Nuisances sonores : décision du 15 décembre 2023 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/01059

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Nuisances sonores : décision du 15 décembre 2023 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/01059
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SD/EC

N° RG 22/01059

N° Portalis DBVD-V-B7G-DP3D

Décision attaquée :

du 04 octobre 2022

Origine :

conseil de prud’hommes – formation paritaire de BOURGES

——————–

Mme [N] [F]

C/

AGENCE DE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME ET DES TERRITOIRES DU CHER

——————–

Expéd. – Grosse

Me BIGOT 15.12.23

Me FLEURIER 15.12.23

COUR D’APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2023

N° 146 – 15 Pages

APPELANTE :

Madame [N] [F]

[Adresse 2]

Présente

Assistée par Me Marie-Pierre BIGOT de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

AGENCE DE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME ET DES TERRITOIRES DU CHER

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Michel FLEURIER de la SCP GERIGNY & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme CHENU, conseiller rapporteur

en l’absence d’opposition des parties et conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CHENU, conseillère

Arrêt n° 146 – page 2

15 décembre 2023

DÉBATS : A l’audience publique du 10 novembre 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 15 décembre 2023 par mise à disposition au greffe.

ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 15 décembre 2023 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

L’agence de développement du tourisme du Cher, devenue l’agence de développement du tourisme et des territoires du Cher, emploie plus de 11 salariés. Outre la gestion de l’office du tourisme de la ville de [Localité 3], elle intervient dans le domaine du développement et de la promotion touristique du département du Cher et fait application de la convention collective des organismes du tourisme.

Mme [N] [F] a été engagée par l’Agence de développement du tourisme du Cher dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée applicable à compter du 1er novembre 2011 en qualité de comptable, assimilée à l’échelon 2.1, moyennant une rémunération correspondant ‘au coefficient 1740 de la convention collective du tourisme, valeur du point 1,11 au 01 juillet 2011″ contre une durée de travail effectif fixée à 80% d’un équivalent temps plein annualisé.

À compter du 1er janvier 2013 et selon un avenant au contrat de travail en date du 5 décembre 2012, Mme [F] a bénéficié d’un emploi à plein temps complet, soit 35 heures de travail effectif hebdomadaire, contre un salaire mensuel brut de base de 2 006,59 euros. Son lieu de travail a alors été transféré dans de nouveaux locaux, sis [Adresse 1] à [Localité 3].

En dernier lieu, Mme [F] percevait un salaire brut mensuel de 2 168,66 euros, outre une prime d’ancienneté de 173,49 euros, contre 151,67 heures de travail effectif par mois.

Le 22 juillet 2020, à l’issue d’une visite réalisée à la demande de l’employeur, le médecin du travail a conclu en ses termes : ‘État de santé relevant du soin : doit voir son médecin traitant pour arrêt de travail. À revoir préalablement à la reprise, en visite de pré-reprise à la demande du médecin ou de la salariée’. Mme [F] a ensuite été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 23 juillet 2020.

Par courrier en date du 11 septembre 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, qui s’est déroulé le 23 septembre 2020, et a été mise à pied à titre conservatoire. Elle a été licenciée pour faute grave par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 16 octobre 2020, dont la date de notification n’est pas connue.

Invoquant la nullité de son licenciement, et subsidiairement l’absence de cause réelle et sérieuse fondant cette décision et réclamant l’annulation d’un avertissement notifié le 15 juin 2010, outre l’indemnisation des préjudices résultant du harcèlement invoqué, du manquement de son employeur à son obligation de sécurité et enfin pour sanction disciplinaire injustifiée, Mme [F] a saisi, le 23 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Bourges, section activités diverses, lequel a, par jugement en date du 4 octobre 2022 :

– requalifié le licenciement de Mme [F] pour faute grave en licenciement pour cause réelle et

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sérieuse,

– condamné l’Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à régler à Mme [F] les sommes suivantes :

– 4 684,30 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 468,43 euros au titre des congés payés afférents,

– 5 269,83 euros bruts au titre de l’indemnité de licenciement,

– 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné l’Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à régulariser les documents sociaux et à les adresser à Mme [F], dans le délai d’un mois à compter de la décision déférée et, passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– débouté Mme [F] du surplus de ses demandes,

– condamné l’Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher aux entiers dépens.

Le 2 novembre 2022, par voie électronique, Mme [F] a régulièrement relevé appel de cette décision, laquelle lui avait été notifiée le 6 octobre 2022.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 octobre 2023 aux termes desquelles Mme [F] demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a requalifié son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à lui régler la somme de 4 684,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, et 5 269,83 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de nullité de son licenciement, de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité et sanction disciplinaire injustifiée et d’annulation de l’avertissement

– Statuant à nouveau, dire son licenciement nul, à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– prononcer l’annulation de l’avertissement notifié le 15 juin 2020,

– condamner l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à lui payer les sommes suivantes :

‘ 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,

‘ 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

‘ 1 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,

‘ 5 389,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 538,94 euros au titre des congés payés afférents,

‘ 6 119,17 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

‘ 24 252,30 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse,

– débouter l’employeur de l’ensemble de ses demandes,

– ordonner à l’employeur de lui remettre un bulletin de paie de régularisation, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir, et ce dans le délai de quinzaine à compter de sa notification et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– condamner l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2023 aux termes

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desquelles l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [F] de ses demandes de nullité de son licenciement, de licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages’intérêts pour harcèlement moral, de dommages’intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, d’annulation de l’avertissement et d’indemnisation pour sanction disciplinaire injustifiée,

– infirmer en revanche le jugement déféré en ce qu’il a jugé le licenciement de Mme [F] pour cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à lui payer les sommes de 4 684,30 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 468,43 euros bruts au titre des congés payés afférents, 5 269,83euros bruts à titre d’indemnité de licenciement, outre 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– en conséquence, statuant à nouveau sur ces derniers chefs, débouter Mme [F] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner Mme [F] aux entiers dépens, outre au paiement d’une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance de clôture en date du 25 octobre 2023 ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

MOTIFS :

1) Sur la demande d’annulation de l’avertissement en date du 15 juin 2010 :

Aux termes de l’article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Selon l’article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

En vertu de l’article L. 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l’espèce, Mme [F] a fait l’objet d’un avertissement selon courrier en date du 15 juin 2020, son employeur lui reprochant d’avoir ‘divulgué le mercredi 10 juin dernier, par mail et à l’ensemble de l’équipe, la rémunération perçue par chaque collaborateur de l’agence’.

L’appelante invoque une erreur d’envoi de son message, dont elle ne conteste pas la matérialité, rappelant toutefois avoir présenté ses excuses à son employeur et en réunion d’équipe. Elle soutient que l’intimée n’établit pas le caractère délibéré du comportement sanctionné, qui ne saurait ainsi constituer une faute disciplinaire, d’autant que son état de santé était fragilisé par une importante dépression.

L’employeur, qui mentionne dans son courrier d’avertissement être en mesure de ‘comprendre et entendre’ le caractère involontaire du fait commis, fait valoir que celui-ci constitue toutefois

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un manquement à l’obligation contractuelle de discrétion de Mme [F] ainsi qu’à l’article 3-18 du règlement intérieur de l’entreprise et justifie la sanction disciplinaire ainsi prononcée.

Cependant, dès lors qu’il n’exclut pas lui-même l’éventualité d’une simple erreur de la salariée dans

le courrier du 15 juin 2020, il ne justifie pas d’une mauvaise volonté délibérée de la part de celle-ci et échoue ainsi à d’établir le caractère fautif du fait reproché.

Il s’en évince que l’avertissement du 15 juin 2020 n’est pas justifié. Dès lors, ladite sanction disciplinaire doit être, par voie d’infirmation, annulée.

Par suite, Mme [F] étant reçue dans sa contestation, il y a lieu de retenir que le préjudice résultant de la sanction disciplinaire injustifiée sera suffisamment indemnisé à hauteur de 500 euros.

2) Sur les demandes indemnitaires pour harcèlement moral et pour manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur :

a) Sur la recevabilité de la demande indemnitaire présentée pour harcèlement moral :

En vertu des dispositions de l’article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l’espèce, en cours de procédure devant le conseil de prud’hommes saisi, l’appelante a présenté une demande indemnitaire pour harcèlement moral dont l’employeur a contesté la recevabilité, faute de lien suffisant avec la demande initiale d’indemnisation pour manquement à l’obligation de sécurité.

L’intimée souligne, ainsi qu’a pu le rappeler la chambre sociale de la Cour de cassation, que l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond donc pas avec elle. Elle s’oppose en cela à Mme [F] qui soutient que la simple caractérisation d’une situation de harcèlement constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et que contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, un lien suffisant rattache la demande additionnelle présentée et la demande initiale d’indemnisation.

L’article L. 1152-4 du code du travail prévoit que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Ces dernières dispositions sont une déclinaison, au cas du harcèlement moral, de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur. Si ces deux notions sont distinctes, comme le soutient l’employeur, elles présentent toutefois un lien suffisant au sens de l’article 70 du code de procédure civile pour déclarer recevable, par voie infirmative, la demande additionnelle présentée par Mme [F] recevable.

b) Sur la demande indemnitaire pour harcèlement :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié qui s’estime victime d’un harcèlement moral de présenter les éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne

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sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en

compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [F] soutient avoir subi une situation de harcèlement moral de la part de son employeur, en détaillant une série de faits et de situations ayant eu selon elle pour effet de dégrader ses conditions de travail et d’altérer son état de santé.

Elle reproche ainsi à son employeur :

– une dégradation de ses conditions matérielles de travail à la suite du déménagement des locaux de l’agence au [Adresse 1] à [Localité 3], notamment du fait d’une mauvaise insonorisation de son bureau et des modalités de chauffage et de climatisation des locaux,

– des difficultés récurrentes dans l’exécution de ses missions comptables du fait du défaut de suivi, par ses collègues, des procédures applicables au sein de l’entreprise, sans intervention, voire sanction, de l’employeur, et ce, induisant des difficultés relationnelles importantes avec les autres salariés,

– une charge de travail source d’une importante souffrance, signalée à l’employeur et restée sans réponse et sans mesure curative adaptée.

L’argumentation de Mme [F] est essentiellement basée sur des pièces qu’elle a rédigées ou qui l’ont été sur la base de ses seules déclarations et qui ne constituent donc pas des éléments de preuve extérieurs et objectifs.

Mme [F] décrit avoir été confrontée, dès l’installation de l’entreprise dans de nouveaux locaux en 2013, à un bruit permanent compte tenu de l’emplacement de son bureau au sein de l’agence (sonnerie de téléphone de l’accueil, proximité de la centrale de réservation, mouvements perpétuels induisant des bruits de chariots et de talons) et du carrelage revêtant le sol, ainsi qu’à des modalités de chauffage et de climatisation inconfortables dans son bureau. Elle souligne avoir informé son employeur de ces difficultés très rapidement après le déménagement de l’agence au sein des nouveaux locaux, sans réaction de la part de ce dernier.

Pour établir le caractère anormal du niveau sonore dans son bureau, source de difficultés de concentration selon elle, et la dégradation de ses conditions matérielles de travail qui en résultait, Mme [F] invoque un courriel adressé à ses collègues le 13 décembre 2013 à l’occasion duquel elle les remerciait de limiter les bruits de claquement de portes qui s’ajoutaient à ceux des pas, ainsi que les différents documents préparatoires aux entretiens professionnels annuels qu’elle a rédigés entre 2013 et 2019 et au terme desquels elle renouvelait les alertes auprès de son employeur sur ce sujet. Elle met ainsi en avant que ce dernier, plusieurs fois informé des difficultés rencontrées, n’a pas adopté de réaction adaptée.

Elle se fonde également sur le listing retraçant les relevés de pression acoustique réalisés au

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cours des mois de juillet à septembre 2014, produit par l’employeur et dont les parties tirent des enseignements opposés. Si ces données brutes, dénuées de précisions quant aux lieux et conditions de réalisation des relevés, permettent de constater des valeurs très variables au cours des journées et d’un jour à l’autre, elles ne permettent en revanche d’établir ni la réalité du niveau sonore habituel auquel était soumise Mme [F], ni son caractère anormal pour une société de service accueillant du public et recevant des appels téléphoniques réguliers, notamment dans le cadre de son rôle de centrale de réservation de gîtes. La salariée ne justifie pas de plaintes d’autres salariés ou de témoignages de personnes extérieures à l’entreprise qui auraient pu constater les difficultés évoquées en terme d’insonorisation sur une période de plus de sept années.

