COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 DECEMBRE 2023
N° RG 21/01152
N° Portalis DBV3-V-B7F-UOIP
AFFAIRE :
[N] [L]
C/
S.A.S. ATLAS COPCO APPLICATIONS INDUSTRIELLES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de CERGY PONTOISE
N° Section : E
N° RG : 19/00022
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la ASSOCIATION AVOCALYS
la SCP ATALLAH COLIN MICHEL VERDOT ET AUTRES
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [N] [L]
né le 25 Avril 1965 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620
Représentant : Me Pierre-jacques CASTANET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0349
APPELANT
****************
S.A.S. ATLAS COPCO APPLICATIONS INDUSTRIELLES
N° SIRET : 348 582 776
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentant : Me Patrick THIEBART de la SCP ATALLAH COLIN MICHEL VERDOT ET AUTRES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T04 – Substitué par Me Méggane SAUNIER, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 novembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Nabil LAKHTIB,
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat de travail à durée indéterminée, M. [N] [L] a été engagé à compter du 2 novembre 2011 par la société Atlas copco applications industrielles en qualité de directeur commercial du secteur d’activité industrie générale, statut cadre, position III, repère B, indice 180.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
À la suite de deux entretiens des 1er et 21 décembre 2017, les parties ont signé, le 15 janvier 2018, une rupture conventionnelle prévoyant notamment le versement d’une somme de 68 000 euros à titre d’indemnité spécifique et devant prendre effet le 30 juin 2018. Par courrier du 12 février 2018, la Direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l’emploi (DIRECCTE) a indiqué avoir reçu la demande d’homologation de la rupture conventionnelle le 9 février 2018 et que l’homologation sera réputée acquise le 28 février 2018, puis, par courrier du 3 mai 2018, celle-ci a indiqué au salarié que l’homologation avait été prononcée le 20 février 2018 au terme du délai d’instruction de quinze jours ouvrables.
Par courrier du 11 avril 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s’est tenu le 19 avril 2018, puis il a été licencié pour faute grave par courrier du 23 avril 2018.
Par requête reçue au greffe le 23 janvier 2019, M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise afin d’obtenir la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul et de diverses sommes.
Par jugement du 25 mars 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes a :
– débouté M. [L] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la SAS Atlas copco applications industrielles de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– mis les éventuels dépens de l’instance à la charge de M. [L].
Par déclaration au greffe du 16 avril 2021, M. [L] a relevé appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 17 octobre 2023 à 8h50, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, M. [L] demande à la cour de:
– infirmer le jugement en ce qu’il a annulé la rupture conventionnelle pour vice du consentement, dit que le licenciement reposait sur une faute grave et l’a débouté de l’ensemble de ses demandes
et statuant à nouveau :
– dire que le licenciement pour faute grave est nul et de nul d’effet,
– dire que la convention de rupture conventionnelle signée le 15 janvier 2018 et homologuée le 20 février 2018 doit produire tous ses effets,
– débouter la « société ACAI » de sa demande reconventionnelle visant à obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle pour vice du consentement,
– condamner la société à lui payer les sommes suivantes :
* 26 076,93 euros brut à titre de rappel de salaire sur la période d’avril à juin 2018 outre 2 607, 69 euros brut à titre de congés payés sur le rappel de salaire,
* 68 000 euros net à titre d’indemnité de rupture conventionnelle, avec intérêt au taux légal à compter de la saisine et capitalisation des intérêts,
* 5 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour restitution du véhicule de fonction le 27 avril 2018 au lieu du 30 juin 2018,
* 40 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– condamner la société à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société à établir les documents de fin de contrat rectificatifs (attestation pôle emploi, certificat de travail, bulletin de paie avril, mai, et juin 2018 mentionnant une date de fin de contrat de travail au 30 juin 2018) avec une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant le prononcé du jugement,
– condamner la société aux entiers dépens,
– ordonner l’exécution provisoire,
à titre subsidiaire,
– écarter des débats la pièce adverse n°20 intitulée « messages entre Mme [K] et M. [L] » car il s’agit d’une pièce tronquée dont la partie adverse ne peut garantir l’intégrité, l’authenticité et la fiabilité,
– dire que le licenciement pour faute grave est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société à lui payer les sommes suivantes,
