Droit de rétractation : Décision du 15 décembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/19613

·

·

Droit de rétractation : Décision du 15 décembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/19613

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 15 DECEMBRE 2023

N°2023/ 314

Rôle N° RG 19/19613 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFK56

[A] [G]

C/

SAS CARTER CASH

Copie exécutoire délivrée

le : 15/12/2023

à :

Me Laurent LAILLET, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Layla TEBIEL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 18 Octobre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00316.

APPELANT

Monsieur [A] [G], demeurant [Adresse 2]/FRANCE

représenté par Me Laurent LAILLET, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SAS CARTER CASH, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Layla TEBIEL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et par Me Jean-François FENAERT, avocat au barreau de LILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Octobre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.

Madame Estelle de REVEL, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2023.

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [A] [G] a été engagé par la société Carter Cash en qualité de monteur vendeur, selon contrat à durée déterminée du 14 octobre 2016, puis selon contrat à durée indéterminée à partir du 1er février 2017.

Il a été placé en arrêt de travail le 15 mai 2017 au titre d’un accident du travail.

Le 17 mai 2017, il a déposé plainte contre son supérieur hiérarchqiue, M. [Z] pour injures à caractère racial.

Le28 août 2017, il a signé une rupture conventionnelle prenant effet au 4 octobre suivant.

Il a saisi le conseil de prud’hommes le 3 mai 2018 aux fins de voir prononcer la nullité de la rupture conventionnelle, dire qu’elle produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement d’indemnités et rappels de salaire au titre des heures supplémentaires.

Par jugement du 18 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Toulon a :

‘ constaté la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. [G]

Dit M.[G] irrecevable en ses demandes,

Débouté la société Carrter Cash de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Condamné M. [G] aux dépens’.

M. [G] a relevé appel du jugement le 23 décembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, M. [G] demande à la cour de :

‘Réformer la décision déférée en ce qu’elle a :

– Dit que la rupture conventionnelle du contrat de travail est valide ;

– Débouté Monsieur [A] [G] du surplus de ses demandes.

Statuant à nouveau :

DECLARER les conclusions en réponse de la société CARTER CASH irrecevables ;

PRONONCER la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail ;

REQUALIFIER la rupture conventionnelle en un licenciement nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNER la SAS CARTER CASH au paiement de la somme de 10.000 euros au titre du licenciement nul ou, à titre subsidiaire, du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNER la SAS CARTER CASH au paiement de la somme de 50.000 euros au titre des dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

CONDAMNER la SAS CARTER CASH au paiement de la somme de 8 468, 28 euros bruts au titre des rappels de salaire, outre 846,8 euros bruts au titre des congés payés, décomposée comme suit :

– 1 531 euros bruts au titre des rappels d’heures supplémentaires, outre 153, 1 euros bruts au titre des congés payés ;

– 6 937, 28 bruts au titre des rappels de primes, outre 693, 7 euros bruts au titre des congés payés

CONDAMNER la SAS CARTER CASH au paiement de la somme de 10 300 euros au titre des dommages-intérêt pour travail dissimulé ;

CONDAMNER la SAS CARTER CASH à transmettre à Monsieur [G] les documents de fi n contrat modifi és (bulletin de salaire, attestation pôle emploi) sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notifi cation de l’arrêt.

En tout état de cause :

CONDAMNER la SAS CARTER CASH au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la SAS CARTER CASH aux entiers dépens.’

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 juin 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, la société Carter Cash demande à la cour de :

‘CONSTATER la validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail de Monsieur [A] [G],

– CONFIRMER en toute ses dispositions le jugement rendu 18 octobre 2019 par le Conseil des Prud’hommes de TOULON sauf en ce qu’il a débouté la Société CARTER CASH de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Et, statuant de nouveau sur ce dernier chef :

– CONDAMNER Monsieur [A] [G] a payer a la Société CARTER- CASH la somme de 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

En tout état de cause :

– DEBOUTER Monsieur [A] [G] de ses plus amples demandes, fins et conclusions,

– CONDAMNER Monsieur [A] [G] aux entiers frais et dépens.’

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité des conclusions de la société Carter Cash

Selon l’article 909 du code de procédure civile, l’intimé dispose à peine d’irrecevabilité relevé d’office d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe.

L’article 914 du même code confère compétence exclusive au conseiller de la mise en état depuis sa désignation jusqu’à la clôture de l’instruction pour déclarer les conclusions irrecevables en application de l’article 909 et les parties ne sont plus recevables à l’invoquer après le dessaisissement de ce magistrat, à moins que sa cause ne suvienne ou ne soit révélée postérieurement.

En l’espèce, M. [G] conclut à l’irrecevabilité des conclusions notifiées le 22 juin 2020 par la société.

Il n’est pas discuté que M. [G] a déposé ses premières conclusions le 28 janvier 2020 et que l’intimé a conclu le 28 juin 2020, soit au delà du délai de trois mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile. Toutefois, cette cause d’irrecevabilité n’est pas survenue postérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état, de sorte que l’appelant n’est plus recevable à l’invoquer.

Sur le harcèlement moral

L’article L.1152-1 du code du travail prévoit qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement lequel peut résulter de méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique sous certaines conditions et devant, par ailleurs répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés. L’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité.

Il résulte des dispositions précitées et de l’article L.1154-1 du code du travail qu’il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit les faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M. [G] qui prétend avoir subi des faits de harcèlement moral, fait valoir les agissements suivants :

-mal traitance, injures, et persécution de la part du directeur du magasin, M. [Z].

Il soutient que celui-ci le convoquait plusieurs fois par semaine pour de longs entretiens; qu’il faisait des ‘blagues’ racistes sur ses origines devant les autres salariés, qu’il le traitait d »animal’ et de ‘bougnoule’; qu’il lui disait ‘casse-toi’ et que cela coûterait 800 euros à la société de le ‘faire virer’.

– des problèmes relationnels de nombreux salariés avec la hiérarchie du fait du comportement de M. [Z] qui créait une ambiance inconfortable dans le magasin du fait de propos déplacés et dévalorisant à son encontre et à l’encontre de l’équipe toute entière.

– une réaction tardive de l’employeur qui a attendu plus de trois semaines avant de licencier M. [Z]alors qu’il a tenté à plusieurs reprises de l’informer sans que celui-ci ne l’écouté

– une mauvaise organisation du travail ayant engendré des heures supplémentaires en très grand nombre imposées aux salariés, non payées;

Il fait valoir que ces agissements et cette violence psychologique ont eu des effets sur son état de santé qui s’est dégradé jusqu’à ce qu’il soit placé en arrêt de travail.

Au soutien, M. [G] produit :

– l’attestation de M. [D] qui indique avoir travaillé dans le même magasin Cash Carter que l’appelant durant la même période et fait état ‘de persécution subie par [A] de la part du directeur [Z] à de nombreuses reprises. J’ai constaté que [A] se faisait convoquer plusieurs fois par semaine dans le local social, pour des entretiens qui durait parfois une heure. Je le voyais sortir de ces entretiens avec une démotivation complète et qu’il ne parlait plus à ses collègues. Le directeur faisait souvent des mauvaises blagues au regard de tous ça la communauté arabe et sous-entendus sur la vie de couple de [A]. Un jour, il s’est laissé emporté à 12h en disant à [A] ‘Casse-toi’, car il a refusé d’utiliser son temps de pause pour faire des heures supp, qui ne sont jamais payées par la société ce qui fait d’énormes tensions dans le magasin. Malheureusement, il y a une loi du silence et personne n’ose témoigner ou réclamer les heures ou pratiques douteuses de l’employeur, sous pression de perdre leur travail car le directeur disait régulièrement au sujet de [A] que ca lui ‘coûte 800 euros de le faire virer’. Pendant un entretien avec le directeurn [A] nous a confié s’être fait prendre par le cou. J’atteste que mes propos sont sincères et que je relate ce que j’ai vu de mes yeux’.

– l’attestation de Mme [P] qui indique qu’elle allait régulièrement l’accompagner et le chercher sur son lieu de travail lorsqu’il était chez Cash Carter et qu’il se plaignait de ses conditions de travail (heures supplémentaires non payées, pressions quotidiennes) ; elle indique qu’elle sentait qu’il s ‘affaiblissait’ de jour en jour et qu’il s’isolait;

– le procès verbal de constat d’huissier dressé le 14 décembre 2021 consistant en la retranscription de l’enregistrement d’une conversation dont il n’est pas discuté qu’elle a eu lieu entre M. [G] et M. [W] [Z] (PV du CHSTC) et dont il ressort :

– des propos racistes : ‘avec ta tête de bougnoule, tu vas dégager ; je vais te dire un truc, tu vas vite dégager’ ; réponse de M. [G] : [W], je te jure que ca va finir au pénal , tu me traites de bougnoule ,; d’accord tu viens de me traiter de bougnoule , [W], je vais te dire, on va se régaler parce que tu viens d’avoir des propos racistes..;’

– des propos injurieux et maltraitants : ‘ je vais te dire un truc, je vais te dire un truc; tu vas vite dégager; ca coûte même pas, même pas 800 euros;

– une conversation sur les horaires de travail et les planning :

M. [Z] dit: ‘pourquoi tu touches les horaires’ (…) C’est quoi ton statut dans la société ‘ Tu es directeur’ Reponsable’ Pourquoi’ Je te l’ai dit hier, tu parles français’ Parce que t’as du mal à comprendre le français’ C’est un document officiel, c’est des horaires programmés, c’est pas les horaires que tu fais, d’accord, j’crois que tu as du mal à imprimer les choses. Je te supprime toutes tes primes (…) parce que tu ne travailles pas pour ; M. [G] répond: donc si je comprends la prime trimestrielle, elle compense, ah, c’est la paye en fait;

– une plainte de M. [G] devant les services de police le 17 mai 2017 auxquels il explique qu’il y a eu un litige avec son employeur à propos des heures supplémentaires, lequel s’est fâché , l’a convoqué à de multiples reprises pour le rabaisser, l’a traité d’animal,; lui a dit qu’il allait le virer; il s’acharne sur moi et me menace d’enlever mes primes ; et qui ajoute que le 12 mai, il lui a dit ‘tu vas dégager avec ta tête de bougnoule’; M. [G] ajoute qu’il a enregistré des conversations et fait écouter à l’officier de police judiciaire les propos racistes (propos racistes confirmés)

– un courrier qu’il a adressé le 16 mai 2017 au médecin du travail

– un courrier qu’il a adressé le 17 mai 2017 à l’inspection du travail pour dénoncer les faits de travail dissimulé du fait des heures supplémentaires; de harcèlement moral et physique (coups)

– un courrier adressé le 31 mai 2017 à M. [Z] pour dénoncer les faits de harcèlement moral et injures raciales qu’il lui reproche ;

– un courrier adressé à la direction des ressources humaines le 1er juin 2017 pour dénoncer le harcèlement moral et les injures, insultes à caractère racial;

– un certificat médical pour accident du travail du 15 mai 2017 : amené aux urgences pour une crise d’angoisse survenue sur son lieu de travail ; il décrit un harcèlement moral ;

– la feuille de soins pharmaceutique pour de l’Atarax le 16 mai 2015;

– une prescription de [S] et [K] le 9 juin 2017,

– le certificat médical du docteur [L] [R] indiquant que l’intéressé est en accident du travail pour un état anxio dépressif avec perte de poids;

A travers ces agissements et au vu d’un arrêt de travail contemporain à ceux-ci, M. [G] établit l’existence matérielle de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement à son encontre.

La société ne conteste pas le harcèlement moral commis par M. [Z] à l’encontre du salarié, mais soutient avoir immédiatemenr réagi dès qu’elle en a été informée le 1er juin 2017 en proposant un rendez-vous à M. [G] qui sera effectif le 5 juin, en informant et convoquant le CHSCT qui s’est réuni le 12 juin,lequel a décidé de diligenter une enquête interne dont les conclusions ont été remises le 29 juin 2017.

