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COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – CIVILE
YW/CG
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/02083 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E4P5
jugement du 12 Juillet 2021
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ANGERS
n° d’inscription au RG de première instance 11-21-0047
ARRET DU 05 DECEMBRE 2023
APPELANTE :
S.A. PODELIHA prise en la personne de son Président du Conseil d’Administration domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre LAUGERY de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 21A00767
INTIMEE :
Madame [T] [K]
née le 04 Décembre 1986 à [Localité 6] (MAYOTTE -97-)
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71210369 et par Me Christophe BUFFET de la SCP ACR AVOCATS, avocat plaidant au barreau d’ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 06 Mars 2023 à 14H00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. WOLFF, Conseiller, qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
M. WOLFF, Conseiller
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 05 décembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Yoann WOLFF, conseiller, pour la présidente empêchée, et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte sous signature privé ayant pris effet le 30 juin 2020, Mme [T] [K] a pris en location auprès de la société Podeliha (la société) un appartement situé au 6e étage d’un immeuble se trouvant [Adresse 3].
Se plaignant du bruit fait par sa voisine du dessus, Mme [D] [I], Mme [K] a fait assigner la société devant le tribunal judiciaire d’Angers par acte d’huissier de justice du 11 janvier 2021, afin notamment de la voir condamnée à lui verser des dommages et intérêts et à faire cesser les nuisances sonores.
Par jugement du 12 juillet 2021, le tribunal a :
Condamné la société à verser à Mme [K] les sommes de :
900 euros au titre du préjudice de jouissance subi du mois d’août 2020 jusqu’au jugement ;
1000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejeté les autres demandes de la société ;
Condamné la société aux dépens.
La société a relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement par déclaration du 23 septembre 2021.
La clôture de l’instruction a ensuite été prononcée par ordonnance du 1er mars 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2023, la société demande à la cour :
D’infirmer le jugement ;
À titre principal, de déclarer Mme [K] irrecevable en ses demandes ;
Subsidiairement, de rejeter ces dernières ;
Plus subsidiairement, de limiter l’indemnisation de Mme [K] à la somme de 100 euros ;
En toute hypothèse, de condamner Mme [K] aux dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du même code.
La société soutient que :
Mme [K] communique des éléments démontrant que Mme [I] a quitté son logement en décembre 2020 au moins, ce que l’intéressée confirme avoir fait le 27 octobre 2020. Les attestations produites par Mme [K] ne sont pas datées, de sorte qu’elles ne peuvent établir une persistance des nuisances alléguées au-delà de décembre 2020. En outre, elles émanent toutes de membres de la famille ou d’une amie de Mme [K]. Ceux-ci ne résident pas quotidiennement sur place et ne peuvent donc pas décrire des faits auxquels ils auraient assisté. Ces attestations de complaisance sont ainsi dépourvues de force probante. En conséquence, le 11 janvier 2021, jour de l’assignation, les troubles, à les supposer établis, avaient nécessairement cessé et Mme [K] n’avait plus intérêt à agir.
Les pièces versées aux débats par Mme [K] ne permettent pas de démontrer l’existence d’un trouble. Il s’agit uniquement d’attestations de complaisance émanant de membres de sa famille ou de proches, rédigées dans des conditions qui interrogent, et qui sont particulièrement incohérentes. Elles ne respectent pas les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne leur date et la description des faits qui doivent être constatés personnellement. Il est démontré qu’en réalité Mme [K] est, avec Mme [H], à l’origine du conflit de voisinage à la faveur duquel elle prétend subir des troubles de voisinage. Le réel causeur de troubles est bien Mme [K] et n’a jamais été Mme [I].
À supposer que la cour considère que Mme [K] apporte la preuve de l’existence de troubles, cette dernière ne démontre pas que ces troubles sont anormaux. Aucun autre locataire ne s’est plaint de gênes occasionnées par Mme [I]. Il s’agit manifestement d’un conflit de voisinage.
Ses propres diligences sont incompatibles avec une condamnation. Elle a écrit à Mme [I] pour faire cesser toute gêne dont celle-ci pouvait être à l’origine.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 février 2023, Mme [K] demande à la cour :
De rejeter les demandes de la société ;
De réformer le jugement ;
De condamner la société à lui verser les sommes de :
5000 euros à titre de dommages et intérêts ;
5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
De condamner la société à faire cesser les nuisances sonores, et ce, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;
De condamner la société aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Mme [K] soutient que :
Les attestations versées aux débats démontrent que les désordres n’ont pas cessé en décembre 2020 ou janvier 2021. Son intérêt à agir ne peut donc être contesté ;
Les désordres existent, sont insupportables, répétitifs et nuisent à sa santé. Les attestations produites se corroborent les unes les autres ;
La société, qui avait de multiples possibilités d’action, n’a strictement rien fait ;
Mme [I] ayant quitté les lieux, elle ne maintient pas sa demande de condamnation de la société sous astreinte.
MOTIVATION
Sur l’intérêt à agir de Mme [K]
Selon l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Ainsi, l’intérêt à agir peut être défini comme l’avantage ou l’utilité qu’aurait la prétention, à la supposer fondée, pour celui qui la formule.
