Contrat à durée déterminée d’usage : 18 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03073

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Contrat à durée déterminée d’usage : 18 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03073
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 OCTOBRE 2023

N° RG 21/03073

N° Portalis DBV3-V-B7F-UZKU

AFFAIRE :

[S] [J]

C/

S.A.S. SODEXO SPORTS ET LOISIRS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : C

N° RG : 16/1009

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Frédérique ROUSSEL STHAL

Me Oriane DONTOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [S] [J]

né le 10 janvier 1956 à [Localité 5] (14)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Frédérique ROUSSEL STHAL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1414

APPELANT

****************

S.A.S. SODEXO SPORTS ET LOISIRS

N° SIRET : 311 160 592

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 juillet 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [J] a été engagé par la société Excel, établissement où étaient centralisées l’administration et la direction de l’entreprise Sodexo Prestige Excel à partir du 2 juin 2008, en qualité de chef de rang puis de maître d’hôtel par contrats de travail à durée déterminée dits d’usage, tous exercés à l’Hôtel [Adresse 6], à [Localité 7]. Le dernier contrat a concerné une mission réalisée le 9 février 2016.

La société Sodexo Prestige Excel exerce une activité de traiteur haut de gamme auprès d’entreprises et de particuliers. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de

10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.

Le 3 février 2016, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, analyser la rupture du contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtenir le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire et salariale.

Par jugement du 15 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section commerce) a :

– dit qu’il n’y a pas lieu à requalification,

– débouté M. [J] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté la société Sodexo Prestige de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 18 octobre 2021, M. [J] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 6 juin 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 janvier 2022 , auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [J] demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien fondé en toutes ses demandes,

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

– requalifier les contrats de travail dits d’extras en contrat de travail à durée indéterminée et en conséquence analyser la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Sodexo Prestige à payer à M. [S] [J] les sommes suivantes:

. 4 000 euros au titre de dommages et intérêts pour discrimination salariale du fait de la perte de salaire,

. 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour discrimination salariale du fait de la perte de droits à retraite,

. 8 000 euros au titre de dommages et intérêts pour perte de salaire,

. 2 421 euros à titre d’indemnité de requalification du contrat,

.4 843 euros à titre d’indemnité de préavis,

. 484,30 euros au titre des indemnités de congés payés sur préavis,

. 9 684 euros à titre d’indemnité de licenciement,

. 58 104 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– ordonner en conséquence la remise des documents administratifs conformes que sont le certificat de travail, les bulletins de salaires et le certificat Pôle emploi sous astreinte de 150 euros par jour de retard,

– condamner la société Sodexo Prestige à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Sodexo Sports et Loisirs venant aux droits de la société Sodexo Prestige demande à la cour de :

-confirmer le jugement rendu le 15 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à obtenir la condamnation du salarié à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à obtenir la condamnation de la salariée à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

en conséquence,

– dire et juger infondées les demandes de M. [J],

– débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner M. [J] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [J] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Dontot, JRF & Associés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la requalification de la relation de travail depuis 2008

Sur la prescription

L’employeur soutient que l’action du salarié est partiellement prescrite en ce que la collaboration entre le salarié et la société a été discontinue et entrecoupée de périodes au cours desquelles il ne travaillait, ni n’était tenu de rester à la disposition de l’entreprise. Il indique que le salarié n’a travaillé que 412 jours en 8 ans.Il affirme que l’action en requalification des contrats conclus avant le 27 janvier 2011 soumis à la prescription quinquennale est prescrite et que l’action en requalification des contrats conclus entre le 14 juin 2013 et le 27 janvier 2014 soumis à la prescription biennale est également prescrite.

Le salarié n’a pas conclu sur ce point.

***

Aux termes de l’article 21 de la loi du 14 juin 2013, les dispositions réduisant les délais de prescription s’appliquent à celles qui sont en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 Juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit en l’espèce 5 ans.

En cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Aux terme de l’article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI fondée sur le motif de recours au CDD énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat, ou, en cas de succession de CDD, le terme du dernier contrat conclu. Le salarié a alors droit, lorsque sa demande de requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier, peu important que les contrats aient été interrompus entre eux sauf à ce que la prescription alors applicable ait été acquise durant l’une de ces interruptions.

La requalification en contrat de travail à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription. (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 20-12.271- Publié)

Au cas présent, le salarié a travaillé à raison d’une ou plusieurs journées successives tous les mois de l’année, sauf au mois d’août, à l’exception d’une ou deux journées de ce mois, comme suivant:

– à compter du 1er juin 2008 : 20 jours

– en 2009: 13 jours

– en 2010 : 15 jours

– en 2011 : 15 jours

– en 2012 : 34 jours

– en 2013 : 106 jours

– en 2014 : 104 jours

– en 2015 : 95 jours

– jusqu’au 9 février 2016 : 9 jours.

Il résulte de l’examen des contrats et bulletins de paie versés aux débats que les missions du salarié se sont succédées avec des périodes d’interruption plus ou moins longues sans jamais atteindre le délai de prescription de deux ans entre deux contrats.

Il s’ensuit qu’aucune prescription n’est encourue dès lors que le dernier contrat est arrivé à terme le 9 février 2016 et que le salarié a introduit son action devant le conseil de prud’hommes le

3 février 2016.

Le salarié est donc recevable à demander la requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée, depuis le premier contrat à durée déterminée en date du 1er juin 2008

Sur la requalification de contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Le salarié expose que la relation de travail entre les parties ne correspondait pas, depuis de très nombreuses années à la qualification d’extra que lui donnait l’employeur compte tenu de la régularité des missions et de leur importance. Il explique que l’employeur a toujours fait en sorte de ne pas atteindre les 60 jours prévus par la convention collective pour ne pas êter tenu de requalifier la relation professionnelle Il précise que le conseil de prud’hommes s’est contenté de vérifier l’apparence de sa situation sans rechercher si l’employeur n’a pas utilisé ce type de contrat pour pourvoir un poste durable lié à l’activité normale de l’entreprise. Il ajoute que les heures supplémentaires effectuées n’étaient pas régulièrement payées et ce malgré ses nombreuses demandes puisque les missions étaient normalement prévues pour des horaires variables et qu’il verse aux débats des contrats et attestations signés par l’employeur mentionnant des horaires ne correspondant pas à la réalité.

L’employeur réplique que le salarié ne travaillait que très peu de jours par an pour la société. Il indique que les revenus retirés par le salarié au titre de ses missions pour la société étaient minimes, qu’il était engagé auprès d’autres employeurs et bénéficiait d’une indemnisation par Pôle Emploi lorsqu’il ne travaillait pas. Il explique que le salarié se contente d’affirmer en une phrase, que « la relation de travail entre les parties ne correspondrait pas à la qualification d’extra’ et sollicite sur ce seul argument, non étayé, la requalification de ses contrats à durée déterminée conclus depuis 2006, en contrat à durée indéterminée. Il ajoute que de manière peu claire, le salarié affirme que la société n’aurait pas respecté l’amplitude horaire journalière prévue par la réglementation et que s’il évoque des « heures supplémentaires effectuées » et non payées selon lui, malgré ses prétendues « nombreuses demandes », il n’apporte strictement aucun élément en ce sens.

***

En vertu des articles L. 122-1, L. 122-1-1, L. 122-3-13, 1er alinéa, et D. 121-2 du code du travail, devenus les articles L. 1242-1, L. 1242-2, L. 1245-1 et D. 1242-1 du même code dans leur rédaction successive applicable au litige , un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, qui ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans des cas déterminés par la loi et doit être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

L’hôtellerie et la restauration sont des secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

S’il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du même code, que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi. (Soc., 4 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.989, publié).

Aux termes de l’article 14 de la convention collective des hôtels, cafés, restaurants, « l’emploi d’extra qui par nature est temporaire est régi par les dispositions légales en vigueur. Un extra est engagé pour la durée nécessaire à la réalisation de la mission. Il peut être appelé à être occupé dans un établissement quelques heures, une journée entière ou plusieurs journées consécutives dans les limites des durées définies par l’article 21-2c. Un extra qui se verrait confier par un même établissement des missions pendant plus de soixante jours dans un trimestre civil pourrait demander la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée.(…)».

Enfin, le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier. (Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-15.359)

Il ressort du dossier que le salarié a exercé à compter du 1er juin 2008 la fonction de chef de rang (niveau 3 échelon 1) puis de maître d’hôtel (niveau 3 échelon 2) à compter du 1er juin 2013 pour ‘ surcroît d’activité’ suivant plusieurs contrats d’usage, et ce à raison en moyenne d’une ou deux journées successives de travail mais voire davantage, la durée de chaque mission d’une journée étant comprise entre 6 et 11 heures de travail.

Les contrats de travail produits font mention que le salarié est recruté en qualité ‘ d’extra’ et compter du 1er avril 2014 qu’il est recruté au motif suivant : ‘ banquets’.

Il a été précédemment indiqué le nombre de jours travaillés par année par le salarié, ce qui correspond à un total travaillé de 412 jours sur 8 ans et de 305 jours sur les trois dernières années.

Par ailleurs, les tableaux des contrats à durée déterminée conclus sur toute la période de 2008 à 2016, font mention que le salarié a travaillé :

– très peu de jours entre le 1er juin 2008 et le 31 décembre 2012 inclus,

– une à deux journées par mois uniquement de septembre 2008 à juillet 2012,

– de 8 à 13 missions par mois en 2013,

– de 7 à 15 missions par mois en 2014,

– de 3 à 15 missions par mois en 2015,

– 7 journées de missions en janvier 2016 et 2 en février 2016,

– le salarié a travaillé à de nombreuses reprises plus de 4 jours d’affilée, voire 5 jours (par exemple en juin 2008- mars 2013- septembre 2013′ novembre 2014- janvier 2015) .

Ainsi, le salarié a travaillé pendant des durées très brèves, soit des vacations d’une journée mais qui, à de nombreuses reprises, se sont succédées de jour en jour , le salarié signant pour mission d’une journée un nouveau contrat d’extra quand bien même il a été amené à travailler plusieurs jours en suivant.

Par ailleurs, si l’employeur affirme que les revenus du salarié étaient ‘ minimes’, il résulte du dossier que le salarié a perçu un salaire mensuel moyen de de 1 131,82 euros bruts en 2014 et de 1 077,53 euros brut en 2015, dernière année complète avant la fin de la relation contractuelle.

Dès lors, entre notamment 2013 et 2015 sur une période de 3 années, le salarié a travaillé en moyenne entre 95 et 106 jours par année, sous le régime de contrat à durée déterminée et l’employeur a fait appel régulièrement à ses services, chaque mois, pour exercer la même activité, sur le même lieu de travail, à plusieurs reprises pour une durée allant jusque 15 jours ouvrés de travail par mois, le contrat d’extra indiquant toujours le même motif : ‘ banquets’.

Certes, il convient de relever le caractère irrégulier du nombre de jours travaillés par mois mais une récurrence dans l’organisation du travail d’année en année ressort de l’ensemble et en tout état de cause, le salarié a été amené à travailler chaque année plus d’un tiers d’un temps complet, au moins durant les trois dernières années de la relation contractuelle soit au total 305 jours sur les trois dernières années.

Le salarié n’a également jamais travaillé plus de 60 jours dans un trimestre civil mais il a travaillé jusque 32 jours sur un même trimestre (1er trimestre 2015).

En outre, le salarié a toujours occupé un emploi qualifié dont le caratère saisonnier n’est pas rapporté alors qu’il ressort des tableaux récapitulatifs de l’employeur que le salarié a travaillé régulièrement tous les mois de l’année et n’a pas été recruté ponctuellement de sorte que ses missions ne revêtaient un caractère ni exceptionnel ni saisonnier.

Si l’employeur soutient que le salarié était recruté en qualité d’extra uniquement  lors de pics d’activité afin de renforcer, sur les mêmes postes, des équipes permanentes, il ne l’établit pas.

En exerçant plus de quinze missions par mois et ce à plusieurs reprises chaque année, le salarié a occupé un poste régulier l’amenant à travailler plusieurs jours d’affilée.

Dès lors, par son objet et sa nature, l’emploi du salarié est devenu objectivement indispensable à l’activité normale et permanente de la société sur le site ‘ Hôtel [Adresse 6]’ à [Localité 7] compte tenu de la régularité des missions, de leur caractère continu juste interrompu au mois d’août et de leur importance sur une très longue période.

La circonstance que le salarié dispose de plusieurs jours voire semaines de latence entre deux contrats ne se constate en général qu’au mois d’août de chaque année et la cour analyse ces périodes comme celles correspondant de fait à des congés payés qui auraient été acquis en cas de contrat à durée indéterminée.

L’employeur ne justifie donc pas, par l’existence d’éléments concrets et précis, du caractère par nature temporaire de l’emploi de chef de rang ou de maître d’hôtel occupé par le salarié.

En conséquence il sera fait droit à la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 2 juin 2008 jusqu’au 9 février 2016 et le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences indemnitaires de la rupture du contrat requalifié

Le salarié soutient que la rupture de la relation s’est effectuée ‘ sans autre formalisme’ le

9 février 2016 et la requalification des contratsde travail dits d’extras en contrat à durée indéterminée conduit à analyser la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur s’y opposant.

***

L’employeur, qui, à l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée ultérieurement requalifié en contrat à durée indéterminée, ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires, est responsable de la rupture. Celle-ci s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-14.327).

Lorsqu’un contrat de travail à durée déterminée est requalifié en un contrat de travail à durée indéterminée, la rupture du contrat par la seule survenance de l’échéance du terme s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, par voie d’infirmation du jugement, il convient de dire que la rupture est constitutive d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de salaire

Dans le dispositif de ses conclusions, le salarié sollicite des dommages-intérêts à hauteur de 8 000 euros et précise que le ‘ rappel de salaire’ est ‘calculé sur la base d’un temps plein outre les indemnités pour non-respect de la réglementation en matière de temps de travail’. Le salarié ajoute qu’il réclame cette somme ‘d’autant plus que l’indemnité de fin de contrat n’a jamais été réglée.

Ce faisant, sous couvert d’une perte de salaire, le salarié mêle différentes demandes en réparation d’un préjudice qu’il ne définit pas ni d’ailleurs ne justifie.

Cette demande indemnitaire non assortie d’explication permet au salarié de contourner, comme l’invoque l’employeur, l’application des règles de prescription ainsi qu’un débat portant sur le paiement ou non du salaire pendant les périodes interstitielles, question que le salarié n’aborde d’ailleurs pas, sauf à dire ‘qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié ne s’est pas tenu à sa disposition’ et que ‘l’employeur doit fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition’.

Toutefois, l’employeur soutient à juste titre que le salarié a inversé la charge de la preuve.

En effet, le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail. Soc., 22 septembre 2010, pourvoi n° 09-42.344).

La charge de la preuve qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles repose sur le salarié (Soc.,16 sept. 2015, n°14-16.277 ; Soc., 2 juin 2021, n° 19-16.183).

Par ailleurs, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

Le calcul des rappels de salaire doit intervenir en tenant compte de la réalité de la situation de chaque période interstitielle telle que résultant de chacun des contrats à durée déterminée l’ayant précédée.

Au cas présent, le salarié n’a pas développé de moyen à ce titre en réponse aux arguments de l’employeur et si le salarié invoque la requalification du contrat à durée déterminée à temps partiel en contrat indéterminée à temps plein, il n’établit par aucun élément s’être tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles.

Le salarié se borne également à affirmer que l’indemnité de fin de contrat ne lui a pas été versée.

Toutefois, en application des articles L.1243-10 et L.1242-2 alinéa 3 du code du travail, l’indemnité de fin de contrat n’est pas due s’agissant d’un contrat d’usage en qualité d’extra.

Par ailleurs, si le salarié indique qu’il forme des dommages-intérêts sans davantage de précision dans la partie discussion de ses conclusions et invoque uniquement le non-respect de la réglementation en matière de temps de travail, il n’explique pas si la référence à la reglémentation en matière de temps de travail vise en réalité la circonstance qu’il a effectué des heures supplémentaires non rémunérées.

En effet, s’il soutient dans la partie de ses conclusions relative à ‘ la requalification de la relation de travail et la rupture’ que les heures supplémentaires ne lui ont pas été régulièrement payées en dépit de ses demandes, il ne forme pas une demande chiffrée précise de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.

La cour en déduit que le salarié n’a pas expréssément fait référence au défaut de paiement des heures supplémentaires alors qu’il se contente de solliciter des dommages-intérêts pour perte de salaire, contournant là-encore les règles de prescription des demandes relatives au temps de travail.

Dans ces conditions, faute pour le salarié de justifier d’un préjudice précis et déterminé, il convient de confirmer la décision des premiers juges, et de débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire.

Sur l’indemnité de requalification

Aux termes de l’article L. 1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Cette indemnité ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction. ( Soc., 17 juin 2005, pourvoi n° 03-44.900, Bull. 2005, V, n° 204- Publié)

Il a été précédemment retenu que le salarié, qui calcule le montant de son dernier salaire sur la base d’un travail à temps complet pour la somme de 2 421 euros, n’a pas établi qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes intersticielles et il ne procède donc que par affirmations générales sans offre de preuve pour solliciter la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet.

Pour calculer le salaire de référence servant à déterminer l’indemnité de requalification, la cour retient que :

– le dernier salaire perçu par le salarié n’est pas significatif puisqu’il n’a travaillé que quelques journées en janvier 2013, et pour le même motif, le calcul d’un salaire de référence sur les trois derniers mois n’est pas probant, le salarié ayant moins travaillé au cours du dernier trimestre de l’année 2015,

– le salaire proposé et calculé par l’employeur qui s’élève à 330,72 euros est calculé d’après la moyenne mensuelle des jours travaillés entre 2008 et 2016, est une approche trop empirique (cf 12,59 euros = dernier taux horaire indiqué sur le bulletin de paye de février 2016 x 151,67 x 17,32 % d’un équivalent temps plein de 2008 à 2016).

La cour a précédemment évalué le salaire mensuel moyen brut sur la dernière année complète, celle de 2015, à la somme de 1 077,53 euros. Cette somme donc sera retenue comme salaire de référence.

La précarité dans laquelle a été laissé le salarié lui a causé un préjudice qu’il convient de réparé par l’octroi d’une somme de 1 077,53 euros .

Le jugement sera donc infirmé de ce chef et l’employeur sera condamné au paiement de cette somme au salarié.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents

L’article L.1234-5 du code du travail prévoit que l’indemnité de préavis correspond aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

Compte tenu de l’ancienneté du salarié de plus de deux années, le préavis étant en conséquence de deux mois.

Dès lors, par voie d’infirmation, l’employeur sera condamné à verser au salarié la somme de

2 155,06 euros outre 215,50 euros au titre des congés payés afférents.

Sur l’indemnité légale de licenciement

Le salarié est également en droit de percevoir l’indemnité légale de licenciement calculée sur la base d’un 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté, au cas présent neuf années.

Il s’ensuit que le salarié peut prétendre au paiement de la somme de 2 155,06 euros, soit selon la formule [(1 077,53 X1/4) X8], à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Par voie d’infirmation du jugement, l’employeur sera condamné au paiement de cette somme, non utilement contestée par le salarié.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l’ancienneté du salarié (7 ans), de son niveau de rémunération ( 1077euros bruts par mois), de son âge lors de la rupture (60 ans), de ce qu’il a alterné les périodes travaillées et chômées de 2016 à 2018, et de ce qu’il ne justifie pas ni de la perte invoquée de son droit à formation, il conviendra d’évaluer le préjudice résultant de la perte de son emploi à 6 500 euros bruts, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, la société sera condamnée.

Le licenciement ayant été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, il conviendra d’ordonner, d’office, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

Sur la discrimination salariale

Le salarié indique qu’il est bien fondé à solliciter l’octroi de dommages-intérêts pour perte de salaire et perte de droit au titre de Pôle Emploi et et de la retraite. Il fait valoir qu’il est un des salariés les plus âgés avec le plus d’expérience au sein de la société en qualité d’extra. Il affirme que pour des missions identiques effectuées avec les autres salariés et notamment MM. [M] et [U], il a systématiquement été rémunéré sur une base inférieure sans aucune justification malgré ses demandes répétées. Il ajoute qu’il a toujours perçu le même salaire inférieur au cours des dix années de service chez l’employeur quand ses collègues ont perçu une rémunération variable et supérieure en fonction des missions. Il soutient que les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en lui reprochant de n’avoir pas fourni d’éléments sur la situation de ses deux collègues alors que les pièces corresponsantes ont été versées aux débats et que c’est à l’employeur de justifier par des critères objectifs cette différence de traitement.

L’employeur réplique que le salarié se contente d’invoquer une différence de rémunération avec notamment MM. [M] et [U] sans aucun justification en dépit de ses ‘ soit- disant demandes répétées’ pourtant non produites aux débats. Il ajoute que le salarié ne fait état d’aucun exemple qui illustrerait une différence de salaire et le caractère illicite de cette différenciation, ni d’aucun critère discrimination qui serait à l’origine d’une prétendue différence de salaire. Il précise qu’en tout état de cause, les situtions de MM. [M] et [U] n’étaient absolument pas identiques ni mêmes comparables.

***

Le salarié invoque à la fois, au titre de sa rémunération, une discrimination et une atteinte à l’égalité de traitement. Faute d’invoquer l’un des motifs énoncés à l’article L. 1132-1 du code du travail, le fondement juridique de sa demande est par conséquent le principe d’égalité de traitement, qui impose à l’employeur de rémunérer de façon identique des salariés effectuant un même travail ou, à défaut, de devoir justifier toute différence de rémunération par des critères objectifs et pertinents.

S’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal » de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence (Soc. 28 septembre 2004, n° 03-41.825 et 03-41.829).

En l’espèce, le salarié produit ses contrats de travail et ses bulletins de paye entre juin 2008 et février 2016.

Toutefois, s’il invoque une disparité de traitement, le salarié n’explique pas de manière concrète en quoi elle consiste quand il vise la situation de deux salariés, MM. [M] et [U] et il ne verse aucune pièce aux débats à l’appui de sa demande tirée d’une différence de rémunération avec ses deux collègues.

Le salarié n’établit donc pas qu’il est dans une situation identique ou similaire, au regard de l’avantage invoqué, à celle des deux salariés auxquels il se compare.

Le salarié ne répond également pas aux arguments de l’employeur qui indique que le salarié a réalisé ses premières missions en 2008 alors que ces deux collègues auxquels ils se comparent ont une ancienneté plus importante et que les rémunérations versées aux salariés varient en fonction de la somme perçue par la société Sodexo par événement,le prix payé par le client étant différent suivant les prestation offertes et le nombre d’extras et de salariés permanents présents.

Le salarié, qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal» ne soumet donc pas à la cour d’éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes de dommages et intérêts pour discrimination salariale du fait de la perte de salaire et du fait de la perte de droits à retraite.

Sur la demandes de remise des documents de fin de contrat

Il y a lieu d’ordonner la remise d’un certificat de travail conforme, d’une attestation Pôle emploi et d’un bulletin de salaire récapitulatif conformes, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens de première instance et d’appel et ne saurait bénéficier d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés en première instance et en cause d’appel non compris dans les dépens, qu’il conviendra de fixer à la somme de

2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il déboute M. [J] de ses demandes de dommages-intérêts pour perte de salaire, pour discrimination salariale du fait de la perte de salaire et pour discrimination salariale du fait de la perte de droits à la retraite,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

REQUALIFIE la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 2 juin 2008,

DIT que la rupture de la relation contractuelle intervenue au terme du dernier contrat de travail à durée déterminée d’usage, le 9 février 2016, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Sodexo Sports et Loisirs à verser à M. [J] les sommes suivantes:

. 1 077,53 euros à titre d’indemnité de requalification du contrat,

. 2 155,06 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 215,50 euros de congés payés afférents,

. 2 155,06 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

. 6 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Sodexo Sports et Loisirs à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage éventuellement versées à M. [J] dans la limite de six mois,

ORDONNE à la société Sodexo Sports et Loisirs à remettre à M. [J] un certificat de travail conforme, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Sodexo Sports et Loisirs à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et déboute l’employeur de sa demande fondée sur ce texte,

CONDAMNE la société Sodexo Sports et Loisirs aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marine Mouret, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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