L’employeur fait valoir que dès le 19 juin, il a mis à pied à titre conservatoire M. [Z] et qu’au vu des conclusions de l’enquête, dont il ressort notamment que ‘il n’y a pas de doute sur la véracité de l’accusation d’injures raciales puisqu’il est démontré par [A] via les enregistrements ainsi que par [W] ([Z]) reconnaissant les ‘mots’ qui ont été prononcé que des injures raciales ont été proférées’, il l’a convoqué à un entretien préalable puis licencié pour faute grave le 24 juillet 2017.

Il conteste donc tout harcèlement moral.

La cour relève que le harcèlement moral commis par M. [Z] n’est pas contesté par l’employeur qui l’a reconnu expressément dansle cadre de la procédure de licenciement pour faute grave sur la base d’éléments matériels ressortant de l’enquête interne et des pièces du salarié.

Il n’est pas non plus discuté que le harcèlement moral a été commis par une personne ayant autorité sur le salarié qui en a été victime.

S’il ressort des éléments susvisés que l’employeur a été diligent suite à la survenance des faits de harcèlement moral, il ne démontre pas avoir pris des mesures de prévention pour éviter une telle situation, de sorte qu’il a manqué à son obligation de sécurité.

Le harcèlement moral ayant été commis par une personne ayant autorité, il ne peut en tout état de cause s’exonérer de sa responsabilité en prônant l’absence de faute.

Au vu de la nature et de la durée des agissements de harcèlement moral, il convient de condamner la société à verser au salarié la somme de 6 000 euros.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les heures supplémentaires

Le salarié soutient avoir effectué des heures supplémentaires demeurées impayées pour 1 531 euros, au delà des 13 heures supplémentaires qui lui étaient payées tous les mois pour 188,89 euros.

Il expose qu’il devait venir 15 minutes en avance tous les matins et finir plus tard que les horaires affichés.

Il conteste les plannings produits par l’employeur affirmant qu’ils étaient faits en avance, qu’il n’avait d’autre choix que de les signer et qu’ils ne reflètent pas la réalité des horaires dans la mesure où il ne pouvait pas remplir de fiche de dépassement des horaires.

L’employeur conteste l’existence d’heures supplémentaires non payées.

Il expose avoir mis en place un suivi des horaires en septembre 2012 au moyen de plannings hebdomadaires que les directeurs devaient établir à l’avance et d’une note interne relative aux modalités à suivre en cas d’accomplissement d’heures supplémentaires.

Il fait valoir que le salarié a signé les plannings et n’a jamais rempli de fiche de dépassement d’horaire.

L’article L.3171-4 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande, M. [G] produit :

– un tableau manuscrit récapitulatif des horaires qu’il prétend avoir effectué, quotidiennement, jour par jour, mois par mois entre le mois d’octobre 2014 et le mois de mai 2017;

– l’attestation de M. [D], ci-dessus détaillée par la cour concernant le refus de M. [G] d’utiliser le temps de pause en heure supplémentaire;

– le procès-verbal de constat d’huissier concernant l’enregistrement de la conversation entre M.[Z] et M. [G], ci-dessus détaillée par la cour, M. [Z] lui reprochant d’avoir ‘touché’ (modifié) les horaires affirmant que ce sont des ‘horaires programmés’ ‘c’est pas les horaires que tu fais’ et qui lui dit qu’il peut faire ‘un papier pour les horaires’ qu’il fait pour les ‘vraies heures effectuées’; M. [G] lui dit qu’il veut ‘travailler ses heures’ (c’est à dire celles qui sont prévues dans le planning) ; M.[Z] lui répond qu’il va donc lui supprimer ses primes ‘car il ne travaille pas pour’;

Ce faisant, M. [G] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

Pour justifier du contrôle du temps de travail du salarié, la société produit:

– les plannings de travail de tous les salariés pour toute la période de travail de M. [G] portant la signature, non contestée, des salariés dont celles de ce dernier;

-accompagnés d’une note interne du 30 août 2012 rappelant aux directeurs de magasin que:

-ils ont l’obligation de réaliser les plannings hebdomadaires de leurs équipes;

-l’horaire affiché ne doit jamais dépasser 38 heures;

– ils doivent être affichés systématiquement 7 jours à l’avance pour informer les salariés; – ils doivent être signés par l’ensemble des collaborateurs et directeur du magasin;

– si un collaborateur a réalisé des heures supplémentaires (au delà de 38 heures), il pourra remplir une fiche de dépassement.

Au vu de ces éléments, la cour estime que l’existence d’heures supplémentaires demeurées impayées n’est pas démontrée dès lors que la conversation litigieuse entre le salarié et M. [Z] fait ressortir non des heures de travail impayées, mais un désaccord sur les modalités de paiement de celles-ci (sous forme de prime) entrainant le refus du salarié d’en faire, le directeur lui reprochant de percevoir les primes ‘sans travailler pour’.

Par ailleurs, eu égard à la note de service parfaitement claire et transparente, la cour estime d’une part, que la signature des plannings en avance ne justifie pas qu’ils étaient erronés, et d’autre part, que le salarié n’explique pas en quoi il ne pouvait remplir de fiche de dépassement s’il effectuait des heures supplémentaires, M. [Z] lui disant qu’il doit remplir ‘le papier’.

La demande doit être rejetée et le jugement confirmé.

Sur le travail dissimulé

Le salarié fonde sa demande au titre du travail dissimulé sur l’existence et le nombre d’heures supplémentaires impayées.

La cour ayant rejeté cette demande, il n’y a pas lieu non plus de faire droit à la demande pour travail dissimulé dont l’élémernt matériel n’est pas démontré.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la prime

Le salarié sollicite la somme de 6 937,28 euros au titre d’un rappel des primes et congés payés afférents soutenant qu’il a perçu une prime de 792,16 euros intitulée intéressement durant quelques mois mais qu’elle ne lui a plus été payée alors que les autres salariés continuaient de la percevoir.

Il fait valoir tout à la fois qu’il a fait l’objet de discrimination fondée sur ses origines, et d’une différence de traitement.

L’employeur n’a pas répliqué.

Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parries ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En l’espèce, il ne ressort pas du dossier de la cour que le salarié ait présenté en première instance une demande au titre d’un rappel de prime.

La question de la recevabilité de cette prétention ayant été mise dans les débats lors de l’audience, et le principe du contradictoire ayant été respecté, il convient de déclarer d’office la demande irrecevable.

Sur la rupture conventionnelle

Le salarié sollicite la somme de 10 000 euros faisant valoir que la rupture conventionnelle est nulle et subsidiairement doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il conteste en premier lieu qu’un exemplaire de la convention de rupture lui ait été remis et soutient en conséquence qu’il n’a pu exercer son droit à rétractation.

Il expose ensuite que la convention de rupture est datée du même jour que celui de son homologation ce qui la rend irrégulière.

Il fait par ailleurs valoir que son consentement à la rupture était vicié dès lors qu’il était en arrêt de travail en raison d’un état anxiodépressif réactionnel à une situation de harcèlement moral commis par M.[Z], ce qui a provoqué une violence psychologique. Il ajoute qu’il il lui avait été prescrit des médicaments provoquant des effets secondaires type insomnie, somnolence,et qu’il n’était donc pas en mesure de signer une telle convention.

Il termine en affirmant que du fait du harcèlement moral, la rupture conventionnelle est nulle en application de L.1152-1 et L.1152-2 du code du travail.

L’employeur contestant être l’auteur du harcèlement moral et affirmant avoir pris toutes les mesures pour faire cesser le comportement de son directeur et ceci avant la rupture conventionnellle,soutient que le salarié a consenti de plein droit à cette rupture.

– sur le vice du consentement

En application de l’article L.1237-11 du code du travail, est valide la rupture conventionnelle conclue alors que le contrat de travail est suspendu du fait d’un accident du travail dès lors que son consentement est libre et éclairé.

En l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.

Il est de jurisprudence constante que que l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L.1237-11 du code du travail.

Selon l’article 1130 du code civil, l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie au regard des personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.

En l’espèce, il ne ressort pas des éléments soumis à la cour, et ce n’est pas soutenu, que des pressions ou contraintes auraient été exercées sur le salarié pour l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle.

Il n’est pas non plus discuté que M. [Z] n’était plus dans les locaux de la société à partir du 19 juin en raison d’une mise à pied à titre conservatoire et que le salarié était en arrêt de travail depuis le 15 mai. Or, la rupture conventionnelle a été signée le 28 août 2017, soit trois mois et demi plus tard, sans qu’il ne soit fait état d’agissements qui se seraient perpétrés pendant cette période, étant rappelé que l’employeur a licencié le directeur.

Par ailleurs, les médicaments prescrits au salarié l’ont été pour les mois de mai et juin 2017 et il n’est pas démontré qu’il s’agisse de substances entrainant confusion, perte de repère ou de lien avec la réalité.

Au vu de ces éléments, au moment de la signature de la rupture conventionnelle, le salarié ne démontre pas qu’il se trouvait ni dans une situation de violence psychologique du fait du harcèlement moral, ou dans un état de santé ne lui permettant pas de consentir de manière libre et éclairée.

La nullité de la convention de rupture doit être écartée de ce chef.

– sur le formalisme

La convention, doit à peine de nullité, être établie en deux exemplaires, dont l’un est remis au salarié afin de garantir le libre consentement de celui-ci, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause.

L’exemplaire remis au salarié doit être signé par les deux parties.

En cas de contestation, il appartient à celui qui invoque la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié d’en rapporter la preuve.

Lorsqu’aucune mention de la remise d’un exemplaire de la convention n’a été portée sur le formulaire et que l’employeur n’apporte aucun élément de preuve tendant à démontrer l’existence de cette remise, la convention de rupture est nulle.

La mention selon laquelle la convention a été établie en deux exemplaires ne fait pas présumer sa remise au salarié.

Lorsque la convention de rupture est annulée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et les sommes perçues par le salarié en exécution de cette convention doivent être restituées.

En l’espèce, la seule rupture conventionnelle signée par les parties le 28 juillet 2017 est celle figurant dans les pièces du salarié. La mention de la remise d’un exemplaire au salarié n’y figure pas. L’employeur ne communique aucun élément s’y rapportant.

Il convient par conséquent de prononcer la nullité de la convention de rupture.

Le salarié sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour relève qu’il a perçu la somme de 17 060 euros au titre de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle dont l’employeur ne sollicite pas la restitution.

Au vu de ces éléments, d’une ancienneté inférieure à un an dans l’entreprise et d’une rémunération brute mensuelle de 1 526 euros, il convient de condamner la société à verser à M. [G] la somme de 1 500 euros.

Sur les autres demandes

Il convient d’ordonner à la société de remettre au salarié les documents de fin de contrat conformés au présent arrêt. Aucune astreinte n’apparaît nécessaire.

La société qui succombe au principal, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à verser au salarié la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt conttradictoire

DECLARE M. [A] [G] irrecevable en sa demande d’irrecevabilité des conclusions notifiées par la société Cash Carter le 22 juin 2020;

INFIRME le jugement entrepris SAUF en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [A] [G] au titre des heures supplémentaires, du travail dissimulé

STATUANT à nouveau des chefs infirmés et Y AJOUTANT :

DECLARE irrecevable la demande formée par M. [G] en rappel de prime;

DIT que la rupture conventionnelle du 4 octobre 2017 est nulle et qu’elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société Cash Carter à verser à M. [G] les sommes suivantes :

– 6 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral

– 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

ORDONNE à la société Cash Carter de remettre à M. [G] les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt;

CONDAMNE la société Cash Carter aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x