Nuisances sonores : décision du 19 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/54406

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Nuisances sonores : décision du 19 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/54406
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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 23/54406

N° Portalis 352J-W-B7H-CZ3S2

N° : 3

Assignation du :
26 mai 2023

[1]

[1] 3 copies exécutoires
délivrées le :

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 19 décembre 2023

par Cristina APETROAIE, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Arnaud FUZAT, Greffier.

DEMANDERESSE

La S.A.S. HOTEL [Adresse 11]
[Adresse 3]
[Localité 8]

représentée par Maître Vandrille SPIRE de l’AARPI 186 Avocats, avocats au barreau de PARIS – #D0010

DEFENDERESSES

La S.C.I FONCIERE [Adresse 5]
[Adresse 2]
[Localité 7]

représentée par Maître Bruno SCHRIMPF de l’ASSOCIATION POIRIER SCHRIMPF, avocats au barreau de PARIS – #R0228

La S.N.C. LIDL
[Adresse 6]
[Localité 9]

représentée par Maître Florence DU CHATELIER de la SSELARL FLORENCE DU CHATELIER, avocats au barreau de PARIS – #D1244

DÉBATS

A l’audience du 13 octobre 2023, tenue publiquement, présidée par Cristina APETROAIE, Juge, assistée de Arnaud FUZAT, Greffier,

Nous, Président, après avoir entendu les parties représentées par leur conseil, avons rendu la décision suivante :

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d’un acte sous signature privée du 1er mars 2022, la SCI FONCIERE [Adresse 5], a consenti à la SNC LIDL un contrat de bail portant sur des locaux commerciaux situés [Adresse 4].

Dans le cadre de la rénovation des locaux commerciaux ainsi pris au bail, M. [D] [I] a été désigné en tant qu’expert par ordonnance en date du 2 février 2022 du juge des référés de la présente juridiction, avec pour mission notamment d’évaluer les impacts des travaux sur les avoisinants, les opérations d’expertise étant rendues communes à de nouvelles parties et la date du dépôt du rapport prolongée au 2 février 2024 par nouvelle ordonnance du 5 juillet 2023.

Le magasin a été ouvert le 11 janvier 2023.

Faisant valoir l’existence de nuisances portant atteinte à l’exploitation de son activité, la SAS HOTEL PARS MAINE, exploitant une activité hôtelière au 51, avenue du Maine, a fait assigner, par actes en date du 26 et 31 mai 2023, la SNC LIDL et la SCI FONCIERE [Adresse 5], bailleur de celle-ci, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, en lui demandant, au visa articles 696, 700 et 835 du code de procédure civile, R. 1336-5, R. 1336-7 et R. 1336-8 du code de la santé publique, L131-1 du code des procédures civiles d’exécution, 544 du code civil, et de la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux du voisinage, de :
déclarer recevable la société HOTEL [Adresse 11] en ses demandes, fins et prétentions ; constater le dépassement des seuils réglementaires des bruits provenant de l’exploitation du magasin LIDL sis [Adresse 4] dans le [Localité 1] de [Localité 10] ; en conséquence, afin de faire cesser sans délai le trouble manifestement illicite, interdire à la société LIDL d’utiliser le quai de livraison en raison de son inadaptation et des nuisances en résultant sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée ; condamner la société LIDL, sous astreinte de 1 000 euros passé un délai d’un mois suivant la signification du présent jugement, à la réalisation de travaux acoustiques nécessaires au respect des seuils réglementaires relatif aux bruits du voisinage ; interdire les livraisons de la société LIDL avant 7 heures et après 21 heures ; se réserver la compétence pour liquider les astreintes prononcées à l’encontre de la société LIDL ; et en raison de l’existence d’une obligation non contestable de réparation, condamner in solidum la société LIDL et la société FONCIERE [Adresse 5] au paiement de la somme provisionnelle de 15 655,87 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices de l’HOTEL [Adresse 11] ;
condamner la société LIDL à verser à l’HOTEL [Localité 10] MAINE la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
A l’audience du 16 juin 2023, la demanderesse a soutenu oralement les demandes figurant dans son acte introductif d’instance.

Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, la société LIDL demande au juge des référés, in limine litis, de sursoir à statuer sur les demandes d’interdiction d’utilisation du quai de livraison et du quai de déchargement (arrière du quai de livraison), dans l’attente de l’issue de la médiation en cours sous l’égide de la mairie du 14ème et du résultat des différentes mesures prises et/ou annoncées lors de cette médiation. A titre subsidiaire et en tout état de cause, elle demande de :
lui donner acte de la modification des horaires de livraison, désormais de 7 heures à 22 heures ; constater la nullité du rapport de dB Silence et son absence de caractère contradictoire ; débouter la société HOTEL [Adresse 11] de sa demande d’interdiction d’utiliser le quai de livraison, la débouter de sa demande d’interdiction relative à ce qu’elle appelle le quai de livraison ; déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée la demande tendant à voir réaliser sous astreinte des travaux d’insonorisation, ceux-ci n’étant pas connus ; constater que ces demandes se heurtent à une contestation sérieuse ; constater que la demande de condamnation provisionnelle se heurte à une contestation sérieuse et l’en débouter ; la débouter du surplus de ses demandes.
Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, la société FONCIERE [Adresse 5] demande au juge des référés de débouter la société HOTEL [Adresse 11] de toutes ses demandes, estimant qu’elles se heurtent à de multiples contestations sérieuses et de condamner cette dernière au paiement d’une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, elle demande de condamner la société LIDL à la garantir et relever indemne de toute condamnation prononcée in solidum à son encontre, ainsi qu’au paiement d’une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’affaire a été mise en délibéré et une injonction de rencontrer un médiateur a été délivrée aux parties, celles-ci devant informer le juge des référés de la tenue du rendez-vous d’information avant le 14 août 2023.

Par courriel reçu au greffe le 7 août 2023, le conseil de la société LIDL a adressé une note en délibéré aux termes de laquelle elle affirme que sa cliente a mis en œuvre de nouvelles mesures à l’effet d’atténuer les nuisances ressenties par la demanderesse, la société l’HOTEL [Adresse 11], à savoir notamment l’arrêt des livraisons de nuit et la mise en place des horaires de livraison, avec l’interdiction pour le personnel du magasin, de l’utiliser le quai de déchargement, la presse à balles et les rideaux du quai de livraison et de la sortie du magasin entre 22 heures et 7 heures, la coupure des annonces caisses de 21 heures à 7 heures 30, la réalisation des travaux à venir aux fins de désolidarisation du mur mitoyen de l’hôtel et mis en place de plots anti vibratiles, la pose de dalles phoniques au niveau de l’ascenseur et la réalisation d’une étude phonique après pris de mesures en présence de l’acousticien de l’hôtel. Elle communique également de nouvelles pièces.

Par note du 14 août 2013, communiqué au juge le 16 août 2023, la société l’HOTEL [Adresse 11] a contesté la réalité des mesures ainsi annoncées par la société LIDL.

Le même jour, cette dernière a communiqué une nouvelle note en délibéré accompagnée de trois nouvelles pièces.

La société FONCIERE [Adresse 5] n’a pas formulé des observations en réplique suivant la communication de ces éléments.

Par ordonnance du 18 août 2023, le juge des référés a ordonné la réouverture des débats aux fins, notamment, de verser aux débats les pièces échangées dans le cadre du délibéré, ainsi que de recueillir les observations contradictoires des parties sur les mesures annoncées par la société LIDL dans le cadre du délibéré et sur la suite donnée à l’injonction de rencontrer un médiateur.

A l’audience du 13 octobre 2023, les parties n’ayant pas souhaité entrer en médiation, l’affaire a été plaidée.

Dans ses conclusions déposée et développées oralement à l’audience, la société HOTEL [Adresse 11] réitère les demandes formulées aux termes de son acte introductif d’instance, en y ajoutant celle tendant à « interdire à la société LIDL d’utiliser le quai de déchargement dans le cadre des activités de manutention, comprenant le déplacement des « caisses » et l’utilisation du compacteur par la société LIDL, en raison de son inadaptation et des nuisances en résultant sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée ». Elle actualise le montant des sommes réclamées à titre de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis à hauteur de 27 931,74 euros.

Dans ses conclusions en réplique déposées et développées oralement à l’audience, la société LIDL maintient sa demande de sursis à statuer formulée in limine litis. Subsidiairement elle demande au juge des référés de lui donner acte de la modification des horaires de livraison (désormais de 7 heures à 22 heures), de constater la nullité du rapport de DB SILENCE et son absence de caractère contradictoire, de débouter la société HOTEL [Adresse 11] de ses demandes d’interdiction d’utiliser le quai de livraison, de lui donner acte de son engagement à réaliser les travaux préconisés par la société DECIBEL, de rejeter la demande de condamnation sous astreinte, de constater que ces demandes se heurtent à une contestation sérieuse, ainsi que la demande de condamnation provisionnelle et de l’en débouter.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, la société FONCIERE [Adresse 5] réitère également les demandes formulées aux termes des précédentes conclusions, actualisant les demandes formulées, tant au principal contre la société HOTEL [Adresse 11] qu’au subsidiaire contre la société FONCIERRE [Adresse 5], au titre de ses frais irrépétibles à la somme de 7 000 euros.

Conformément aux dispositions des articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé à l’acte introductif d’instance et aux notes d’audience.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il est relevé que les demandes aux fins de « donner acte » ne constituant pas une prétention au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile, et l’éventuelle décision y faisant droit étant en tout état de cause dépourvue d’effet, il n’y a pas lieu à statuer sur les demandes formulées en ce sens.

Sur la demande de sursis à statuer

En application de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

L’appréciation de l’opportunité de surseoir à statuer relève du pouvoir discrétionnaire des juges du fond en dehors des cas où ils sont tenus de surseoir en vertu d’une disposition légale.

En l’espèce, la société LIDL demande in limine litis au juge des référés de sursoir à statuer eu égard à la mesure de médiation mise en place par la mairie du [Localité 1] de [Localité 10], versant aux débats deux courriels attestant de la tenue d’une réunion « au sujet des nuisances dues à l’exploitation du LIDL » en date du 1er juin 2023 et de l’organisation d’une seconde réunion prévue au 20 juin 2023.

Les éléments ainsi fournis au soutien de sa demande ne permettent toutefois pas d’attester de l’existence de la mesure de médiation alléguée, ni d’une éventuelle poursuite des discussions engagées par les parties dans ce cadre, de sorte que la demande aux fins de sursis à statuer n’apparaît pas justifiée.

Sur le trouble manifestement illicite

Aux termes de l’article 835 du même code, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L’existence d’une contestation sérieuse est indifférente à l’application de ces dispositions.

Le trouble manifestement illicite s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit, étant rappelé que la seule méconnaissance d’une réglementation n’est pas suffisante pour caractériser l’illicéité d’un trouble.

Il appartient au requérant de démontrer l’existence d’une illicéité du trouble et son caractère manifeste. Le juge des référés doit se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle il prononce sa décision.

Il dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence d’un trouble manifestement illicite et d’ordonner la mesure de remise en état qui lui paraît s’imposer pour le faire cesser.

L’article 544 du code civil dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Il en résulte que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Aux termes de l’article R. 1336-5 du code de la santé publique « aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité. »

L’article R. 1336-6 du même code dispose que « lorsque le bruit mentionné à l’article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.
Lorsque le bruit mentionné à l’alinéa précédent, perçu à l’intérieur des pièces principales de tout logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d’activités professionnelles, l’atteinte est également caractérisée si l’émergence spectrale de ce bruit, définie à l’article R. 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.
Toutefois, l’émergence globale et, le cas échéant, l’émergence spectrale ne sont recherchées que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comportant le bruit particulier, est supérieur à 25 décibels pondérés A si la mesure est effectuée à l’intérieur des pièces principales d’un logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas. »

En l’espèce, la société HOTEL [Adresse 11] se prévaut des désordres liés à l’exploitation d’un supermarché dans l’immeuble mitoyen par la société LIDL, à savoir notamment le bruit et les manœuvres liés au stationnement des véhicules de livraison poids lourds dans le quai de livraison mitoyen de l’hôtel, au déchargement et rangement de la marchandise par le biais des ‘caisses’, ainsi que le bruit du compacteur de cartons installé contre le mur mitoyen de l’hôtel.

Dans un courriel de M. [W] [V] en date du 21 janvier 2023, celui-ci a informé la direction de l’hôtel d’un « problème de sonorité avec le magasin à côté de votre établissement » évoquant, dans la chambre n°52 qu’il occupait, des « bruits de transpalette et de coups dans les murs (très forts) jusqu’à minuit et reprise vers 6h00 du matin. Chambre n°53 : bruits de manutentions et de presse à carton qui résonne comme si nous étions avec eux dans leurs situations de travail ».

Me DE RIO, commissaire de justice, a constaté le 17 février 2023, que, à 17h30, « un camion de livraison se présente pour livrer le magasin LIDL », que « le camion manœuvre sur la chaussée en sens interdit pour parvenir à entrer en marche arrière dans la baie de livraison. Le chauffeur klaxonne à plusieurs reprises sur les piétons tentant de circuler sur le trottoir » ; à 17h57, positionné dans la chambre n°52 après l’arrivée et la manœuvre du camion de livraison, « j’entends distinctement un coup sourd suivi d’éclats de voix et d’un roulement métallique, de l’autre côté du mur. Je peux localiser géographiquement le déplacement du roulement ; 17h58 le roulement et les voix se poursuivent pendant une dizaine de secondes ; 17h59 le roulement métallique de nouveau pendant deux secondes ; 18h00 le bruit de roulement sourd recommence pendant une vingtaine de secondes. Je le localise comme remontant de droite à gauche (depuis la rue) » ; à 18h02, dans le bureau de la direction, « j’entends distinctement des bruits de roulement sourds agrémentés de claquements métalliques pendant 4 secondes », qui se poursuivent pendant plusieurs minutes ; dans la chambre n°10 donnant sur rue, de 18h25 à 18h33, « j’entends et perçois des coups vibrants à intervalles réguliers, espacés de 10 à 20 secondes alors que les fenêtres sont fermées ».

Pour établir l’anormalité des nuisances provenant de l’exploitation du supermarché, la requérante verse par ailleurs aux débats une « notice acoustique » intitulée « Etude d’impact des nuisances sonores » établie le 31 mars 2023 par la société DB SILENCE, sur la base des mesures réalisées entre le mardi 7 mars 2023 à 10h30 et le jeudi 9 mars 2023 à 11h00 dans le bureau situé en rez-de-chaussée de l’hôtel et dans la chambre n° 10 située au premier étage, qui conclut au : « dépassement des émergences réglementaires en niveaux globaux et le non-respect du code de la santé publique », « dépassement des émergences réglementaires par bandes d’octaves et le non-respect du code de la santé publique », « les occurrences répétées des tâches bruyantes provoquant les impacts, chocs caractéristiques des nuisances subies par les travailleurs et la clientèle de l’établissement ».

Les défenderesses se prévalent du caractère non-contradictoire des mesures effectuées par la société DB SILENCE et contestent la valeur probante de l’étude acoustique établie par ses soins, aux motifs qu’il s’agit d’un document à l’état de projet et non définitif, qu’il ne comporte ni le nom ni les qualifications de la personne ayant procédé aux mesures et rédigé le rapport, qu’il n’est pas signé et qu’il n’est pas fait état des dates de vérification périodiques de chacun des sonomètres utilisés.

Si un rapport d’expertise amiable unilatéral, tel que celui établi par la société DB SILENCE ne peut être écarté des débats du seul chef de l’absence du contradictoire dès lors que, régulièrement communiqué, il a été soumis à la libre discussion des parties, le défaut de mention de l’identité de l’auteur, l’absence de signature et de toute mention relative à la vérification périodique de l’étalonnage des sonomètres employés caractérisent des contestations sérieuses quant à la valeur probante de ce document, ne permettant pas d’établir, au vu de ce seul document, le caractère manifestement illicite des nuisances constatées. Il est rappelé au surplus qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de constater la nullité d’une pièce de procédure.

La demanderesse verse par ailleurs aux débats un courrier du 16 mai 2023 du bureau d’action contre les nuisances professionnelles de la mairie de [Localité 10], aux termes duquel « l’émergence sonore enregistrée les 22/03/2023 et 18/04/2023 par l’enquêteur est supérieure au seuil de tolérance fixé par les articles R.1336-4 à R. 1336-11 du code de la santé publique, relatifs à la lutte contre le bruit », corroborant ainsi les constatations relatives à l’existence des nuisances sonores.

L’existence et la persistance des troubles sonores liés aux livraisons est en outre établie par les cinq enregistrements audiovisuels versés aux débats par la demanderesse, à savoir celui relatif à une livraison du 14 août 2023, celui relatif à l’utilisation de la presse à balle en date du 30 septembre 2023 à 8h40, ainsi que ceux attestant de l’arrivée d’un camion Lidl à 00h41 le 9 octobre 2023, de la livraison effectuée à 00h56 et du départ du camion à 2h13 le même jour, qui, bien que non certifiés par un huissier de justice, ne sont pas contestées quant à leur authenticité et leur contenu par les parties adverses.

Si la société LIDL se prévaut de l’arrêt des livraisons nocturnes, versant aux débats une attestation du gérant de la société NC2E du 2 mai 2023 affirmant avoir posé « des horloges pour le rideau du quai de livraison et le rideau de la sortie du supermarché pour un créneau horaire de 22h00 à 7h00 » et d’une attestation de son responsable logistique régional en date du 15 juin 2023, certifiant que « les livraisons du supermarché situé au [Adresse 4] à [Localité 10] n’interviennent plus avant 7h et après 22h et que les camions ne stationnent plus devant le supermarché avant 7h », elle ne conteste pas la livraison nocturne en date du 9 octobre 2023, la qualifiant d’incident regrettable.

Elle verse par ailleurs aux débats une étude acoustique réalisée à sa demande le 31 juillet 2023 par la société DECIBEL FRANCE au sein des chambres 4, 54, 63 de l’hôtel, du bureau des employés de l’hôtel et au niveau du quai de chargement LIDL, qui constate des dépassements des émergences réglementaires au niveau notamment de la chambre 4 de l’hôtel, mais également dans le bureau, dus au fonctionnement du compacteur, au fonctionnement du moteur et groupe froid du camion ainsi qu’au déchargement du camion. Estimant que « le bruit généré par le camion se propage par voie aérienne principalement, qui constitue une source de nuisance sonore », la société DECIBEL FRANCE préconise le renforcement de l’isolement acoustique « sur toute la longueur de la zone d’accès du camion côté hôtel et plafond », le traitement du bruit du compacteur, ainsi que « l’utilisation des transpalettes électriques et manuels » et « le remplacement des roues des chariots de manutention par des roues molles spécialement conçues pour réduire des bruits de roulement », voire « le remplacement de sol existant (carrelage) par un revêtement lisse au niveau du quai de déchargement » en cas d’insuffisance. Un devis estimatif pour des travaux de renforcement de l’isolation acoustique du quai de déchargement transmis par courriel en date du 10 octobre 2023 est également versé aux débats.

Tout en contestant l’intensité des nuisances alléguées par la demanderesse, la société LIDL indique en outre avoir réalisé, le 18 août 2023, des travaux de pose de la presse à balles sur des plots anti-vibratiles la réalisation de travaux. Le bon de commande du 26 mai 2023 ne peut cependant suffire à établir une telle preuve, seule la communication de factures avec le détail des travaux effectués pouvant démontrer que les travaux évoqués ont été effectués.

Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il résulte des constatations effectuées par Me [N], des attestations des clients de l’hôtel, des constations de la mairie de [Localité 10] et de l’étude acoustique de la société DECIBEL France que l’existence des troubles sonores allégués est établie avec l’évidence requise en référé. A défaut pour la société LIDL de justifier la réalisation de travaux depuis notamment le dépôt de l’étude acoustique préconisant le renforcement de l’isolement acoustique, la requérante démontre l’actualité des troubles et leur caractère manifestement illicite.

Il convient dès lors de faire cesser ces troubles.

L’interdiction d’utilisation du quai de livraison et du quai de déchargement de la société LIDL apparaissent toutefois disproportionnées à l’objectif poursuivi, alors que la réalisation de travaux aux frais de la défenderesse permettra de faire cesser les nuisances. Les livraisons seront en outre interdites pendant la période nocturne règlementaire, à savoir entre 22 h 00 et 7 h 00.

Une astreinte suffisamment comminatoire pour la contraindre à agir rapidement assortira l’injonction, compte tenu du délai écoulé entre la constatation des premières nuisances et l’inertie de la défenderesse dans la mise en place des mesures effectives et durables, ainsi que de la poursuite des livraisons nocturnes alors qu’elle s’était engagée d’y mettre fin.

Il n’y a pas lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte.

Sur les demandes en paiement d’une provision

L’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, prévoit que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut accorder une provision au créancier.

L’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l’obligation sur laquelle elle repose n’est pas sérieusement contestable et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation, qui peut d’ailleurs correspondre à la totalité de l’obligation.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Si aucune contestation n’apparaît sérieusement opposable, la provision peut être octroyée, quelle que soit l’obligation en cause. La nature de l’obligation sur laquelle est fondée la demande de provision est indifférente, qui peut être contractuelle, quasi-délictuelle ou délictuelle.

L’article 544 du code civil dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Il en résulte que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage.

En l’espèce, les éléments communiqués par la requérante ne permettent pas d’établir avec l’évidence requise en référé la perte de chance d’exploiter normalement l’intégralité des chambres de l’hôtel en raison des nuisances sonores émanant du magasin LIDL voisin, étant rappelé au demeurant que seul le juge du fond dispose des pouvoirs pour en apprécier le caractère normal ou anormal d’un trouble du voisinage et l’étendue du trouble de jouissance en résultant.

Dans ces conditions, l’obligation de réparation formulée à l’encontre de la société LIDL se heurte à une contestation sérieuse, excluant l’octroi d’une provision à ce stade.

La demande en garantie de la société FONCIERE [Adresse 5] est dès lors devenue sans objet.

Sur les demandes accessoires

Les défenderesses, parties perdantes, doivent supporter in solidum la charge des dépens en vertu de l’article 696 du code de procédure civile.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie ses frais non compris dans les dépens en vertu de l’article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS

Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré après débats en audience publique, par décision contradictoire,

Rejetons la demande de sursis à statuer ;

Enjoignons la SNC LIDL à procéder à des travaux acoustiques nécessaires au respect des seuils règlementaires des lieux exploités par elle, selon les préconisations de l’étude établie par la société DECIBEL FRANCE le 31 juillet 2023, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente ordonnance ;

Disons qu’à défaut d’exécution dans le délai précité, la SNC LIDL sera tenue au paiement d’une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard pendant une période maximale de quatre mois ;

Interdisons à la SNC LIDL de procéder à des livraisons entre 22 heures 00 et 7 heures 00, et ce sous astreinte de 7 000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la présente décision ;

Disons n’y avoir lieu à se réserver la liquidation de l’astreinte ;

Disons n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

Disons n’y avoir lieu à condamner la SNC LIDL à garantir et relever indemne de toute condamnation la SCI FONCIERE [Adresse 5] ;

Condamnons in solidum la SNC LIDL et la SCI FONCIERE [Adresse 5] aux dépens, en ce non compris le coût des constats non prescrits par une ordonnance judiciaire ;

Rappelons que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Fait à Paris le 19 décembre 2023.

Le Greffier,Le Président,

Arnaud FUZATCristina APETROAIE

 


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