Your cart is currently empty!
1ère Chambre
ARRÊT N°35
N° RG 23/01754
N° Portalis
DBVL-V-B7H-TTQ3
Mme [I] [T]
C/
Mme [P] [J]
S.A.R.L. [B]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 JANVIER 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 13 novembre 2023 devant Madame Caroline BRISSIAUD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 janvier 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 23 janvier 2024 à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [I] [T]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉES :
Madame [P] [J]
née le [Date naissance 4] 1970 à [Localité 6] (44)
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Guillaume CIZERON de la SELARL CABINET CIZERON, avocat au barreau de NANTES
La S.A.R.L. [B], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Gilles APCHER de la SELARL GILLES APCHER, avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [P] [J] est propriétaire d’un appartement de type T1 bis situé au 1er étage de l’immeuble [Adresse 1] ‘ [Adresse 3] à [Localité 6], correspondant au lot n°28 de l’état descriptif de division dudit immeuble.
L’appartement de Mme [J] est situé entièrement au-dessus des locaux commerciaux du rez-de-chaussée (lots n°23 et 26) qui appartiennent à Mme [I] [T].
Ce local commercial a été initialement exploité par un centre de danse, lequel a été contraint de cesser son activité en 2007 sur injonction administrative en raison de la gêne occasionnée pour le voisinage, puis par un salon de coiffure exploité par M. [N], lequel a ensuite cédé son fonds de commerce en 2015 à la Sarl [B] qui a poursuivi l’activité de salon de coiffure.
Mme [J] s’est plainte d’importantes nuisances sonores en provenance des activités successivement exploitées dans les locaux de Mme [T] situé au rez-de-chaussée.
Les services techniques de la ville de [Localité 6] se sont déplacés à plusieurs reprises en 2007, 2013 et 2016 pour effectuer des mesures.
Suivant actes d’huissier des 22 et 26 juin 2018,Mme [J] a fait assigner Mme [T] et la Sarl [B] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes, aux fins d’expertise.
Suivant ordonnance du 4 octobre 2018, M. [K] a été désigné en qualité d’expert judiciaire. Il a déposé son rapport le 20 septembre 2019.
Par actes d’huissier des 8 et 9 décembre 2020, Mme [J] a fait assigner Mme [T] et M. [B] aux fins notamment de les voir condamner à exécuter sous astreinte les travaux d’isolation phonique et à l’indemniser de ses préjudices.
Par conclusion d’incident du 16 août 2022, Mme [T] a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir constater la prescription de l’action exercée par Mme [J].
Suivant ordonnance du 26 janvier 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes a :
– déclaré Mme [P] [J] recevable en son action,
– débouté Mme [I] [T] et la Sarl [B] de leur fin de non-recevoir,
– condamné Mme [I] [T] à payer à Mme [P] [J] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné la Sarl [B] à payer à Mme [P] [J] la somme de
1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la Sarl [B] et Mme [I] [T] in solidum aux dépens,
– débouté les parties de leurs autres demandes,
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
Suivant déclaration du 20 mars 2023, Mme [I] [T] a interjeté appel de tous les chefs de cette décision.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [I] [T] expose ses moyens et prétentions dans ses conclusions transmises au greffe et notifiées le 18 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé détaillé.
Elle demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 26 janvier 2023,
En conséquence,
– déclarer prescrite l’action de Mme [J] à l’encontre de Mme [T],
– débouter Mme [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de Mme [T],
– condamner Mme [J] à lui payer la somme de 4.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [J] aux entiers dépens.
Mme [P] [J] expose ses moyens et prétentions dans ses conclusions transmises au greffe et notifiées le 16 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé détaillé.
Elle demande à la cour de :
– débouter Mme [T] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
– condamner Mme [T] à lui verser la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [T] aux entiers dépens.
Suivant ordonnance du 19 septembre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 12 juillet 2023 par la Sarl [B].
MOTIVATION DE LA COUR
A titre liminaire, les conclusions de la Sarl [B] ayant été déclarées irrecevables, la cour n’est saisie d’aucune demande d’infirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré l’action de Mme [J] fondée sur les troubles anormaux du voisinage recevable à l’égard de celle-ci. Les dispositions de l’ordonnance sont donc définitives de ce chef.
1/ Sur la prescription de l’action à l’encontre de Mme [T]
Mme [J] fonde son action à l’encontre de Mme [T] sur le non respect du règlement de copropriété et en particulier sur les dispositions de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui dispose que ‘Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot, il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble’ et encore sur les dispositions du règlement de copropriété de l’immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 6] qui en son article 3.12.01 dispose que ‘Chacun des copropriétaires aura le droit de jouir, comme bon lui semble des parties privatives comprises dans son lot, à condition de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires [‘].’
Conformément aux dispositions de l’article 42 de cette même loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction applicable à la date du premier acte interruptif de prescription (assignation en référé expertise en date du 22 juin 2018) le délai de prescription était de 10 ans.
Il est admis que le point de départ du délai de prescription de l’article 42 alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 se situe au moment de la manifestation du dommage (Cass. Civ 3ème 16 septembre 2003, n°02-13.028).
Il convient donc de déterminer quel est le point de départ du délai de prescription en l’espèce.
Dans son assignation en référé-expertise du 26 juin 2018, Mme [J] se plaignait de nuisances sonores depuis son emménagement en 2005 : ‘Depuis son emménagement (2005), elle subit d’importantes nuisances sonores en provenance du commerce situé au rez-de-chaussée, exploité dans les lots n°23 et 26.’
Elle expliquait que ces nuisances avaient tout d’abord été provoquées par un centre de danse, lequel avait été contraint de cesser son activité dans ces locaux en 2007 sur injonction administrative en raison de la gêne occasionnée pour le voisinage et Mme [J] en particulier.
Il ressort également des termes de cette assignation que les nuisances ont persisté malgré un changement d’exploitation du local commercial et l’installation d’un salon de coiffure puisque ‘Depuis la fermeture de ce centre de danse, Mme [T] a sans doute cru bien faire en installant dans ses locaux un fonds de commerce de salon de coiffure, dont on s’imagine que l’exploitation serait moins génératrice de nuisances sonores qu’un centre de danse. Pour autant, en l’espèce, il n’en est rien puisque depuis l’appartement de Mme [J], les conversations du salon comme la musique diffusée sont parfaitement audibles et la chaîne est encore amplifiée par le bruit des sèche-cheveux.’
Les attestations produites par Mme [J] confirment les nuisances sonores en provenance du salon de coiffure.
Dans son assignation en référé, Mme [J] précisait encore que l’installation d’un piano dans le salon de coiffure n’avait fait qu’aggraver une situation déjà difficilement supportable.
Ce piano a été installé après la cession du bail commercial à la Sarl [B] en novembre 2015, lequel a poursuivit l’exploitation dans le local commercial d’un salon de coiffure.
Enfin, dans son attestation du 29 mai 2018, Mme [L] [R] précise que ‘La situation perdure depuis 6 ans et met à l’épreuve mon amie.’
Il y a donc lieu de retenir que les nuisances sonores existent de manière continue depuis 2005, date de l’emménagement de Mme [J] et que c’est sans aucune preuve et en contradiction avec ses précédentes allégations, que celle-ci, pour tenter d’échapper à la prescription soulevée, prétend désormais que les nuisances se seraient interrompues après l’intervention des services municipaux et quelques travaux en 2013 pour réapparaître par suite de l’installation de la Sarl [B] en 2015.
Toutefois, le point de départ du délai de prescription ne saurait être fixé en 2005.
Il est exact qu’en 2007, un rapport de mesure des émergences engendrées par les cours de danse, en provenance du local commercial a été établi par un technicien mandaté par la Ville de [Localité 6]. Ce dernier a conclu que les valeurs mesurées (entre 8 et 20 dB (A)) sont ‘supérieures à la valeur limite admissible prévue par la réglementation (Article R1334-30 du code de la Santé publique) qui est de 7 dB(A) (‘) les nuisances sont donc réelles et très importantes notamment dans les basses fréquences.’ Il précisait que ‘l’approche auditive confirme le manque d’isolation de la salle de danse car après les cours, les conversations sont perceptibles dans le logement.’
Dès 2007, la réalité et l’intensité des nuisances sonores subies par l’activité du studio de danse étaient ainsi établie, Mme [J] étant par ailleurs informée que ces nuisances étaient liées à une mauvaise isolation acoustique du local commercial et non seulement aux conditions d’exploitation de celui-ci (en l’occurrence par un studio de danse).
Mais ce n’est qu’après avoir fait réaliser le 11 mars 2013 une évaluation du niveau d’isolement aux bruits aériens entre le salon de coiffure et son appartement par les services techniques de la ville de [Localité 6], que Mme [J] a pu objectiver ce défaut d’isolation acoustique dont il lui avait été simplement fait part en 2007.
En effet, ce rapport de mesure d’isolement aux bruits aériens du 11 mars 2013, réalisé contradictoirement en présence des parties, a révélé que la ‘valeur d’isolement aux bruits aériens est égale à 46 dBa, soit un résultat très largement inférieur aux prescriptions réglementaires » en ajoutant «l’isolement aux bruits aériens entre les 2 locaux est très médiocre et justifie la gêne ressentie par Mme [J]. Lors de notre intervention, les bruits de voix émanant du salon de coiffure étaient nettement perceptible.’
Ce n’est donc qu’à compter de celui-ci que Mme [J] a pu se convaincre que les troubles sonores qu’elle subissait trouvaient leur origine dans un défaut constructif de l’immeuble et non dans les conditions d’exploitation du local commercial, de sorte que quel que soit le type d’activité, toute exploitation du local commercial situé au rez-de-chaussée, lui causerait des nuisances sonores excessives, auxquelles seuls des travaux d’isolation acoustique pourraient remédier.
A cet égard, Mme [J] indique que les nuisances ont cessé en 2021, après la réalisation des travaux d’isolation préconisés par l’expert judiciaire.
Il convient donc de retenir à l’instar du tribunal que ce n’est qu’à compter du 11 mars 2013 que Mme [J] a acquis une connaissance complète de son dommage et qu’elle a pu disposer de tous les éléments lui permettant d’agir.
Il s’en suit que Mme [J] pouvait agir à l’encontre de Mme [T], sur le fondement de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 (dans sa rédaction applicable avant l’entrée en vigueur de la loi Elan) jusqu’au 11 mars 2023.
Son action au fond introduite par acte d’huissier du 8 décembre 2020 n’est donc pas prescrite, ce d’autant que l’assignation en référé-expertise délivrée le 22 juin 2018 a interrompu le délai de prescription.
L’action de Mme [J] à l’encontre de Mme [T] est donc recevable.
L’ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée de ce chef.
2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de l’ordonnance déférée relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
Succombant à nouveau en appel, Mme [T] sera condamnée aux dépens d’appel.
Elle sera par conséquent déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’est pas inéquitable de la condamner à payer à Mme [J] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Statuant dans les limites de l’appel,
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 26 janvier 2023 par le juge de la mise en état de Nantes,
Y ajoutant :
Condamne Mme [I] [T] aux dépens d’appel,
Condamne Mme [I] [T] à payer à Mme [P] [J] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ,
Déboute Mme [I] [T] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE