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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 18 JANVIER 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/09221 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CARZX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Août 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Activités diverses Chambre 3 -RG n° F18/09109
APPELANTE
Madame [B] [L] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Paul BEAUSSILLON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
ENTREPRISE DE SONDAGES DE PARIS (ESP)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Mohamed CHERIF, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 9 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Stéphane MEYER, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [L] [Y] a été engagée selon contrat de travail à durée déterminée du 23 juin 2004 en qualité d’enquêtrice vacataire par la société Taylor Nelson Sofres, aux droits de laquelle intervient la société Entreprise de Sondages de Paris, ci-après ESP.
La société emploie plus de onze salariés. Elle relève de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 et de son annexe enquêteurs du 16 décembre 1991.
Sollicitant la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à temps complet, Mme [L] [Y] a saisi la juridiction prud’homale le 30 novembre 2018.
Par jugement du 1er août 2019, le conseil de prud’hommes de Paris l’a déboutée de ses demandes, débouté la société de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la salariée aux dépens.
Le 10 septembre 2019, Mme [L] [Y] a interjeté appel de la décision notifiée le 3 septembre 2019.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 septembre 2022, Mme [L] [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement, et, statuant à nouveau, de requalifier la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à temps complet et de condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
– 3 828,66 euros au titre de l’indemnité de requalification,
– 117 609,80 euros à titre de rappel de salaire de décembre 2015 à août 2022, à parfaire à la date de l’arrêt,
– 11 760,90 euros au titre des congés payés,
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 février 2021, la société demande à la cour de déclarer l’appel irrecevable comme caduc, de déclarer irrecevable comme prescrite la demande de rappel de salaire, et en tout état de cause, de confirmer le jugement et de condamner la salariée à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’instruction a été clôturée le 11 octobre 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 9 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la caducité de l’appel
La société ESP soutient que l’appel est caduc, les premières conclusions de l’appelant ne demandant à la cour ni l’infirmation ni l’annulation du jugement.
En l’espèce, par arrêt du 11 mai 2022, la cour, statuant sur déféré, a infirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 25 mars 2021 en ce qu’elle a déclaré caduque la déclaration d’appel du 10 septembre 2019, dit que cette déclaration d’appel est régulière et n’encourt nullement la caducité.
Cette demande a donc été définitivement tranchée par la cour.
En conséquence, elle est irrecevable.
Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée
La salariée expose avoir été engagée le 23 juin 2004 et avoir travaillé toujours au même poste selon 1 204 contrats à durée déterminée jusqu’à la saisine du conseil de prud’hommes le 30 novembre 2018, afin de répondre à un besoin structurel de l’entreprise.
Elle soutient avoir occupé un emploi permanent correspondant à l’activité normale de l’entreprise et que l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des raisons objectives de recours aux contrats à durée déterminée d’usage. Elle fait valoir qu’ils ne respectent pas les règles de forme puisqu’ils ne comportent pas de signature, ni motif précis de recours, défini comme étant l’objet et sa durée.
La société ESP soutient que l’activité des sondages et enquêtes est un secteur particulier qui s’inscrit dans le cadre du travail intermittent, que les missions de la salariée ne correspondent pas à l’activité normale et permanente de la société. Elle explique qu’elle propose des études personnalisées, exclusivement réalisées pour répondre à une question très précise d’un seul client, celui-ci devenant alors l’unique propriétaire des résultats de l’étude, que les commandes sont imprévisibles et que les délais de réalisation exigés sont très courts, que le volume d’activité incompressible correspondant aux activités permanentes de l’entreprise sont pris en charge par les salariés travaillant en contrat à durée indéterminée tandis que l’activité variable est prise en charge par les salariés recrutés en contrat à durée déterminée. Elle soutient qu’elle a toujours travaillé pour répondre aux besoins spécifiques et temporaires de clients différents.
En application de l’article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L1242-1 et L1242-2 du même code.
Selon les dispositions de l’article L.1242-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas suivants :
3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois,.
Selon l’article D 1242-1 du même code, en application du 3° de l’article L. 1242-2, les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont les suivants :
8° L’information, les activités d’enquête et de sondage.
Il n’est pas contesté que la société ESP exerce dans l’un des secteurs d’activités, celui des enquête et sondages, visé par l’article D.1242-1 du code du travail, autorisant le recours aux contrats à durée déterminée d’usage.
L’article L.1242-1 du code du travail dispose qu’un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
En l’espèce, l’employeur ne produit aucun contrat de travail conclu avec la salariée et les pièces qu’il verse aux débats ( des contrats commerciaux qui ne concernent pas la salariée, des extraits du bilan social de TNS Sofres pour 2011, 2012, 2013, une présentation de l’omniphone et un contrat de chargé d’enquête intermittent à garantie annuelle de M. [S]) ne permettent pas d’établir le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné occupé par la salariée.
Tous les contrats ont pour même objet un contrat d’enquête. Même si le sujet de l’étude est différent, les fonctions exercées par la salariée sont identiques et relèvent de l’activité principale de la société.
Le tableau établi par la salariée depuis décembre 2015 fait apparaître le nombre d’heures effectuées chaque mois en qualité d’enquêtrice, et ce, de manière continue depuis 2004, pour un total non contesté de 1 204 contrats, avec un nombre d’heures mensuel variant entre 16, 79 heures en février 2018 et 133, 13 heures en novembre 2016, ayant atteint 151, 67 heures en novembre 2011.
La multiplicité du recours à des contrats à durée déterminée sur une longue période, excluant que les besoins de l’employeur soient temporaires, pour exercer des fonctions identiques relevant de l’activité principale de l’entreprise, caractérise un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
En conséquence, la cour, par infirmation du jugement, requalifie l’ensemble de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée.
Sur la requalification du contrat de travail à temps complet
À l’appui de sa demande de requalification de l’ensemble de la relation contractuelle en un contrat à de travail à temps complet, la salariée fait valoir que les contrats ne mentionnent ni lla durée hebdomadaire de travail, ni la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois.
L’employeur conteste la demande.
L’article L3123-14 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui mentionne notamment la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois et les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification.
L’absence d’écrit fait présumer que l’emploi est à temps complet et il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve d’une part de la durée exacte convenue d’autre part que la salariée n’était pas placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.
En l’espèce, les contrats à durée déterminée mentionnent le nom et l’adresse de la salariée, le numéro de l’étude, le nombre de questionnaires à renvoyer à la société, les modalités de la rémunération, le délai d’exécution sous forme d’un intervalle entre deux dates, une date de retour des questionnaires, et le matériel nécessaire à l’étude. Ils ne mentionnent pas la durée du travail et sa répartition entre les jours de la semaine.
L’employeur ne verse aux débats aucun élément objectif établissant la durée du travail exacte convenue pour la réalisation des enquêtes et ne justifie pas que la salariée n’était pas placée dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et n’avait pas à se tenir constamment à la disposition l’employeur.
En conséquence, la cour, par infirmation du jugement, requalifie le contrat en contrat de travail à temps complet.
Sur les conséquences financières de la requalification
L’indemnité de requalification
La salariée sollicite la somme de 3 828, 66 euros.
L’article L 1245-2 alinéa 2 du code du travail prévoit, en cas de requalification en contrat à durée indéterminée, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, par référence au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction.
En octobre 2018, la salariée a perçu 363, 96 euros à titre de salaire.
L’employeur est condamné à verser la somme de 400 euros au titre de l’indemnité de requalification, par infirmation du jugement.
Le rappel de salaires au titre du contrat à temps complet
La salariée sollicite un rappel de salaire sur la base d’un salaire à temps complet de 1 914, 33 euros pour la période de décembre 2015 à août 2022 pour un montant total de 117 609, 80 euros.
Sur la prescription
L’ intimée soulève la prescription. Il expose que l’action en requalification du contrat de travail en contrat à temps complet est une action en paiement de salaire et, est donc soumise au délai de prescription de trois ans prévus à l’article L3245-1 du code du travail.
La salariée soutient que la prescription n’est pas acquise et qu’elle est toujours salariée de la société qui continue de lui confier des missions.
Aux termes de l’article L.3245-1 du code du travail, l’action en paiement se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La prescription de l’action en paiement du salaire court à compter de la date à laquelle ce dernier devient exigible. La prescription a pour points de départ successifs chaque échéance de salaires impayés.
En l’espèce, Mme [L] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes le 30 novembre 2018. L’instance a été engagée alors que son contrat de travail est toujours en cours puisqu’elle justifie avoir travaillé jusqu’en août 2022 pour le compte de la société.
Elle est recevable en sa demande de rappel de salaire pour la période comprise entre décembre 2015 à août 2022.
Le moyen tiré de la prescription est donc écarté.
Sur le bien fondé de la demande
La salariée est en droit d’obtenir un rappel de salaire à temps plein pour la période de décembre 2015 à août 2022 en fonction de sa classification Etam et de son coefficient de 230, correspondant à la différence entre ce qu’elle a perçu et la somme de 1 914, 33 euros qui correspond au salaire à temps complet, ce montant n’étant pas contesté.
Sur la demande de rappel de salaire pendant les périodes interstitielles
La salariée soutient qu’elle se tenait à la disposition permanente de son employeur entre deux contrats à temps partiel.
Pour s’opposer à la demande de requalification à temps complet, la société soutient que la salariée ne se tenait pas à la disposition permanente de son employeur.
Le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs dont le contrat de travail est requalifié en contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il s’est tenu à disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail, ce qu’il lui appartient de démontrer.
En l’espèce, les bulletins de salaires produits révèlent l’existence de longues périodes non travaillées et la salariée ne produit aucun élément pour démontrer qu’elle s’est tenue à disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles.
En conséquence, la cour, par infirmation du jugement, condamne la société à verser à la salariée la somme de 92 723, 51 euros à titre de rappel de salaire outre celle de 9 272, 35 euros au titre des congés payés afférents pour la période de décembre 2015 à août 2022 et déboute la salariée du surplus de sa demande au titre des périodes interstitielles.
Sur les autres demandes
La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt.
La société ESP, qui succombe, supportera les dépens d’instance et d’appel.
Elle sera en outre condamnée à verser à Mme [L] [Y] la somme globale de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
– Déclare irrecevable la demande de caducité de l’appel ;
– Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription ;
– Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté Mme [L] [Y] de sa demande de rappel de salaire pendant les périodes interstitielles ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
– Requalifie la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée depuis le 23 juin 2004 ;
– Condamne la société ESP à verser à Mme [L] [Y] la somme de 400 euros au titre de l’indemnité de requalification ;
– Condamne la société ESP à verser à Mme [L] [Y] la somme de 92 723, 51 euros au titre du rappel de salaire de décembre 2015 à août 2022 outre celle de 927, 23 euros au titre des congés payés afférents ;
– Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de l’arrêt ;
– Condamne la société ESP à verser à Mme [L] [Y] la somme globale de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne la société ESP aux dépens d’instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT