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N° RG 22/02723 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OHSL
Décision du Juge des contentieux de la protection de LYON au fond du 11 février 2022
RG : 11-21-4169
[M]
C/
Etablissement Public OPAC DU RHÖNE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 13 Décembre 2023
APPELANT :
M. [B] [M]
né le 18 Juillet 1980 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
(bénéficiaire d’une aide juridictionnelle partielle numéro 2022/006970 du 14/04/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Lyon)
Représenté par Me Julie MATRICON, avocat au barreau de LYON, toque : 959
INTIMÉE :
L’Office Public de l’Habitat du Département du Rhône, établissement public à caractère industriel et commercial sous l’enseigne OPAC DU RHÔNE, enregistré au RCS de LYON sous le numéro B 779 859 297, dont le siège social est situé [Adresse 2] à [Localité 3], agissant poursuites et diligences de son Directeur général domicilié es qualité à son siège
Représentée par Me Laure POUTARD, avocat au barreau de LYON, toque : 964
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 13 Février 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Octobre 2023
Date de mise à disposition : 13 Décembre 2023
Audience tenue par Véronique MASSON-BESSOU, président, et Véronique DRAHI, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l’audience, un membre de la Cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Bénédicte BOISSELET, président
– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
– Véronique DRAHI, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Véronique MASSON-BESSOU, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Exposé du litige
Par contrat du 2 décembre 2011, l’Opac du Rhône a donné à bail à [B] [M] un appartement sis [Adresse 1] à [Localité 4] (département du Rhône).
L’appartement est situé dans une petite copropriété composée de trois bâtiments.
Aux motifs que depuis l’année 2020, il était saisi de plaintes et pétitions de voisins d'[B] [M], lesquels se plaignaient des nuisances sonores et incivilités quotidiennes de ce locataire, l’OPAC du Rhône a, par exploit du 28 septembre 2021, assigné celui-ci devant le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir au principal prononcer la résiliation du bail et qu’il soit statué sur ses conséquences.
[B] [M] n’a pas comparu.
Par jugement du 11 février 2022, le Juge des contentieux de la protection a :
Prononcé la résiliation du bail pour manquements graves du locataire [B] [M] à son obligation de jouissance paisible des lieux loués,
Condamné [B] [M] à régler à l’Opac du Rhône une indemnité d’occupation mensuelle équivalente aux loyers et charges qui n’auraient été payés en cas de non résiliation du bail à compter de l’assignation jusqu’à la libération des lieux,
Ordonné à défaut de libération volontaire des lieux, l’expulsion d'[B] [M] ainsi que de celle de tous occupants de son chef, avec si besoin est le concours de la force publique et l’assistance d’un serrurier, et rappelé que par application des articles L 411-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, cette expulsion ne pourra être pratiquée avant l’expiration d’un délai de deux mois suivants la délivrance d’un commandement de payer les lieux,
Dit que, conformément aux dispositions des articles L 433-1 et suivants du Code des procédures civiles, les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais du preneur en un lieu qu’il aura choisi et qu’à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu et décrits avec précision par l’huissier de justice chargé de l’ exécution avec sommation et d’avoir à les retirer dans le délai d’un mois,
Condamné [B] [M] à payer à l’Opac du Rhône la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le jugement a retenu, au visa de l’article 7b de la loi du 6 juillet 1989 :
que les nuisances alléguées sont établies par un courrier dans lequel sept locataires de la résidence relatent des nuisances sonores, des fumées et un comportement indécent réitérés ;
qu'[B] [M] manque à son obligation de jouissance paisible des lieux et que la gravité des manquements et leur persistance justifient la résiliation du bail.
Par déclaration au greffe de la Cour régularisée par RPVA le 13 avril 2022, [B] [M] a interjeté appel de l’intégralité du jugement du 11 février 2022, dont il a repris les termes du dispositif dans le cadre de son appel.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 27 juin 2022, [B] [M] demande à la Cour de :
Vu l’article 7 b de la loi du 6 juillet 1989,
Infirmer le jugement rendu par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Lyon du 11 février 2022, dans les termes de l’appel (repris dans le dispositif de ses écritures) ;
Statuant à nouveau :
Dire et juger que le bailleur ne rapporte pas la preuve de la réalité des manquements d'[B] [M] à son obligation de jouissance paisible des lieux loués ni celle de la gravité de ces manquements et de leur persistance dans le temps ;
Rejeter purement et simplement l’ensemble des demandes présentées par l’Opac du Rhône comme injustifiées et non fondées ;
Condamner l’Opac du Rhône à lui verser une somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, [B] [M] fait valoir :
que les troubles de voisinage qui lui sont reprochés ne sont pas établis et qu’à tout le moins ils ont cessé et ne constituent pas un manquement grave du locataire à ses obligations justifiant la résiliation du bail ;
que plus précisément, le bailleur se limite à produire deux pétitions et trois mails qui lui ont été adressés par la même personne, Madame [W], qui a du mal à le supporter ;
qu’en réalité, les éléments produits établissent que des nuisances sonores ont pu se produire occasionnellement du mois de septembre 2020 au mois de juillet 2021 et qu’il justifie par de nombreuses attestations que toute nuisance a cessé à compter de Juillet 2021, soit avant la délivrance de l’assignation ;
que par ailleurs, les manquements reprochés, qui relèvent en partie des griefs personnels d’une seule voisine, ne sont pas suffisamment graves pour justifier la résiliation du bail.
Il ajoute qu’il est loin d’avoir la vie dissolue que voudrait laisser croire la pétition, qu’il est en effet plombier, a un rythme de vie régulier et élève seul son fils de 14 ans et qu’il est primordial qu’il puisse conserver son appartement, et sa famille proche qui l’assiste dans l’éducation de son fils résidant dans la commune de [Localité 4].
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 21 septembre 2022, l’Opac du Rhône demande à la Cour de :
Constater que les troubles de voisinage ont existé et n’ont pas cessé,
Confirmer l’intégralité des termes du jugement rendu par le Juge du contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône (sic) le 11 février 2022,
Débouter [B] [M] de l’intégralité de ses demandes,
Débouter [B] [M] de toutes conclusions, fins et prétentions contraires aux présentes,
Ordonner l’exécution provisoire,
Condamner [B] [M] à lui régler la somme de 1 000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les frais de timbre fiscal (225 €) ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, l’Opac du Rhône fait valoir :
qu'[B] [M] reconnaît que des troubles ont existé puisqu’il soutient qu’ils ont désormais cessé ;
que les attestations qu’il produit pour établir que les reproches qui lui sont faits sont infondés ne sont pas probantes, s’agissant d’attestations qui émanent de sa propre famille, y compris son fils mineur, et qui manquent donc de neutralité, et le surplus des attestations émanant de personnes demeurant à d’autres adresses que la sienne ;
que de son côté, il produit une pétition adressée en septembre 2020 par sept voisins d'[B] [M], qui vivent à la même adresse que lui, et qui se plaignent de différentes nuisances telles notamment des fêtes alcoolisées avec consommation de cannabis jusqu’à 3 heures du matin organisées par [B] [M], de karaokés organisés à des heures indues, de parties de pétanques sous le son de la musique venant de son véhicule ou de batailles de tomates cerises ;
qu’à la suite de cette pétition, il a convoqué [B] [M] à deux reprises mais que celui-ci ne s’est pas présenté au rendez-vous fixé ;
que le 5 avril 2021, l’Opac du Rhône s’est trouvé à nouveau destinataire d’un autre courrier de voisins d'[B] [M] continuant à se plaindre de son comportement et qu’au mois de juin 2021, il y a eu de nouveau des plaintes, ce qui démontre que le comportement d'[B] [M] n’était pas compatible avec une vie dans un immeuble d’habitat collectif ;
que l’obligation d’user paisiblement des locaux et de leurs équipements loués, énoncée au contrat de bail justifie la résiliation du bail prononcée par le tribunal judiciaire en cas de violation de cette obligation par le locataire ;
qu’en l’espèce, la réalité et la gravité des troubles de jouissance ainsi que leur renouvellement dans le temps largement établis constituent des manquements graves et répétés de la part d'[B] [M] qui reconnaît avoir créé des nuisances et qui n’apporte aucune garantie que cela cessera complètement.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
1) Sur la résiliation du bail
Aux termes des dispositions de l’article 7 b de la loi du 6 juillet 1989 et de l’article 1728 1° du Code civil, le locataire est tenu d’une obligation d’user paisiblement des lieux loués.
Au sens de ces dispositions, il appartient au locataire, notamment, de respecter la tranquillité du voisinage.
Aux termes de l’article 1124 du Code civil, la résolution du contrat résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.
Il en résulte que seule une inexécution grave justifie la résiliation du bail.
En l’espèce l’OPAC du Rhône soutient en substance qu'[B] [M], par son comportement, est à l’origine de troubles, principalement des nuisances sonores, qui perturbent la jouissance paisible de [Adresse 1] copropriété et que ces troubles sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du bail.
Pour établir la réalité de ces troubles, l’OPAC du Rhône verse aux débats deux pétitions dont il indique qu’elles ont été signées par les occupants d’appartements voisins de celui d'[B] [M] ainsi que plusieurs courriels.
La première pétition, datée du 28 septembre 2020, est signée par une dénommée ‘Madame [Y] [W]’, (qui visiblement est l’auteur de la pétition puisque son nom figure en tête des signataires et que la pétition est rédigée sous la forme personnelle), et par six autres personnes dont on suppose qu’elles sont occupantes également d’appartements de [Adresse 1], sans pour autant que cela soit justifié par l’intimé.
Cette pétition dénonce des comportements d'[B] [M] qui ne sauraient être considérés comme caractérisant des manquements de celui-ci à son obligation de jouir paisiblement des lieux loués, en tous cas des manquements graves, tel le fait de se balader torse nu, de poser un verre sur le rebord de fenêtre d’une voisine, ou de s’amuser à faire une bataille de tomate cerise avec ses camarades.
Pour autant, elle dénonce également des tapages essentiellement noctures, tels des fêtes alcoolisées avec consommation de cannabis, se terminant parfois à 3 heures du matin, avec musique forte, karaokés, cris, et déplacement bruyant de meubles, tant dans l’appartement d'[B] [M] que dans son garage.
Il est également fait mention, aux beaux jours, de soirées sur le terrain de boules, à l’extérieur, avec muisque, soirées alcoolisées, barbecues engendrant de la fumée.
La seconde pétition est datée du 5 avril 2021, soit six mois après la première. Pour la même raison que la précédente, il semble qu’elle a été également rédigée par ‘Madame [Y] [W]’ et elle est signée par deux autres personnes, dont on suppose qu’ils sont occupants de la résidence.
Cette pétition dénonce l’absence de changement dans les comportements d'[B] [M].
Elle fait notamment état d’une soirée arrosée et bruyante le 24 février 2021 dans l’appartement de celui-ci, et de week-end du même type, comme le 3 avril 2021, où [B] [M] et ses amis auraient parlé fort, mis de la musique, les éléments féminins de l’assistance ayant même chanté, et ce jusqu’à une heure du matin.
L’Opac du Rhône produit également des courriels du 6 juin et 22 juin 2021(dont le nom de l’auteur a été masqué) dans lesquels il est fait état de nuisances sonores identiques ‘samedi soir’, et de l’abandon à cette occasion d’une cannette de bière sur le terrain de boules, l’auteur précisant en outre avoir supris [B] [M] ‘urinant entre les voitures’.
La Cour observe qu’aucun constat d’huissier n’est produit ni de photographies ou attestations, qu’il n’est justifié d’aucune plainte auprès des services de gendarmerie, même s’il en est fait état dans la pétition, dans un contexte où il n’est pas contesté qu'[B] [M] occupe les lieux depuis décembre 2011 et où l’Opac du Rhône ne fait état d’aucune plainte le concernant pendant près de 10 ans, la première pétition évoquant des faits qui se seraient produits au cours de l’année 2021.
Dans ce contexte, la Cour ne peut que constater que des pétitions dont les auteurs ne sont pas formellement identifiés, et des courriels dont le nom de l’auteur est masqué ne peuvent suffire à rapporter la preuve certaine de ce que [B] [M] de façon régulière organise dans son appartement ou à l’extérieur, notamment sur le terrain de boules, des festivités bruyantes et tardives et qu’il pourrait être retenu de ce fait un manquement grave du locataire à son obligation de jouissance paisible justifiant la résiliation du bail.
La Cour observe également que si l’Opac du Rhône soutient que ‘rien ne permet de dire que les agissements ont cessé’, c’est à lui qu’il appartient d’en rapporter la preuve, ce qu’il ne fait pas.
Reste que dans ses écritures, [B] [M], contestant la vie dissolue dont on l’accuse alors qu’il exerce le métier de plombier depuis 10 ans dans la même société et élève seul son fils de 14 ans, ce dont il justifie, semble admettre des soirées ponctuelles et parfois bruyantes durant l’été 2020 et jusqu’à l’été 2021.
Si cela ne peut justifier une résiliation de son bail pour manquement grave, pour autant, la Cour croit utile d’observer qu’il lui appartient, dans le cadre des réjouissances qu’il souhaite organiser, de respecter la tranquillité des ses voisins et de ne pas les importuner par des bruits intempestifs, notamment à une heure tardive et de faire preuve de courtoisie et de civisme à leur égard.
Au regard de l’ensemble des éléments, la Cour infirme la décision déférée dans son intégralité et, statuant à nouveau rejette la demande de résliation de bail présentée par l’Opac du Rhône.
2) Sur les demandes accessoires
L’Opac du Rhône succombant, la Cour infirme la décision déférée qui a condamné [B] [M] aux dépens de première instance et à payer à l’Opac du Rhône une somme de 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et, statuant à nouveau :
Condamne l’Opac du Rhône aux dépens et rejette la demande présentée par l’Opac du Rhône en première instance sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Pour la même raison, la Cour condamne l’Opac du Rhône aux dépens à hauteur d’appel et à payer à [B] [M] la somme de 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement rendu le 11 février 2022 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Lyon dans son intégralité, et,
Statuant à nouveau :
Rejette la demande de résiliation de bail présentée par l’Opac du Rhône ;
Condamne l’Opac du Rhône aux dépens de la procédure de première instance ;
Rejette la demande présentée par l’Opac du Rhône en première instance sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne l’Opac du Rhône aux dépens à hauteur d’appel ;
Condamne l’Opac du Rhône à payer à [B] [M] la somme de 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT