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N° RG 23/00331 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JIZ7
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 7 FEVRIER 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
22/00036
Tribunal judiciaire du Havre du 21 novembre 2022
APPELANTE :
Madame [X] [C] exerçant sous l’enseigne Etablissement [V]
née le 16 juin 1980 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée et assistée par Me Judith ARAUJO, avocat au barreau du Havre
INTIME :
Monsieur [R] [F]
né le 23 février 1954 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 7]
représenté et assisté par Me Olivier JOUGLA de la SELARL EKIS, avocat au barreau du Havre plaidant par Me THOREL
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 6 décembre 2023 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER
DEBATS :
A l’audience publique du 6 décembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 7 février 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 7 février 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Dans le cadre de la réhabilitation de son ensemble immobilier situé [Adresse 5] et [Adresse 3], [Localité 1], la Sarl Invest Immo 76 a confié la réalisation du lot menuiseries extérieures à Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V].
Le 28 novembre 2019, la Sarl Invest Immo 76 a vendu à M. [R] [F] plusieurs lots dans cet ensemble immobilier dont deux plateaux à aménager en appartement situés au premier étage des bâtiments A et B.
Afin de remédier à des problèmes d’isolation phonique, M. [R] [F] et l’Etablissement [V], représenté par M. [V], ont conclu un protocole d’accord le 3 juin 2021 à l’issue d’une expertise amiable contradictoire diligentée à la demande de l’assureur protection juridique de M. [R] [F]. Aux termes de ce protocole, ce dernier a renoncé à toutes poursuites à l’égard de la société [V] et celle-ci s’est engagée à procéder à sa charge aux travaux suivants dans le bureau et la chambre donnant sur la [Adresse 10] (côté nord) entre le 10 et le 31 août 2021 :
. dépose des quatre menuiseries extérieures pvc,
. repose dans les règles de l’art des quatre menuiseries pvc compris pose de compriband,
. réfection des doublages en plâtrerie, compris bandes enduit et peinture sur mur côté rue.
M. [R] [F] a convenu avec l’Etablissement [V] de la fourniture de quatre menuiseries triple vitrage au prix de 3 249,40 euros TTC selon un devis du
7 juillet 2021 accepté le 9 juillet 2021, pour remplacer les quatre fenêtres double vitrage, objets du protocole d’accord.
Par acte d’huissier de justice du 11 janvier 2022, M. [R] [F], alléguant une inexécution du protocole d’accord, a fait assigner Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], devant le tribunal judiciaire du Havre en exécution sous astreinte du protocole d’accord et du devis accepté le 9 juillet 2021 et en indemnisation de ses préjudices.
Par jugement du 21 novembre 2022, le tribunal a :
– condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], à procéder à sa charge aux travaux prévus dans le protocole d’accord du 3 juin 2021, à savoir dans le bureau et la chambre donnant sur la [Adresse 10] (côté nord) :
. dépose des 4 menuiseries extérieures pvc,
. repose dans les règles de l’art des 4 menuiseries pvc compris pose de compriband,
. réfection des doublages en plâtrerie, compris bandes enduit et peinture sur mur côté rue,
ce sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter d’un mois suivant la signification du jugement,
– condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], à payer à M. [R] [F] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance,
– débouté M. [R] [F] du surplus de ses demandes,
– condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], à payer à M. [R] [F] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 26 janvier 2023, Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], a formé un appel contre le jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 29 septembre 2023, Mme [X] [C], entreprise individuelle exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], demande de voir en application des articles 5 du code de procédure civile, 1193, 1217, 2044 et suivants du code civil :
– infirmer intégralement le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Havre le 21 novembre 2022,
statuant à nouveau,
– débouter M. [F] de l’intégralité de ses demandes,
y ajoutant,
– condamner M. [F] à lui payer les sommes suivantes :
. 3 249,40 euros TTC au titre de la fourniture et de la livraison de menuiseries triple vitrage,
. 300 euros TTC au titre du constat d’huissier de justice réalisé,
. 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Elle fait valoir que, M. [F] indiquant dans ses conclusions qu’il fera son affaire personnelle des travaux de reprise, objets du protocole d’accord, il y a lieu d’infirmer le jugement sur ce point ; qu’avant même ses écritures, il avait refusé l’exécution de cet accord alors qu’elle lui avait indiqué être disposée à y procéder sous réserve qu’il lui règle le premier acompte du devis du 9 juillet 2021, ce qu’il n’a jamais fait ; que le tribunal a statué ultra petita en la condamnant à exécuter le protocole initial alors que M. [F] sollicitait aux termes de son assignation la pose de fenêtres triple vitrage conformément à l’accord trouvé postérieurement.
