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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-7
ARRÊT AU FOND
DU 27 OCTOBRE 2023
N°2023/291
Rôle N° RG 21/08079 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHRSO
S.A.R.L. JARLAUD DEMENAGEMENTS
C/
[K] [X]
Copie exécutoire délivrée
le : 27 octobre 2023
à :
SELARL SJB AVOCAT
Me Talissa FERRER BARBIERI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AIX EN PROVENCE en date du 29 Avril 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F19/00090.
APPELANTE
S.A.R.L. JARLAUD DEMENAGEMENTS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Me Stéphanie JACOB BONET de la SELARL SJB AVOCAT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [K] [X], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Talissa FERRER BARBIERI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Ziane OUALI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Septembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Président de chambre, et Madame Raphaelle BOVE, Conseiller, chargés du rapport.
Madame Caroline CHICLET, Président de chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise BEL, Président de Chambre
Madame Caroline CHICLET, Président de chambre
Madame Raphaelle BOVE, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2023..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2023.
Signé par Madame Françoise BEL, Président de chambre et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Engagé d’abord au moyen de divers contrats journaliers à compter du 27 janvier 2016 en qualité de déménageur par la Sarl Jerlaud déménagement (la société), employant habituellement moins de onze salariés, M.[K] [X] a ensuite signé deux contrats à durée déterminée saisonniers avec le même employeur du 1er juin au 31 août 2016 puis du 2 mai 2017 au 31 août 2017.
La relation de travail s’est poursuivie sans contrat écrit après le 31 août 2017 moyennant un salaire de 1.498,50 euros bruts pour 151,67 heures.
La convention collective applicable est celle des transports routiers.
Le salarié a été victime d’un accident du travail le 25 juillet 2017, reconnu par la CPAM le 25 août 2017, et placé en arrêt de travail jusqu’au 28 juillet 2017 (poignet coincé entre la paroi du camion et un meuble qu’il déchargeait).
Il a été placé en arrêt de travail entre le 26 octobre 2017 et le 18 février 2018.
Le 19 février 2018, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat aux torts exclusifs de son employeur en lui reprochant dans son courrier :
‘- des irrégularités dans mon contrat : vous m’aviez fait des CDD d’une journée pendant plusieurs mois, puis je n’ai plus eu de contrat depuis le mois d’octobre 2017. Je n’ai jamais eu de prime de précarité, ni de documents de fin de contrat ;
– Au mois de février et au mois d’avril 2017, vous m’avez fait travailler sans le déclarer, je n’ai eu ni contrat ni bulletin de paie ;
– Vous ne respectez pas les règles relatives à la durée du travail : je n’ai pas de temps de pause, je dois rester disponible 24 heures parfois non-stop, j’ai par exemple réalisé 39 heures de travail en deux jours !!! C’est totalement inhumain ;
– Vous me faites faire des déménagements dans toute la France ; je pars souvent la nuit pour faire la route, et je ne suis jamais indemnisé de mes heures de nuit ;
– Pire encore, vous n’hésitez pas à me faire enchaîner une journée de travail après une nuit de travail, sans pause ;
– Vous savez aussi que je me suis blessé et vous n’avez pas voulu déclarer mon accident du travail, vous m’avez demandé de rester chez moi pendant une semaine ;
– Vous m’avez fait un chèque sans provision, qui a engendré des frais bancaires pour moi et un retard dans le paiement de mon salaire ;
– Vous me faites travailler avec des camions en mauvais état, sans contrôle technique à jour, avec des pneus lisses, de sorte que je suis constamment en danger ;
– Je n’ai pas eu de visite médicale d’embauche.’
Par courrier du 28 février 2019, la société a contesté la véracité des griefs énoncés.
