Nuisances sonores : décision du 14 décembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02274

·

·

Nuisances sonores : décision du 14 décembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/02274
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

————————–

ARRÊT DU : 14 décembre 2023

SÉCURITÉ SOCIALE

N° RG 22/02274 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MWEA

S.A.S. [5]

c/

Monsieur [Y] [S]

CPAM DE LA GIRONDE

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).

Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 avril 2022 (R.G. n°20/01625) par le Pole social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d’appel du 09 mai 2022.

APPELANTE :

S.A.S. [5] agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 6] – [Localité 3]

représentée par Me Xavier LAGRENADE de l’AARPI D’HERBOMEZ LAGRENADE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [Y] [S]

né le 29 Décembre 1955

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1] – [Localité 2]

représenté par Me Pierre SIRGUE de l’ASSOCIATION BERREBI – SIRGUE, avocat au barreau de BORDEAUX

CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4] – [Localité 2]

représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 octobre 2023, en audience publique, devant Madame Marie-Paule Menu, présidente chargée d’instruire l’affaire, et madame Sophie Lésineau, conseillère qui ont retenu l’affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente

Madame Sophie Lésineau, conseillère

Madame Valérie Collet, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société [5] a employé M. [S] en qualité de soudeur du 14 septembre 1992 au 19 août 2003.

L’assuré a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde (la caisse en suivant) une déclaration de maladie professionnelle datée du 15 novembre 2016, mentionnant une “surdité partielle bilatérale”.

Le certificat médical initial établi le 18 novembre 2016 constate une “baisse de l’acuité auditive bilatérale partielle sur les aigus”.

Par décision du 24 avril 2018, la caisse a notifié à M. [S] la prise en charge de sa pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.

L’état de santé de M. [S] a été déclaré consolidé le 28 mai 2018 avec attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle de 8%.

Le 13 novembre 2018, M. [S] a saisi le tribunal du contentieux de l’incapacité de Bordeaux afin de contester ce taux.

Par jugement du 8 décembre 2022, le tribunal a porté le taux d’incapacité permanente partielle de M. [S] à 12%.

Par courrier du 15 novembre 2018, M. [S] a saisi la caisse d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de sa maladie du 15 novembre 2016. La procédure de conciliation n’a pas abouti.

Le 4 novembre 2020, M. [S] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins qu’elle :

– dise que sa maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de la société [5] ;

– ordonne, en conséquence, la majoration au maximum de l’indemnité forfaitaire allouée;

– dise que la majoration de l’indemnité forfaitaire suivra l’évolution éventuelle de son taux d’incapacité permanente partielle ;

– ordonne, avant dire droit, une expertise médicale et désigne tel expert pour y procéder;

– dise que la caisse fera l’avance des frais ;

– déboute la société [5] de toutes ses demandes ;

– condamne la société [5] au paiement d’une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 12 avril 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– dit que la maladie professionnelle déclarée par M. [S] est due à la faute inexcusable de la société [5] son employeur ;

– ordonné à la caisse de majorer au montant maximum le capital versé en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale ;

– dit que la majoration du capital servi en application de l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale suivra l’évolution éventuelle du taux d’incapacité attribué ;

– ordonné, avant-dire droit sur la liquidation des préjudices subis par M. [S], une expertise judiciaire et désigné pour y procéder le docteur [C] [Z], expert près la cour d’appel de Bordeaux.

– dit que la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde versera directement à M. [S] les sommes dues au titre de la majoration du capital et de l’indemnisation complémentaire ;

– dit que la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir et de la majoration, accordées à M. [S] à l’encontre de la société [5], et condamne cette dernière à ce titre, ainsi qu’au remboursement du coût de l’expertise ;

– réservé les dépens ;

– condamné la société [5] à verser à M. [S] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration datée du 9 mai 2023 enregistrée le 11 mai 2023, la société [5] a relevé appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions enregistrées le 14 septembre 2023, la société [5] demande à la cour :

– de juger recevables ses présentes écritures ;

– d’infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux du 12 avril 2022 ;

