ARRET N° 23/28
R.G : N° RG 21/00232 – N° Portalis DBWA-V-B7F-CIUL
Du 17/02/2023
[C]
C/
S.A.R.L. 2AA DEPANNAGE
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 17 FEVRIER 2023
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 12 Octobre 2021, enregistrée sous le n° F 21/00028
APPELANTE :
Madame [G] [F] [N] [C]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par M. [I] [L] (Délégué syndical ouvrier)
INTIMEE :
S.A.R.L. 2AA DEPANNAGE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean MACCHI, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 9 décembre 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Conseillère présidant la chambre sociale, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
– Madame Anne FOUSSE, Conseillère
– Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 9 décembre 2022,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au17 février 2023 par mise à disposition au greffe de la cour.
ARRET : Contradictoire
***************
EXPOSE DU LITIGE
Mme [G] [C] a été embauchée selon contrat à durée indéterminée par la SARL 2AA DEPANNAGE en qualité d’Assistante de direction technique et administrative, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1800 euros.
Le 7 septembre 2019, elle faisait une déclaration de main courante pour des faits d’injures et de menaces à son endroit commis par M. [W] ex salarié.
Par lettre recommandée du 5 octobre 2019, elle demandait à son employeur un entretien pour évoquer ses horaires de travail, les accessoires de salaires, la visite médicale, la sécurité au travail, les astreintes et le salaire de septembre non payé à la date prévue. Elle demandait une meilleure visibilité de ses missions et attributions et que celles- ci soient détaillées sur sa fiche de poste.
L’entretien se tenait le 5 novembre 2019.
Par courrier du 3 novembre 2020, elle sollicitait la rupture conventionnelle de son contrat de travail, souhaitant se consacrer à d’autres projets professionnels et mettre fin audit contrat le 10 janvier 2021. Elle demandait un entretien pour ce faire.
Par courrier du 6 novembre 2020, l’employeur convoquait Mme [G] [C] à un entretien en vue d’une rupture conventionnelle fixé au 26 novembre 2020.
Le 3 décembre 2020, les parties complétaient et signaient un imprimé CERFA de rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée et de demande d’homologation ainsi qu’un protocole de rupture conventionnelle. La fin du délai de rétractation étant fixé au 18 décembre 2020 et les parties convenaient d’une date de rupture au 15 janvier 2021 pour tenir compte des délais liés au droit de rétractation et à la procédure d’homologation.
Par courrier du 28 décembre 2020 reçu le 30 décembre 2020, Mme [G] [C] dénonçait à son employeur des faits de violences commis à son endroit par M. [A] [V], un autre salarié, dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle au dépôt de la société situé [Adresse 4].
Elle indiquait que ce dernier l’avait d’abord agressé verbalement à deux reprises, le 29 septembre et le 9 novembre 2020 et avait failli «lever la main» sur elle, déplorant l’absence de sanction contre lui alors qu’elle avait informé son employeur. Elle rappelait une précédente agression du 6 septembre 2019 et déplorait la passivité de son employeur.
Elle effectuait une déclaration de main courante le 29 décembre 2020, pour se plaindre d’avoir informé son employeur de diverses agressions des usagers et de ses collègues, sans que rien n’ait été fait par ce dernier pour protéger sa sécurité.
Elle était placée en arrêt de travail à compter du 29 décembre 2020 jusqu’au 15 janvier 2021, pour accident du travail après cette agression verbale d’un client et le choc psychologique en découlant, ces arrêts de travail étant ensuite renouvelés. L’accident du travail était reconnu par la caisse générale de sécurité sociale et pris en charge comme tel, selon notification du 17 mai 2021.
Par courrier du 8 janvier 2021, Mme [G] [C] notifiait à l’employeur la prise d’acte de rupture de son contrat de travail aux torts de la SARL2 AA DEPANNAGE, en raison de faits constituant un manquement grave aux obligations de son contrat de travail, dans les termes suivants :
‘.
-absence de sécurité au travail:
-Le 9 novembre 2020, votre salarié [A] [V] a failli lever la main sur moi et c’est mon collègue [M] [H] ‘. qui entendant les éclats de voix a ouvert la fenêtre et a surpris ce dernier qui s’est aussitôt rétracté, ces faits vous ont été rapportés le jour même par votre collaborateur M. [Y] [D] (qui suite à l’annonce du vandalisme du dépôt était venu sur les lieux) et M. [H] [M] présent et témoin, vous n’avez rien fait et vous avez même décidé de me mettre exclusivement au dépôt.
– le 28 décembre 2020, j’étais seule au dépôt durant la pause déjeuner, quand M. [O] [X] (travailleur indépendant pour ANP et ADGS) s’est présenté à la fenêtre pour récupérer une clef de voiture, je la lui ai remise et il a eu le temps de voir un client ADGS furieux m’agresser verbalement avec une rage, une fureur, une agressivité que je n’avais pas vues venir. Je ne comprenais pas ses propos tant il hurlait et m’injuriait tout en proférant des menaces. Ce client furieux a commencé à tambouriner sur la fenêtre puis est passé du côté porte qu’il tentait d’ouvrir, il ne cessait de hurler et de me réclamer la clef de voiture. Me sachant à l’intérieur il a de nouveau frappé à la fenêtre puis la porte puis la fenêtre à nouveau et encore la porte de plus en plus fort.
J’ai commencé à avoir peur pour ma vie me sachant seule à l’intérieur et n’ayant aucun endroit pour me mettre à l’abri. Je me suis sentie désemparée, j’ai commencé à trembler, mon c’ur battait très vite et très fort, je n’étais plus en mesure de réfléchir ni de penser, j’étais juste là tétanisée, dans une solitude extrême et rien ni personne pour me protéger et me secourir et ces longues minutes de détresses qui se comptent en heures.
Vous n’aviez tellement rien fait les fois précédentes qu’à aucun moment je n’ai pensé ou eu envie de vous contacter. Oui, vous, mon employeur, vous garant de ma sécurité au travail.
Je n’arrive pas à décrire ce que je ressens face à cette passivité, cette indifférence, cette irresponsabilité. Je suis un être humain Monsieur et j’aspire à vivre. Que vous fait il pour prendre conscience’
La liste n’étant pas exhaustive et douloureuse pour moi, je n’évoque que ces deux cas, les autres le seront ultérieurement.
– ma non affiliation à la médecine du travail,
Il m’est impossible d’être consultée par la médecine du travail car la SARL 2AA DEPANNAGE n’est affiliée à aucune d’elles.
Le harcèlement moral,
Ces décisions que vous prenez sans réflexion ni analyse, sans aucune considération à mon égard, à l’égard de la souffrance que je vis au travail et que par conséquent vous m’infligez. Comme de me mettre au dépôt pour faire face chaque jour à l’insoutenable possibilité d’être agressée par le collègue ou n’importe qui d’autre.
L’absence de dialogue, la modification de mes tâches professionnelles, la mauvaise gestion de ma demande de rupture conventionnelle, dont la responsabilité incombe entièrement à la SARL 2AA DEPANNAGE me contraignent à vous notifier la présente prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail.
Cette rupture est entièrement imputable à la SARL 2AA DEPANNAGE puisque les faits précités constituent un manquement grave aux obligations conventionnelles considérant le contenu de mon contrat de travail : article 4 personnel des garages Martinique. ‘. ».
Mme [G] [C] saisissait le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France le 22 janvier 2021 aux fins d’obtenir la requalification de sa prise d’acte de rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 12 octobre 2021, le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France :
– disait et jugeait recevable la demande de Mme [G] [C],
– disait et jugeait que la prise d’acte est qualifiée de démission,
– déboutait Mme [G] [C] de toutes ses demandes,
– disait qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 700 du code de procédure civile,
– condamnait Mme [G] [C] aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe du 10 novembre 2021, Mme [G] [C] interjetait appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par lettre recommandée le 17 juin 2022 déposées au greffe le 22 juin 2022, Mme [G] [C] demande à la Cour de :
– infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes en date du 12 octobre 2021 en ce qu’il a jugé que la prise d’acte s’analysait en une démission,
– statuant à nouveau,
– la recevoir en sa demande,
– juger que la prise d’acte de la rupture ayant pris effet au 11 janvier 2021, sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– juger que l’accident du travail est d’origine professionnelle et résulte de la prise d’acte de la rupture,
– en conséquence, condamner la SARL 2AA DEPANNAGE à lui verser les sommes suivantes :
6300 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3600 euros d’indemnité compensatrice de préavis,
2097 euros d’indemnité spéciale de licenciement ,
6300 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1000 euros d’indemnité pour défaut de déclaration à la médecine du travail;
1000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause,
– ordonner à la SARL 2AA DEPANNAGE de lui remettre une attestation assedic ainsi qu’un certificat de travail rectifiés, le tout sous astreinte journalière de 100 euros avec la mention «licenciement sans cause réelle et sérieuse»,
– condamner la SARL 2AA DEPANNAGE aux entiers dépens et frais d’exécution,
A titre reconventionnel,
– débouter la SARL 2AA DEPANNAGE purement et simplement de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– débouter la SARL 2AA DEPANNAGE de sa demande de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera renvoyé aux conclusions de Mme [G] [C] pour un exposé exhaustif de ses moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par acte d’huissier du 29 mars 2022 et déposées au greffe par le rpva le 29 mars 2022, la SARL 2AA DEPANNAGE demande à la Cour de :
– confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes du 12 octobre 2021,
– juger que la prise d’acte de la rupture du 8 janvier 2021 produit les effets d’une démission,
– débouter Mme [G] [C] de toutes ses demandes de salaires et indemnitaires,
– A titre subsidiaire, dire et juger que le contrat de travail a été interrompu par l’homologation de la rupture conventionnelle conclue entre les parties,
– A titre infiniment subsidiaire, fixer l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 900 euros, et l’indemnité de licenciement à la somme de 1050 euros,
– en tout état de cause débouter Mme [G] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de déclaration à la médecine du travail,
– débouter Mme [G] [C] de sa demande de remise de documents sociaux sous astreinte,
– condamner Mme [G] [C] à lui régler la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Il sera renvoyé aux conclusions de l’intimée en application de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé de ses moyens au soutien de ses prétentions.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 juin 2022.
MOTIFS
– Sur la qualification de la prise d’acte de la rupture en date du 8 janvier 2021, en licenciement sans cause réelle et sérieuse ou en démission,
Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire d’une démission.
Si les griefs invoqués par le salarié sont réels et suffisamment graves, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges doivent prendre en compte l’ensemble des reproches formulés par le salarié à l’encontre de l’employeur.
La charge de la preuve de la matérialité et de la gravité des faits invoqués repose sur le salarié et lorsqu’un doute persiste sur la réalité des faits allégués il profite à l’employeur.
Les juges du fond doivent examiner l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués par le salarié, sans se limiter aux seuls griefs mentionnés dans la lettre de rupture. La rupture n’est justifiée qu’en cas de manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, ce qu’il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement. Tel n’est pas le cas en principe des manquements anciens de plusieurs mois.
En l’espèce les griefs énoncés concernent :
– l’absence de sécurité au travail,
Par courrier du 28 décembre 2020, la salariée signalait à l’employeur deux agressions sur le lieu de travail survenues les 29 septembre et 9 novembre 2020, commises par M. [V] l’un de ses collègues et se plaignait de l’absence de réaction, de mesures de sécurité prises par l’employeur bien que celui ci en ait été informé en amont le 6 septembre 2019, lorsqu’elle avait été également agressée verbalement par un ex salarié de l’entreprise.
Dans sa lettre de prise d’acte de la rupture du 8 janvier 2021, la salariée rappelait les agressions verbales dont elle a été victime de la part de M. [V] le 9 novembre 2020, et faisait état d’une nouvelle agression commise le 28 décembre 2020, par un client mécontent alors qu’elle se trouvait seule au dépôt.
Sur les faits du 9 novembre 2020, l’employeur produit l’attestation de M. [H] chauffeur, qui confirme la virulence des propos de M. [V] à l’égard de Mme [G] [C].
Mme [G] [C] produit quant à elle aux débats :
– la main courante qu’elle déposait le 29 décembre 2020 pour dénoncer des agressions verbales d’usagers ou de collègues, et l’absence d’intérêt de son employeur quant à la sécurité des travailleurs sur le lieu de travail,
– l’attestation de M. [K] usager qui déclare avoir trouvé Mme [G] [C] seule au dépôt, apeurée après les insultes et menaces au téléphone d’un client mécontent et les avoir lui même entendues, le 8 octobre 2020, avoir constaté l’état de stress de la salariée,
– l’attestation de M. [E] qui témoigne de manière générale de l’insécurité ressentie par la salariée compte tenu de l’agressivité de clients mécontents du service apporté par l’entreprise, voire de collègues, et de l’absence de mise en ‘uvre de mesures de sécurité par l’employeur alors qu’elle se trouvait seule au dépôt sans un vigile pour assurer sa sécurité et souffrait de cette situation,
– l’attestation de M. [T] ancien chauffeur qui confirme l’agressivité des clients de remorquage, qui s’en prenaient à Mme [G] [C] au téléphone puis débarquaient au dépôt sans prévenir pour faire des scandales, et témoigne également de la souffrance au travail de Mme [G] [C], sans mesure prise par l’employeur.
Cependant il est admis qu’en l’absence de rétractation de la convention de rupture, le salarié ne peut pas prendre acte de la rupture du contrat de travail si les manquements invoqués à l’appui de cette prise d’acte ne sont pas intervenus durant la période qui se situe entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet de la rupture (cass soc 6 octobre 2015 n° 14-539).
En l’espèce, il est rappelé que les parties avaient signé une convention de rupture conventionnelle le 3 décembre 2020. En application de cette convention, le délai de rétractation expirait le 18 décembre 2020; qu’au terme de ce délai sans rétractation de la salariée, l’employeur adressait à la DIECCTE la demande d’homologation de la rupture conventionnelle qui en accusait réception le 23 décembre 2020 et indiquait que la demande d’homologation serait acquise le 13 janvier 2021.
Ainsi il est constaté que les manquements à l’obligation de sécurité sur le lieu de travail reprochés à l’employeur en raison d’agressions qui auraient eu lieu en septembre 2019, septembre et novembre 2020, antérieurs à l’expiration du délai de rétractation, ne pouvaient fonder la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par la salariée.
Seul un manquement grave de l’employeur commis entre la fin du délai de rétractation et l’homologation de la rupture conventionnelle, pouvait donc justifier ladite prise d’acte.
Mme [G] [C] prétend alors avoir été victime d’une autre agression verbale d’un client le 28 décembre 2020 durant sa pause méridienne, dont la fureur, la rage, les injures et les menaces, l’ont tétanisée, la mettant dans une solitude extrême alors qu’elle se trouvait seule au dépôt, avec un sentiment de peur pour sa vie, provoquant un choc psychologique, son arrêt maladie et sa déclaration d’accident du travail.
Il a été rappelé qu’elle avait produit pour attester de ces faits, une main courante du 29 décembre 2020 dans laquelle elle précise que l’usager mécontent a tenté d’ouvrir la porte du bureau pour l’agresser; que l’employeur n’a manifesté aucun intérêt pour sa sécurité; qu’elle ne se sentait pas en sécurité; qu’elle avait du consulter son médecin traitant qui l’avait arrêtée. Elle produit également :
– le certificat d’arrêt pour accident du travail du 29 décembre 2020 au 15 janvier 2020 pour choc psychologique, prolongé du 16 janvier au 30 janvier 2021, puis jusqu’au 28 février 2021,
– un récapitulatif des soins et consultations psychologiques du 28 décembre 2020 au 5 mars 2021,
L’employeur conteste la matérialité de ces faits mais l’attestation de M. [Y], salarié de l’entreprise confirme qu’un client s’est présenté au dépôt de la société vers 13 h 30 mécontent parce que son véhicule n’avait pas été transféré dans un garage dans la matinée. Il ne conteste pas avoir réceptionné son appel au standard et avoir lui même constaté son énervement au téléphone; que Mme [G] [C] enfermée dans les locaux l’a appelé et qu’il lui a dit qu’il s’occuperait lui même du client à la réouverture. Il déclare avoir été invectivé et injurié par le client à son arrivée.
Cette attestation est donc de nature à confirmer l’agression au moins verbale subie par la salariée avant l’arrivée de M. [Y] et son sentiment d’insécurité déjà éprouvé durant la relation de travail, de sa solitude dans les locaux, de la nécessité de s’y enfermer et de l’absence de mise en ‘uvre de mesures de prévention du risque d’agression des salariés.
Si les autres agressions de la salariée ne pouvaient fonder la prise d’acte de la rupture pour les motifs précédemment évoqués, cette autre agression ayant entrainé «un choc psychologique» aux dires du médecin traitant et justifié un arrêt de travail prolongé, une déclaration d’accident du travail reconnu par la caisse de sécurité sociale selon notification du 17 mai 2021, confirme le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité qu’il tient des articles L 4121-1 et suivants du code du travail pour évaluer les risques, les combattre pour assurer la sécurité et préserver la santé physique et mentale de cette salariée exerçant seule dans un dépôt de fourrière.
– la non affiliation à la médecine du travail,
Le contrat de travail de travail de Mme [G] [C] stipulait en son article 6, que la salariée devrait dans un délai de trois mois à compter de sa prise effective de poste, passer une visite d’information de prévention conformément aux dispositions de l’article R 4624-10 du code du travail.
Il est établi que la salariée n’en a pas bénéficié, ni n’a pu solliciter de visite médicale auprès du médecin du travail faute d’adhésion de l’employeur à un service de santé au travail avant l’année 2021.
Dans un tel contexte d’agressions répétées au travail, le défaut d’adhésion à un service de santé au travail dont la mission est notamment d’identifier ou d’informer le salarié sur les risques éventuels auxquels l’expose son poste de travail, de le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en ‘uvre, et de lui permettre de consulter le médecin du travail en tant que de besoin pour bénéficier d’un suivi individuel de son état de santé, lui a nécessairement causé un préjudice.
Cette absence d’adhésion de l’employeur à un service de santé au travail constitue un autre manquement suffisamment grave de l’employeur dès lors que la salariée n’a pu bénéficier d’aucune mesure de prévention des risques psychologiques découlant des agressions au travail, notamment avant la dernière survenue le 28 décembre 2020.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il retient que ce manquement n’était pas suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat et déboute la salariée de sa demande d’indemnisation du préjudice découlant de la non adhésion.
– le harcèlement moral, l’absence de dialogue social, la modification des tâches professionnelles
La salariée dénonçait encore pour justifier sa prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, du harcèlement moral découlant de décisions prises sans considération à son égard, comme la décision de la mettre au dépôt pour faire face chaque jour à l’insoutenable possibilité d’être agressée par le collègue ou n’importe qui d’autre.
Il ressort du contrat de travail de la salariée que le lieu de travail prévu n’était pas au dépôt de la SARL 2AA DEPANNAGE de sorte que la modification du lieu de travail stipulé au contrat, sans l’accord de la salariée est avérée et qu’il ressort des attestations susvisées et des mains courantes produites que la salariée était confrontée à l’agressivité récurrente de collègues ou de clients, ayant pour effet de porter atteinte à sa dignité sa santé, et de dégrader ses conditions de travail dont elle avait fait part à l’employeur dès son courrier du 5 octobre 2019.
Cependant si la salariée produit bien des éléments de harcèlement moral sans que l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, il a déjà été rappelé que celle-ci ne pouvait sans rétractation, prendre acte de la rupture du contrat de travail, entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet prévue de la rupture conventionnelle, que pour des manquements survenus au cours de cette période.
Ainsi le harcèlement moral et les griefs d’absence de dialogue social et de modification des tâches professionnelles ne pouvaient donner lieu à une prise d’acte de la rupture du contrat de travail, ces griefs étant connus de la salariée au moment de son accord pour la conclusion d’une rupture conventionnelle.
– la mauvaise gestion de sa demande de rupture conventionnelle,
C’est par des motifs appropriés que la Cour adopte que le conseil a relevé que la durée de la procédure de rupture conventionnelle, avait été correctement mise en ‘uvre et validée par l’administration.
…..
La Cour en conclut que les faits du 28 décembre 2020 et le manquement de l’employeur à son obligation concernant la sécurité et la santé de Mme [G] [C] justifiaient à eux seuls la prise d’acte de la rupture du contrat de travail survenue le 8 janvier 2021 aux torts de l’employeur.
Le jugement est infirmé en ce qu’il qualifie cette rupture de démission alors qu’elle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Sur la demande tendant à dire que l’accident du travail est d’origine professionnelle et résulte de la prise d’acte de la rupture,
Cette demande non explicite n’est pas motivée en droit et en fait , aucun licenciement n’ayant été prononcé pour inaptitude. Elle ne peut qu’être rejetée.
– Sur les demandes indemnitaires
* les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Mme [G] [C] comptait une ancienneté de 2 ans et 4 mois à la date du 11 janvier 2021 dans une entreprise comptant moins de 11 salariés aux dires de cette dernière non contestés par l’employeur. Elle percevait un salaire mensuel de 1800 euros.
Elle sollicite la somme de 6300 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle ne peut percevoir en application de l’article L 1235-3 du code du travail qu’une indemnité maximale de 3,5 mois de salaire. Il sera donc fait droit à sa demande à hauteur de 6300 euros étant relevé que Mme [G] [C] formule deux fois cette demande dans le dispositif de ces conclusions.
* l’indemnité de préavis et les congés payés sur préavis,
En application de l’article L 1234-1 du code du travail, il est dû à la salariée une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire, soit 3600 euros outre la somme de 360 euros de congés payés y afférents.
* l’indemnité spéciale de licenciement,
Mme [G] [C] sollicite la somme de 2097 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement en application de l’article L 1226-14 du code du travail, égale au double de l’indemnité de licenciement.
Elle fait valoir que l’accident du travail a été reconnu et pris en charge comme tel par la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Martinique.
Or l’indemnité spéciale de licenciement n’est due que dans les cas de licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie professionnelle ou à un accident du travail.
Le licenciement n’est donc pas consécutif à une inaptitude professionnelle.
En conséquence l’indemnité de licenciement due à la salariée s’élève à la somme de 1800 euros x ¿ x 2 + 1800 euros x ¿ x 4/12= 1050 euros comme proposé à titre subsidiaire par l’employeur.
* les dommages et intérêts pour défaut de déclaration à la médecine du travail,
La Cour octroie la somme de 500 euros en réparation du préjudice découlant du non respect de la visite d’embauche et du défaut de déclaration à la médecine du travail.
– Sur la demande de remise d’une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés portant la mention «licenciement sans cause réelle et sérieuse», sous astreinte.
Au vu de la requalification de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la demande de Mme [G] [C] est fondée. Il y sera fait droit et il est ordonné à la SARL 2AA DEPANNAGE de remettre à Mme [G] [C] une attestation Pôle emploi portant la mention «licenciement sans cause réelle et sérieuse», dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous peine d’astreinte de 20 euros par jour de retard pendant trois mois, passé ce délai.
Mme [G] [C] dispose déjà d’un certificat de travail portant la date de l’embauche et de la cessation de l’activité au 8 janvier 2021.
Il n’y a donc pas lieu d’ordonner la remise d’un nouveau certificat de travail.
– Sur les demandes accessoires
Mme [G] [C] bien que représentée par un défenseur syndical sollicite la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle justifie cette demande par les dépenses de copies effectuées tant en première instance qu’en appel et les affranchissements de ses actes par voie postale.
Il sera donc fait droit à sa demande à hauteur de 300 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour;
INFIRME le jugement sauf en ce qu’il juge recevable la demande de Mme [G] [C],
STATUANT à nouveau,
DIT que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [G] [C] s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SARL 2AA DEPANNAGE à payer à Mme [G] [C] les sommes suivantes :
– 6300 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3600 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 360 euros de congés payés y afférents,
– 1050 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant du non respect de la visite de prévention et d’information après l’embauche et du défaut de déclaration à la médecine du travail,
ORDONNE à la SARL 2AA DEPANNAGE de remettre à Mme [G] [C] une attestation Pôle emploi rectifiée pour tenir compte de la présente décision mentionnant la prise d’acte de la rupture requalifiée en «licenciement sans cause réelle et sérieuse», dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous peine d’astreinte de 20 euros par jour de retard pendant trois mois, passé ce délai,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la SARL 2AA DEPANNAGE à payer à Mme [G] [C] la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL 2AA DEPANNAGE aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,