Le 5 février 2019, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes d’Aix-en-Provence pour voir reconnaître le bien fondé de sa prise d’acte et obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 29 avril 2021, ce conseil a :
– fixé le salaire mensuel brut des 3 derniers mois à 1.498,50 euros ;
– requalifié les contrats journaliers et le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ;
– requalifié la prise d’acte de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société au paiement des sommes suivantes :
> 1.498,50 euros à titre d’indemnité de requalification,
> 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de la durée de travail maximale et du temps de repos hebdomadaire,
> 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour non paiement des majorations d’heures de nuit,
> 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
> 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> 2.997 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
> 299,70 euros brut au titre des congés payés afférents,
> 780,46 euros à titre d’indemnité de licenciement,
> 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonné la remise du bulletin de salaire rectifié de février 2018 et l’attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
– dit que le conseil de prud’hommes se réserve le droit de liquider l’astreinte ;
– dit que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal ;
– ordonné la capitalisation des intérêts ;
– débouté le salarié du reste de ses demandes ;
– ordonné l’exécution provisoire ;
-débouté la société de sa demande reconventionnelle,
– condamné la société aux dépens.
Le 1er juin 2021, la société a relevé appel de tous les chefs de ce jugement ayant accueilli les prétentions du salarié.
Vu les conclusions de l’appelante remises au greffe le 23 mai 2022 ;
Vu les conclusions de l’intimé, appelant à titre incident, remises au greffe le 15 octobre 2021 ;
Motifs :
I) Sur l’exécution du contrat de travail :
A) Sur la demande de requalification des contrats journaliers et du contrat saisonnier en contrat à durée indéterminée :
1) Sur la recevabilité de la demande :
Le salarié a été engagé successivement au moyen de 95 contrats de travail à durée déterminée successifs (93 contrats journaliers entre le 27 janvier 2016 et le 31 mars 2017, 1 contrat saisonnier du 1er juin 2016 au 31 août 2016 puis 1 contrat saisonnier du 2 mai 2017 au 31 août 2017 qui s’est poursuivi au-delà du terme sans écrit).
Selon l’article L.1471-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit .
En application de l’article L.1245-1 du même code dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance précitée, par l’effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier.
Il en résulte, en application de l’article L.1242-1 du même code, que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.
Dès lors que le salarié fonde sa demande de requalification sur le motif du recours en soutenant que celui-ci visait, en réalité, à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, le délai de prescription biennal n’a commencé à courir qu’à compter du terme du dernier des contrats successifs, soit le 31 mars 2017, et devait expirer le 31 mars 2019.
Le salarié ayant saisi le conseil le 5 février 2019, sa demande de requalification n’est pas prescrite, contrairement à ce qui est soutenu, et la fin de non-recevoir de l’appelante sera rejetée.
2) Sur le bien fondé de la demande :
Contrairement à ce que soutient à tort le salarié, le fait que les 93 contrats journaliers visent l’article L.1242-2-3° du code du travail, dans sa version antérieure au 1er août 2018, n’implique pas, derechef, qu’ils doivent être requalifiés en contrats saisonniers.
En effet, et nonobstant cette maladresse rédactionnelle, tous ces contrats, désignés comme ‘contrat journalier’, renvoient explicitement aux dispositions de l’article D.1242-1 du code du travail autorisant les entreprises du secteur du déménagement à conclure des contrats d’usage ainsi qu’à l’article 6.2 (cet article a été abrogé depuis le 1er février 2022) de l’acccord sur les temps de liaison d’accompagnement et la valorisation du métier par l’encadrement du contrat à durée déterminée d’usage du 22 septembre 2005 qui autorise le recours aux ‘contrats journaliers dits d’usage’ pour l’emploi de déménageur et rappelle aux employeurs leurs obligations essentielles en fournissant un modèle de contrat journalier que la société a d’ailleurs utilisé.
Les 93 contrats ‘journaliers’ signés entre le 27 janvier 2016 et le 31 mars 2017 sont donc des contrats d’usage et non des contrats saisonniers et l’employeur n’est pas tenu de justifier du caractère saisonnier de ces emplois, contrairement à ce qui est soutenu.
Ce moyen de requalification sera écarté.
Dès lors que 93 contrats d’usage se sont succédés, il convient de vérifier que le recours à ces contrats précaires était justifié par des raisons objectives, c’est-à-dire par des éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi, ainsi que le soutient justement le salarié.
Si l’employeur produit les fiches récapitulatives de tous les déménagements confiés au salarié sur la période d’embauche, il ne justifie cependant pas, par des éléments comptables objectifs et précis, que son activité globale, à l’échelle de son entreprise, était variable et fluctuante au point de rendre le recours à un emploi permanent de déménageur impossible sur la période considérée.
Ainsi, et alors que cette preuve lui incombe, il ne démontre pas le caractère par nature temporaire de l’emploi confié au salarié à 93 reprises.
La preuve des raisons objectives du recours aux contrats d’usage successifs pour l’emploi de déménageur n’étant pas rapportée, la requalification en contrat à durée indéterminée s’impose dès le premier contrat irrégulier du 27 janvier 2016 et l’employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 1.498,50 euros à titre d’indemnité de requalification, le jugement étant confirmé sur ce point par ces motifs substitués.
3) Sur la demande au titre des périodes interstitielles :
L’appel incident de l’intimé est recevable, contrairement à ce que soutient la société, puisqu’il a été formé, conformément à l’article 909 du code de procédure civile, dans des conclusions remises au greffe et notifiées à l’adversaire le 15 octobre 2021 (demande de condamnation au paiement de la somme de 5.878,26 euros et des congés payés y afférents dans les motifs et le dispositif des écritures), soit dans les 3 mois des conclusions de l’appelante du 15 juillet 2021.
Il appartient au salarié qui réclame le paiement des périodes interstitielles de janvier 2016 à mars 2017 inclus de démontrer qu’il s’est tenu à la disposition permanente de l’employeur entre chaque contrat à durée déterminée successif durant cette période.
En l’espèce, le salarié a travaillé 4 à 21 jours par mois, au cours de chacun des mois de la période considérée (à l’exception du mois de février 2017 au cours duquel il n’a pas travaillé), pour une durée de travail minimale de 7 heures non fractionnées et réparties généralement sur une journée voire, très exceptionnellement, sur 2 jours.
Ces variations incessantes dans le rythme des embauches d’un mois sur l’autre, le salarié ayant été requis certains mois l’équivalent d’un temps complet (151,67h en octobre 2016 et janvier 2017) ou à 95% (144h en avril 2016), et l’absence de revenus déclarés autres que ceux versés par l’employeur, tel que cela résulte des avis d’imposition produits, suffisent à démontrer le caractère totalement imprévisible du rythme de travail et l’impossibilité pour le salarié d’occuper un autre emploi (puisqu’il était requis tous les jours de certains mois sans pouvoir l’anticiper).
La preuve de ce qu’il a dû se tenir de manière permanente à la disposition de l’employeur entre deux contrats d’usage étant rapportée, le salarié verra sa demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles accueillie.
Le mode de calcul des rappels de salaire consécutifs à la requalification n’étant pas discuté et celui-ci n’étant pas affecté par les sommes qui ont pu être versées au salarié par l’organisme compétent au titre de l’assurance chômage, contrairement à ce que soutient l’employeur, ce dernier sera condamné à payer la somme réclamée de 5.878,26 euros (décompte en pièce 102) outre celle de 587,82 euros au titre des congés payés y afférents et le jugement sera infirmé sur ce point.
B) Sur la demande au titre de la durée du temps de travail quotidien et des temps de repos:
Selon l’article R.3312-51 du code des transports, la durée quotidienne du temps de service ne peut excéder douze heures pour le personnel roulant.
