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ARRET N° 8
N° RG 22/00722 – N° Portalis DBV6-V-B7G-BIMC7
AFFAIRE :
M. [R] [I]
C/
M. [K] [S]
GS/LM
Demande d’exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l’ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d’un élément de construction
Grosse délivrée aux avocats
COUR D’APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 11 JANVIER 2024
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Le ONZE JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [R] [I]
né le 06 Juin 1973 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL SELARL LX LIMOGES, avocat au barreau de LIMOGES, Me Lionel MAGNE de la SCP DAURIAC – PAULIAT-DEFAYE BOUCHERLE-MAGNE- MONS-BARIAUD, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANT d’une décision rendue le 12 JUILLET 2022 par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE GUERET
ET :
Monsieur [K] [S]
né le 17 Août 1983 à [Localité 1] (Haute-Savoie), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Xavier TOURAILLE, avocat au barreau de CREUSE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/005440 du 19/10/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Limoges)
INTIME
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 09 Novembre 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 04 octobre 2023.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 11 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
FAITS et PROCÉDURE
Le 27 janvier 2012, M. [K] [S] a réceptionné sans réserve une maison en rondins construite par M. [R] [I] suivant devis du 24 août 2010.
Se plaignant de la présence d’insectes xylophages ainsi que d’une fuite d’eau en toiture et de la persistance de ces désordres malgré un protocole de reprise, M. [S] a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Guéret qui a ordonné, le 12 novembre 2019, une expertise confiée à M. [M] [L], lequel a déposé son rapport le 2 juin 2020.
Au vu de ce rapport, M. [S] a assigné, le 30 octobre 2020, M. [I] devant le tribunal judiciaire de Guéret en réparation de son préjudice sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.
Par jugement du 12 juillet 2022, le tribunal judiciaire, après avoir retenu le caractère décennal des désordres constatés par l’expert judiciaire, a notamment condamné M. [I] à payer à M. [S]:
– 77 015,27 euros et 1 030 euros, avec indexation, en réparation de ses préjudices matériels, sur le fondement de la garantie décennale,
– 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son trouble de jouissance.
M. [I] a relevé appel de ce jugement.
MOYENS et PRÉTENTIONS
M. [I] conclut au rejet des demandes formées par M. [S] en l’absence de désordre à caractère décennal et en l’absence de tout préjudice certain et prévisible au moment de la signature du marché de travaux. Subsidiairement, il demande de réduire à de plus justes proportions les indemnités réclamées par le maître de l’ouvrage.
M. [S] conclut à la confirmation du jugement, sauf à porter la réparation de son préjudice de jouissance au montant de 5 000 euros. Il se fonde, à titre principal, sur la responsabilité contractuelle de M. [I] qui n’a pas exécuté le traitement xylophage prévu au marché de travaux, ni réalisé l’étanchéité de la maison conformément aux règles de l’art. Surabondamment, il soutient le caractère décennal des désordres constatés par l’expert judiciaire.
MOTIFS
Sur la responsabilité.
M. [S] se plaint de deux séries de désordres dont il réclame l’indemnisation à M. [I]:
– la présence d’insectes xylophages affectant l’ossature bois de sa maison, – un défaut d’étanchéité de sa toiture.
M. [I] critique le jugement en ce qu’il retient le caractère décennal de ces désordres.
Il convient de vérifier cette qualification au vu des éléments dégagés par l’expertise judiciaire, étant ici rappelé que si le caractère décennal des désordres est retenu, ceux-ci ne pourront donner lieu à réparation que sur le fondement de la garantie des articles 1792 du code civil, à l’exclusion du fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
L’expert judiciaire a constaté que la maison de M. [S] était infestée d’insectes xylophages ‘capricornes des maisons’ qui sont apparus dès décembre 2013 et dont la présence persiste malgré deux tentatives de traitement effectuées par M. [I] au printemps 2014 et en juillet 2015, cette dernière au moyen d’un produit curatif Xylo Dorthz conformément au protocole d’accord signé entre cet entrepreneur et le maître de l’ouvrage le 29 juillet 2015. Ce désordre, qui concerne plusieurs pièces de la maison (salle à vivre, cuisine, chambre, WC), affecte l’ossature en bois de l’habitation, donc les éléments constitutifs de l’ouvrage, et s’accompagne de nuisances sonores (bruits de grignotements). Pour autant, l’expert judiciaire considère, à la date de son rapport du 2 juin 2020 -soit plus de huit ans après la réception de l’ouvrage- , que ce désordre reste d’une ‘importance modérée’ tout en ajoutant aussitôt que ‘sans traitement curatif, les bois constituant l’ossature de la maison peuvent ne plus remplir leur fonction de solidité et de clos et couvert de l’ouvrage, et cela peut rendre l’immeuble impropre à sa destination’ (rapport p. 35).
En l’état de ces conclusions expertales, il n’existe aucune certitude que le désordre, qui reste d’une importance modérée plus de huit ans après la réception de la maison, affectera la solidité de celle-ci ou la rendra impropre à sa destination avant l’expiration du délai décennal.
Il s’ensuit que la nature décennale de ce désordre n’est pas avérée, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges.
Il en va de même s’agissant des fuites en toitures au sujet desquelles l’expert judiciaire indique (rapport p. 35 et 36):’Pour l’instant ce désordre est aussi d’une importance modérée. Les fuites se situent pour l’heure en dehors de l’espace habitable mais, à court terme, des fuites plus importantes et moins localisées sont à craindre, et donc la couverture ne remplira plus sa fonction de clos et couvert, et cela peut rendre l’immeuble impropre à sa destination’.
Cet avis de l’expert qui repose sur un risque d’aggravation, dont la certitude de réalisation dans le délai de la garantie décennale n’est pas démontrée, ne permet pas de considérer que ce désordre présente une nature décennale.
Cependant, ces désordres non décennaux, qui n’étaient pas apparents à la réception, présentent la nature de dommages ‘intermédiaires’, et comme tels, relèvent de la responsabilité de droit commun pour faute prouvée du constructeur.
En l’occurrence, le rapport d’expertise judiciaire met en évidence deux séries de fautes imputables à M. [I].
Tout d’abord, cet entrepreneur n’a pas réalisé le traitement préventif du bois de construction pourtant expressément prévu au devis établi par ses soins le 24 août 2010, dont il est constant qu’il fonde le marché de travaux. Cette négligence, reconnue par M. [I] (rapport d’expertise p. 32), est indéniablement en lien avec l’apparition des insectes xylophages.
Ensuite, s’agissant des fuites en toiture, l’expert judiciaire explique que ce désordre trouve son origine dans une erreur de conception (rapport p. 33 et 37). Pour contester sa responsabilité à ce titre, M. [I] fait valoir qu’il s’est borné à mettre en place les lés d’étanchéité ainsi que les relevés d’étanchéité au droit des sorties en toiture, M. [S] s’étant expressément réservé les autres travaux de toiture.
S’il est exact que le maître de l’ouvrage a procédé aux travaux de chevronnage, de mise en place du film écran et des voliges support d’étanchéité, de la protection anti-racinaire et de la couche de végétalisation (rapport d’expertise p. 27), il n’en demeure pas moins qu’en sa qualité de professionnel de la construction, M. [I] avait l’obligation de résultat de livrer un ouvrage exempt d’un défaut d’étanchéité. Dès lors qu’il n’est pas prétendu que M. [S] avait la qualité de maître de l’ouvrage techniquement compétent en matière d’étanchéité, il incombait à M. [I] de le mettre en garde sur la non- conformité au DTU NF 43.4 P1-1 du film écran utilisé ainsi que sur les normes applicables à sa fixation, qui n’ont pas été respectées en l’espèce (rapport p. 33). Or, M. [I] ne justifie pas avoir appelé l’attention du maître de l’ouvrage sur ces non- conformités aux règles de l’art.
Il s’ensuit que M. [I] sera déclaré entièrement responsable des désordres sur le fondement contractuel.
Sur les préjudices.
1) Le préjudice matériel.
Pour contester l’évaluation du coût de réparation des désordres (insectes xylophages et fuites en toiture), fixée par le tribunal judiciaire au montant de 77 015,27 euros TTC conformément à l’estimation faite par l’expert judiciaire en p. 36 et 37 de son rapport, M. [I] produit un devis établi le 8 mai 2020 par sa propre entreprise qui fait état des coûts des travaux de reprise suivants:
– 3 140 euros HT pour le traitement xylophage des bois,
– 18 470 euros HT pour la reprise de la toiture.
Cependant, ce devis n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse particulièrement précise et détaillée faite par l’expert judiciaire qui, après avoir apprécié de manière critique les devis qui lui ont été soumis par les parties (rapport p. 40), a justement chiffré le coût de la réparation des désordres. Le chef de décision fixant ce coût au montant de 77 015,27 euros TTC, avec indexation, sera donc confirmé.
En revanche, il convient de réformer le jugement déféré en ce qu’il condamne M. [I] au paiement d’une somme de 1 030 euros correspondant à la reprise des poteaux de soutènement de l’habitation de M. [S]. En effet, la nécessité de ces travaux, motivés par un prétendu phénomène de tassement, ne résulte que d’une note technique, certes régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion des parties mais qui a été établie à la seule initiative de M. [S] et n’est corroborée par aucun élément extrinsèque, en sorte que la preuve de ce désordre, étranger à la mission donnée à l’expert judiciaire, n’est pas rapportée.
2) Le préjudice de jouissance.
L’importance des désordres a été qualifiée de ‘modérée’ par l’expert judiciaire. M. [S] devra subir des travaux de reprise d’une durée d’exécution de quinze jours pour les fuites en toiture et cinq jours pour le traitement xylophage. La somme de 3 000 euros de dommages-intérêts allouée à ce titre à M. [S] correspond à une juste appréciation de la réparation de ce chef de préjudice, et sera donc confirmée.
Sur les dépens.
M. [I], qui succombe sur l’essentiel, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour d’appel statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu le 12 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Guéret, sauf en sa disposition condamnant M. [R] [I] à payer à M. [K] [S] la somme de 1 030 euros au titre des travaux sur les poteaux de soutènement de sa maison d’habitation ;
Statuant à nouveau de ce chef,
REJETTE la demande de M. [K] [S] en paiement du coût des travaux de reprise des poteaux de soutènement de sa maison d’habitation ;
CONDAMNE M. [R] [I] à payer à M .[K] [S] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [R] [I] aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.