Nuisances sonores : décision du 22 janvier 2024 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/01845

·

·

Nuisances sonores : décision du 22 janvier 2024 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/01845
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

MINUTE N° 24/44

Copie exécutoire à :

– Me Thierry CAHN

– Me Mohammad athir KAHLOON

– Me Orlane AUER

Le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 22 Janvier 2024

Numéro d’inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/01845 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H2VD

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 mars 2022 par le tribunal de proximité d’Illkirch-Graffenstaden

APPELANT :

Monsieur [C] [W]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Thierry CAHN, avocat au barreau de COLMAR

INTIMÉS :

Monsieur [D] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Mohammad Athir KAHLOON, avocat au barreau de STRASBOURG

S.A.S.U. VENTEC ENERGIE anciennement dénommée VENTEC CONCEPT, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Orlane AUER, avocat au barreau de COLMAR

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 novembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme MARTINO, Présidente de chambre

Mme FABREGUETTES, Conseillère

Mme DESHAYES, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. BIERMANN

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Annie MARTINO, présidente et M. Jérôme BIERMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Le 20 février 2018, Monsieur [D] [M] a fait installer un ensemble pompe à chaleur air/eau et une pompe à chaleur air/air par la société Ventec Concept, le groupe extérieur étant posé sur la façade nord de la maison à quatre mètres de la propriété voisine.

Monsieur et Madame [C] [W], leurs voisins directs, ont adressé le 9 avril 2018 un courrier au maire de la commune pour lui faire part de leurs doléances quant aux nuisances sonores résultant du fonctionnement de la pompe à chaleur.

A la fin du mois d’avril 2019, Monsieur [M] a fait réorienter le groupe extérieur et fait mettre en place un tunnel d’insonorisation.

À la suite de l’échec d’une tentative de conciliation, Monsieur [C] [W] a, par déclaration réceptionnée le 9 mai 2019, saisi le tribunal de proximité d’Illkirch Graffenstaden d’une demande tendant à voir obtenir le déplacement de la pompe à chaleur source de nuisances sonores, l’indemnisation du préjudice subi et le remboursement des frais engagés pour faire valoir ses droits.

Monsieur [D] [M] a appelé en garantie la société.

Par jugement avant-dire droit du 20 janvier 2021, le tribunal ainsi saisi a ordonné une expertise judiciaire et commis à cet effet Monsieur [G] [R].

L’expert a déposé son rapport le 13 juillet 2021 au terme duquel il a conclu ne pas avoir constaté de nuisances sonores anormales du fait de leur durée, de leur répétition ou/et de leur intensité, a précisé que les parties, notamment les demandeurs n’ont pas souhaité procéder à des mesures acoustiques complémentaires et que l’installation est dotée d’un complexe visant à créer une isolation phonique couvrant un large spectre sonore.

Monsieur [C] [W] a demandé au tribunal de prononcer la nullité du rapport d’expertise, d’ordonner une expertise acoustique afin de mesurer l’impact de l’intensité et de la répétition du bruit généré par la pompe à chaleur avec des appareils de mesure sonore adaptés. Il a demandé la condamnation de Monsieur [D] [M] à procéder à l’enlèvement de la pompe à chaleur sous astreinte et sa condamnation à lui payer la somme de 17 000 € à titre de dommages intérêts dont 10 000 € pour le préjudice de jouissance, 5 000 € pour le préjudice résultant de l’atteinte à la santé mentale et 2 000 € pour le préjudice moral, outre 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Monsieur [D] [M] s’est opposé aux demandes et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de Monsieur [C] [W] à lui payer les sommes de :

– 27 990 € au titre du préjudice moral,

– 6 064,34 € au titre du préjudice matériel,

– 1 000 € au titre de la remise en état et de la finalisation du tunnel d’insonorisation de la pompe à chaleur

– 5 000 € au titre des propos injurieux et diffamatoires ainsi qu’à raison de la violation de domicile,

– 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Ventec Concept a demandé la condamnation de Monsieur [C] [W] à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 16 mars 2022, le tribunal de proximité d’Illkirch Graffenstaden a :

– rejeté l’exception de nullité soulevée par Monsieur [C] [W] relativement au rapport d’expertise judiciaire,

– débouté Monsieur [C] [W] de sa demande de contre-expertise ou de complément d’expertise,

– débouté Monsieur [C] [W] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté Monsieur [D] [M] de sa demande de dommages intérêts,

– condamné Monsieur [C] [W] à payer à Monsieur [D] [M] la somme de 600 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-débouté la société Ventec Concept de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur [C] [W] aux dépens qui comprendront les frais d’expertise.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a essentiellement retenu que :

– la mission confiée à l’expert portait sur la réalisation de toutes investigations utiles afin de renseigner l’existence des nuisances ou de désordres sonores en procédant ou en faisant procéder, de jour comme de nuit, à toutes mesures acoustiques strictement nécessaires et décrire les constatations et ce alors que l’article R 1334-31 du code de la santé publique ne définit aucun seuil à partir duquel les bruits de voisinage sont sanctionnés au titre des troubles anormaux de voisinage,

– Monsieur [W] est mal fondé à reprocher à l’expert de ne pas avoir eu recours à un expert acousticien pour effectuer des mesures acoustiques alors que, en l’absence de constat à l’oreille de bruit constitutif d’anormalité tant en présence des parties que lors des contrôles inopinés, l’expert a pu juger inutile de procéder à des mesures acoustiques, précisant que les parties et en particulier le demandeur n’avait pas souhaité la mise en ‘uvre de ces mesures complémentaires entraînant de surcroît un coût supplémentaire,

– les critiques relatives au non-respect des mentions relatives au procès-verbal de constat d’infraction en matière de nuisances sonores sont sans emport dans le cadre de la procédure présente pour trouble anormal de voisinage,

– les critiques relatives à l’éventuelle méconnaissance par l’expert de sa mission ne constituent pas une irrégularité de forme et ne sont pas de nature à entraîner la nullité du rapport, Monsieur [C] [W] étant par ailleurs en mesure de critiquer le contenu du rapport au fond, ce qu’il fait,

– l’expert judiciaire a souligné que l’avis technique versé aux débats par le demandeur, rédigé par Monsieur [T], dont la qualification n’est pas spécialement connue, a été établi de manière non contradictoire à la demande de Monsieur [W] et sans déplacement sur site, le technicien n’ayant effectué aucune mesure acoustique et s’étant contenté de produire des graphiques, tableaux et mesures en se basant sur les photographies envoyées par son mandant,

– il est par ailleurs fait référence dans ce document à une étude pour un cas considéré à tort par le technicien comme similaire, lequel ne peut présenter aucun caractère probant dans le cadre de troubles de voisinage devant s’apprécier in concreto,

– l’étude de Monsieur [T] n’est pas de nature à remettre en cause le rapport d’expertise judiciaire pas plus qu’à justifier la demande d’une contre-expertise, voire d’un complément d’expertise et ce d’autant plus que les mesures acoustiques complémentaires n’ont pas été souhaitées en cours d’expertise et qu’aucun élément nouveau ne les justifient,

– la responsabilité pour trouble de voisinage est une responsabilité sans faute dont la mise en ‘uvre suppose la preuve de nuisances, en l’espèce sonores, imputables au défendeur, excédant les inconvénients normaux du voisinage en fonction de leur durée, de leur répétition et de la configuration des lieux, l’appréciation du trouble anormal devant s’apprécier in concreto.

– l’article R 1334-31 du code de la santé publique qui dispose qu’aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, ne définit aucun seuil à partir duquel les bruits de voisinage sont sanctionnés,

– le constat d’ huissier produit par Monsieur [W] ne permet pas de caractériser l’existence de l’anormalité du bruit émis par la pompe à chaleur non plus que le courrier de l’agence régionale de santé du 2 juillet 2018,

– les parties produisent des attestations de témoins divergentes quant à l’appréciation du bruit perçu et venant à l’appui de leur propre thèse,

– l’expert retient que l’abri dans lequel se trouve la pompe à chaleur est de nature à modérer le bruit et repose sur un socle béton par l’intermédiaire de supports anti vibratiles en caoutchouc,

– les constatations effectuées par l’expert, que ce soit de manière contradictoire le 21 avril 2021 puis à l’occasion de contrôles inopinés, démontrent l’inexistence d’un trouble anormal lié au fonctionnement de la pompe à chaleur de Monsieur [M],

– si des dysfonctionnements, sources de bruit, ont pu initialement exister, la réorientation du groupe extérieur et la mise en ‘uvre du tunnel d’insonorisation début 2019 ont notablement participé à supprimer les éventuelles nuisances initiales.

Monsieur [C] [W] a interjeté appel à l’encontre de cette décision suivant déclaration en date du 6 mai 2022, intimant Monsieur [M] et la société Ventec Concept et par dernières écritures notifiées le 1er février 2023, il conclut à l’infirmation de la décision entreprise et demande à la cour de :

– prononcer la nullité du rapport d’expertise judiciaire de Monsieur [R],

À titre subsidiaire,

-ordonner une nouvelle expertise et désigner à cette fin un expert en acoustique afin de mesurer l’impact, l’intensité et la répétition du bruit généré par la pompe à chaleur, avec des appareils de mesure sonore adaptés,

À titre infiniment subsidiaire,

-débouter Monsieur [M] de l’ensemble de ses demandes,

-dire et juger que les nuisances sonores constituent des troubles anormaux de voisinages résultant du fonctionnement de la pompe à chaleur installée par les époux [M] à l’extérieur de leur pavillon contre la face Nord,

-dire et juger que Monsieur [M] devra procéder à l’enlèvement de la pompe à chaleur, à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 € par jour de retard,

-dire et juger que le jugement à intervenir sera opposable à la société,

-condamner solidairement Monsieur [M] et la société à lui payer les montants suivants :

* 10 000 € à titre de dommages intérêts au titre de la privation de jouissance de la terrasse

* 5 000 € à titre de dommages intérêts en raison du préjudice subi résultant de l’atteinte à la santé mentale

* 2 000 € en raison du préjudice moral lié aux bruits anormaux de voisinage,

-condamner les intimés à lui payer la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner les intimés aux entiers dépens.

Par dernières écritures notifiées le 23 mai 2023, Monsieur [D] [M] a conclu à la confirmation de la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté l’exception de nullité, a débouté Monsieur [C] [W] de sa demande d’expertise ou de complément d’expertise et l’ a débouté de l’ensemble de ses demandes.

Il a conclu en revanche à l’infirmation de la décision entreprise en ce qui concerne le rejet de sa demande de dommages intérêts et il a demandé à la cour de condamner Monsieur [C] [W] à lui payer les sommes suivantes :

– 44 700 € au titre du préjudice moral,

– 6 064,34 € au titre du préjudice matériel,

– 1 000 € au titre de la remise en état et de la finalisation du tunnel d’insonorisation de la pompe à chaleur,

– 5 000 € au titre des propos injurieux et diffamatoires ainsi qu’en raison de la violation de domicile,

toutes sommes avec intérêts au taux légal à compter la décision à intervenir.

Il a sollicité la condamnation de Monsieur [C] [W] aux entiers dépens de première instance et d’appel comprenant les frais d’expertise ainsi qu’à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la somme de 2 500 € pour la procédure d’appel.

Par conclusions notifiées le 8 novembre 2022, la société a conclu à la confirmation de la décision entreprise et a demandé à la cour de condamner Monsieur [C] [W] à lui verser la somme de 3 000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et celle de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.

L’ordonnance de clôture est en date du 17 octobre 2023.

MOTIFS

Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

Sur la demande d’annulation de l’expertise judiciaire et la demande d’expertise acoustique

Comme exactement énoncé par le premier juge, les nullités relatives aux mesures d’instruction sont soumises au même régime que celui régissant les nullités des actes de procédure. Selon le droit commun, il n’y a pas nullité sans texte, à moins que la formalité méconnue ne soit une formalité substantielle ou d’ordre public ; qu’il appartient par ailleurs à celui qui invoque la nullité de justifier d’un grief.

Comme devant le premier juge, Monsieur [W] invoque comme moyen de nullité du rapport d’expertise judiciaire et au soutien de sa demande de contre expertise le non-respect par l’expert de la portée et de l’étendue de sa mission, arguant précisément du non-respect par l’expert des dispositions d’une circulaire du 27 février 1996 relative à la lutte contre les bruits de voisinage et conduisant à l’annulation du procès-verbal d’infraction dès lors que n’a pas été respectée la norme NFS 31-010 sur la caractérisation et le mesurage des bruits.

Il fait valoir que l’expert n’aurait pas dû se contenter d’une observation à l”il et à l’oreille et devait obligatoirement procéder ou faire procéder à une mesure acoustique de l’émergence sonore et qu’en tout état de cause, le fait d’établir des constats à l’oreille pendant une quinzaine de minutes ne suffit pas à rendre compte de la nuisance causée par la répétition des bruits.

Comme devant le premier juge, il se prévaut d’une étude théorique non contradictoire établie par Monsieur [T], dont il n’est pas contesté qu’il ne s’est pas rendu sur les lieux, concluant que l’expertise de Monsieur [R] n’est pas conforme aux réglementations :

-pas de méthode de mesurage conforme à la norme NFS 31-010

-aucun calcul des émergences

-forme du rapport non conforme à la norme NFS 31-010.

Ce faisant, Monsieur [C] [W] ne fait que reprendre ses prétentions et moyens de première instance.

Le jugement déféré repose sur des motifs pertinents que la cour adopte.

Il convient d’ajouter plus précisément que la circulaire du 27 février 1996 relative à la lutte contre les bruits de voisinage avait pour objectif de mettre en place un dispositif à destination des maires pour leur permettre de contrôler et de faire sanctionner les infractions pénales liées aux bruits de voisinage et de traiter à moindre coût la plupart des plaintes qui leur sont adressées à ce sujet.

Cette circulaire qui prévoit notamment que les mesures prises par les agents habilités à contrôler et constater les infractions (officiers de police judiciaire et agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints essentiellement) sont effectuées selon la norme NFS 31-010 n’a pas vocation à s’appliquer dans une instance civile et ne s’imposait pas à l’expert judiciaire.

Comme le premier juge l’a exactement énoncé, l’expert judiciaire a rempli sa mission dès lors qu’il a contradictoirement constaté à l’oreille l’absence de bruit anormal provenant de la pompe à

chaleur de Monsieur [M], cette circonstance rendant inutile la mise en ‘uvre de mesures acoustiques et c’est dans ces conditions qu’il a pu, à bon escient estimer, avec l’assentiment des parties, qu’il n’ y avait pas lieu à faire pratiquer des mesures acoustiques selon la norme sus visée.

Comme le premier juge l’a encore exactement rappelé, l’expert a indiqué qu’il avait néanmoins offert aux parties la possibilité de faire réaliser des mesures acoustiques, ce qui a été refusé par Monsieur [W], notamment pour ne pas exposer des frais inutiles mais surtout parce que l’ensemble des parties n’avait constaté aucune nuisance sonore.

Les éléments apportés par Monsieur [W] devant le premier juge pour apporter la preuve des nuisances alléguées (attestations de plusieurs intervenants à domicile et constat d’huissier) ont été établis antérieurement aux mesures prises par Monsieur [M] pour insonoriser la pompe à chaleur.

A hauteur de cour, l’appelant ne produit qu’un seul élément nouveau afin d’établir que les nuisances ont persévéré, à savoir une attestation établie le 16 juillet 2022 par une nouvelle intervenante à domicile, qui atteste qu’elle « constate une nuisance sonore insupportable due à une pompe à chaleur » et explique que « Monsieur [W] (fils) fait souvent des crises d’épilepsie provoquées par des bruits intenses et répétitifs, tels que les bruits qui proviennent de la pompe à chaleur » et qu’il est souvent obligé de porter un casque.

Or, ce seul élément n’est pas de nature à décrédibiliser l’avis de l’expert judiciaire alors même qu’aucun des témoins ayant attesté de la réalité des bruits, antérieurement à la réorientation du groupe extérieur et à la mise en ‘uvre d’un tunnel d’insonorisation, n’a confirmé l’attestation qu’il avait établie à une époque où effectivement la pompe à chaleur de Monsieur [M] générait une gêne pour ses voisins.

Rien n’empêchait au demeurant Monsieur [W] de produire à hauteur de cour et à l’appui de sa demande d’expertise un nouveau constat d’huissier voire une étude acoustique susceptible d’appuyer le témoignage de Madame [A].

En l’état des productions, à hauteur d’appel, il y a donc lieu de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a rejeté la demande en nullité du rapport d’expertise judiciaire et la demande de nouvelle expertise judiciaire.

Sur le trouble anormal de voisinage

Les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et moyens de première instance.

Le jugement déféré, qui a mis en évidence l’absence de preuve de l’existence d’un trouble actuel anormal de voisinage repose sur des motifs pertinents que la cour adopte.

A défaut de moyen nouveau ou de preuve pertinente nouvelle, le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [W] de sa demande d’enlèvement de la pompe à chaleur.

En revanche, le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation formées par Monsieur [W].

En effet, les attestations concordantes de plusieurs assistants de vie intervenant quotidiennement à domicile au profit du fils de Monsieur [W], qui font tous états d’un bruit de ronronnement toutes les cinq minutes (à type de tondeuse) particulièrement agaçant et difficilement supportable, a fortiori sur la terrasse, le constat d’huissier du 6 juin 2018 qui faisait apparaître un maximum de 44 dBA en phase de fonctionnement de la pompe à chaleur alors que pendant les phases d’arrêt, il était noté une moyenne de 38 dBA, étaient de nature, contrairement à l’opinion du premier juge, de caractériser un trouble anormal de voisinage de part sa répétition, alors que chacun admet que le site est d’un grand calme, et ce pour la période antérieure aux mesures prises par Monsieur [M] pour y remédier.

Monsieur [W] et sa famille ont nécessairement subi un préjudice de jouissance de leur terrasse au printemps 2018 et à l’été 2018 du fait du caractère répétitif des nuisances sonores engendrées par la pompe à chaleur.

Ce préjudice sera suffisamment réparé par l’allocation d’une somme de 1 800 € au titre de dommages-intérêts avec les intérêts au taux légal à compter de ce jour .

Même s’il n’est pas rapporté par les témoins, assistants de vie de [K] [W], gravement handicapé, que celui-ci aurait eu en leur présence une crise d’épilepsie qui aurait pu être liée à la perception des bruits générés par la pompe à chaleur, il reste que les intervenants à domicile ont attesté de ce que leur travail était rendu plus difficile par la gêne occasionnée à [K] par le bruit de la pompe à chaleur qui le faisait sursauter à chaque fois qu’elle se mettait en route toutes les quatre à cinq minutes.

Par ailleurs, est versé au débat un certificat médical établi par un médecin psychiatre le 6 juin 2019 libellé en ces termes :

« Je certifie avoir vu en consultation le 6 juillet 2018 Madame [E] [W] qui présentait un état de stress nécessitant la mise sous traitement dans un contexte, selon ce qu’elle avait confié, de conflit de voisinage lié à la non résolution d’un problème de gêne sonore du fait d’une pompe à chaleur

installée à proximité de la terrasse où elle-même et son fils handicapé ont l’habitude de s’installer. Depuis, ce problème récurrent est régulièrement abordé et maintient une situation d’épuisement. ».

Les préjudices ainsi subis en termes de santé justifient l’allocation d’une somme de 1 500 € à titre de dommages intérêts avec les intérêts au taux légal à compter de ce jour.

Il n’y a en revanche pas lieu à dommages-intérêts en raison d’un préjudice moral qui se confond avec celui résultant du trouble de jouissance et du préjudice de santé.

La décision déférée devra donc être infirmée de ces chefs.

Sur les demandes reconventionnelles formées par Monsieur [M]

Il sera rappelé, qu’en application de l’article 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, le principe indemnitaire suppose l’administration par celui qui réclame une réparation, de la preuve d’une faute imputable à l’adversaire, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

– préjudice moral : déclarant subir un véritable harcèlement de la part de Monsieur [C] [W] depuis le 23 avril 2019, date de mise en place du tunnel d’insonorisation, Monsieur [M], qui fait valoir que cette situation conflictuelle a entraîné une dégradation de la santé physique et mentale de son épouse, laquelle a subi plusieurs hospitalisations au mois de juin 2021 et octobre 2021 (colique néphrétique, accident vasculaire cérébral, appendicite et deux opérations chirurgicales sous anesthésie générale ), réclame une indemnisation à hauteur de 30 € par jour depuis le 23 avril 2019 soit 30 € x 1 490 jours = 44 700 €.

Or, l’exercice d’une action en justice constitue un droit qui ne peut dégénérer en abus et donner lieu à dommages-intérêts qu’en cas de mauvaise foi, de malice ou intention de nuire.

Monsieur [M] a choisi d’installer une pompe à chaleur à quatre mètres de la ligne séparative des fonds sans prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas troubler la quiétude de ses voisins directs et a mis plus d’une année à solutionner le problème.

Dans ces conditions, l’action intentée par Monsieur [C] [W] n’apparaît pas abusive, non plus que l’appel interjeté à l’encontre de la décision de première instance, qui a donné lieu à infirmation partielle.

Par ailleurs il n’est apporté strictement aucun justificatif des hospitalisations subies par Madame [M].

Il n’y a donc pas lieu d’allouer à Monsieur [M] des dommages intérêts en réparation d’un préjudice moral.

– préjudice matériel : Monsieur [M] allègue avoir perdu un mois de salaire soit 3 083 € nets pour se rendre aux audiences ainsi qu’à l’expertise, dont il demande l’indemnisation, outre des indemnités de déplacement pour se rendre aux audiences, le remboursement d’un mois de loyer pour son logement situé dans le Puy-de-Dôme et le remboursement des frais de déplacement.

Dès lors qu’il a été fait droit, même partiellement aux demandes de Monsieur [W], celui-ci n’a pas commis de faute en introduisant la procédure.

De plus, comme précédemment, Monsieur [M], qui se contente de procéder par allégations, ne justifie en rien de sa perte de salaire non plus que des indemnités de déplacement, de son loyer dans le Puy-de-Dôme, des frais de déplacement et péages…

La demande d’indemnisation au titre d’un préjudice matériel sera donc rejetée.

– la dégradation du tunnel d’insonorisation : Monsieur [M] soutient que le tunnel d’insonorisation n’a pu être finalisé par suite de l’introduction de l’instance et que l’état de ce tunnel s’est dégradé par suite des aléas météorologiques.

Cependant, l’intimé ne justifie ni de la raison pour laquelle l’introduction de la procédure faisait obstacle à la finalisation du tunnel d’insonorisation ni de la dégradation alléguée de cette installation.

Ce chef de demande ne peut donc être retenu.

– propos diffamatoires et injurieux tenus par les époux [W] et leurs témoins et intrusion sur la propriété [M] :

Monsieur [M] soutient que tout au long de la procédure, les époux [W] n’ont cessé de tenir des propos diffamatoires et injurieux à son encontre en les dépeignant comme des personnes sans foi ni loi qui n’auraient aucune compassion pour leur fils [K].

Cependant, ils ne se réfèrent expressément à aucun passage des conclusions de première instance ou d’appel, étayant ses prétentions.

Il fait également reproche à Monsieur [C] [W] d’avoir produit une attestation établie par Madame [O] [I] en ces termes : « ce style de personne ne tient en aucun cas compte de l’état de santé de [K] et de ses parents » et « ce monsieur, il faudrait juste lui rappeler’ ».

Il ne peut être reproché cependant à Monsieur [C] [W] d’avoir versé aux débats, pour défendre ses droits, une attestation d’un témoin contenant une appréciation subjective des qualités morales supposées de son adversaire alors même que ce témoignage a été établi alors que les nuisances sonores perduraient depuis plus d’un an.

De plus, les écrits ou discours devant les tribunaux, même s’ils sont diffamatoires, outrageants ou injurieux, bénéficient d’une immunité de principe en application de l’article 41 al 3 de la loi du 29 juillet 1881.

Même si les propos tenus par Madame [I] peuvent être blessants pour Monsieur [M], ils ne sont que l’expression subjective d’ un ressenti et ces propos n’apparaissent pas, dans le contexte, procéder d’un abus susceptible de voir déroger aux dispositions de l’article 41 al 3 de la loi précitée.

Monsieur [M] ne peut imputer à faute à son adversaire d’avoir communiqué à l’expert privé des photographies prises de son domicile (ciblant exclusivement l’installation litigieuse) alors que lui-même a pris, sans aucune autorisation, des photographies montrant des personnes participant à une ou plusieurs réceptions organisées sur la terrasse des consorts [W].

Il suit de ces énonciations que la demande sera rejetée.

Sur la demande de la société Ventec Concept

L’exercice d’une action en justice ou d’un recours constitue un droit qui ne peut dégénérer en abus qu’en cas de mauvaise foi, malice ou intention de nuire.

A défaut de caractérisation d’un tel cas, la demande de dommages et intérêts formée par la société Ventec Concept sera rejetée.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Monsieur [W] succombant sur sa demande principale en enlèvement de la pompe à chaleur sous astreinte, les dispositions du jugement déféré seront confirmées quant aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [M] n’ayant eu que partiellement gain de cause et Monsieur [M] succombant sur son appel incident, il sera dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens d’appel et de ses frais irrépétibles d’appel.

En revanche, Monsieur [W] devra supporter les dépens relatifs à la mise en cause par ses soins de la société Ventec Concept et sera condamné à lui payer une somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes de dommages-intérêts,

Et statuant à nouveau de ce chef,

CONDAMNE Monsieur [M] à payer à Monsieur [W] la somme de 1 800 € en réparation de son préjudice de jouissance avec les intérêts au taux légal à compter de ce jour,

CONDAMNE Monsieur [M] à payer à Monsieur [W] la somme de 1 500 euros au titre du préjudice de santé, avec les intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

Et y ajoutant,

DIT que chacune des parties, à l’exclusion de la société Ventec Concept, devra supporter la charge de ses propres dépens d’appel et de ses frais irrépétibles d’appel,

CONDAMNE Monsieur [W] à payer à la société Ventec Concept la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [W] aux dépens relatifs à la mise en cause de la société Ventec Concept.

Le Greffier La Présidente

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x