ARRÊT N°22/00751
28 novembre 2022
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N° RG 20/02114 –
N° Portalis DBVS-V-B7E-FMCE
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Conseil de Prud’hommes de MULHOUSE
Décision du 1er août 2017
Cour d’Appel de COLMAR
Arrêt du 20 novembre 2018
Cour de cassation
Arrêt du 30 septembre 2020
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
RENVOI APRÈS CASSATION
ARRÊT DU
Vingt huit novembre deux mille vingt deux
DEMANDERESSE À LA REPRISE D’INSTANCE :
Association EHPAD DU [4] prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Véronique HEINRICH, avocat postulant au barreau de METZ et par Me André CHAMY, avocat plaidant au barreau de MULHOUSE
DÉFENDEURS À LA REPRISE D’INSTANCE :
Madame [X] [Z] épouse [H]
[Adresse 1]
Représentée par Me Hervé HAXAIRE, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Nicolas DESCHILDRE, avocat plaidant au barreau de MULHOUSE
UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS FORCE OUVRIERE DU HAUT-RHIN représenté par son secrétaire général
[Adresse 3]
Représentée par Me Hervé HAXAIRE, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Nicolas DESCHILDRE, avocat plaidant au barreau de MULHOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 26 septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS
Mme [X] [Z] a été embauchée par l’association EHPAD du [4] en contrat à durée indéterminée à compter du 9 septembre 2013 en qualité d’infirmière, à temps partiel dans un premier temps puis à temps complet à compter du 1er janvier 2014.
Le 27 juillet 2015, l’association EHPAD du [4] convoquait Mme [Z] à un entretien en vue d’une sanction disciplinaire fixé au 31 août 2015, à la suite duquel l’employeur lui notifiait le 7 septembre 2015 une mise à pied d’un jour pour non présentation à une visite médicale.
Mme [Z] était placée en arrêt maladie à compter du 7 septembre 2015.
La salariée contestait la mise à pied par lettre du 14 septembre 2015 mais l’employeur refusait de l’annuler par courrier du 23 septembre 2015, l’incitant par ailleurs à demander une rupture conventionnelle.
Mme [Z] sollicitait le 25 septembre 2015, par lettre recommandée avec accusé de réception, une rupture conventionnelle qui était signée entre les parties le 22 octobre 2015, la fin du contrat étant fixée à la date du 4 décembre 2015.
Par acte introductif d’instance enregistré au greffe le 29 février 2016 et modifié ultérieurement, Mme [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Mulhouse aux fins de :
– Annuler la mise à pied disciplinaire notifiée le 7 septembre 2015 ;
– Condamner la défenderesse à lui payer les sommes suivantes :
. 96,76 € brut au titre de la mise à pied, outre 9,68 € au titre des congés payés y afférents ;
. 10 000,00 € net au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– Dire que la rupture conventionnelle est viciée et produit les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;
– Condamner l’association EHPAD du [4] à lui payer 19 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Dire que ces sommes porteront intérêts à compter de la décision à intervenir pour les montants ayant un caractère d’indemnité ;
– Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;
– Condamner l’association EHPAD du [4] aux entiers frais, dépens et éventuels frais d’exécution à venir et à lui régler 1 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’association EHPAD du [4] s’opposait aux demandes formées à son encontre et sollicitait reconventionnellement la condamnation de Mme [Z] à lui payer 5 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 2 500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin, intervenant aux côtés de la salariée, sollicitait la condamnation de l’association EHPAD du [4] à lui verser 2 000,00 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la collectivité des salariés, outre 1000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 1er août 2017, le conseil de prud’hommes de Mulhouse, section activités diverses, a statué ainsi qu’il suit :
– Annule la mise à pied disciplinaire notifiée le 7 septembre 2015 ;
– Prononce la nullité de la rupture conventionnelle intervenue le 22 octobre 2015, le consentement de Mme [Z] ayant été vicié ;
– Dit que cette rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Propose la réintégration de Mme [Z] dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ;
A défaut d’acceptation des parties,
– Condamne l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [Z] , avec intérêts légaux à compter du 9 mars 2016 :
. 96,76 € brut au titre de la mise à pied ;
. 9,68 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur ce montant ;
– Condamne l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [Z] , avec intérêts légaux à compter du 1er août 2017 :
. 10 000,00 € nets de CSG-RDS à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
. 14 500,00 € nets de CSG-RDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. 1 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonne le remboursement par l’association EHPAD du [4] des indemnités de chômage perçues par Mme [Z] depuis le jour de son licenciement, dans la limite de 6 mois d’indemnités ;
– Déclare recevable l’intervention de l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin ;
– Dit que l’association EHPAD du [4] a porté atteinte à l’intérêt collectif de la profession ;
– En conséquence, condamne l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, à payer à l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin, avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2017 :
. 1 000,00 € nets de CSG-RDS à titre de dommages et intérêts ;
. 500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonne l’exécution provisoire ;
– Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
– Condamne l’association EHPAD du [4] aux entiers dépens.
L’association EHPAD du [4] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour d’appel de Colmar a statué ainsi qu’il suit :
– Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
– Déboute les parties de toutes leurs demandes ;
– Condamne Mme [Z] aux dépens de première instance et d’appel.
Mme [Z] et l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin ont formé un pourvoi contre l’arrêt rendu le 20 novembre 2008 par la cour d’appel de Colmar.
Par une décision du 30 septembre 2020, la Cour de cassation, chambre sociale, a statué ainsi qu’il suit :
– Casse et annule, sauf en ce qu’il déboute Mme [Z] de ses demandes d’annulation de la mise à pied disciplinaire, ainsi que de paiement de rappel de salaire et congés payés afférents à ce titre, l’arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ;
– Remet, sauf sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;
– Condamne l’association EHPAD du [4] aux dépens ;
– En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’association EHPAD du [4] et la condamne à payer à Mme [Z] et à l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin la somme globale de 3 000,00 €.
Au visa des articles L 1152-1 et L 1154-1 du code du travail, la Cour de cassation précise notamment que :
« Pour rejeter les demandes au titre du harcèlement moral et de la nullité de la rupture conventionnelle, l’arrêt relève que les pièces produites ne permettent pas de retenir l’existence d’un harcèlement moral s’étant matérialisé selon la salariée par un exercice déloyal du pouvoir de direction, un dénigrement à son endroit et un traitement injuste.
En se déterminant ainsi, sans examiner tout les faits invoqués au titre du harcèlement par la salariée, laquelle faisait valoir l’immixtion de la directrice dans sa vie privée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Par déclaration formée par voie électronique le 20 novembre 2020, l’association EHPAD du [4] a saisi la cour d’appel de Metz désignée dans la décision de la Cour de cassation du 30 septembre 2020, en qualité de juridiction de renvoi.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2021, l’association EHPAD du [4] demande à la cour de :
– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Mulhouse le 1er août 2017 ;
– En conséquence,
. Débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses prétentions ;
. Débouter le syndicat FO de toutes ses fins et conclusions ;
. Condamner Mme [Z] à verser à l’association EHPAD du [4] la somme de 5 000,00 € au titre de la procédure abusive intentée ;
. Condamner Mme [Z] aux entiers frais et dépens et à lui verser 6 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’association EHPAD du [4] conteste tout harcèlement expliquant que la procédure intentée par Mme [Z] fait partie d’un plan de déstabilisation de l’association mis en place par un certain nombre de salariés qui souhaitaient le limogeage de la directrice.
Elle conteste les attestations produites par la partie adverse au motif qu’elles sont évasives ou qu’elles émanent de personnes en conflit avec l’association, produit d’autres attestations montrant l’existence d’une ambiance favorable au sein de l’établissement tant pour les résidents que pour les salariés, et ajoute que l’immixtion dans la vie privée de Mme [Z] n’est pas démontrée, Mme [Z] ne développant pas cet argument.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 avril 2022, Mme [Z] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Mulhouse du 1er août 2017 en ce qu’il a condamné l’association EHPAD du [4] à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :
. 10 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral sur le fondement du harcèlement moral, subsidiairement pour exécution déloyale du contrat de travail, violation de la vie privée, et très subsidiairement pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
. 14 500,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. 1 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner l’association EHPAD du [4] à lui verser 4 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;
– Dire que les créances salariales porteront intérêts à compter de la saisine du conseil de prud’hommes et que les créances indemnitaires porteront intérêts à compter du jugement du conseil de prud’hommes de Mulhouse ;
– Débouter l’association EHPAD du [4] de ses fins et prétentions.
Elle indique que l’ambiance de travail au sein de l’EHPAD du [4] s’est progressivement dégradée du fait du comportement de la directrice, que des procédures sont en cours devant les juridictions prud’homales avec d’autres salariés, que les méthodes de gestion du personnel pratiquées au sein de la structure ont porté atteinte aux droits et à la dignité de Mme [Z] et ont altéré son état de santé mentale (convocations punitives dans le bureau de la directrice ; propos humiliants, pression ; immixtion dans la vie privée ; menaces de faire sauter le diplôme).
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 mars 2021, l’Union Départementale des Syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin demande à la cour de :
– Confirmer le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Mulhouse le 1er août 2017 en ce qu’il a déclaré recevable l’intérêt à agir de l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin ;
– Confirmer le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Mulhouse le 1er août 2017 en ce qu’il a condamné l’association EHPAD du [4] à la somme de 500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Infirmer le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Mulhouse le 1er août 2017 quant au quantum des dommages et intérêts
Statuant à nouveau,
– Condamner l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, à payer à l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin, les sommes suivantes :
. 2 000,00 € au titre des dommages et intérêts ;
. 2 000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour ;
– Débouter l’association EHPAD du [4] de ses fins et prétentions.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 4 mai 2022.
Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral et subsidiairement le non-respect par l’employeur de ses obligations :
Mme [Z] invoque le fait qu’elle a subi un harcèlement, et subsidiairement que l’employeur n’a pas respecté ses obligations notamment d’exécuter loyalement le contrat de travail, et son obligation de sécurité, qui auraient eu pour conséquence de vicier son consentement au moment de la signature de la rupture conventionnelle qui a mis fin à son contrat de travail.
Il convient dans un premier temps d’examiner si les agissements de l’employeur sont constitutifs de faits de harcèlement ou d’autres manquements.
Selon l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
S’agissant de la preuve du harcèlement, l’article L 1154-1 du même code prévoit, dans sa version antérieure au 10 août 2016 applicable en l’espèce, que lorsque survient un litige relatif notamment à l’application de l’article L 1152-1, (…) le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Mme [Z] invoque les différents agissements suivants de la part de la directrice de l’établissement, Mme [J], qui seraient à l’origine de la dégradation de ses conditions de travail, caractérisant le harcèlement dont elle s’estime victime :
. les convocations punitives dans le bureau de la directrice ;
. l’immixtion de la directrice dans sa vie privée ;
. les menaces de la part de la directrice de « faire sauter » son diplôme ;
. les propos humiliants, la pression.
Pour justifier de la réalité de ces éléments, Mme [Z] verse aux débats :
de nombreuses attestations de salariés faisant état de ce que la directrice de l’établissement réprimandait Mme [Z] régulièrement, la convoquait souvent dans son bureau duquel Mme [Z] ressortait souvent en pleurs, et usait de menaces de sanction et d’invitations à la délation envers les salariés ;
trois attestations de salariés indiquant que la directrice avait demandé à Mme [Z] de ne pas se montrer avec son compagnon, M. [H], qui travaillait également au sein de l’établissement, et qu’elle leur avait précisé que l’un des deux devait quitter l’établissement ;
une attestation d’une salariée précisant que la directrice avait menacé des infirmières de « faire sauter leur diplôme » ;
trois attestations de salariées mentionnant que la directrice s’adressait souvent à Mme [Z] en la traitant de « gamine » ;
un échange de courriels internes entre Mme [Z] et la directrice, relatif à la modification de la date de la visite médicale, qui se présente de la façon suivante :
Mme [Z] le 18 juillet 2015 :« COMME NOUS EN AVIONS PARLE EN DEBUT DU MOIS JE SUIS DANS L’INCAPACITE DE ME RENDRE A MON RDV DE MEDECINE DU TRAVAIL LE MARDI 21 JUILLET, JOUR OU JE DEVAIS ETRE EN REPOS ET OU D IMPORTANTS RDV ONT ETE PREVUS. OR JE VOIS QU IL EST TOUJOURS NOTIFIE SUR MON PLANNING.
JE ME SUIS RENSEIGNEE ET JE PEUX MOI MEME LE REPORTER POUR EVITER LE SURPLUS DE TRAVAIL AUX SECRETAIRES.
EN ATTENTE DE VOTRE REPONSE ».
. La directrice le 20 juillet 2015 : « ‘ DE PLUS VOUS N’ETES PAS HABILITEE A CHANGER DE VOTRE PROPRE CHEF UN RENDEZ VOUS DE LA MEDECINE DU TRAVAIL. VOUS DEPASSEZ VOS MISSIONS ET COMPETENCES. LA GESTION EST EXCLUSIVE A L’ADMINISTRATION. CE POINT CONSTITUE UN MANQUEMENT GRAVE SANCTIONNABLE.
(‘). VOUS VOUS PERMETTEZ DE MANIFESTER VOTRE MECONTENTEMENT VOIRE LE CHANTAGE DE NE PAS VENIR DES QUE L’EMPLOYEUR REFUSE UN DESIDERATA DEJA PRIS !!! AINSI NOUS NE POUVONS PAS CONTINUER IL Y A DES DIRECTIVES APPLICABLES A CHACUN DANS L’ENTREPRISE ET VOUS EN FAITES PARTIE IL N’Y A PAS D’EXCEPTION.
VOTRE COMPORTEMENT DU 21 JUILLET DETERMINERA LA SUITE DONNEE AUX DESIDERATA ET AUX JOURNEES DE 12HEURES. CE MAIL SERA ENVOYE A VOS COLLEGUES POUR COMPRENDRE LE CHANGEMENT ENVISAGE (…) »
Ces éléments présentés par la salariée sont suffisamment précis, circonstanciés et répétés pour laisser présumer, pris dans leur ensemble, une situation de harcèlement moral dont serait victime Mme [Z].
L’association EHPAD du [4] conteste la réalité de ces comportements, expliquant que le rappel des règles et valeurs morales de l’établissement ne peut être constitutif d’un élément laissant présumer le harcèlement, que les attestations produites par Mme [Z] ont été établies par des salariées également en litige avec elle ou n’ayant pas assisté personnellement aux faits décrits, que le management de la directrice est reconnu et apprécié par d’autres salariés, et qu’elle n’a fait que rappeler à Mme [Z] et à son compagnon que leur relation personnelle devait rester hors du cadre du travail.
Il convient de relever que certaines attestations versées aux débats pour le compte de l’association EHPAD du [4] ne sont pas probantes car elles ont été établies en 2014, soit avant la période litigieuse réduite à l’année 2015, ou par des salariés n’ayant travaillé pour le compte de l’association appelante qu’après le départ de Mme [Z]. D’autres attestations démontrent que la directrice savait être à l’écoute des salariés, que l’ambiance était agréable au sein de l’établissement et que la directrice accordait de l’importance au bien être des résidents .
S’agissant des attestations versées aux débats par Mme [Z], si elles émanent pour l’essentiel de salariés en conflit ouvert avec l’association EHPAD du [4] (sanctionnés disciplinairement ou en litige prud’homal), elles sont suffisamment précises, concordantes, et ne sont pas rédigées de façon stéréotypée, de sorte qu’elles ont force probante.
Ces attestations ne sont pas davantage remises en cause par les attestations des salariés saluant les méthodes de management de la directrice, dans la mesure où il n’est pas établi que ces témoins favorables à l’employeur ont assisté aux événements dont s’est plainte Mme [Z].
L’association EHPAD du [4] n’allègue pas de grief précis contre Mme [Z] justifiant les convocations régulières pour recadrage dans le bureau de la directrice ou l’utilisation du terme familier (« gamine ») pouvant être ressenti par la salariée comme une humiliation.
L’employeur ne précise pas non plus pour quelle raison la directrice a employé, le 20 juillet 2015 dans un courriel interne, un ton brutal à l’égard de Mme [Z], de réprimande, de menace de sanction, et n’explique pas pourquoi elle a diffusé volontairement ce message à deux autres salariées non concernées par la demande de Mme [Z].
Enfin en ce qui concerne l’état de santé de Mme [Z], celle-ci produit un certificat médical établi par son médecin traitant constatant un « état dépressif réactionnel » et faisant mention de ses arrêts maladie du fait de cet état sur des périodes comprises entre septembre et novembre 2015.
L’attestation de M. [H], compagnon de Mme [Z], montre que le moral de la salariée a progressivement baissé, et que suite à la sanction notifiée le 7 septembre 2015 elle n’arrivait plus à dormir, pleurait sans cesse, et était angoissée à l’idée de reprendre le travail.
Certains collègues de Mme [Z] attestent également de ce que le moral de celle-ci s’est progressivement affecté.
L’employeur n’apportant pas la preuve d’éléments objectifs justifiant que ces faits ne constituent pas une situation de harcèlement moral, l’ensemble de ces éléments caractérise bien une une situation de harcèlement moral de la part de la directrice dont a été victime Mme [Z], à l’origine de la dégradation de ses conditions de travail et de l’altération de son état de santé.
Compte tenu de la nature et de la fréquence des agissements de la directrice, qui avait en outre une position de supérieure hiérarchique à l’égard de Mme [Z], et des conséquences sur l’état de santé de celle-ci, il convient d’estimer le montant du préjudice moral subi directement par Mme [Z] en raison du harcèlement moral qu’elle a subi à la somme de 10 000,00 €.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu’il a alloué cette somme.
Sur la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail :
La cour rappelle qu’une convention amiable de rupture d’un contrat de travail obéit à la fois aux dispositions spécifiques prévues aux articles L 1237-11 et suivants du code du travail et aux principes généraux du droit des contrats, notamment ceux énoncés à l’ancien article 1134 du code civil, selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.
Il est par ailleurs de jurisprudence constante que l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture, laquelle ne peut être annulée que si celui qui invoque sa nullité prouve soit un vice du consentement au sens du droit consensuel, à savoir aux termes des articles 1109 et suivants anciens du code civil, une erreur sur la chose qui est l’objet du contrat, une violence de nature à faire impression sur une personne raisonnable et lui inspirant la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ou des man’uvres dolosives d’une importance telle que, sans elles, l’autre partie n’aurait pas contracté, soit une fraude de l’employeur.
Selon l’article L 1237-11 du code du travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. Elle résulte d’une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties.
En l’espèce, Mme [Z] estime que son consentement a été vicié au moment de la rupture de son contrat de travail et qu’elle a été contrainte, du fait des agissements de harcèlement moral qu’elle a subis de la part de son employeur, de demander et de signer une rupture conventionnelle de son contrat de travail.
L’association EHPAD du [4] conteste tout manquement dont elle serait à l’origine et précise que Mme [Z] aurait pu utiliser son droit de rétractation pendant le délai légal prévu à cet effet pour revenir sur sa décision d’accepter une rupture conventionnelle. Elle conclut à l’absence de vice de consentement de la salariée au moment de la signature de la convention de rupture.
S’il est constant que Mme [Z] n’a pas utilisé son droit de rétractation dans le délai de 15 jours que lui octroyait la loi pour revenir sur son acceptation de la rupture conventionnelle signée le 22 octobre 2015, il est également établi par les développements qui précèdent qu’elle a subi des faits de harcèlement moral de la part de son employeur ayant entraîné la dégradation de ses conditions de travail et une altération de son état de santé.
En outre le certificat médical établi le 23 novembre 2015 par son médecin généraliste, le docteur [K], montre que Mme [Z] se trouvait dans un « état dépressif réactionnel » au moment de la signature de la convention de rupture et dans les semaines qui ont suivi, Mme [Z] étant en arrêt maladie pour ce motif du 7 septembre au 4 octobre 2015 puis du 19 octobre au 22 novembre 2015.
Par ailleurs, il résulte du courrier établi par Mme [Z] le 14 septembre 2015 à la suite de la notification par l’employeur le 7 septembre 2015 d’une sanction suite à sa non présentation à la visite médicale, que celle-ci a d’une part contesté la sanction, mais s’est surtout plainte, dans la deuxième partie de son courrier, de ses conditions de travail (convocation de recadrage ; critique de sa vie de couple ; rabaissement devant les résidents et les salariés).
Quand bien même la plainte formée par Mme [Z] concernait le comportement de la directrice de la structure, l’association EHPAD du [4], en qualité d’employeur, avait l’obligation au titre de son obligation de sécurité prévue à l’article L 4121-1 du code du travail, une fois informée d’une difficulté dans les conditions de travail, d’engager des mesures pour éclairer le signalement de Mme [Z] et développer les actions de prévention, et ce même en l’absence d’information écrite de cette situation par Mme [Z] à la déléguée du personnel.
L’association EHPAD du [4] n’allègue ni ne justifie d’aucune démarche en ce sens, et son courrier de réponse daté du 23 septembre 2015, adressée à Mme [Z], se limite à contester les comportements qui lui sont reprochés, à maintenir la sanction prononcée le 7 septembre 2015 et à proposer à Mme [Z] de solliciter au besoin une rupture conventionnelle de son contrat de travail.
Ces éléments expliquent l’absence d’utilisation par la salariée de son droit de rétractation et justifient du fait que Mme [Z] s’est retrouvée contrainte moralement par l’association EHPAD du [4] de demander une rupture conventionnelle, mesure motivée dans son courrier du 25 septembre 2015 par ses « conditions de travail », et suggérée par l’employeur dans sa lettre du 23 septembre 2015.
Au moment de la signature de la convention de rupture le 22 octobre 2015, le consentement de Mme [Z] était dès lors vicié, de sorte que la nullité de cette convention doit être prononcée et la rupture du contrat de travail considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Aux termes des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, et si la réintégration n’est pas demandée, le juge octroie une indemnité au salarié, à la charge de l’employeur une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois, si le salarié a plus de deux ans d’ancienneté et si l’entreprise compte au moins onze salariés.
Au delà de ce minimum de six mois, le salarié doit justifier de la réalité de son préjudice.
En l’espèce, il est constant que l’association EHPAD du [4] avait plus de 11 salariés au moment de la rupture du contrat de travail de Mme [Z] qui avait une ancienneté de 2 ans et 3 mois tel que cela résulte des contrats de travail et tel que l’association EHPAD du [4] le mentionne dans la convention de rupture.
Mme [Z] indique avoir perçu en moyenne 2 363,41 € brut par mois, montant non contesté par l’employeur. Compte tenu de l’age de la salariée au moment de la rupture du contrat (25 ans), des conditions de la rupture du contrat de travail, et de l’état de santé de la salariée au moment de la rupture, l’association EHPAD du [4] sera condamnée à payer à Mme [Z] une indemnité de 14 500,00 €, correspondant à la somme demandée par l’intimée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce avec intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance du 1er août 2017.
Le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point.
Enfin, conformément aux dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail, il sera ordonné à l’association EHPAD du [4] de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées au salarié du jour du licenciement au jour du jugement à concurrence de 6 mois de ces indemnités.
La décision des premiers juges est également confirmée sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin :
Selon l’article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
En l’espèce, l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin demande le versement de la somme de 2 000,00 € de dommages et intérêts et explique qu’elle défend l’intérêt collectif des salariés au sein de l’association EHPAD du [4], que la sécurité de ces salariés est mise en danger en raison de la dégradation des conditions de travail et du harcèlement moral, et que la totalité de ses adhérents travaillant au sein de l’association EHPAD du [4] a démissionné suite aux pressions exercées par la directrice.
L’association EHPAD du [4] ne précise pas sa position sur la demande formée par l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin, se limitant à s’opposer à sa demande.
L’existence d’un harcèlement moral de la part de la directrice de l’établissement étant démontrée dans les développements qui précèdent, et les nombreuses attestations versées aux débats justifiant que Mme [Z] n’était pas la seule salariée à se plaindre des conditions de travail sans que l’employeur ne justifie de la mise en place de mesures particulières, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté l’atteinte par l’association EHPAD du [4] à un intérêt collectif des salariés et a condamné l’association employeur à verser à l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin la somme de 1 000,00 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 1er août 2017.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par l’association EHPAD du [4] :
Les demandes formées par Mme [Z] étant fondées, il n’y a pas lieu à considérer la procédure qu’elle a initiée comme abusive, de sorte que la demande reconventionnelle en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive est injustifiée et doit être rejetée.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le jugement entrepris sera confirmé sur ses dispositions sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’association EHPAD du [4] qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel.
Elle sera en outre condamnée à payer, compte tenu de l’équité, à Mme [Z] la somme de 2000,00 € et à l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin celle de 1000,00€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement, sur renvoi après cassation partielle, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement prononcé par le conseil de prud’hommes de Mulhouse le 1er août 2017 en toutes ses dispositions ;
Condamne l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [X] [Z] la somme de 2 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;
Condamne l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, à verser à l’Union Départementale des syndicats Force Ouvrière du Haut-Rhin la somme de
1 000,00€ en application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;
Condamne l’association EHPAD du [4], prise en la personne de son représentant légal, aux dépens d’appel.
La greffière, La présidente,