Plus encore, Mme [F] a pu reconnaître auprès de ses différents interlocuteurs, notamment le médecin du travail au cours de l’entretien de juillet 2014 (pièce 23), comme à l’occasion de ses conclusions devant la cour, que la problématique du bruit était atténuée lorsqu’elle fermait la porte de son bureau, ce qui était rendu possible par le fait qu’elle bénéficiait d’un bureau individuel à la différence des autres salariés travaillant dans un bureau partagé. Mme [F] apparaît enfin dans une forme de contradiction en soutenant que le travail dans un bureau dont la porte était fermée induisait une problématique d’isolement, alors que cette pratique était de nature à lui apporter le calme nécessaire à son activité de comptable et que l’entreprise disposait d’espaces de convivialité devant permettre de maintenir un lien entre les salariés.

Aucune des pièces produites ne justifie de la matérialité de la problématique évoquée au titre du chauffage et de la climatisation du bureau de la salariée, qui repose sur ses seules allégations.

Mme [F] déclare, en outre, avoir fait part à son employeur, pendant plusieurs années, d’une charge de travail grandissante et source d’une importante souffrance. Elle ne verse toutefois aucune pièce autre que les différents documents préparatoires aux entretiens professionnels annuels déjà cités, et fonde principalement son argumentation sur le compte-rendu d’audit comptable produit par l’employeur lui-même.

En effet, alors qu’il reconnaissait ‘une explosion des écritures comptables’ lors d’une réunion du 13 novembre 2017, l’employeur a diligenté un audit auprès de la société comptable KPMG sur lequel Mme [F] s’appuie pour justifier d’une charge de travail telle qu’elle serait de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Pourtant, le travail d’analyse ainsi mené ne fait pas état d’une surcharge de travail concernant Mme [F] et conclut que ‘compte-tenu des observations et préconisations énoncées ci-dessus, la réorganisation des tâches permettra un allégement de la charge de travail de la comptable. Nous estimons que l’embauche d’une personne supplémentaire ne serait pas nécessaire’.

Mme [F] évoque enfin des difficultés organisationnelles dans l’exécution de ses missions de comptable au sein de l’agence, compte-tenu notamment de l’absence de procédures clairement définies pour faciliter la communication au sein de la structure et la transmission des justificatifs attendus des autres services, ou du non-respect des procédures applicables, et souligne les difficultés relationnelles qui en résultaient avec les autres salariés. Elle avait ainsi détaillé ses récriminations dans les documents préparatoires aux entretiens annuels individuels produits et avait eu l’occasion de s’en offusquer auprès de personnes extérieures à l’entreprise (mail adressé le 9 avril 2014 à des destinataires des sociétés Comptafrance et KPMG, pièce 9).

Toutefois, si le compte-rendu de l’audit de novembre 2017 déjà cité vient confirmer la nécessaire amélioration de l’organisation globale de l’entreprise en termes de communication entre les services et de respect des procédures internes, et émet différentes préconisations visant à améliorer la situation, Mme [F] n’établit pas en quoi la problématique organisation-

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nelle relevée permettrait de supposer l’existence d’un harcèlement moral à son égard et ce d’autant que le lien de cause à effet qu’elle établit entre le non-respect des procédures internes et ses difficultés relationnelles avec ses collègues apparaît des plus ténu et n’est pas corroboré par les témoignages des autres salariés, ces derniers détaillant notamment un défaut de savoir-être de sa part et des faits de menaces.

La salariée fournit en outre divers éléments médicaux, dont les compte rendus du médecin du travail retraçant les entretiens réguliers au cours desquels elle a pu invoquer les difficultés rencontrées en terme de gestion du bruit dans les nouveaux locaux, de désorganisation des procédures internes induisant une sur-sollicitation de la part de ses collègues, des problématiques relationnelles récurrentes ou encore des conditions de travail insatisfaisantes et une charge de travail inadaptée (pièce 23) mais également les attestation et courrier de MM. [Y] [T], psychothérapeute, et M. [G], psychanalyste, établis sur la base de ses seules déclarations, retenant l’un et l’autre un lien entre l’état anxio-dépressif de la salariée et ses conditions de travail.

Toutefois, elle produit également l’attestation de suivi du médecin du travail du 22 juillet 2020, établie après contact avec l’employeur, retenant un état de santé relevant du soin et la nécessité pour la salariée de se rapprocher de son médecin traitant pour bénéficier le cas échéant d’un arrêt de travail (pièce 27), le compte-rendu détaillé de ce rendez-vous (pièce 28) ainsi que le courrier rédigé par ce professionnel à l’attention de son médecin traitant (pièce 29).

Il en résulte que lors de ce contact du 22 juillet 2020, Mme [F] a pu, faire part de son sentiment d’être face à une ligue de ses collègues ‘contre elle’, d’un ressenti d’exacerbation du bruit dans une forme de complot à son égard, ou regretter que le métier de comptable puisse être incompris, reprenant ainsi en partie les faits allégués pour établir l’existence d’une situation de harcèlement.

Alors qu’il décrit ‘un discours fluide mais passe très vite d’un sujet à un aspect de focalisation : le bruit dans la structure lors du passage de collègues ou la position qu’elle juge comme inadéquate de son bureau dans la structure’ de la part de la salariée et souligne que cette dernière explique ‘les manifestations de trouble de l’humeur par une charge de travail importante liée aux périodes fiscales’, ce médecin ne fait toutefois aucune référence à une situation de harcèlement dont Mme [F] aurait été victime et ne reprend pas à son compte le lien établi par celle-ci et ses soignants, entre sa situation de santé et ses récriminations quant à ses conditions de travail, préconisant, en revanche, une aide psychologique propre à un apaisement des relations de travail.

Par conséquent, après analyse de l’ensemble des pièces produites par la salariée, s’il s’infère notamment des pièces médicales que la dégradation de son état de santé psychique de s’accompagne, sans nul doute, d’une situation de souffrance au travail ancienne et dont elle a fait état auprès de son employeur, il n’existe pas pour autant de faits matériellement établis qui pris dans leur ensemble avec les éléments médicaux, font présumer de l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail.

Dès lors, la décision déférée sera confirmée sur ce point.

c) Sur la demande indemnitaire pour manquement à l’obligation de sécurité :

En vertu des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de son salarié d’une obligation de sécurité.

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Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l’état d’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Il lui appartient donc de justifier qu’il a satisfait à ses obligations.

En l’espèce, Mme [F] réclame à son employeur la somme de 20 000 euros en invoquant un manquement à son obligation de sécurité, en retenant la même argumentation que celle développée à l’appui de ses allégations de harcèlement moral et considérant que des manquements de l’employeur qui ne seraient pas constitutifs d’un harcèlement au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail, peuvent toutefois caractériser un manquement à son obligation de sécurité.

Invoquant ainsi des conditions matérielles de travail inadaptées, une charge de travail excessive et des relations avec les autres salariés dégradées du fait d’un manque d’organisation interne, elle soutient que l’Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher a failli à cette obligation.

L’employeur soutient pour sa part avoir mis en oeuvre les mesures préventives et curatives nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de la salariée, s’adaptant à ses réclamations régulières et procédant aux analyses et audits nécessaires pour objectiver les situations à risque.

Il justifie ainsi :

– de la rédaction du document unique d’évaluation des risques dès avril 2005, actualisé en janvier 2014 puis en 2020, qui retrace notamment les risques identifiés s’agissant du bureau de Mme [F] et les solutions et mesures de prévention mises en oeuvre, au nombre desquels apparaissent l’achat de matériels de bureau ou informatiques dont Mme [F] ne conteste pas qu’ils lui étaient destinés et dont l’employeur produit les factures, la réalisation de relevé d’information du fait des nuisances sonores alléguées par la salariée et la sollicitation du conseil général propriétaire des lieux pour réaliser des travaux d’isolation,

– d’une démarche de formation au bénéfice de Mme [F], qui a participé notamment à une formation organisée les 8 et 9 octobre 2014 sur le thème ‘apprendre à faire face : sortir des situations difficiles’ ainsi qu’à un bilan de compétences modulaire d’une durée de 12 heures entre février et mars 2017,