– de donner acte de l’inscription au compte spécial des conséquences financières de la reconnaissance de la maladie professionnelle en raison de son exposition au risque du demandeur auprès de ses précédents employeurs ;

– de lui déclarer inopposables les conséquences financières de l’éventuelle reconnaissance de la faute inexcusable ;

– de constater que le demandeur n’établit pas qu’elle l’a exposé au risque ni qu’elle a commis une faute inexcusable ;

En conséquence,

– de débouter le demandeur de toutes ses demandes ;

À titre subsidiaire,

– de juger que l’expertise médicale ordonnée ne suivra pas la nomenclature Dintilhac et devra notamment éclairer le tribunal sur les antécédents médicaux de M. [S] et leurs conséquences sur son état de santé ;

– confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux du 12 avril 2022 et rejeter toutes demandes à titre de provision ;

– rejeter toutes demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dispenser les parties des dépens conformément à l’article R144-6 du code de la sécurité sociale.

La société [5] expose les arguments suivants :

Sur l’origine professionnelle de la maladie :

– M. [S] ne rapporte pas la preuve qu’il a été exposé aux risques prévus au tableau n°42 des maladies professionnelles du régime général au sein de son entreprise, les médecins composant le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles n’ayant aucune compétence pour évaluer sur pièces les conditions de travail d’un salarié ;

– l’avis dudit comité était d’ailleurs orienté et les attestations fournies des documents établis par complaisance, de sorte qu’ils ne constituent pas plus la preuve d’une telle exposition ;

– la surdité de M. [X] ne peut résulter de seulement trois mois d’exposition au bruit; elle a forcément débuté avant son embauche au sein de l’entreprise et le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles indique lui-même dans son avis du 19 avril 2018 que l’exposition à des bruits lésionnels s’est étalée sur l’ensemble de sa carrière ;

– des études toxicologiques et épidémiologiques ont démontré que la surdité peut également survenir suite à une exposition à des substances chimiques utilisés en milieux professionnels, ou à une prise médicamenteuse, de sorte que l’atteinte auditive de M. [S] n’est pas nécessairement d’origine professionnelle ;

– M. [S] étant le seul salarié à avoir contracté une telle pathologie, il n’est pas cohérent d’affirmer que l’ampleur du bruit régnant au sein de l’entreprise était aussi importante qu’il le prétend ;

– M. [S] ne remplissait ni les conditions de délais de prise en charge et d’expositions prévus par le tableau n°42 des maladies professionnelles, ni les conditions de travaux.

Sur la conscience du danger :

L’employeur ne pouvait avoir conscience d’un quelconque danger, M. [S] ayant bénéficié d’une visite médicale d’embauche à l’issue de laquelle il a été déclaré apte au poste de soudeur.

Sur les mesures de protection prises pour protéger les salariés :

En tout état de cause, des mesures de prévention spécifique à la lutte contre la surdité professionnelle ont été prises en 1986, puis en 1992, soit antérieurement à l’embauche de l’assuré, consistant en l’obligation du port de protections individuelles (casque antibruit et bouchons d’oreilles).

Par ses dernières conclusions du 5 octobre 2023, M. [S] demande à la cour de:

– confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux le 12 avril 2022 en toutes ses dispositions ;

– condamner la société [5] au paiement d’une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [S] expose les arguments suivants :

Sur l’exposition au risque :

– il a été exposé à des nuisances sonores importantes tout au long de sa carrière au sein de l’entreprise [5] ;

– le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 2] a lui-même retenu une exposition à un bruit très élevé par utilisation d’un outillage pneumatique, d’une masse, d’un sableur haute pression, d’un appareil de soudage arc-air, d’une meule, un pistolet vibreur ; le travail s’effectuait ainsi en atelier, sur une chaîne de montage de tuyauteries et de chaudronnerie ;

– deux anciens collègues ont confirmé ses allégations s’agissant de l’intensité du bruit au sein de l’entreprise, tant en ateliers qu’en chantiers.

Sur la conscience du danger :

La société [5] avait nécessairement conscience d’un danger pour l’audition de ses salariés puisque :

– l’existence même d’un document de prévention de lutte contre la surdité professionnelle constitue, par définition, une preuve que le risque était réel ;

– l’obligation de porter un casque démontre l’intensité des nuisances sonores subies.

Sur les mesure prises pour en protéger les salariés :

– M. [S] indique n’avoir aucun souvenir d’avoir passé le contrôle audiométrique annuel prévu dans le document précité, alors même que la réalité d’un risque de surdité était établie bien avant son embauche ;

– s’il présentait effectivement une atteinte auditive avant son recrutement au sein de la société [5], comme le soutien l’employeur, alors il aurait dû faire l’objet d’une surveillance régulière de son audition, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ;

– l’employeur n’a mis aucune protection efficace à disposition de ses salariés pour les préserver des dangers liés à une exposition permanente au bruit.

Par conclusions du 22 septembre 2023, la caisse demande à la cour de :

– la recevoir en ses demandes et l’en déclarer bien fondée ;

– débouter la société [5] de ses demandes tendant à lui voir déclarer inopposables les conséquences financières de l’éventuelle reconnaissance de la faute inexcusable ;

– pour le surplus, statuer sur ce que de droit sur l’appel interjeté par la société [5];

– si la cour confirmait le jugement et jugeait que la maladie professionnelle dont a été reconnu victime M. [S] était due à la faute inexcusable de l’employeur, confirmer également le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur à rembourser à l’organisme de sécurité sociale les sommes sont elle aurait à faire l’avance et ce y compris les frais d’expertise ;

– condamner la partie succombante au paiement d’une somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

L’affaire est fixée à l’audience du 11 octobre 2023 pour être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur l’origine professionnelle de la maladie

Selon l’article L461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L. 315-1.

En l’espèce, M. [S] a complété, le 15 novembre 2016 une déclaration de maladie professionnelle pour une surdité partielle bilatérale. Cette pathologie correspond au tableau n°42 des maladies professionnelles, qui prévoit un délai de prise en charge d’un an sous réserve d’une durée d’exposition elle aussi égale à un an et réduite à trente jours concernant la mise au point des propulseurs, réacteurs et moteurs thermiques.

À l’issue du colloque médico-administratif du 11 juillet 2017, le médecin-conseil de la caisse a estimé que cette condition n’était pas remplie et a donc transmis le dossier de l’assuré au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 2].

En effet, M. [S] a quitté la société [5] le 19 août 2003 et a donc cessé d’être exposé aux risques décrits dans le tableau précité, à cette date.

Dans son avis du 19 avril 2018, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a conclu que les éléments de preuve d’un lien de causalité direct entre la pathologie déclarée et l’exposition professionnelle incriminée étaient bien réunis dans ce dossier.

En se fondant sur la demande motivée de reconnaissance de la maladie professionnelle, le certificat médical initial, le rapport circonstancié de l’employeur, le rapport médical de la caisse et les avis du médecin rapporteur et de l’ingénieur conseil de la CARSAT, le comité a retenu un travail en atelier avec un bruit très élevé en utilisant un outillage pneumatique, une masse, un sableur haute pression, un appareil de soudage arc-air, une meule, un pistolet vibreur. Il est noté que l’assuré a déclaré avoir effectué du soudage et de la manutention sur une chaîne de montage de tuyauteries et de chaudronnerie et ce, avec un équipement de protection insuffisant. Selon le dernier employeur, les troubles auditifs auraient été identifiés dès 1993, soit trois mois après son embauche au sein de l’entreprise et le comité a donc considéré que la pathologie déclarée en 2016 résultait d’une exposition à des bruits lésionnels durant douze ans.

La société [5] conteste pourtant cet avis, arguant des causes totalement étrangères au travail telles qu’une prise médicamenteuse, sans toutefois produire le moindre élément au soutien de cette thèse.

Elle soutient également que l’assuré n’a pas été exposé à des nuisances sonores au sein de son entreprise, alors même que M. [S] y a travaillé durant douze ans et qu’il s’agit de son dernier employeur.

De plus, l’appelante produit aux débats la lettre d’accueil signée par l’assuré le 16 septembre 1992, mentionnant expressément le risque de surdité professionnelle parmi la liste des dangers encourus au sein de la société [5]. Elle verse également un document relatif à la lutte contre la surdité professionnelle daté de janvier 1992 qui débute ainsi : “Deux principes généraux de prévention incombent à l’employeur : le bruit doit lui être réduit au niveau le plus bas raisonnablement possible compte-tenu de l’état des techniques. Le niveau d’exposition sonore doit demeurer compatible avec la santé des travailleurs et notamment avec la protection de l’ouïe”.

Le document se poursuit avec l’exposé des mesures à prendre pour préserver les salariés d’une quelconque atteinte auditive, ce qui démontre bien la réalité de l’exposition au bruit.

En outre, M. [S] produit, au soutien de ses prétentions, deux attestations rédigées par M. [F] et M. [W], deux personnes ayant travaillé avec lui au sein de la société [5]. Le premier indique qu’il y avait beaucoup de bruit intense, des bourdonnements dans les oreilles et qu’ils étaient sans protection. Le second évoque une exposition aux bruits intenses et fracassants, provoquant des bourdonnements dans les oreilles, en l’absence de protection efficace “contre ce vacarme”.

Au regard de tous ces éléments, et dans la mesure où la société [5] se borne à nier toute exposition au bruit sans pour autant fournir le moindre élément en ce sens, il y a lieu de constater que l’exposition aux bruits lésionnels tels que prévus au tableau n°42 des maladies professionnelles est démontrée, et par extension, l’origine professionnelle de la pathologie également. Le jugement entrepris est donc confirmé sur ce point.

II – Sur l’imputabilité de la maladie professionnelle à la société [5]

La société [5] fait également valoir que l’atteinte auditive présentée par M. [S] ne peut lui être déclarée imputable, dans la mesure où elle aurait été contractée antérieurement à son embauche au sein de l’entreprise.

Il convient ainsi de rappeler qu’en cas de succession d’employeurs, la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à rapporter la preuve du contraire.

Or, force est de constater que l’appelante se borne à évoquer un examen ORL qui aurait été réalisé le 6 février 1993 et dont il ressortirait un début de surdité, sans toutefois produire cette pièce ou tout autre document de l’époque y faisant utilement référence. Le certificat médical initial du 18 novembre 2016, tout comme la déclaration de maladie professionnelle s’y rapportant font tous deux état d’une première constatation en 1993 sans préciser le jour et le mois. L’employeur, qui soutient que M. [S] a contracté sa maladie trois mois après qu’il l’a engagé, échoue donc à rapporter la preuve de ses allégations, étant rappelé que le salarié a été engagé le 14 septembre 1992.

En outre, quand bien même l’employeur serait parvenu à démontrer une préexistence de la surdité de M. [S], il y a lieu de relever que l’aggravation, entièrement due à l’exercice d’une activité professionnelle, d’un état pathologique antérieur n’ayant jamais donné lieu à une incapacité, doit être indemnisée en sa totalité au titre de la législation sur les risques professionnels.

Il s’en déduit que la maladie déclarée par M. [S] le 15 novembre 2016 est bien imputable à la société [5]. Le jugement critiqué est donc confirmé sur ce point.

III – Sur la faute inexcusable

L’employeur qui est lié à son salarié par le biais du contrat de travail, est tenu, envers ce dernier, d’une obligation légale de sécurité et de protection de la santé et tout manquement à cette obligation revêt le caractère d’une faute inexcusable, dès lors que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident subi par le salarié. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes – en ce compris la faute d’imprudence de la victime – auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Sur la conscience du danger

La société [5] soutient qu’elle ne pouvait avoir conscience d’un danger, dans la mesure où M. [S] avait été déclaré apte au poste de soudeur et que le bruit au sein des ateliers et chantiers était modéré. Elle ajoute que seul M. [S] a contracté une telle atteinte, ce qui prouve que le risque n’était pas avéré.

Pourtant, l’entreprise identifie dès janvier 1992, des risques liés au bruit, comme en témoigne le document relatif à la lutte contre la surdité professionnelle, précédemment cité. De par son titre, cette pièce est on ne peut plus claire sur la nature du danger encouru, et elle comporte des mesures de décibels et des outils de prévention pour protéger les salariés.

Il est ainsi acté que les salariés devront subir un examen audiologique initial, un second après deux mois de travail, puis un contrôle annuel s’agissant des employés appelés à travailler sur les chantiers ou dans les ateliers. Le poste de soudeur est expressément cité comme étant concerné et il est également précisé que les candidats ayant un déficit moyen supérieur à 20 décibels doivent être impérativement soustraits au bruit. Le port de protections individuelles est imposé, particulièrement en atelier de chaudronnerie, affectation de M. [S].

La lettre d’accueil remise à l’assuré et signée par lui et l’employeur, évoque également un risque de surdité professionnelle.

Compte tenu de tous ces éléments, la société [5] ne peut valablement soutenir qu’elle n’avait pas conscience des dangers liés à l’exposition au bruit, étant précisé que le tableau n°42 des maladies professionnelles est entré en vigueur en 1963 et que la version en vigueur à la date d’embauche de M. [S] au sein de la société [5] mentionnait, entre autres, les travaux exposant aux bruits lésionnels provoqués par les travaux sur métaux par percussion, abrasion ou projections, le meulage, le polissage , le gougeage par procédé arc-air, la métallisation, l’utilisation de marteaux et perforateurs pneumatiques, autant d’éléments retenus par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 2] dans l’analyse du poste occupé par l’assuré.

Le jugement critiqué est donc confirmé sur ce point.

Sur les mesure prises pour l’en protéger

En l’espèce, la société [5] considère avoir, en tout état de cause, pris toutes les précautions pour protéger ses salariés des risques liés à l’exposition aux bruits lésionnels. Elle fait valoir, au soutien de ses propos, le document de lutte contre la surdité professionnelle précédemment évoqué et soutient avoir mis à disposition des employés concernés des protections individuelles se composant d’un casque anti-bruit et de bouchons d’oreilles.

Pourtant, elle ne produit aucun document corroborant ces affirmations. En effet, la documentation présentée ne suffit pas à prouver que les mesures citées ont bien été mises en ‘uvre. L’employeur ne communique aucune pièce relative à l’acquisition de ces équipements, ni le moindre élément démontrant qu’ils étaient effectivement imposés aux salariés.

À l’inverse, M. [S] verse aux débats deux attestations d’anciens collègues, confirmant l’absence totale de protection pour l’un, et d’équipement utile, pour l’autre. La société [5] ne verse ni photos, ni attestations des soudeurs et chefs d’équipes, permettant de contredire ces témoignages.

Enfin, l’employeur, qui a indiqué à plusieurs reprises que M. [S] souffrait déjà de surdité préalablement à son embauche au sein de sa société, ne justifie pas non plus l’avoir soustrait aux bruits lésionnels ou envoyé en visite annuelle aux fins de contrôler son audition.

En conséquence, la cour constate que la société [5] n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour protéger ses salariés des risques prévus au tableau n°42 des maladies professionnelles.

La faute inexcusable de l’employeur est donc avérée et le jugement critiqué confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

Par des motifs adoptés, les premiers juges ont tiré les conséquences légales de la reconnaissance de la faute inexcuable en ordonnant la majoration du capital versé à M.[S] et en faisant droit à l’action récursoire de la caisse. De ces chefs, le jugement sera donc confirmé. Il y a lieu, en outre, de confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné une expertise médicale aux fins d’évaluer les préjudices complémentaires subis par l’intéressé.

IV – Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société [5], qui succombe, doit supporter les dépens d’appel, au paiement desquels elle sera condamnée. L’équité commande de ne pas laisser à M. [S] la charge de ses frais irrépétibles d’appel. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société [5] sera donc condamnée à lui payer la somme de 1.500 euros. Elle sera également condamnée à verser à la caisse la somme de 500 euros sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 12 avril 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux ;

Y ajoutant,

Déboute la société [5] de l’ensemble de ses demandes ;

Condamne la société [5] à verser à M. [S] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [5] à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [5] aux dépens de la procédure d’appel.

Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente,et par madame Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x