En l’espèce, il est constant que Mme [K] et Mme [I] sont voisines et, à les supposer établies, ce qui sera l’objet de la discussion au fond, les nuisances sonores alléguées par Mme [K] sont effectivement de nature à lui causer un trouble, lui-même susceptible d’être réparé par les prétentions qu’elle formule.
Mme [K] a donc bien un intérêt à agir.
Sur la responsabilité de la société
Il résulte des articles 1725 du code civil et 6, alinéa 5, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 que le bailleur, obligé d’assurer au locataire la jouissance paisible du logement, est responsable à l’égard de celui-ci des troubles de jouissance qui émanent des autres personnes dont il répond, et notamment de ses autres locataires.
En l’espèce, Mme [K] produit différents documents démontrant que, dès le 20 août 2020, elle s’est plainte à plusieurs reprises auprès de Mme [I], de la société, de sa commune et du département, des nuisances sonores qu’elle impute à la première (pièces nos 2, 3, 7, 8 et 9 de Mme [K]).
Ces plaintes sont corroborées tout d’abord par une attestation de Mme [F] [O] [V], datée du 30 juillet 2021 (pièce n° 28 de Mme [K]), laquelle se présente comme une ancienne voisine, sans que cela ne soit contesté par la société, et indique : « [‘] après avoir logé 3 ANS au 12 chemin du Petit pouillé dans l’appartement 26 avec les enfants, je déclare que Madame [I] ne respecte personne et ne cesse pas de donner des coups au dessus de nous par provocation et je confirme qu’elle utilise une perceuse régulièrement qui résonnait dans l’ensemble de notre logement et nous empêche de dormir. »
Les plaintes de Mme [K] sont corroborées ensuite par 14 attestations, toutes signées et accompagnées d’un justificatif de l’identité de leur auteur, émanant de 8 personnes différentes certifiant s’être trouvées ponctuellement, parfois pendant plusieurs jours, ou régulièrement chez l’intéressée et y avoir elles-mêmes constaté du bruit (pièces nos 10, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25, 26 et 31). Le fait qu’il s’agisse de proches de Mme [K] ne prive pas par principe ces attestations de leur force probante, seuls des membres de son entourage familial et amical étant susceptible de se trouver suffisamment longtemps chez elle, et notamment la nuit, pour pouvoir se prononcer utilement sur les nuisances alléguées. Ces attestations, qui constituent des preuves admissibles quand bien même elles ne seraient pas toutes datées, dès lors qu’elles sont précises, circonstanciées, nombreuses et concordantes, se rejoignent pour faire état d’éléments tels que ceux-ci :
« [‘] la voisine au-dessus du 7e étage ne cesse de faire des tapages nocturnes et ceci tous les jours même pendant les heures tardives de la nuit. »
« [‘] c’est compliqué de rester dans le calme chez elle [Mme [K]] à cause des bruits intempestifs qui résonnent jours et nuits dans l’ensemble de son logement [‘] et tous ces bruits viennent de chez sa voisine du dessus. C’est très inconfortable à vivre. [‘] on était tout le temps confronté aux bruits. »
« Les bruits qui durent très très longtemps et qui sont répétitifs et qui s’enchaînent dans l’ensemble des pièces du logement [‘] Ce sont des actes volontaires de la part de sa voisine. »
« Les bruits sont répétitifs et cela jour et nuit, soit des coups de marteau, l’usage d’une perceuse. Elle court dans la nuit aux alentours de 2h-3h du matin. Dès que l’on se met à dormir, on entend la chute d’objets divers qu’elle fait tomber sur le sol, volontairement dans l’ensemble des pièces de l’appartement [‘] »
« [‘] j’ai effectivement entendu à plusieurs reprises [‘] des bruits mais je ne peux déterminer ce que faisait la personne. J’ai l’impression qu’elle faisait des travaux en pleine soirée [‘] on arrive pas à trouver le sommeil convenablement. »
« [‘] les tapages à nouveau aux environs de 5h, 6h du matin [‘] »
« J’atteste que les bruits nocturnes persistent et se produisent entre 22h à minuit et de 4h du matin à 6h du matin. D’après le degré de bruits, je peux supposer que c’est un objet dur tel qu’une boule de ferraille, un marteau ou perceuse [‘] »
Ainsi, toutes ces attestations font état d’un bruit qui, par son intensité, sa répétition voire sa permanence, et les moments, notamment nocturnes, auxquels il intervient, excède les inconvénients normaux de voisinage, y compris pour des personnes autres que Mme [K], dont le ressenti n’est donc pas seul en cause.
Plusieurs des attestations évoquent des nuisances ayant perduré au-delà du mois de décembre 2020, la société ne justifiant quant à elle avoir relogé Mme [I] qu’en juin 2022. Ainsi, M. [N], dont l’attestation est datée du 7 mai 2021 (pièce n° 19), relate des nuisances constatées après son arrivée à [Localité 4] le 4 mai 2021. M. [U] [C], dans une attestation du 28 juillet 2021 (pièce n° 20), certifie quant à lui avoir été présent au domicile de Mme [K] jusqu’à cette date et depuis le 26 juillet précédent, et avoir « assisté la scène la nuit du 27 juillet les tapages, de manière oculaire, et auditoire [‘] de plus le petit matin du 28 juillet des tapages à nouveau aux environs de 5h, 6h du matin [sic] ». Mme [A] [P] indique pour sa part dans une attestation du 11 août 2021 (pièce n° 23) : « [‘] grande a été ma surprise de constater le weekend du 30 Juillet au 1 Août que ces nuisances sonores continuent. Le bailleur avait dit que [‘] Mme [I] était relogée ailleurs, et qu’elle ne vivait plus dans l’immeuble. Mais ces nuisances attestent le contraire. » Enfin, M. [W] [S], que sa qualité de compagnon de Mme [K] n’empêche pas d’attester, écrit dans un document daté du 13 novembre 2021 (pièce n° 24) : « En date du 24 octobre les tapages étaient sans cesse entre 4H et 5H du matin. [‘] Au moment où je rédige ce témoignage elle frappe très fort. »
L’ensemble de ces éléments n’est pas contredit par ceux versés aux débats par la société dont aucun, sauf les attestations de Mme [I] elle-même, ne vient nier les nuisances sonores provoquées depuis le logement de cette dernière.
Dans ces conditions, il est bien établi, sans que la cour ne soit tenue de suivre davantage les parties dans le détail de leur argumentation, que Mme [K] a subi les nuisances sonores invoquées jusqu’en novembre 2021, date des dernières nuisances qui sont attestées.
Le comportement, quel qu’il soit, que Mme [K] a pu avoir vis-à-vis de tiers avant son arrivée dans les lieux et après le départ de Mme [I] ne fait pas disparaître ces nuisances.
Or la société reconnaît elle-même qu’elle s’est contentée face à celles-ci d’écrire à Mme [I] « pour faire cesser toute gêne dont elle pourrait être à l’origine », et de constater « l’absence de toute autre plainte », ce qui ne saurait constituer une démarche suffisante.
Le premier juge doit donc être approuvé en ce qu’il a considéré que la société avait manqué à ses obligations et engagé sa responsabilité vis-à-vis de Mme [K].
Néanmoins, la société produit deux lettres d’une autre voisine, Mme [M] [Z], qui confirme « les nuisances sonores [qu’elle subit] quotidiennement, jour et nuit », mais pour laquelle « ces nuisances sonores sont provoquées par un conflit de voisinage entre Mesdames [K] au 6ème étage porte 26 et [‘] Mme [I], 7ème étage porte 30 », auquel « Madame [H], 6ème étage, s’est jointe [‘] au profit de Madame [K] ». Si, selon Mme [Z], « ces nuisances se traduisent par des coups de marteau au sol donnés en pleine nuit et en plein jour depuis les chambres et les placards, des coups de marteau dans les garde corps en fer des cuisines, des hurlements et des claquements de portes », « le fait est [selon elle] que ces deux locataires Mesdames [K] et [H] provoquent ces désagréments afin de nuire à leur entourage et que PODELIHA leur propose un nouveau logement». Une telle attitude de Mme [K] est corroborée par les attestations de trois autres de ses voisines ainsi que par un courriel d’une travailleuse sociale accompagnant l’une d’elle (pièces nos 14, 15, 16 et 17 de la société), dont il ressort que Mme [K] peut se montrer virulente vis-à-vis de son voisinage et donner elle-même des coups, notamment de marteau, dans les murs, le plafond et les portes. Il en ressort que, face aux nuisances subies, Mme [K] a elle-même adopté un comportement fautif ayant envenimé la situation et aggravé son préjudice. Cela est de nature à exonérer la société d’une partie de sa responsabilité.
En conséquence, et nonobstant la poursuite des nuisances après le jugement, la somme de 900 euros allouée par le premier juge apparaît être une juste indemnisation du préjudice subi par Mme [K]. Elle sera donc confirmée, de même que le rejet de la demande de condamnation de la société sous astreinte, que Mme [K] ne soutient plus dans la discussion de ses conclusions et qui est devenue sans objet avec le départ de Mme [I].
3. Sur les frais du procès
La société perdant définitivement le procès, les dispositions du jugement sur les dépens et l’article 700 seront confirmées.
La société sera également condamnée aux dépens de la procédure d’appel et se trouve de ce fait redevable vis-à-vis de Mme [K], en application de l’article 700 du code de procédure civile, d’une indemnité qu’il est équitable de fixer à 1500 euros.
Le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile sera accordé à l’avocat de Mme [K].
Les demandes correspondantes de la société seront quant à elles rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
DÉCLARE Mme [T] [K] recevable en sa demande ;
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant :
Condamne la société Podeliha aux dépens ;
Accorde le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile à l’avocat de Mme [T] [K] ;
Condamne la société Podeliha à verser à Mme [T] [K] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes des parties.
LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE, empêchée
C. LEVEUF Y. WOLFF