– de la mise en oeuvre d’une organisation de l’Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher basée notamment sur des temps de réunions mensuelles et hebdomadaires, généralistes ou thématiques, notamment un point comptable entre Mme [F] et l’employeur, ou encore de comités de direction afin de répondre au constat récurent d’un manque de communication au sein de la structure dont la masse salariale et l’activité a nettement évolué entre 2013 et 2020,

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– de la mise en place d’espace de dialogue et de participation du personnel au sein de l’agence au titre desquels la création d’une brigade de l’optimisme, à laquelle Mme [F] a participé, l’aménagement d’espace de repos et de convivialité et l’organisation de temps de cohésion

S’agissant plus précisément des manquements détaillés par Mme [F], l’employeur justifie des démarches d’évaluation du risque lié au bruit au sein de l’agence par la mise en place d’un sonomètre. Il a déjà été retenu par la cour que les résultats obtenus au terme de 3 mois de relevés ne permettent pas, à eux seuls, de caractériser la nécessité de mesures de prévention autres que les rappels à l’ordre et à la discrétion réalisés par l’employeur lors des réunions de service.

De même, s’il est établi que l’audit mis en place auprès de la société d’expertise comptable KPMG en novembre 2017 permettait d’écarter la surcharge de travail dont Mme [F] se plaignait depuis plusieurs années, celui-ci confirme cependant un manque de fluidité de la communication entre les services de l’agence et avait formalisé des préconisations d’organisation. En produisant le règlement intérieur de l’agence, signé par l’employeur et la représentante du CSE, qui comporte une série d’annexes relatives aux frais de mission et aux notes de frais rappelant les procédures applicables en la matière, et en justifiant des rappels réguliers réalisés lors des réunions de service, l’employeur répond à la critique de la salariée quant à son inaction dans la mise en oeuvre des préconisations de l’audit.

Il s’évince de l’ensemble de ces éléments que l’employeur justifie d’actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, de formation de la salariée et encore de la mise en place d’une organisation, qui bien que perfectible, était fondée sur des efforts d’adaptation et de recherche d’efficacité indéniables. Ainsi, la réalité des manquements de l’employeur invoqués n’est pas établie et la décision déférée sera donc confirmée de ce chef.

3) Sur la rupture du contrat de travail et les demandes indemnitaires subséquentes :

a) Sur la rupture :

En application de l’article L. 1152-3 du code du travail, est nul le licenciement intervenu en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du même code. Tel est également le cas du licenciement prononcé en violation de l’article L. 1132-1 du même code.

L’article L. 1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute existe, il profite au salarié.

La cause réelle est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être existante et exacte ce qui oblige le juge à vérifier que d’autres faits allégués par le salarié ne sont pas la véritable cause du licenciement. La cause sérieuse est celle d’une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

La faute grave, enfin, est une cause réelle et sérieuse mais d’une gravité telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Seuls les manquements volontaires à une obligation professionnelle ou les erreurs professionnelles consécutives à la mauvaise volonté délibérée du salarié peuvent être considérés comme fautifs.

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L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Les juges du fond apprécient, dans le cadre de leur pouvoir souverain, la valeur des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis pour établir la réalité des faits décrits puis le sérieux du motif invoqué.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est notamment rédigée en ces termes :

« Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements fautifs.

L’équipe m’a fait part, le 6 juillet dernier, de son exaspération, de son inquiétude et de sa peur, évoquant des menaces de votre part.

En date du 16 juillet, 21 collaborateurs ont rédigé une lettre dénonçant vos agissements. J’ai donc dû procéder à une enquête pour faire la lumière sur ce qui pourrait vous être reproché.

J’ai alors saisi la médecine du travail pour bénéficier d’un accompagnement et des ateliers «groupe de parole » ont pu être mis en place les 20 et 27 août 2020.

Il en est ressorti que vous avez menacé et injustement puni des stagiaires (en retardant le paiement de leurs frais) ainsi que les collaborateurs, particulièrement les jeunes et les femmes de l’agence.

À titre d’exemple, le 3 juin 2020 en recevant M. [K] [E] dans son bureau pour une demande de renseignement, vous avez rapidement changé d’état d’esprit en indiquant à l’encontre de Mme [J] [H], d’une manière colérique : « De toute façon, j’ai envie de l’étrangler » ; cette menace était accompagnée d’un geste choquant mimant les signes d’étranglement, l’expression de votre visage ne laissant pas de doute sur cette colère.

