COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile – Première section
Arrêt du Mardi 11 Octobre 2022
N° RG 20/01169 – N° Portalis DBVY-V-B7E-GRBJ
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ALBERTVILLE en date du 11 Septembre 2020, RG 19/00741
Appelant
M. [V] [N], demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Solène ROYON, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représenté par Me Karine LEBOUCHER, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER
Intimée
S.A.R.L. PMP CONSTRUCTION, dont le siège social est situé [Adresse 2]
Représentée par Me Fabrice PAGANELLI, avocat au barreau de CHAMBERY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 21 juin 2022 avec l’assistance de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
– Monsieur Michel FICAGNA, Président,
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseiller,
– Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
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Il a été procédé au rapport.
Propriétaire d’un chalet situé à [Localité 3] (73) M. [V] [N] a confié à la société PMP Construction (PMP) des travaux de démolition et de rénovation de celui-ci, suite à un incendie, selon devis du 27 février 2018 d’un montant de 105 287,34 euros TTC.
Les travaux ont débuté et une première facture d’un montant de 13 261,60 euros TTC a été émise le 28 avril 2018 pour la démolition et a été intégralement réglée.
Par courriel du 24 mai 2018, M. [N] a fait part de sa décision de rompre le contrat en raison d’un changement de projet, et par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 février 2019, la société PMP l’a mis en demeure de l’indemniser de ses préjudices.
Faute d’issue amiable, par acte en date du 27 juin 2019, la société PMP a fait assigner M. [N] devant le tribunal de grande instance d’Albertville, devenu tribunal judiciaire aux fins de voir déclarée fautive la résiliation unilatérale du contrat par M. [N] et le voir condamner à lui verser la somme de 51 631 euros en réparation de son préjudice outre intérêts.
Par jugement en date du 11 septembre 2020, le tribunal judiciaire d’Albertville a :
Constaté que le contrat conclu entre M. [N] et la société PMP ne constitue pas un « contrat à distance » tel que défini par l’article L 221-1 du code de la consommation,
Déclaré fautive la résiliation unilatérale par M. [N] du contrat le liant à la société PMP,
Condamné M. [N] à indemniser la société PMP du préjudice résultant de cette rupture,
Condamné M. [N] à payer à la société PMP la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [N] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions en date du 19 mars 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [N] demande à la cour de :
Vu les articles L221-1 et suivants du code de la consommation,
Vu l’article 1104 du code civil,
‘ Réformer le jugement rendu le 11 septembre 2020 par le tribunal judiciaire d’Albertville en ce qu’il a condamné M. [N] à payer à PMP Construction la somme de 25.000 euros de dommages et intérêts pour rupture unilatérale, outre 1.000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile et les entiers dépens,
Et en conséquence, statuant à nouveau, principalement,
‘ Ordonner la caducité du contrat,
‘ Par conséquent, débouter la société PMP Construction, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions de paiement dirigées contre M. [N],
Subsidiairement,
‘ Constater que la résolution a été acceptée sans demande de contrepartie financière ou pénalité de la part de la société PMP Construction,
‘ Par conséquent, débouter la société PMP Construction, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions de paiement dirigées contre M. [N],
Très subsidiairement,
‘ Juger que la société PMP Construction a agi de mauvaise foi dans sa relation contractuelle avec M. [N],
‘ Par conséquent, débouter la société PMP Construction, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions de paiement dirigées contre M. [N],
A titre infiniment subsidiaire,
‘ Débouter la société PMP Construction, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions de paiement dirigées contre M. [N] en l’état d’un préjudice inexistant, ou à tout le moins limiter la condamnation à 5.000 euros au plus,
Sur l’appel incident,
‘ Débouter société PMP Construction, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions de paiement dirigées contre M. [N] en l’état d’un préjudice inexistant,
En tout état de cause,
‘ Condamner PMP Construction à verser à M. [N] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions en date du 29 mars 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la société PMP demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1103, 1104 et 1193 du code civil, 1217 et suivants du code civil,
Confirmant le jugement du 11 septembre 2019,
‘ Dire et juger que le contrat conclu ne constituait pas un « contrat à distance » tel que défini par l’article L 221-1 du code de la consommation, à défaut de recours pour la conclusion de ce contrat à « un système organisé de vente ou de prestation de services à distance »,
‘ Dire et juger subsidiairement que le contrat conclu était exclu du champ de l’article L 221-1 du code de la consommation par le 12° de cet article, en ce qu’il consistait dans »la transformation importante d’immeubles existants »,
‘ Dire et juger fautive la résiliation unilatérale par M. [V] [N] du contrat le liant à la société PMP Construction,
‘ Dire et juger que M. [V] [N] est tenu d’indemniser le préjudice causé à la société PMP Construction par cette inexécution fautive,
Sur l’appel incident de la société PMP Construction relatif au montant de l’indemnisation,
‘ Condamner M. [V] [N] à payer au principal la somme de 41 632 € à la société PMP Construction en réparation de son préjudice, outre intérêts à compter de la mise en demeure du 5 février 2019 ou subsidiairement à compter de la date de délivrance de l’assignation,
‘ Si la cour devait faire droit à la demande d’expertise judiciaire formée par M. [N] concernant la vérification du taux de marge, dire et juger c’est à M. [N] en sa qualité de demandeur à l’expertise qu’il appartiendra de consigner les frais et dire et juger également que la cour tirera toutes les conséquences de l’absence de consignation,
‘ Rejeter l’ensemble des demandes de M. [V] [N],
‘ Condamner M. [V] [N] à payer la somme supplémentaire de 2 500 € à la société PMP Construction au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de l’indemnité accordée en première instance,
‘ Condamner M. [V] [N] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de Maître Fabrice Paganelli, avocat en application de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est en date du 23 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’application du droit de la consommation au présent litige
L’article L221-1 du code de commerce dans sa version applicable aux faits énonce :
– Pour l’application du présent titre, sont considérés comme :
1° Contrat à distance : tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à la conclusion du contrat ;
En l’absence d’élément nouveau, c’est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément que le premier juge, a retenu que :
– Il est incontestable que M. [N] est un consommateur et la société PMP un professionnel.
– Si du fait de l’éloignement géographique le contrat a été régularisé par courriel et courrier, ces éléments sont insuffisants à qualifier un tel contrat d’entreprise de contrat à distance car la relation ne s’est pas établie dans le cadre d’un système organisé de prestations à distance
Il sera ajouté que :
La formation du contrat n’a pu se faire que par l’établissement d’un devis qui a nécessité la venue sur place de l’entreprise pour effectuer des mesures en vue de chiffrer le coût des prestations.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. [N], les dispositions, relatives au contrat de construction de maison individuelle, ne sont pas applicables en l’espèce.
En effet, l’article L 232-1 du CCH vise le cas d’exécution des travaux de gros ‘uvre, de mise hors d’eau et hors d’air d’un immeuble à usage d’habitation. Or ainsi qu’il résulte du devis accepté par M. [N] les travaux ne concernaient que le hors d’eau et non le hors d’air puisqu’il n’est pas fait mention des menuiseries extérieures.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu que le régime protecteur du droit de la consommation, notamment quant au droit de rétractation, n’était pas applicable, et que seules les dispositions de droit commun s’appliquaient au présent litige.
Sur la demande indemnitaire
Aux termes de l’article 1103 du code civil les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et aux termes de l’article 1104 « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».
Par ailleurs l’article 1217 du même code dispose que « la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté peut notamment demander réparation des conséquences de l’inexécution. »
En l’espèce, le contrat s’est formalisé du fait de la signature par M. [N] du devis et il a même été partiellement exécuté s’agissant de la partie démolition qui a été réalisée, facturée et payée.
Par courriel du 24 mai 2018, M. [C] de la société PMP a pris bonne note de la décision de M. [N] d’arrêter définitivement son chantier lequel en réponse par courriel du même jour indiquait :
« J’ai eu M. [M] [H] au téléphone hier qui m’a informé qu’il vous avait vu et vous avait parlé du rachat de ma bâtisse dans l’état après votre démolition-nettoyage aux Etaves.
Comme je vous en ai informé au téléphone et par mail, effectivement je ne donnerai donc pas suite aux travaux de reconstruction.
Vous m’avez fait part au téléphone que vous envisagiez peut-être de me demander des indemnités car je vous avais signé votre devis…. même si les travaux n’étaient pas engagés.
Merci de bien vouloir me signifier par retour de mail, que ma décision de ne pas engager ces travaux de reconstruction n’entrainerait pas une demande d’indemnité de votre part. »
En réponse, M. [C] indiquait :
« Que ce soit bien clair, M. [N], je ne vous dois rien.
Et n’insistez pas, car effectivement cela risque de vraiment me monter la moutarde au nez pour être poli. Mes salutations »
Ainsi que l’a relevé à bon droit le premier juge :
– Il ne peut nullement être déduit de cet échange, et notamment de l’absence de réponse à la question des indemnités que la société PMP a donné son accord pour la résiliation du contrat sans indemnité, le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne valant pas reconnaissance de celui-ci.
– Bien plus, cet échange montre que M. [N] avait été averti de l’éventualité d’une telle réclamation et qu’en l’absence de « retour de mail » lui indiquant qu’aucune indemnité ne serait facturée, il aurait dû considérer qu’elle étaient envisagées.
– Aucun reproche ne peut être fait à la société PMP qui a averti son client et qui a légitimement attendu d’avoir confirmation de la vente du terrain, en janvier 2019, ce qui validait l’arrêt définitif du chantier, pour réclamer celles-ci.
– Rien n’établit par ailleurs que M. [N] aurait renoncé à la vente du bien et changé de décision s’il avait été certain que des indemnités lui seraient réclamées.
– Si la vente est intervenue en janvier 2019, elle était envisagée depuis de nombreux mois (compromis signé le 27 juillet 2018) et c’est ce projet qui a incité M. [N] à arrêter les travaux en mai 2018.
Il sera ajouté que :
‘ La société PMP n’avait d’autre choix que de prendre acte de la rupture unilatérale du contrat par M. [N] sans juste motif et ne pouvait imposer une poursuite du contrat. En résiliant unilatéralement le contrat, M. [N] a enfreint le principe de l’exécution de bonne foi des conventions.
‘ La société PMP a avisé, verbalement, ce dernier qu’elle envisageait de lui réclamer des pénalités.
‘ M. [N] a, alors, de façon comminatoire, fait injonction à la société PMP de lui signifier qu’elle ne réclamerait rien, injonction à laquelle elle a refusé de répondre.
‘ Contrairement à ce que soutient M. [N], la société PMP n’était tenue d’aucune obligation de conseil alors que le contrat était rompu par le premier.
‘ M. [N] ne démontre pas qu’il aurait pu vendre son immeuble plus cher ou que l’acquéreur aurait accepté de modifier le prix convenu, s’il avait été mis en demeure plus tôt.
Dès lors, le jugement qui a retenu que M. [N] a décidé de manière unilatérale de rompre le contrat signé avec la société PMP et que par application de l’article 1217 du code civil, cette dernière est fondée à demander réparation des conséquences de l’inexécution, sera confirmé.
Sur le montant du préjudice
Le principe qui domine la réparation en argent du dommage résultant de l’inexécution d’un contrat est que les dommages-intérêts doivent être calculés de façon à indemniser les pertes causées par le manquement et à satisfaire l’intérêt que le créancier avait à l’exécution.
Il est constant que le préjudice indemnisable est constitué par la perte de marge brute résultant de la rupture du contrat et qu’il ne s’agit en aucun cas d’une perte de chance, dans la mesure où le préjudice est certain, n’est soumis à aucun aléa, et que rien, hormis le changement de volonté de M. [N], n’était de nature à entraver les travaux.
Le solde du marché représente une somme de 75 683,45 euros HT correspondant à la différence entre le montant du devis (87 739,45 euros HT) et le montant de la facture payée au titre des travaux de démolition (12 056 euros HT).
La société PMP produit une attestation de son expert comptable qui fait état d’un taux de marge brute pour l’exercice clos au 31 décembre 2018 de 45, 24%.
Cette attestation, contestée par M. [N], est cependant corroborée par la production de documents comptables, soit le bilan de l’exercice au 31 décembre 2018 ainsi que les soldes intermédiaires de gestion à la même date faisant apparaître la marge brute de production d’un montant de 206 630 euros et un taux de 45,24 %, qu’il convient de retenir.
Après application de ce taux au montant du solde du marché, la perte de marge brute s’établit à la somme de 34 239,19 euros HT (75 683,45 euros x 45,24 %) qui représente le préjudice subi par la société PMP.
M. [N] fait vainement valoir qu’aucun préjudice n’aurait été causé au motif que l’entreprise aurait eu d’autres chantiers à la place, alors qu’il s’agit d’une affirmation gratuite qui n’est étayée pas aucun élément factuel, que le chantier était entamé lorsqu’il a pris sa décision de ne pas reconstruire, ce qui a nécessairement eu des conséquences dommageables pour l’entreprise en termes d’organisation et de planning par rapport aux autres chantiers à venir.
Enfin, il sera observé que M. [N] indique dans ses conclusions (p 7), dans le cadre de son argumentation relative à la non application des dispositions de l’article L 221-2 12° du code de la consommation, que le chalet devait être identique au chalet initial « l’assurance ayant indemnisé pour un projet strictement identique. »
Ainsi, selon ses propres déclarations, il a perçu une indemnisation de son assurance pour la reconstruction du bâtiment qu’il n’a finalement pas réalisée, pour revendre le terrain après démolition, ce au détriment de la société PMP qui s’est brutalement vue priver d’un chantier pour lequel M. [N] était contractuellement engagé.
Le jugement qui a retenu l’existence d’une perte de chance et indemnisé la société PMP à hauteur de la somme de 25 000 euros sera infirmé et M. [N] sera condamné à verser à cette dernière la somme indemnitaire de 34 239,19 euros avec intérêts à compter de l’assignation.
Sur les demandes accessoires
L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société PMP
M [N] qui échoue en son appel est tenu aux dépens exposés devant la cour
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions concernant la somme indemnitaire de 25 000 euros allouée à la société PMP Construction,
L’infirme sur ce seul point et statuant à nouveau,
Condamne M. [V] [N] à payer à la société PMP Construction la somme de 34 239,19 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts à compter de l’assignation,
Y ajoutant,
Condamne M. [V] [N] à payer à la société PMP Construction la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [V] [N] aux dépens exposés en appel avec distraction de ces derniers au profit de Me Paganelli, avocat.
Ainsi prononcé publiquement le 11 octobre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Alyette FOUCHARD, Conseillère, en remplacement de Michel FICAGNA, Président régulièrement empêché et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, P/ Le Président,