Droit de rétractation : Décision du 9 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/03345

·

·

Droit de rétractation : Décision du 9 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/03345

Du 09 janvier 2024

53B

SCI/SMH

PPP Contentieux général

N° RG 23/03345 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YKSE

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL

C/

[L] [Z]

– Expéditions délivrées à
[L] [Z]

– FE délivrée à
Me Claire MAILLET

Le 09/01/2024

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION
Pôle protection et proximité

JUGEMENT EN DATE DU 09 JANVIER 2024

JUGE : Monsieur Julien BAUMERT-STORTZ

GREFFIER : Madame Souad MOHAMED-HAMROUN

DEMANDERESSE :

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE
RCS de Bordeaux N° 434 651 246
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représentée par Maître William MAXWELL substitué par Me Claire MAILLET de la SAS MAXWELL MAILLET BORDIEC

DEFENDERESSE :

Madame [L] [Z]
née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 6] (GABON) ([Localité 6])
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 5]

Non comparante

DÉBATS :

Audience publique en date du 21 novembre 2023

PROCÉDURE :

Articles 480 et suivants du code de procédure civile.

QUALIFICATION DU JUGEMENT :

Réputé contradictoire, premier ressort

1

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte d’huissier en date du 29 septembre 2023, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a saisi le tribunal de céans d’une demande en paiement à l’encontre de Madame [L] [Z].

A l’audience du 21 novembre 2023, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE, représentée par son conseil, demande au tribunal, avec exécution provisoire, de :

– Condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 18.665,43 € avec intérêts au taux de 2,50% sur la somme de 17.031,15 € et au taux légal pour le surplus, le tout à compter de la signification du jugement ;
– Condamner Mme [Z] à lui payer 500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers frais et dépens ;

A l’appui de ses prétentions, la partie demanderesse expose avoir consenti à Mme [Z], le 9 juillet 2020, un prêt personnel d’un montant de 20.000 € remboursable en 84 mensualités de 272,73 € et moyennant un taux d’intérêt de 2,50 %.

Elle ajoute que Mme [Z] n’a pas respecté le remboursement régulier de ses échéances de sorte que, par courrier recommandé avec accusé de réception datant du 9 juin 2022, elle a invoqué la déchéance du terme du contrat de prêt.

Elle en déduit qu’elle est bien fondée à réclamer l’intégralité des sommes restant dues.

Le tribunal a soulevé d’office la question de l’éventuel non respect des dispositions des articles L 312-12, L 312-14 et de l’article L 312-16 du code de la consommation, et sur la déchéance du droit aux intérêts qui pourrait en résulter, en application des articles L 341-1 et suivants du même code.

Régulièrement citée selon les dispositions prévues par l’article 659 du code de procédure civile, Mme [Z] n’a pas comparu et n’était pas représentée de sorte qu’eu égard à la valeur du litige, il y a lieu de statuer par jugement réputé contradictoire, en premier ressort.

MOTIFS DE LA DECISION

I – Sur la demande en paiement de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE :

A – Sur la déchéance du droit aux intérêts :

Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article R 632-1 du code de la consommation que le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du même code dans les litiges nés de son application ;

Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article L 312-12 du code de la consommation, que pèse, sur le prêteur et sur tout intermédiaire de crédit, une obligation d’information précontractuelle à l’intention de l’emprunteur, sous la forme d’un écrit ou d’un autre support durable, comportant les mentions prévues par les articles R 312-2 à R 312-4 du même code et établi conformément au modèle-type annexé à l’article R 312-5 du même code ;

Attendu que l’article L 312-14 du même code impose au prêteur, en outre, une obligation d’explication permettant à l’emprunteur de vérifier que le crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière ;

Attendu qu’aux termes de l’article L 312-16 du code de la consommation, le prêteur est tenu de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, « à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier », le prêteur ayant notamment l’obligation, à ce titre, de consulter le fichier prévu par l’article L 751-1 du même code ;

Qu’ainsi, pèse sur tout organisme prêteur, une obligation de vérifier, en rassemblant les informations nécessaires, l’adéquation du crédit qu’il propose à la situation financière, et personnelle de l’emprunteur ;

Que le respect de cette obligation doit être assuré par la réalisation de démarches positives de la part du prêteur qui doit s’enquérir de la situation réelle de l’emprunteur en obtenant des informations concrètes relatives à ses revenus, aux charges déjà existantes, à la composition de sa famille, au nombre de personnes à sa charge (…) et à son statut professionnel ;

Attendu qu’aux termes de l’article L 312-21 du code de la consommation, afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L 312-19 du même code, un formulaire détachable doit être joint à l’exemplaire du contrat de crédit fourni à l’emprunteur ;

Attendu que l’article L 312-29 du même code dispose que lorsque l’offre de contrat de crédit est assortie d’une proposition d’assurance, une notice est fournie à l’emprunteur, sur support papier, ou tout autre support durable, qui comporte les extraits des conditions générales de l’assurance le concernant, notamment les nom et adresse de l’assureur, la durée, les risques couverts et ceux qui sont exclus ;

Attendu que la preuve du respect de l’ensemble de ces dispositions d’ordre public (article L 314-26 du code de la consommation), pèse sur l’organisme prêteur, qui est assujetti au respect des obligations légales ainsi rappelées ;

Attendu que les articles L 341-1 et suivants du code de la consommation disposent que, notamment, le prêteur qui accorde un crédit sans avoir communiqué les informations précontractuelles de l’article L 312-12 du même code ou sans avoir respecté l’obligation d’explication fixée par l’article L 312-14 du même code ou sans avoir procédé à la vérification de la solvabilité de l’emprunteur, requise par l’article L 312-16 du même code ou sans avoir remis à l’emprunteur une notice d’assurance ou une offre de crédit non assortie d’un formulaire détachable permettant l’exercice de son droit de rétractation, conformément aux articles L 312-21 et L 312-29 du même code, encourt la déchéance du droit aux intérêts du prêt, l’emprunteur n’étant alors tenu qu’au remboursement du capital emprunté ;

Attendu qu’en l’espèce, il est établi par les pièces produites par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE que Mme [Z] a, le 9 juillet 2020, accepté une offre préalable de crédit personnel d’un montant de 20.000 €, remboursable en 84 échéances mensuelles de 272,73 €, selon un taux d’intérêts de 2,50 % ;

Attendu que, cependant, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE ne produit qu’une fiche d’informations précontractuelles du dit crédit, certes, établie conformément aux articles R 312-2 à R 312-5 du code de la consommation, mais qui n’est revêtue d’aucune mention relative à une paraphe ou une signature électronique, de type « signé électroniquement par XX », ce qui ne permet pas, en conséquence, d’affirmer que ce document a bien été remis à l’emprunteur ;

Que, de même, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE ne produit qu’une copie de l’offre de crédit, certes dotée d’un formulaire détachable permettant l’exercice du droit de rétractation, mais qui n’est revêtue d’aucune mention relative à une paraphe ou une signature électronique, de type « signé électroniquement par XX », ce qui ne permet pas, en conséquence, d’affirmer que ce document a bien été remis à l’emprunteur ;

Que, par ailleurs, l’exécution partielle du contrat, qui permet, à tout le moins, de s’assurer du consentement de Mme [Z] au crédit, ne démontre pas, cependant, la remise de la copie de l’offre versée aux débats ;

Que, de même, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE ne produit qu’une notice de l’assurance facultative proposée avec le crédit mais qui n’est revêtue d’aucune mention relative à une paraphe ou une signature électronique, de type « signé électroniquement par XX », ce qui ne permet pas, en conséquence, d’affirmer que ce document a bien été remis à l’emprunteur ;

Qu’au surplus, les documents produits par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE, destinés à rapporter la preuve de la signature électronique de la liasse contractuelle, au demeurant partiellement inexploitables puisqu’ils recensent des données électroniques cryptées, ne précisent pas la liste et la teneur des documents effectivement signés ;

Que, par ailleurs, la fiabilité du procédé de signature électronique n’est pas établie, dès lors que, au mépris de l’article 1er du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017, la preuve de la mise en œuvre d’une signature qualifiée, soit une signature électronique avancée, conforme à l’article 26 du le règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014, et créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l’article 29 dudit règlement, qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique répondant aux exigences de l’article 28 de ce règlement, n’est pas rapportée par les documents en question ;

Attendu que, par ailleurs, pour rapporter la preuve de vérification de la solvabilité de l’emprunteur, par le biais notamment de la consultation du fichier prévu par l’article L 751-1 du code de la consommation, qui permet de s’assurer que la situation financière de ce dernier n’est pas déjà obérée, le prêteur ne peut se contenter de produire un document qu’il a lui-même établi, ne permettant pas de garantir les conditions dans lesquelles le FICP aurait été consulté, et dans quelles conditions les données qui auraient pu être ainsi obtenues ont été conservées, et comportant des indications lacunaires

Que statuer différemment reviendrait à méconnaitre le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à soi-même ;

Qu’en l’espèce, à ce titre, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE verse aux débats un document comportant son en-tête, manifestement établi par ses soins, mentionnant, une consultation du fichier qui aurait été réalisée le 3 juillet 2020 ;

Que ce document n’est pas daté, de sorte que sa date d’édition est invérifiable, d’autant que les conditions de conservation des données qu’il relate, dont il appartient à l’organisme prêteur d’assurer l’intégrité, conformément à l’article 13 I de l’arrêté du 26 octobre 2010, relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, ne sont pas justifiées ;

Qu’au surplus, et surtout, le document ne précise même pas la teneur de la réponse qui aurait été apportée par le fichier consulté, concernant Mme [Z], ce qui ne permettait pas à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE d’apprécier utilement sa situation financière ;

Qu’ainsi, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE ne rapporte ni la preuve d’une consultation du FICP à la date de conclusion du prêt, ni la preuve des conditions dans lesquelles les données dont elle se prévaut ont été conservées, ni la vérification effective et suffisante de la solvabilité de Mme [Z] ;

Attendu qu’il résulte de ces considérations que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE ne rapporte pas la preuve du respect des dispositions légales sus visées ;

Que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a ainsi manqué aux obligations lui incombant, en sa qualité de prêteur ;

Qu’il convient, par conséquent, de prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE au titre du prêt conclu le 9 juillet 2020 par Mme [Z] ;

B – Sur les sommes restant dues :

Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article L 341-8 du code de la consommation qu’en cas de déchéance du droit aux intérêts, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ce qui exclut également toute forme d’indemnité contractuelle ;

Que les sommes perçues au titre des intérêts sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant du ;

Attendu que plusieurs échéances du prêt souscrit par Mme [Z] sont demeurées impayées, sans que la plus ancienne échéance non régularisée par des paiements ultérieurs ne soit antérieure à la date

d’introduction de la présente instance minorée de deux ans, de sorte que la forclusion de l’action de la partie demanderesse prévue à l’article R 312-35 du code de la consommation n’est pas encourue ;

Que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE a invoqué la déchéance du terme à la date du 9 juin 2022 ;

Attendu que, compte tenu de la déchéance du droit aux intérêts, et au regard du décompte versé aux débats, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE est fondée à réclamer payement du capital emprunté par Mme [Z], soit 20.000 €, déduction faite de l’ensemble des paiements effectués par celui-ci, soit 3.818,22 € ;

Que la dette de Mme [Z] à l’égard de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE sera ainsi fixée à la somme de (20.000 – 3.818,22) €, soit 16.181,78 € ;

Attendu qu’il convient donc de condamner Mme [Z] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE la somme de 16.181,78 €, et de débouter la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE du surplus de ses demandes ;

Que cette ne portera pas intérêts au taux légal, pour assurer l’effectivité de la sanction de déchéance du droit aux intérêts prononcée ;

II – Sur les demandes accessoires :

Attendu qu’il n’est que partiellement fait droit à la demande en paiement, et que la déchéance du droit aux intérêts a été prononcée, il convient de condamner Mme [Z] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE la somme de 150 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

Que Mme [Z] supportera les frais et dépens de l’instance, conformément à l’article 696 du Code de Procédure Civile ;

Qu’il convient de constater l’exécution provisoire du dit jugement, en application de l’article 514 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

LE JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et rendu en premier ressort, mis à disposition au greffe ;

PRONONCE la déchéance du droit aux intérêts à l’encontre de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE pour le crédit accordé à Madame [L] [Z] le 9 juillet 2020 ;
 
CONDAMNE Mme [Z] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE la somme de 16.181,78 € ;

DIT que cette somme ne portera pas intérêts, ni au taux légal, ni au taux contractuel ;

DEBOUTE la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE Mme [Z] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE la somme de 150 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

CONDAMNE Mme [Z] aux entiers frais et dépens ;

CONSTATE que le présent jugement est immédiatement exécutoire par provision ;

Le présent jugement est signé par le président et le greffier

Le GreffierLe Président

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x