Mme [W] [L] et Mme [J] [H] m’ont également précisé que ces menaces ne dataient pas d’aujourd’hui, puisque vous avez indiqué que vous souhaitiez creuser une tranchée et y enterrer une bonne partie de l’équipe et particulièrement Mme [I] [C] à cause de ses talons hauts, ainsi que les collaborateurs du développement économique et l’équipe de commercialisation.

Mme [P] [M] m’a rapporté également la phrase suivante, proférée envers Mme [V] [A], collaboratrice en apprentissage : « Je déteste cette fille, j’ai envie de la tuer ».

Mme [W] [L] m’informe également que de manière récurrente, vous lui faisiez part de votre envie de mettre une bombe dans le pôle commercial.

Les conséquences de ces agissements sur l’équipe et l’état d’esprit général, induisent une dégradation des conditions de travail générant auprès de nos collaborateurs, peur, stress et angoisse.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet alors que vous n’avez pas nié l’ensemble de ces agissements.

Ces conflits, contre-productifs au bon fonctionnement du service, sont source d’appréhension générale, et au regard de leur incidence importante sur l’état de santé de nos salariés, m’obligent à vous licencier pour faute grave conformément à l’obligation de sécurité à laquelle je suis tenu.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire, dans l’entreprise s’avère impossible : le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d’envoi de cette lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Nous vous rappelons que vous faites l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée ».

En l’espèce, Mme [F] argue d’abord de la nullité de son licenciement. Outre la situation de

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harcèlement moral justifiant, selon elle, la nullité invoquée, elle souligne qu’ayant pris connaissance du courrier du 16 juillet 2020, rédigé par 21 de ses collègues, l’employeur a sollicité le médecin du travail, averti et conscient qu’il était de sa situation de souffrance au travail et des conséquences sur son comportement. L’appelante relève qu’il ne pouvait donc, en décidant de la licencier, ignorer l’impossibilité qui lui était faite de modifier son comportement.

L’employeur rappelle que le licenciement de Mme [F] est intervenu à la suite d’ une intervention générale de l’équipe de l’agence, informant son directeur de la réalité du comportement de cette dernière et le contraignant à une réaction dans le strict respect de son obligation de garantir la sécurité des salariés. Il soutient que l’attitude de Mme [F], source de souffrance et d’inquiétude parmi les salariés de l’agence compte tenu de son caractère menaçant, caractérise une faute grave qu’il se devait de sanctionner.

La salariée ne saurait valablement soutenir que son licenciement est nul en ce qu’il est la conséquence d’un harcèlement moral, ce dernier ayant été précédemment écarté par la cour.

En revanche, si la lettre de licenciement adressée à Mme [F] ne mentionne pas expressément de griefs en lien direct avec son état de santé, il appartient à la cour de rechercher si le comportement de la salariée invoqué comme motif de la rupture du contrat de travail n’est pas en rapport avec son état de santé.

La décision de licencier Mme [F], placée en arrêt de travail pour maladie dès le 23 juillet 2020, fait suite à la réception par l’employeur d’un courrier de plusieurs salariés de l’agence qui l’a conduit à solliciter l’intervention du médecin du travail en invoquant auprès de ce dernier ‘des bizarreries de comportement, menaces verbales directes et indirectes de mort contre plusieurs de ses collègues, variabilité de l’humeur’. De même, l’employeur produit lui-même une synthèse écrite retraçant le déroulement des groupes de parole mis en place au sein de la structure sous l’égide du médecin du travail (pièce 5) qui évoque la notion de troubles du comportement et le fait que ‘ la salariée semble rencontrer des problématiques en lien avec son état de santé’.

Il y a lieu de retenir qu’à la lecture de ses éléments antérieurs au licenciement de Mme [F] et alors qu’il avait lui-même orienté cette dernière auprès du médecin du travail, l’employeur ne pouvait ignorer que les comportements de l’appelante, fondant son licenciement, suscitaient de sérieuses inquiétudes sur son état de santé mental. Il ne pouvait ainsi la licencier sans que soit préalablement tranchée la question de son aptitude par le médecin du travail, sauf à encourir la nullité du licenciement.

Dès lors, le vrai motif de la rupture étant l’état de santé de la salariée, le licenciement est nul. Le jugement est donc infirmé de ce chef.

b) Sur les demandes indemnitaires subséquentes :

L’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9 du code du travail ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l’entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets.

L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;

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2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.

En vertu des dispositions de l’article R1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.

La salariée rappelant avec pertinence que l’ensemble des éléments de rémunération, qu’elle soit fixe ou variable, doivent être pris en considération dès lors qu’ils sont perçus au cours de la

période de référence. Tel sera le cas des primes de fin d’année et sur objectifs perçue par Mme [F] au cours du mois de décembre 2019 s’agissant du calcul de la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement.

Lorsque le salarié a été en arrêt de travail pour maladie au cours des derniers mois, le salaire de référence à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement est la plus avantageuse des moyennes de salaire perçus sur les 12 ou 3 derniers mois précédant l’arrêt.

Le salaire de référence le plus favorable compte-tenu des salaires bruts justifiés et au regard des différents arrêts pour maladie dont Mme [F] a bénéficié est celui qui correspond à la moyenne des salaires des douze derniers mois précédents le dernier arrêt pour maladie, soit 2 649 euros.

Ainsi, infirmant la décision déférée s’agissant du quantum des montants alloués, l’employeur sera condamné à régler les sommes suivantes à Mme [F] :

– 5 960,25 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement, compte-tenu de l’ancienneté de cette dernière dans l’entreprise de 9 mois au jour de la rupture du contrat de travail,

– 5 298 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 529,80 euros au titre des congés payés.

L’article L. 1235-3-1 du code du travail prévoit que le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité, à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

L’appelante ne sollicite pas sa réintégration mais une indemnité équivalente à 9 mois de salaire sur la base d’un montant mensuel de 2 694,70 euros pour licenciement illicite, en faisant valoir qu’âgée de 49 ans au jour de la rupture, elle demeure à la recherche d’un emploi et suivie au plan psychologique des suites des conditions de travail au sein de l’agence et de la rupture de son contrat de travail.

Au regard des éléments portés à la connaissance de la cour, et notamment de l’ancienneté de la salariée (9 années), de son âge au moment de la rupture (49 ans), des conditions de celle-ci, du montant du salaire brut des six derniers mois, exempts d’arrêts de travail pour maladie

tels qu’il ressortent de l’attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire produits (13 620,55 euros), l’allocation de la somme de 15 000 euros apparaît justifiée pour réparer le préjudice moral et financier résultant de son licenciement nul. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.

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4) Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles :

Compte-tenu de ce qui précède, la demande de remise d’un bulletin de paie, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle emploi conformes à la présente décision est fondée. Il y sera donc fait droit sans qu’il y ait lieu toutefois de prononcer une astreinte. La décision déférée sera donc infirmée sur ce seul point.

Le jugement déféré est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

L’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher, qui succombe principalement, est condamnée aux dépens d’appel et déboutée, par conséquent, de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, l’équité commande de condamner l’association Agence de développement du tourisme et

des territoires du Cher à payer à Mme [F] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [N] [F] de ses demandes indemnitaires pour harcèlement moral et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, a condamné l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à remettre à la salariée ses documents de fin de contrat et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;

MAIS L’INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REÇOIT la demande additionnelle indemnitaire pour harcèlement moral présentée par Mme [N] [F] ;

ANNULE l’avertissement du 15 juin 2020,

CONDAMNE, en conséquence, l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à payer à Mme [N] [F] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts ;

DIT que le licenciement de Mme [N] [F] est nul ;

CONDAMNE en conséquence l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à payer à Mme [N] [F] les sommes suivantes :

– 5 960,25 € au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 5 298 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 529,80 € au titre des congés payés afférents,

– 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

DIT n’y avoir lieu à assortir d’une astreinte la condamnation de l’employeur à remettre à la

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salariée un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes ;

CONDAMNE l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher à payer à Mme [F] la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles en cause d’appel et la déboute de sa demande formulée à ce titre.

CONDAMNE l’association Agence de développement du tourisme et des territoires du Cher aux dépens d’appel.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE

 


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