Elle expose ensuite que c’est en raison de la violation par M. [F] de son obligation de régler le premier acompte du devis du 9 juillet 2021 que le protocole n’a pas pu être exécuté en application de l’article 1217 du code civil ; que M. [F] est responsable du trouble de jouissance qu’il prétend subir et aurait donc dû être débouté de toutes ses demandes indemnitaires par le tribunal.
Elle indique que c’est sous la pression de la protection juridique de M. [F] et pour éviter de se voir assignée qu’elle a passé commande des menuiseries triple vitrage sans avoir été réglée, qu’elle en a avancé le coût auprès de son fournisseur le 31 août 2021 pour obtenir leur livraison ; qu’en raison de leur non règlement par M. [F], ces menuiseries, fabriquées sur mesure, sont stockées dans ses locaux depuis janvier 2022, qu’elle en demande le paiement.
Par dernières conclusions notifiées le 29 juin 2023, M. [R] [F] sollicite de voir sur la base des articles 1104 et suivants du code civil :
– débouter Mme [X] [C] exerçant sous l’enseigne Etablissement [V] de ses demandes principales et reconventionnelles,
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Havre le 21 novembre 2022 en ce qu’il a :
. condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], à payer à M. [R] [F] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance,
. condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], à payer à M. [R] [F] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. condamné Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], aux dépens de l’instance,
– condamner Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre les entiers dépens.
Il estime que le tribunal, qui a accueilli partiellement sa demande en substituant la pose de menuiseries triple vitrage par du double vitrage faute pour lui d’avoir réglé l’acompte, n’a pas statué ultra petita et a apprécié ses demandes.
Il ne maintient pas sa demande de reprise de ses travaux par Mme [C] exerçant sous l’enseigne Etablissement [V] car il n’a plus foi en ce professionnel.
Il précise que, depuis son emménagement, il subit des nuisances diurnes et nocturnes en raison de la mauvaise isolation phonique, qu’il est contraint de porter des bouchons d’oreille pour les atténuer, qu’il sollicite donc la confirmation de l’indemnité de 800 euros accordée par le tribunal en réparation de son préjudice de jouissance, qu’il n’est pas responsable de ce dommage imputable à un défaut de pose des menuiseries par l’Etablissement [V].
Il s’oppose à la demande reconventionnelle de l’appelante aux motifs que, n’ayant jamais réglé une quelconque somme pour l’exécution du devis du 7 juillet 2021, les menuiseries ne pouvaient pas être commandées par l’Etablissement [V] qui y a procédé le 31 août 2021, soit le dernier jour pour exécuter le protocole d’accord ; qu’en tout état de cause, ces menuiseries ne lui ont jamais été livrées, qu’il ignore si elles ont existé puisqu’il n’a pas pu les examiner.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 15 novembre 2023.
MOTIFS
Sur les demandes de M. [F]
– Sur la demande d’exécution des travaux prévus dans le protocole d’accord
En l’espèce, les parties ont convenu, avant la période retenue pour l’exécution du protocole d’accord, qu’à la place des quatre fenêtres en double vitrage qui devaient être déposées et reposées, le seraient quatre fenêtres en triple vitrage.
Cette modification de la volonté des parties ne permet pas l’exécution des dispositions telles que prévues dans le protocole. Le jugement qui y a condamné Mme [C] exerçant sous l’enseigne Etablissement [V] sera infirmé.
– Sur la demande indemnitaire en réparation d’un préjudice de jouissance
Le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire. Mais, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important qu’elle l’ait été en présence des parties, sans vérifier si elle est corroborée par d’autres éléments de preuve.
En l’espèce, lors de la réunion d’expertise amiable organisée le 26 mai 2021, en présence de M. [V] et de M. [F], le cabinet Mahé Villa, expert mandaté par l’assureur protection juridique de M. [F], a constaté sur site :
– dans la chambre donnant côté nord de l’immeuble sur la [Adresse 10], un passage de bruit aérien entre la maçonnerie de l’immeuble et les dormants des deux menuiseries installées,
– dans le bureau attenant à la chambre, le même phénomène, mais moins important.
Ce constat contradictoire n’est pas corroboré par d’autres pièces.
Si, en signant le protocole d’accord le 3 juin 2021 aux termes duquel il s’est engagé à reprendre ses travaux, l’Etablissement [V] représenté par M. [V] a implicitement reconnu sa responsabilité dans la mise en oeuvre fautive de l’étanchéité des quatre fenêtres posées, aucune disposition ne fait état d’un préjudice de jouissance consécutif qu’aurait supporté M. [F].
Le cliché photographique qu’il verse aux débats, qui n’est pas daté et montre un espace en cours de chantier, clos par quatre fenêtres, n’est pas de nature à démontrer l’existence de nuisances sonores.
A défaut de preuve suffisante de son dommage, M. [F] sera débouté de sa réclamation. Le jugement du tribunal l’ayant accueillie sera infirmé.
Sur la demande de Mme [C] exerçant sous l’enseigne Etablissement [V]
L’article 1103 du code civil précise que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l’article 1104 du même code, ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.
L’article 1193 du même code prévoit que les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.
Enfin, l’article 1217 du même code indique que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation,
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation,
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.
En l’espèce, le devis du 7 juillet 2021, accepté par courriel de M. [F] du 9 juillet 2021, prévoyait que 50 % de son montant serait versé à sa signature pour commander les menuiseries et 50 % à la fin des travaux.
M. [F] indique qu’il n’a jamais rien réglé au titre de ce devis.
Son moyen, selon lequel Mme [C] n’aurait pas dû commander les menuiseries, n’est pas de nature à remettre en cause la force obligatoire du contrat qui s’est formé et qui conditionnait la réalisation des travaux de reprise portant désormais sur des fenêtres à triple vitrage.
Mme [C] démontre qu’elle reste créancière du montant de ces menuiseries, réglé le 31 août 2021 à son fournisseur et réclamé à M. [F] aux termes de sa facture du 10 septembre 2021 et de son courriel du 13 octobre 2021. Elle prouve aussi qu’elle a entreposé ces menuiseries dans son garage comme il ressort du procès-verbal dressé le 27 septembre 2023 par Me [J], commissaire de justice.
L’absence de reprise de ses travaux par Mme [C] et de livraison de ces menuiseries n’exonère pas M. [F] de son obligation d’exécuter le contrat valablement formé le 9 juillet 2021. Au contraire, il s’agissait de la condition nécessaire à leur accomplissement par Mme [C].
M. [F] sera donc condamné à régler à l’appelante le coût de la fourniture de ces menuiseries de 3 249,40 euros TTC. Il sera également tenu de l’indemniser du coût du procès-verbal du 27 septembre 2023 de 300 euros TTC qu’elle a exposé du fait des doutes qu’il lui a opposés sur l’existence des menuiseries dans ses locaux, alors qu’elle l’avait invité, par courriel du 13 décembre 2022, à venir les voir à son domicile à sa convenance en la prévenant au préalable la veille de sa venue. M. [F] en avait pris note par courriel du 14 décembre 2022 en lui indiquant qu’il ne manquerait pas de la prévenir de sa venue ‘pour examiner les nouvelles fenêtres’.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais de procédure seront infirmées.
Partie perdante, M. [F] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Il n’est pas inéquitable de le condamner également à payer à l’appelante la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [R] [F] à payer à Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], la somme de 3 249,40 euros TTC en exécution du devis du 7 juillet 2021 accepté le 9 juillet 2021 et celle de 300 euros TTC correspondant au coût du procès-verbal de constat du 27 septembre 2023,
Déboute M. [R] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance,
Condamne M. [R] [F] à payer à Mme [X] [C], exerçant sous l’enseigne Etablissement [V], la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus des demandes,
Condamne M. [R] [F] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, La présidente de chambre,