* 26 076,93 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 2 607,69 euros brut à titre de congés payés sur préavis,
* 15 078,46 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement,
* 68 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour restitution du véhicule de fonction le 27 avril 2018 au lieu du 30 juin 2018,
* 40 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
avec intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– condamner la société à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société à établir les documents de fin de contrat rectificatifs (attestation pôle emploi, certificat de travail, bulletin de paie) avec une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant le prononcé du jugement,
– condamner la société aux entiers dépens,
– ordonner l’exécution provisoire.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 12 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Atlas Copco applications industrielles demande à la cour de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de condamnation de M. [L] à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
et statuant à nouveau, de :
– dire et juger que les faits reprochés à M. [L] sont constitutifs de harcèlement sexuel,
– dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [L] est fondé,
– débouter M. [L] de sa demande tendant à obtenir la requalification de son licenciement pour faute grave intervenu le 23 avril 2018 en licenciement nul,
– débouter M. [L] de sa demande tendant à obtenir la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [L] de l’ensemble de ses demandes,
– dire et juger que la rupture conventionnelle n’a produit aucun effet juridique en raison du licenciement pour faute grave de M. [L] intervenu antérieurement à la date de prise d’effet de la convention de rupture,
– débouter M. [L] de sa demande tendant à obtenir la reconnaissance et la prise d’effet de la convention de rupture conventionnelle signée le 15 janvier 2018,
– à titre subsidiaire, dire et juger que la convention de rupture est entachée d’un vice de consentement pour erreur,
– dire et juger que la convention de rupture signée par les parties le 15 janvier 2018 est réputée nulle et non avenue et qu’elle ne peut produire aucun effet,
– débouter M. [L] de sa demande tendant à obtenir la reconnaissance et la prise d’effet de la convention de rupture conventionnelle signée le 15 janvier 2018,
– débouter M. [L] de sa demande tendant à obtenir la requalification de son licenciement pour faute grave intervenu le 23 avril 2018 en licenciement nul,
– débouter M. [L] de l’ensemble de ses demandes,
– en tout état de cause, débouter M. [L] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [L] au paiement d’une indemnité de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 17 octobre 2023 à 9h00.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat de travail
Pour infirmation du jugement entrepris en ce qu’il le déboute de ses demandes en raison de la nullité de la rupture conventionnelle pour vice du consentement à la suite de la découverte, entre l’expiration du délai de rétractation et la date d’effet prévue de cette rupture, d’accusations de harcèlement sexuel le visant, le salarié fait valoir que la plainte pour harcèlement sexuel a été déposée par sa collègue le 26 février 2018 et que la rupture conventionnelle, et consécutivement ses droits indemnitaires, ont été acquis le 20 février 2018, à tout le moins le 28 février 2018, avant l’engagement de la procédure de licenciement, ce dont il résulte que l’employeur ne pouvait plus le licencier. Il indique que l’erreur est invoquée à tort en ce que la société n’a pas fait une condition déterminante de son consentement le fait qu’il n’ait commis aucune faute « de ce type » pendant l’exécution du contrat de travail. Il ajoute qu’il s’évince du questionnaire d’audition d’un délégué syndical que le service des ressources humaines avait été informé d’accusations de harcèlement sexuel le concernant dès l’été 2017.
L’employeur soutient qu’il a pu valablement licencier le salarié pour faute grave postérieurement à l’homologation de la rupture conventionnelle. A titre subsidiaire, il fait valoir que la rupture conventionnelle est nulle pour vice du consentement en ce que si les faits de harcèlement reprochés au salarié qu’il a connus à partir de la saisine de la hotline par son accusatrice le 26 février 2018, date de la plainte de celle-ci, avaient été portés à sa connaissance avant la signature de cette rupture, il ne l’aurait pas signée. Il ajoute qu’il a eu connaissance de l’identité de la victime et de celle de son harceleur à partir de cette saisine.
Selon l’article L. 1237-11 du code du travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. Elle résulte d’une convention signée par les parties au contrat.
Aux termes de l’article L. 1237-13 du même code, la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l’indemnité prévue à l’article L. 1234-9. Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation. A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d’entre elles dispose d’un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l’autre partie.
Selon l’article L. 1237-14 du même code, la validité de la convention est subordonnée à son homologation.
La DIRECCTE dispose d’un délai d’instruction de quinze jours ouvrables, qui court à compter du lendemain de la date de réception de la demande d’homologation de la convention. L’homologation est réputée acquise à défaut de réponse, à minuit le jour d’expiration de ce délai.
En application des articles 1130 et suivants du code civil, la rupture conventionnelle est nulle si le consentement de l’une ou l’autre des parties a été vicié, notamment pour erreur, lorsque celle-ci est de telle nature que, sans elle, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. Selon l’article 1134 du même code, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. Enfin, en cas de dol, son auteur ne peut invoquer le caractère inexcusable de l’erreur qu’il a provoquée.
Il résulte des textes précités relatifs à la rupture conventionnelle qu’en l’absence de rétractation de la convention de rupture, un salarié peut être licencié, entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet prévue de la rupture conventionnelle, mais uniquement pour des manquements survenus ou dont l’employeur a eu connaissance au cours de cette période.
En l’espèce, il ressort des éléments soumis à l’appréciation de la cour,
– d’une part, qu’aucune des parties n’a exercé son droit de rétractation dans le délai de quinze jours qui a couru à compter du 16 janvier 2018 et a expiré le 30 janvier 2018 à minuit, et que l’homologation par la DIRECCTE a été réputée acquise le 28 février 2018 dès l’expiration du délai d’instruction de quinze jours qui a commencé à courir le 10 février 2018 et a expiré le 27 février 2018 à minuit ;
– d’autre part, que contrairement à ce qu’a estimé le premier juge, la rupture conventionnelle ne peut être jugée nulle pour vice du consentement dès lors que l’employeur a conclu la convention de rupture sans se méprendre ni sur l’identité physique ou civile de son cocontractant, ni sur les qualités essentielles de celui-ci, alors qu’à supposer même que la rupture conventionnelle, comme le contrat de travail qu’elle tend à rompre, puisse s’analyser en un contrat conclu en considération de la personne, il n’est pas démontré que l’absence de faute imputable au salarié était une qualité essentielle de celui-ci déterminante du consentement de l’employeur, aucun élément ne permettant de confirmer que l’employeur n’aurait pas donné son accord à la rupture conventionnelle s’il avait su que le salarié était accusé de harcèlement sexuel, le seul fait de ne pas devoir payer des indemnités de rupture en cas de licenciement pour faute grave apparaissant insuffisant à cet égard.
– enfin, et en tout état de cause, que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs invoqués à l’appui du licenciement pour faute grave, au cours de la période située entre la date d’expiration du délai de rétractation le 30 janvier 2018 à minuit et la date à laquelle la rupture conventionnelle devait produire ses effets le 30 juin 2018.
En effet, il ressort du questionnaire d’audition de M. [W], ingénieur commercial et délégué syndical au sein de l’entreprise, non utilement contredit, que si celui-ci a été informé, en juillet 2017, que M. [L] était accusé de harcèlement sexuel par Mme [K] [U], salariée de l’entreprise, et qu’il s’en est ouvert à la responsable des ressources humaines « pour partager ce fardeau contre le souhait de mme [T] », il précise néanmoins qu’il n’a pas donné l’identité du salarié accusé : « ‘sans communiquer l’identité de Mr [Z] .», ce qu’il confirme au sein de son attestation, non efficacement remises en cause, en ajoutant ce qui suit : « ce n’est qu’après le départ physique de Monsieur [N] [L] de l’entreprise fin janvier 2018 que le sujet est de nouveau réapparu lorsque Madame [P] [K] [U] a découvert que d’autres collègues avaient aussi été victimes des agissements de Monsieur [N] [L]. ». Or, il ressort des éléments produits que ce départ a bien eu lieu, tel qu’annoncé par la Direction, le 31 janvier, et que le 26 février 2018, Mme [K] [U] a envoyé un courriel via la hotline afin de dénoncer le harcèlement dont elle accusait M. [L], ce qui a provoqué la convocation des membres du CHSCT à une réunion exceptionnelle d’information et consultation qui s’est tenue le 5 mars 2018 au sujet du projet de composition d’une commission d’enquête et des modalités de celle-ci, deux membres sur trois ayant émis un avis favorable.
S’agissant du bien-fondé du licenciement pour faute grave, il résulte de l’article L. 1235-1 du code du travail qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et que si un doute subsiste, il profite au salarié.
En application de l’article L. 1232-1 du même code, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Le licenciement pour motif disciplinaire doit être fondé sur des éléments objectifs imputables au salarié. Les griefs doivent être suffisamment précis, objectifs et matériellement vérifiables.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et implique son éviction immédiate. La preuve de son existence incombe exclusivement à l’employeur. La mise en oeuvre du licenciement pour faute grave doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Il résulte de l’article L. 1232-4 qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales, et que c’est le jour où l’employeur, ou le supérieur hiérarchique direct du salarié, a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié, qui marque le point de départ du délai de deux mois. Lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites. Un fait antérieur à deux mois peut être pris en considération si le même comportement fautif du salarié s’est poursuivi dans ce délai.
Aux termes de la lettre de licenciement du 23 avril 2018, laquelle fixe les termes du litige, l’employeur reproche au salarié des faits de harcèlement sexuel commis à l’encontre de Mme [K] [U] sur la période d’avril 2017 à décembre 2017.
Si le salarié soulève la prescription des faits fautifs, l’employeur justifie les avoir exactement connus dans leur réalité, leur nature et leur ampleur à l’intérieur du délai de deux mois en amont de l’engagement des poursuites le 11 avril 2018 après en avoir été précisément alerté, notamment quant à l’identité du salarié visé par les accusations de harcèlement sexuel, à compter du 26 février 2018, et à l’issue de l’enquête qu’il a mise en ‘uvre le mois suivant.
Le salarié conteste la validité des conclusions de la commission d’enquête et du procès-verbal du CHSCT en découlant, et il sollicite le rejet de la pièce adverse numéro 20 en ce que les messages qu’il a échangés sur le réseau social Facebook avec Mme [K] [U] seraient tronqués et que l’employeur ne peut en garantir l’intégrité, l’authenticité et la fiabilité, quand l’employeur fait valoir à raison que les faits juridiques, définis à l’article 1100-2 du code civil comme des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit, soit, en l’occurrence les faits de harcèlement sexuel fondant le licenciement disciplinaire, peuvent être prouvés par tout moyen, a fortiori en matière prud’homale, pourvu qu’ils aient été obtenus licitement et loyalement. Or, en l’espèce, les messages litigieux n’ont pas été obtenus de manière illicite ou déloyale puisque ces messages à caractère privé ou professionnel ont été échangés par les intéressés en toute connaissance de cause sur le réseau social Facebook. Enfin, le juge demeure libre d’en apprécier la force probante.
En tout état de cause, l’enquête contestée a pu valablement être mise en ‘uvre en raison de la seule dénonciation de faits de harcèlement sexuel par mail du 26 février 2018, peu important l’erreur chronologique critiquée, et si le salarié, sans démontrer le caractère illicite ou frauduleux des pièces produites par l’employeur, invoque des messages tronqués par la plaignante, il ne s’agit en définitive que d’une production partielle sur plusieurs centaines de messages échangés entre les intéressés, ne portant en elle-même aucune atteinte à l’authenticité, la fiabilité ou à l’intégrité de ces éléments de preuve, le salarié demeurant libre d’en contester la force probante en versant ses propres pièces, dont les messages prétendument omis.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats la pièce concernée.
Force est de constater qu’à compter d’avril 2017, le salarié, quinquagénaire jouissant de l’autorité inhérente à son niveau hiérarchique, s’est adressé, sur le réseau social Facebook, à une jeune collègue exerçant des fonctions d’assistante d’un niveau hiérarchique bien inférieur au sien. Si, dans un tel contexte, les premiers messages révèlent une volonté de séduire la jeune assistante : « Vous êtes top !!! Vous allez devenir mon assistante préférée, mais chut il faut pas le dire !! », la connotation sexuelle des suivants s’affirme progressivement puisqu’il évoque le fait de pouvoir être « catalogué en dragueur de jeune femme plus jeune que [sa] fille » et teste à ce sujet son interlocutrice : « Vous êtes inquiète ou jalouse mdr ‘ » avant de lui proposer une « petite promenade à [Localité 4] tous les deux en BMW, çà le fait non ‘ », ce à quoi la jeune femme répond : « [N] voyons » ; mais, sans se décourager, il réaffirmera son côté dragueur et reconnaîtra à la jeune femme le fait de respecter certaines limites, lorsqu’il indique : « Vous vous êtes sage moi il faut que je fasse attention. » ; par la suite, il fait allusion au fait d’être plus âgé et lui recommande son fils pour ne pas gâcher « une belle jeune femme comme [elle] » ; puis, s’il écrit : « J’ai su rapidement que vous m’aimiez bien », il se montre plus familier, voire cavalier : « Merde je t’ai tutoyé » avant de reconnaître des « échanges normalement non autorisés », ce à quoi son interlocutrice répond : « Moi je veux pas de causer de problème comme je l’ai déjà dis [N] » ; dès lors, il lui indique : « [P] rassure toi, je sais que tu ne peux me causer aucun problème, mais je suis grand j’assume. Et si cela devait se savoir le seul fautif ça serait MOI seulement moi ! Mais j’adore donc j’assume et je continuerai tant que tu voudras bien » ; si l’assistante rétorque qu’elle a des échanges bien plus réguliers avec son ancienne équipe et si elle utilise le terme « différent » pour qualifier leurs échanges au regard du niveau hiérarchique du salarié, ce dernier rétorque, sans désemparer : « Je comprends que vous ayez encore plus d’échanges avec vos autres collègues, c’est bien ! Des hommes ‘ Sinon ça change tout ! Le regard des gens change immédiatement quand c’est entre un homme et une femme ! La seule pondération c’est notre différence d’âge qui fait que je suis plus votre beau-père qu’autre chose. » ; s’il annonce : « Bon suis quand même jaloux. Je vais laisser ma place aux autres », lorsque son interlocutrice lui réaffirme que la nature de leurs échanges ne saurait aller au-delà d’une bonne entente avec un « ex BLM agréable » et s’il évoque la nature professionnelle de leurs échanges, il réplique néanmoins : « Ah je sais je vais plutôt draguer [S] yes. Soyez pas jalouse, je suis toujours dans mon délire », puis : « Parce que je vois quand vous êtes connectée à discuter avec plein d’hommes » ; surtout, quelques jours plus tard, il relance la jeune femme : « Vous ne répondez plus ‘ », ce à quoi elle répond : « Pour faire des problèmes non merci », puis il écrit : « Pourquoi des problèmes ‘ Avec qui ‘ Désolé j’ai dû louper un épisode car je ne comprends pas ! » ; avant de se voir préciser : « Avec le boulot par exemple. J’ai aucun problème soucis avec vous loin de là mais ça reste pro » ; par la suite, si la jeune femme lui précise : « J’étais pas perdue. Je veux simplement que ça reste de la déconne comme nos échanges au bureau », il tentera une nouvelle fois le tutoiement en affirmant que le vouvoiement « symbolise aussi la distance et l’indifférence », mais il essuiera un nouveau refus : « Non enfin moi j’ai rien contre le tutoiement mais pas moi envers vous. Vous êtes un VP quand même oh » ; sur la différence d’âge, il tente de la minimiser : « Vous savez qu’il y a moins de différence entre nous qu’entre macron et sa femme. 24 ans de différence entre [H] et son mari. Non il y a plus entre nous sorry. Oh la honte [N] tu peux plus lui écrire c’est fini » ; il ajoute ensuite aimer « déstabiliser un peu les femmes », lui avoue l’aimer « un peu plus que bien » ; il ajoute : « Vous avez un sacré caractère je vous aime » ; il reconnaît être « jaloux » en raison du fait qu’elle est connectée avec d’autres ; il imagine faire un tour en voiture avec elle ; il lui fait part du fait qu’elle lui manque parfois et d’avoir plus d’échanges avec elle qu’avec sa femme en déplacement ; s’il écrit désormais : « salut mon c’ur », la nature sexuelle des relations qu’il envisage s’affirme : « venez à côté de moi je suis dans ma chambre en train de me reposer un peu. Pour ne pas abuser, je serai dans les draps et vous, au-dessus des draps. Donc pas vraiment ensemble » ; au cours du mois de mai 2017, alors qu’il reconnaît que la jeune femme lui a dit d’arrêter à plusieurs reprises, il lui envoie une succession de messages demeurés sans réponse et il finit par lui avouer : « Je me suis pris à ce petit jeu où j’essayais de vous séduire en quelque sorte, mais c’était un peu ridicule », ce à quoi elle répond : « c’est ridicule pour quelqu’un d’aussi intelligent » ; après de vaines tentatives, il reconnaît ce qui suit : « Bien qu’il ne se soit rien passé entre nous, les échanges trop nombreux et trop fréquents vont bien au-delà de relations professionnelles convenables. Je suis le seul responsable de la situation. Il m’appartient donc d’y mettre un terme. » ; pourtant, il tentera à nouveau de la contacter : « Bonsoir [P] Comment allez-vous ‘ Petite surprise non ‘ Je prends l’avion dans deux heures. Bonne nuit » avant de lui reprocher son silence : « Assez déçu, [P]. Pas un mot aujourd’hui ! » ; le 19 juillet 2017 par mail envoyé de sa boîte professionnelle, il la relance et remet en cause le fait qu’elle ne veuille plus d’échanges : « Je sais que vous m’avez bloqué partout. Ce n’est pas un reproche que je vous fais, mais cela démontre un fort mécontentement de votre part dont je suis le seul responsable et le seul fautif’Ce qui me vexe énormément, c’est votre silence, cette indifférence qui m’apparaît comme méprisante, alors que l’on s’entendait bien. Je vous comprends [P] évidemment’Vous pourriez me dire, que mon attitude était inacceptable, irrespectueuse, que je vous ai blessé etc’ ».
Le salarié se prévaut d’autres messages envoyés par Mme [K] [U] quand le nombre et la teneur de ceux-ci ne sont pas de nature à remettre en cause l’aspect déplacé et intempestif de ses propres messages, nettement plus nombreux et de plus en plus ouvertement à connotation sexuelle, dans le cadre d’échanges dont il prenait le plus souvent l’initiative.
En conséquence, l’employeur, tenu de respecter son obligation de sécurité et de protéger la santé de ses salariés, devait prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements constitutifs de harcèlement sexuel et d’éviter tout risque à cet égard. Compte tenu de leur gravité, les griefs, avérés, reprochés au salarié, rendaient impossible le maintien de celui-ci dans l’entreprise et impliquait son éviction immédiate. Il convient donc de dire que le licenciement pour faute grave est bien fondé et que ce licenciement ayant rompu le contrat de travail avant la date d’effet de la convention de rupture conventionnelle, celle-ci est non-avenue.
Le salarié sera ainsi débouté de l’ensemble de ses demandes salariales et indemnitaires soutenues tant au principal qu’au subsidiaire au titre d’une rupture conventionnelle produisant tous ses effets ou d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, dont la demande de dommages-intérêts pour restitution du véhicule de fonction le 27 avril 2018 au lieu du 30 juin 2018.
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral
Si le salarié soutient que l’employeur a porté atteinte à son honneur et à sa réputation en raison du caractère non-confidentiel, partial et déloyal de l’enquête menée à l’initiative de celui-ci, et s’il ajoute que l’employeur a communiqué de mauvaises références le concernant auprès des cabinets de recrutement, il n’en justifie pas. Il convient donc de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
En application de l’article 700 du code de procédure civile, il convient, par voie d’infirmation du jugement déféré, d’allouer à l’employeur la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
La somme de 1 000 euros lui sera octroyée au titre des frais irrépétibles d’appel.
Les dépens de première instance et d’appel seront supportés par le salarié, partie succombante.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant :
Dit qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats la pièce numéro 20 produite par la société Atlas copco applications industrielles ;
Dit bien-fondé le licenciement pour faute grave de M. [N] [L] en date du 23 avril 2018 ;
Dit non-avenue la rupture conventionnelle signée par M. [N] [L] et la société Atlas copco applications industrielle le 15 janvier 2018 ;
Déboute M. [N] [L] de l’ensemble de ses demandes ;
Le condamne à payer à la société Atlas copco applications industrielles la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Le condamne aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par Madame Nouha ISSA, faisant fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,