Par ailleurs, l’article 2 de l’accord du 22 septembre 2005 étendu par décret du 31 octobre 2006, annexé à la convention collective applicable, prévoit que : ‘L’amplitude de la journée de travail est l’intervalle existant entre deux repos journaliers successifs ou entre un repos hebdomadaire et le repos journalier immédiatement précédant ou suivant.
L’amplitude maximale de la journée de travail des personnels visés à l’article 1.1 du présent accord est de 16 heures en période de forte activité (15 juin – 15 septembre).
En dehors de cette période, l’amplitude est limitée :
– à 16 heures au plus 2 fois par semaine ;
– à 14 heures le reste du temps et dans cette situation précise donnera lieu pour les heures excédant une amplitude de 12 heures au versement d’une indemnité pour dépassement d’amplitude dont les modalités et le montant devront être définis au niveau de la branche tels que prévus à l’article 8 du présent accord.
Article étendu sous réserve du respect des dispositions de l’article 8 du règlement (CEE) 3820/85 en matière de repos journalier (arrêté du 31 octobre 2006, art. 1er).’
Enfin, selon l’article L3131-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3131-2 et L. 3131-3 ou en cas d’urgence, dans des conditions déterminées par décret.
L’article R.5312-53 du code des transports prévoit, toutefois, que la durée du repos quotidien peut être réduite :
1° Pour le personnel roulant exécutant des transports soumis au règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, dans les conditions fixées par ce règlement ;
2° A défaut de l’accord mentionné à l’article L. 1321-4, pour le personnel roulant exécutant des transports non soumis au règlement du 15 mars 2006 mentionné au 1°, à dix heures consécutives sur toute période de vingt-quatre heures.
Selon le salarié (pièce n°103, 104 et 105) l’employeur aurait manqué à ses obligations aux dates suivantes :
– le mercredi 30 mars 2016, journée de 11h30 ; cependant, cette durée du temps de service n’enfreint pas les règles précitées.
– le jeudi 31 mars 2016, journée de 19h00, soit 30h30 en deux jours ; ce temps de service, qui résulte de la mention portée par le salarié sur le formulaire destiné à Pôle Emploi, sera retenu dès lors que l’employeur, de son côté, se borne à fournir des fiches horaires non signées par le salarié qui ne peuvent suffire, en l’absence d’autres éléments concordants, à faire la preuve de la durée effective du temps de service accompli ce jour-là et le manquement est caractérisé (temps de service et amplitude).
– la semaine du 09 octobre 2017, il a enchaîné une journée de 8h45, puis une journée de 12h05, puis encore une journée de 11h30 ; cependant, compte tenu des heures de fin et de début de mission figurant sur les fiches horaires de l’employeur et que le salarié ne conteste pas, aucun manquement au repos quotidien minimal ou à durée maximale du temps de service n’est établi.
– le 02 octobre 2017, journée de minuit à 18h35, puis deux journées de 10h55 et 11h55 accolées ; si les durées maximales de l’amplitude et du temps de service quotidien ont été dépassées le 2 octobre 2017, aucun manquement n’est caractérisé pour les journées du 3 et du 4 octobre 2017.
– la semaine du 25 septembre 2017, deux journées de 11h20 ; cependant ces amplitudes et temps de service ne contreviennent pas aux règles précitées et aucun manquement n’est établi.
L’employeur ayant manqué, de manière réitérée le 31 mars 2016 et le 2 octobre 2017, à ses obligations impératives afférentes aux durées maximales quotidiennes de temps de service et d’amplitude horaire, il sera condamné à payer au salarié la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le salarié sera débouté de son appel incident sur le quantum et le jugement sera confirmé sur ce point.
C) Sur la demande pour défaut de paiement des majorations du travail de nuit:
Selon l’article 1 de l’accord du 14 novembre 2001, étendu par arrêté du 2 juillet 2002, ‘Le rôle dévolu au transport de marchandises dans la continuité de l’activité économique du pays nécessite des entreprises visées par le présent protocole de pouvoir exercer leur activité en tout ou partie au cours de la période nocturne (telle que définie ci-dessous), compte tenu des impératifs d’exploitation ou d’organisation des personnes morales ou physiques pour lesquelles elles assurent leurs prestations.
La période nocturne est la période comprise entre 21 heures et 6 heures.’
Il résulte des fiches horaires produites par les deux parties que le salarié a travaillé régulièrement entre 21h et 6h tout au long de la relation de travail. Tel a été le cas, par exemple, le 18 mai 2016 de 5h35 à 16h06, le 12 juin 2017 de 4h00 à 22h15 le lendemain soir, le 19 septembre 2017 de 20h45 à 8h00, le 30 septembre 2017 de 22h à 00h, le 2 octobre 2017 de 00h à 18h35.
Contrairement à ce que soutient à tort l’employeur, les majorations pour travail de nuit ne s’appliquent pas qu’aux conducteurs mais à tous les personnels roulants c’est à dire ceux qui se trouvent à bord du véhicule en mouvement.
Et c’est à tort que l’employeur affirme que le temps d’accompagnement du salarié non conducteur n’est pas un temps de travail effectif susceptible d’ouvrir droit à majoration de nuit alors que ce temps d’accompagnement doit être comptabilisé comme du temps de travail effectif pour 50% de sa durée en vertu de l’article 1.3 de l’accord du 22 septembre 2005 étendu par arrêté du 31 octobre 2006 et annexé à la convention collective applicable.
Les bulletins de salaire de l’intéressé ne mentionnant aucune majoration pour travail de nuit, l’employeur est présumé ne pas les avoir payées et il lui appartient de rapporter la preuve contraire, ce que la société ne fait pas en l’espèce.
Pour justifier la demande indemnitaire formée en lieu et place d’une demande de rappel de salaire, l’intimé conclut qu’il n’a pas en sa possession l’ensemble de ses relevés d’heures, que ceux produits par l’employeur ne sont pas signés par ses soins et ne peuvent faire la preuve de l’intégralité de ses droits et invoque l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de décompter les heures de nuit ouvrant droit à majoration.
Cependant, dès lors que les relevés horaires non signés produits par l’employeur, que le salarié pouvait compléter par ses propres décomptes, font ressortir les heures de nuit alléguées, la cour juge que l’intimé ne s’est pas trouvé dans l’impossibilité absolue de procéder au calcul de ses droits et sa demande indemnitaire, substitutive d’un rappel de salaire, sera rejetée.
D) Sur la demande indemnitaire pour exécution fautive du contrat :
C’est à tort que le salarié conclut à l’absence de réaction de l’employeur après son accident du travail puisque ce dernier produit la déclaration adressée en recommandé avec avis de réception à la caisse primaire d’assurance maladie dès le 27 juillet 2017, la copie du questionnaire renseigné et les courriers échangés avec cet organisme.
De même, il ne peut reprocher à l’employeur de n’avoir pas organisé une visite médicale de reprise après le 27 juillet 2017 alors que la durée de son arrêt de travail ne l’y contraignait pas ou après le 18 février 2018 puisqu’il a pris acte de la rupture dès le 19 février 2018.
Enfin, il ne démontre pas que son second arrêt de travail, du 26 octobre 2017 au 18 février 2018, serait en lien avec un quelconque manquement fautif de l’employeur.
En revanche, la violation des règles sur le recours au contrat d’usage, les majorations du travail de nuit et les durées maximales quotidiennes de temps de service et d’amplitude horaire, l’absence de planning soumis à la signature du salarié, l’absence de toute visite médicale d’embauche pour un salarié soumis à des sollicitations physiques importantes (déménageur) et le retard de paiement du salaire consécutif à un chèque sans provision constituent des manquements de l’employeur à ses obligations d’exécution loyale et de sécurité à l’égard du salarié.
Ce dernier a subi un préjudice en lien avec ces carences puisqu’il a été entretenu, sans raison valable, dans une situation de précarité à compter de janvier 2016, qu’il lui a été impossible, pendant toute cette période, de pouvoir anticiper son rythme de travail et de compléter ses journées vacantes par un autre emploi, qu’il n’a pas reçu le paiement des majorations dues pour le travail de nuit ni été mis en mesure de vérifier que le montant des salaires perçus correspondait aux heures effectivement accomplies, qu’il n’a pu bénéficier d’une visite médicale d’embauche et qu’il a dû subir les tracasseries financières et administratives liées au retard de paiement de son salaire ce qui justifie l’allocation d’une somme de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts.
L’intimé sera débouté de son appel incident sur le quantum et le jugement confirmé sur ce point.
II) Sur la prise d’acte de la rupture :
Si les manquements de l’employeur aux règles de recours au contrat d’usage de janvier 2016 à mars 2017 n’ont pas rendu la poursuite de la relation de travail impossible, puisque le salarié a consenti à signer un nouveau contrat à durée déterminée le 2 mai 2017 qui s’est poursuivi au-delà du terme convenu du 31 août 2017, il en va autrement de la violation réitérée des règles relatives aux durées maximales de temps de service et d’amplitude horaire et aux majorations pour travail de nuit qui se sont poursuivies jusqu’en octobre 2017, soit quelques jours avant la suspension du contrat de travail ayant pris fin le 18 février 2018.
Ces manquements graves et renouvelés de l’employeur ont rendu la poursuite du contrat de travail impossible et c’est donc à bon droit que le conseil des prud’hommes a dit que la prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par suite, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Le salarié justifiant d’une ancienneté ininterrompue de 21 mois (du 27 janvier 2016 au 19 février 2018 déduction faite de la suspension du contrat de travail de 3 mois et 23 jours du 26 octobre 2017 au 18 février 2018 inclus), il a droit à une indemnité compensatrice de préavis qui ne peut excéder un mois de salaire brut, soit 1.498,50 euros brut, en application de l’article 5 de la convention collective applicable, ainsi que le soutient justement l’employeur, outre les congés payés y afférents.
Il a droit également à une indemnité de licenciement d’un montant de 686,81 euros (1498,50 x 0,25 x 1 an et 10 mois en incluant le mois de préavis).
La société sera par conséquent condamnée à lui payer ces sommes et le jugement sera infirmé sur le quantum.
S’agissant du préjudice résultant de la perte de l’emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (1.498,50 euros brut), de l’âge de l’intéressé (29 ans), de son ancienneté dans l’entreprise à la date de la rupture (22 mois en incluant le préavis), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des conclusions et pièces communiquées (intérimaire en 2018 et 2019 inclus), la société sera condamnée à lui verser la somme de 2.997 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017 applicable au litige (fourchette comprise entre 0,5 mois et 2 mois pour 1 an d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés).
L’appel incident du salarié sera partiellement accueilli et le jugement sera infirmé sur le quantum.
Sur les autres demandes :
La société qui succombe sera condamnée aux dépens de l’appel et à payer au salarié la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en cause d’appel.
Par ces motifs :
La cour, statuant par arrêt contradictoire :
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société au paiement des sommes suivantes :
> 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour non paiement des majorations d’heures de nuit,
> 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> 2.997 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
> 299,70 euros brut au titre des congés payés afférents,
> 780,46 euros à titre d’indemnité de licenciement,
Statuant à nouveau sur ces seuls chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société Jarlaud Déménagement à payer à M. [K] [X] les sommes suivantes :
> 1.498,50 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 149,95 euros brut au titre des congés payés y afférents,
> 686,81 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
> 2.997 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute le salarié de sa demande indemnitaire substitutive au rappel de salaire pour non paiement des majorations de nuit ;
Condamne la société aux dépens d’appel et à payer au salarié la somme de 2.000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT