnant directement dans leur habitation.
Elle souligne que les ouvertures litigieuses sont situées à plus de 10 mètres de la limite séparative et qu’elles concernent des bureaux dont les occupants n’ont pas vocation à regarder par la fenêtre durant leur temps de travail’et qui travaillent selon des horaires déterminés ; elle excipe d’un constat d’huissier réalisé le 1er juillet 2022 rapportant que ces fenêtres sont équipées en partie basse de films occultants, qu’assis au poste de travail les propriétés voisines des consorts [T]-[I]-[Y] ne sont pas visibles, que la terrasse est ceinte de palissades, que les deux propriétés sont encore ensoleillées à 16h30 et qu’il existe en limite de propriété une haie de bambous de plusieurs mètres de hauteur sur une grande partie de la longueur du bâtiment Super U.
En tout premier lieu, le trouble anormal lié à une perte d’ensoleillement est rejeté comme étant aucunement établi par les consorts [T]-[I]-[Y].
En second lieu, les intimés ne peuvent pas utilement contester la teneur des constatations opérées par l’huissier de justice-commissaire de justice- à la date du 1er juillet 2022, celle-ci caractérisant sans équivoque l’absence de vue sur leurs propriétés (sans qu’il y ait lieu de les différencier comme soutenu par l’appelante) depuis les bureaux du local commercial’en raison du positionnement des postes de travail et des films occutants ; le fait que les fenêtres litigieuses, le palier de l’escalier extérieur et l’angle de la terrasse palissadée soient effectivement visibles depuis l’intérieur de l’habitation et du jardin des consorts [I]-[Y] (cf leurs photographies en pièce 15) ne permet pas en tant que tel de contredire ces constatations, la cour relevant en outre que M. et Mme [T] n’ont pas communiqué de photographies pour dire leurs nuisances visuelles personnelles.
Par ailleurs, il est vérifié à l’examen des pièces soumises à l’appréciation de la cour que des arbres ont été plantés en limite de propriété par la société [Localité 13] Distribution, à l’aplomb des fenêtres des bureaux, dont la cime de certains atteint déjà certaines d’elles.
Il s’avère en réalité que les consorts [T]-[I]-[Y] déplorent la construction même du bâtiment commercial et à usage de bureaux en limite de leurs propriétés en ce que celle-ci a occulté la perspective et le paysage dont ils bénéficiaient auparavant (leurs photographies «’avant/ après’» communiquées en pièces 15 étant à cet égard révélatrices).
La création des ouvertures litigieuses en façade Sud-Est de l’immeuble de bureaux (et dans une moindre mesure la terrasse qui est bien occultée par ses palissandres et l’escalier extérieur qui n’a pas vocation à assurer un stationnement pérenne de ses utilisateurs) quoique étant de nature à créer objectivement des vues sur leurs propriétés (ce qui n’est pas en réalité du fait de leur équipement en films occultants) ne caractérise pas toutefois un trouble anormal du voisinage au regard du contexte géographique du litige’; en effet, les propriétés des intimés bien que faisant partie d’une zone pavillonnaire, se situent à l’une des extrémités de celle-ci, en lisière de la zone d’aménagement concertée de [Adresse 11], où se trouve le parc international d’activités, la dimension économique de ce secteur impliquant légitimement la construction de bâtiments à vocation industrielle ou commerciale, en lisière de cette zone pavillonnaire.
Ainsi, aucune anormalité ne peut être retenue quant à la création de ces fenêtres, escalier et terrasse lors de l’édification de cet immeuble commercial de bureaux dont l’utilisation et l’impact sont proches d’un immeuble d’habitation bourgeois, voire moins impactant pour son environnement dès lors qu’il n’est occupé que durant des plages horaires fixes, étant par ailleurs relevé que la société [Localité 13] Distribution a agrémenté de végétaux les alentours de cet immeuble
Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu’il a retenu l’existence de troubles anormaux de voisinage à la faveur de motifs affirmatifs non caractérisés et alloué corrélativement des dommages et intérêts de ce chef aux consorts [T]-[I]-[Y].
Sur l’appel incident des consorts [T]-[I]-[Y]
Ils protestent sur l’application par les premiers juges des dispositions de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme dont ils excipaient au soutien de leur demande indemnitaire et de réparation en nature, à savoir la démolition des ouvertures, escalier et terrasse et la réduction de la hauteur du bâtiment.
L’article L. 480-13 précité distingue d’une part, une action délictuelle en démolition contre le propriétaire, qui ne pourrait être engagée qu’en cas d’annulation du permis par le juge administratif et dans les deux ans de la décision d’annulation définitive, et, d’autre part, une action en indemnisation pouvant être engagée par les tiers contre les constructeurs dans les deux ans de l’achèvement des travaux, une condamnation ne pouvant intervenir qu’après annulation ou constatation de l’illégalité du permis de construire par le juge administratif.
La société [Localité 13] Distribution n’ayant pas la qualité de constructeur mais d’exploitant du magasin U et du bâtiment de bureaux , les premiers juges ont donc exactement retenus que l’action indemnitaire des consorts [T]-[I]-[Y] n’était pas recevable contre cette société en tant que constructeur.
C’est également à la faveur d’une exacte application de la règle de droit que les premiers juges ont énoncé que la demande en démolition («’réparation en nature’») ne peut prospérer dès lors que la construction incriminée n’est pas située dans l’une des quinze zones définies comme nécessitant une protection particulière telles qu’énumérées par ce texte,, la cour ajoutant que cette restriction ne souffre d’aucune critique, la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’action en démolition en dehors des zones ainsi limitativement énumérées posée par la Cour de cassation ayant été rejetée par le Conseil constitutionnel (Civ. 3e, 12 sept. 2017, no 17-40046; Conseil constitutionnel 10 nov. 2017, no 2017-672)’; Ce motif de rejet se suffisant à lui-même, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les autres moyens développés par les parties sur le bien fondé ou pas de cette demande de démolition.
En conséquence, le jugement déféré est confirmé par substitution partielle de motifs en ce qu’il a débouté les consorts [T]-[I]-[Y] de ces chefs de demandes présentés au titre de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme.
L’appel incident sur le quantum des dommages et intérêts alloués et les autres demandes (expertise immobilière) est sans objet en raison de l’infirmation du jugement ayant posé le principe d’une indemnisation fondée sur les troubles anormaux du voisinage.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
La demande de la société [Localité 13] Distribution en paiement de dommages et intérêts en réparation «’des dommages subis en conséquence du caractère abusif de l’action contentieuse’» est rejetée cette dernière n’établissant pas que consorts [T]-[I]-[Y] l’ont assignée en justice par malveillance manifeste ou avec une légèreté blâmable caractérisant un abus du droit d’ester en justice, et ne démontrant pas non plus en avoir subi les préjudices spécifiques qu’elle allègue (préjudice moral à raison de l’atteinte à son image et à sa réputation)’; le jugement querellé est confirmé sur le rejet de cette prétention, par substitution de motifs.
Sur les mesures accessoires
Parties succombantes, les consorts [T]-[I]-[Y] sont condamnés aux dépens de première instance et d’appel’et conservent leurs frais irrépétibles ; ils sont dispensés en équité de verser une indemnité de procédure à la société [Localité 13] Distribution.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté M. [R] [T] et Mme [G] [Z] épouse [T], M. [V] [I] et Mme [S] [Y] de leurs demandes fondées sur l’article L.480-13 du code de l’urbanisme, et la société [Localité 13] Distribution de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,
Déboute M. [R] [T] et Mme [G] [Z] épouse [T], M. [V] [I] et Mme [S] [Y] de leurs demandes présentées sur le fondement des troubles anormaux du voisinage,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, y compris en appel,
Condamne M. [R] [T] et Mme [G] [Z] épouse [T], M. [V] [I] et Mme [S] [Y] d’autre part aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT